|
|
CONTRE CRESCONIUS Grammairien et Donatiste.LIVRE PREMIER : LE BAPTÊME DONNÉ PAR LES DONATISTES.
Dans une lettre adressée à saint Augustin lui-même, Cresconius avait entrepris la justification de Pétilien. Fort de cette lettre, le saint Docteur en commence la réfutation. Il prouve d'abord que ceux qui sont en possession de la vérité n'ont à redouter ni l'éloquence ni la dialectique. Il montre ensuite que l'on peut fort bien avouer la validité du baptême conféré par les Donatistes, et soutenir en même temps que ce baptême est réellement illicite.
I. J'ignorais parfaitement à quelle époque mes écrits parviendraient à votre connaissance, mais j'étais assuré qu'un jour ou l'autre ils vous arriveraient. Les vôtres ne me sont également parvenus que longtemps après leur publication, mais enfin ils me sont parvenus. C'est donc là ce que vous avez cru devoir me répondre, pour mettre à néant la courte réfutation que j'avais faite de la doctrine de Pétilianus. Cet évêque de Cirté avait tenté de justifier la réitération du baptême, et déversé sur notre communion des accusations aussi peu fondées qu'elles étaient méchantes et imprudentes. J'ai dû protester, et si ma réplique a été si restreinte, c'est que je n'avais alors entre les mains que la première et la plus courte partie de sa lettre. Pourquoi s'en étonner, puisque nous n'avons pas hésité un seul instant à présenter une réfutation complète aussitôt que la lettre tout entière nous eut été remise? Si donc je laissais sans réponse la lettre que vous m'avez adressée, vous vous croiriez insulté ; et, d'un autre côté, en vous répondant ne vais-je point passer à vos yeux pour un ami de la chicane? Mais avant de m'accuser, n'oubliez pas que ma première lettre ne vous était point adressée ; et cependant, parce qu'elle s'attaquait à l'un de vos évêques donatistes, ou plutôt au Donatisme lui-même, à peine l'aviez-vous lue que, fort de vos talents, vous entrepreniez de la réfuter, quoique aucune fonction de la cléricature ne vous y obligeât, et uniquement parce que vous êtes en communion avec lui. Voudriez-vous donc que, malgré ma charge épiscopale, je gardasse le silence avec vous ou avec Pétilianus quand il attaque l'Eglise dont je suis le défenseur, tandis que vous auriez le droit, en pareille circonstance, de m'écrire nominativement et de m'adresser votre réfutation ? II. Vous essayez tout d'abord de rendre l'éloquence suspecte aux yeux des hommes. En effet, soins une forme extérieurement élogieuse pour mon style et ma diction, votas vous prenez subitement à craindre que la perfection de mon langage ne soit pour moi un moyen de vous tromper vous ou d'autres, et aussitôt vous formulez un tel réquisitoire contre l'éloquence que vous n'hésitez pas à invoquer contre elle le témoignage même de la sainte Ecriture. Or, voici ce qu'il vous plaît d'y lire. « Avec une grande éloquence vous n'échapperez point au péché »; vous êtes dans l'erreur, il ne s'agit point de l'éloquence, mais « de la loquacité (1) ». La loquacité n'est autre chose que la superfluité du langage et des paroles ; c'est donc un vice contracté par l'amour désordonné de parler. Ceux qui en sont les victimes éprouvent le besoin de parler, mais quand ils ne savent pas ce qu'ils disent, ou qu'ils ignorent la valeur des mots ou les règles du langage. Au contraire, l'éloquence n'est autre chose que la faculté de bien dire et d'exprimer convenablement ce que nous sentons; on ne doit donc en user qu'en faveur, de ce qui est vrai et bien. Envisagée en ce sens, l'éloquence n'a donc jamais été le partage des hérétiques comme tels. En effet, si leurs
1. Prov. X, 19.
361
pensées avaient toujours été justes et droites, leur langage n'aurait jamais connu ni l'erreur ni le mensonge. C'est donc bien à tort que vous cherchez dans ces hérétiques une preuve pour incriminer l'éloquence. Doit-on arracher les armes aux défenseurs de la patrie, parce que quelques soldats se sont armés contre elle? Parce que certains médecins ignorants abusent quelquefois de certains remèdes, jusqu'à faire mourir leurs malades, doit-on conclure que les, médecins consciencieux et savants ne doivent pas les employer pour rendre la santé ? Ne sait-on pas que les choses le plus ardemment désirées peuvent être utiles ou inutiles? N'en est-il pas de même de l'éloquence qui devient utile ou inutile selon que son objet est utile ou inutile? De telles notions, je n'en doute pas, vous sont familières. III. Parce que vous me voyiez entouré d'une certaine réputation d'éloquence, vous avez jugé à propos, je crois, pour refroidir le zèle du lecteur ou de l'auditeur, d'incriminer l'éloquence elle-même ; par ce moyen, vous espériez que ce lecteur ou cet auditeur prévenu contre moi, à cause de mon éloquence, loin d'accueillir mes paroles, n'éprouverait plus pour elles qu'une profonde défiance et presque de l'horreur. Une telle conduite, de votre part, ne doit-elle pas être assimilée « à cet art mauvais dont les sages ont dit », d'après Platon, « qu'il fallait le mettre en dehors de la cité et du genre humain tout entier? » Or, autant je désire l'éloquence pour reproduire mes pensées et mes sentiments, autant je repousse cet art mauvais qui est à une distance infinie de la véritable éloquence et qui, non point par conviction, mais par esprit de chicane et d'intérêt, se propose de parler pour tous et contre tout. A ceux qui ont embrassé cette profession sophistique et perverse s'applique cette parole de l'Ecriture : « Celui qui parle en sophiste est digne de la haine la plus profonde (1) ». C'est contre ce défaut que l'apôtre saint Paul met en garde la jeunesse de Timothée, quand il lui dit : «Abstenez-vous de chicaner sur les paroles; car un tel système, loin d'être utile, ne fait que perdre les auditeurs». Craignant aussitôt qu'on ne l'accusât de condamner la véritable éloquence, l'Apôtre ajoute aussitôt: « Faites en sorte de vous rendre un ouvrier à toute épreuve,
1. Eccli. XXXVII, 23.
supérieur à toute crainte humaine et traitant dignement le langage de la vérité (1) ». Ce double jeu de nous présenter comme des hommes éloquents et de blâmer l'éloquence, à quel autre sentiment puis-je l'attribuer, sinon à l'esprit de contradiction et au désir d'indisposer contre nous tout homme qui voudrait s'instruire? Quant à supposer que vous agissez ainsi par conviction, comment ne pas m'y refuser quand je sais' avec quel enthousiasme vous exaltez l'éloquence de Donat, de Parménien et de quelques autres Donatistes ? Et en effet, de quelle utilité ne serait pas cette éloquence, si elle ne se déversait, en flots si abondants, que pour la paix de Jésus-Christ, pour l'unité, pour la vérité, pour la charité ? Mais pourquoi parler des autres ? Ne prouvez-vous pas vous-même que ce n'est pas par conviction, mais par esprit d'opposition que vous vous attaquez à l'éloquence ? Cette même éloquence dont vous vous faites ici l'ennemi, n'est-ce pas à elle que vous empruntez les moyens de faire accepter vos autres ouvrages ? IV. Que prétendez-vous donc en alléguant « que dans l'art de parler vous êtes inférieur à nous, et que vous n'avez aucune connaissance des exemples de la loi chrétienne? » Ai-je donc usé de violence pour vous contraindre à réfuter mes écrits? est-ce donc là le cri d'un homme qui s'y refuse? Si vous n'avez pas une connaissance suffisante de ces matières, pourquoi ne gardez-vous pas le silence, ou ne demandez-vous pas la lumière à ceux qui peuvent vous la donner? « Ils insistent », dites-vous, « et me provoquent sans cesse à discuter avec eux ces difficiles questions; mais les vôtres montrent beaucoup plus de sagesse et de prudence, quand ils se contentent d'apprendre au peuple la loi divine dans l'Eglise, sans prendre aucun souci de nous répondre; ils savent fort «bien que s'il leur est impossible de nous persuader de l'excellence et de la vérité de la loi divine et des enseignements de la révélation, jamais aucune autorité humaine ne pourra dissiper nos erreurs, et nous faire rentrer dans le sentier de la vérité ». Puisqu'ils gardent le silence, pourquoi donc, au lieu de les imiter, avez-vous jugé à propos de parler contre nous? S'ils font bien, pourquoi ne les imitez-vous pas? Et s'ils font
1. II Tim. II, 14, 15.
362
mal, pourquoi vous permettre de les applaudir? V. Vous dites que « par une arrogance intolérable je me flatte de pouvoir terminer seul un débat que les autres regardent comme insoluble et qu'ils abandonnent au jugement de Dieu ». Un peu plus haut vous disiez également qui « après tant d'années, après un si grand nombre de juges et d'arbitres, je me vante de finir une cause que n'ont pu finir les évêques les plus habiles, choisis dans les deux camps opposés ». Est-il bien vrai que je sois seul à m'occuper aujourd'hui de cette affaire, que je désire seul discuter et clore cette question? Il me semble que si vous aviez voulu n'accuser que nous des efforts que nous faisons dans ce but, vous n'avoueriez pas que les vôtres montrent une ardeur aussi généreuse. Si donc, au moins par déférence pour vos évêques, vous ne pouvez incriminer les efforts et l'énergie que nous déployons des deux côtés, il est tout naturel que je veuille participer à une oeuvre aussi méritoire. De quoi m'accusez-vous ? que me reprochez-vous? Est-ce que vous seriez jaloux? Jamais je ne croirai qu'un tel sentiment vous anime. Ce que vous me reprochez, c'est donc ce même zèle de la vérité, auquel vous prodiguez tous les éloges quand il s'agit de vos évêques. VI. Assurément ce serait une arrogance intolérable de se flatter de terminer seul une question qui n'a pu être résolue par un si grand nombre d'hommes instruits. Mais je vous en prie, ne vous figurez pas que je sois seul: nous sommes nombreux de notre côté, et tous nous travaillons à clore ce débat, ou plutôt à montrer qu'il est parfaitement résolu. Ceux qui disent qu'il n'est point résolu, ce sont ceux qui ne veulent point accepter la solution, ceux qui vous cachent cette solution, afin que, trompés par eux, vous restiez convaincu qu'il n'est intervenu, en effet, aucune solution. De notre côté, au contraire, depuis la fin du débat nous n'avons rien négligé pour faire connaître ce résultat, nous lui donnons toute la publicité possible, afin que personne ne reste dans l'erreur sur ce point et ne puisse, au jugement de Dieu, accuser les évêques de négligence ou de paresse. Assurément nous nous gardons bien de reprendre à nouveau une cause depuis longtemps terminée ; nous voulons seulement apprendre à ceux qui l'ignorent comment elle a reçu sa solution. De cette manière nous espérons faire entrer la lumière dans l'esprit des partisans de l'erreur, les convertir et leur rendre la liberté ; si malgré l'évidence ils persévèrent dans leur obstination, nous voulons du moins que ceux qui préfèrent la vérité à la chicane, puissent voir clairement à quel parti ils doivent s'attacher. VII. Quoi que vous en pensiez vous-même, cette conduite n'a point été sans résultat. Si vous pouviez voir sur quelle vaste étendue de l'Afrique l'erreur avait pris racine, et en quel petit nombre aujourd'hui sont ceux qui jusque-là ont refusé d'ouvrir les yeux à la lumière, et de rentrer dans l'unité catholique, vous comprendriez que nos efforts pour rétablir la paix et l'unité, ont porté des fruits immenses. Du reste, si pour quelques personnes tous les soins prodigués sont restés inutiles, pour notre justification aux yeux de Dieu il nous suffit de penser que ces soins ont été réellement prodigués. Celui qui conseille le mal, lors même qu'il échouerait dans sa coupable entreprise, encourt nécessairement le châtiment de sa faute; de même celui qui prêche la justice, dussent ses efforts rester sans résultat, recevra de Dieu la récompense que mérite un devoir accompli. En effet, un droit certain s'acquiert par un travail dont le résultat est incertain. Ce qu'il y a d'incertain., ce n'est pas la récompense de l'ouvrier, mais les dispositions de l'auditeur, Nous ne savons pas si ces auditeurs accepteront la vérité qui leur est annoncée; mais nous savons que c'est un devoir de la leur annoncer; nous savons aussi que ceux qui la leur annoncent fidèlement obtiendront leur récompense, soit qu'on accueille leur parole, soit qu'on la méprise, soit même qu'ils aient à subir sur ce point certaines persécutions, Le Seigneur dit dans l'Evangile : « Quand vous entrerez, dites : La paix soit à cette maison, et s'il en est dans cette demeure qui en soient dignes, votre paix se reposera sur eux ; autrement elle vous reviendra (1) ». Est-ce que Jésus-Christ a assuré à ses Apôtres que tous ceux à qui ils prêcheraient la paix l'accepteraient? Cependant il leur ordonne de la prêcher sans aucune hésitation. VIII. Saint Paul s'exprime dans le même sens: « Le serviteur de Dieu ne doit pas discuter,
1. Matt. X, 12, 13.
363
mais se montrer, à l'égard de tous, doux, docile, patient, corrigeant modestement ceux qui sont d'une opinion contraire, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence pour leur faire connaître sa volonté (1) ». Remarquez que l'Apôtre défend de disputer, tandis qu'il ordonne de corriger avec douceur ceux qui résistent à la vérité; il défend la pétulance, mais il ne veut pas que, pour mieux éviter la pétulance, le ministre de Dieu tombe dans la paresse. Mais quelque douce que soit la correction, ne voit-on pas un grand nombre d'hommes, soit par attachement à leurs péchés, soit par honte de ne pouvoir rien répondre, l'accepter avec aigreur, se révolter avec indignation, repousser la vérité et reprocher l'esprit de chicane et de dispute à ceux qui entreprennent franchement de les convertir et de les arracher à l'erreur? Le mensonge craint toujours d'être mis à nu et confondu; et, pour se venger, flétrit du nom de quelque vice que la vérité condamne, le soin que l'on apporte à défendre la vérité. Est-ce une raison pour cesser la lutte et suspendre tout effort? Voyez quel soin prend l'Apôtre de prémunir.son disciple Timothée contre la tentation de se relâcher dans le ministère de la prédication, sous prétexte que sa parole évangélique soulève des mécontentements parmi ses auditeurs. « Je vous en conjure devant Dieu », dit-il, « et devant Jésus-Christ qui jugera les vivants et les morts dans son avènement et dans l'établissement de son règne, annoncez la parole ; pressez les hommes à temps et à contre-temps; reprenez, suppliez, menacez, sans vous lasser jamais de les tolérer et de les instruire ». Après un langage aussi formel, pourvu que l'on serve Dieu fidèlement, et que l'on ne soit pas un ouvrier trompeur, peut-on se permettre de faire trêve à ces soins assidus, à cette constante assiduité? Après d'aussi pressantes exhortations la paresse est-elle encore possible? Dans une matière de ce genre, votre faconde doit donc être pour nous hors de propos ; avec le secours du Seigneur nôtre Dieu nous prêchons sans relâche l'utilité, la piété, la sainteté de l'unité chrétienne; pour ceux qui montrent de là bonne volonté, cette prédication est opportune, mais elle est importune, pour ceux qui veulent persévérer
1. II Tim. II, 24, 25.
dans la révolte. Enfin, dans la mesure de nos forces, et à tous ceux qui peuvent nous entendre, nous montrons que depuis longtemps est clos le débat soulevé entre nous et les Donatistes. IX. Comment ne pas se reconnaître coupable d'une animosité belliqueuse, soit quand on patronne le mensonge avec autant d'astuce que d'opiniâtreté, soit quand on célèbre les louanges de la vérité avec une jactance tout imprégnée de jalousie? L'apôtre saint Paul flétrit également ces deux espèces d'adversaires. Il stigmatise les premiers dans la personne d'Alexandre, dont il dit : « Alexandre, l'ouvrier en cuivre, m'a fait beaucoup de mal ; le Seigneur lui rendra selon ses oeuvres; gardez-vous de lui, parce qu'il a fortement combattu la doctrine que nous enseignons (1) ». Les autres sont caractérisés en ces termes : « Quelques-uns, par jalousie et par esprit de chicane, annoncent Jésus-Christ, mais sans aucune pureté d'intention et avec le désir de jeter le trouble dans mes chaînes ». Ces hommes, en effet, prêchaient la même doctrine que saint Paul; mais loin de s'inspirer de la même intention, de la même volonté, de la même charité, ils obéissaient uniquement à la jalousie et à l'orgueil, et aspiraient ouvertement à l'emporter sur l'Apôtre. Celui-ci tressaillait de joie de voir hautement prêché ce dont il voulait répandre au loin la connaissance. « Que m'importe tout le reste », dit-il, « pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de toute manière, en toute occasion et en toute vérité? » Comme leur intention n'était pas pure et qu'ils n'obéissaient qu'à l'esprit de chicane, on ne peut pas dire qu'ils prêchaient dans la vérité de leur coeur, mais toujours est-il qu'ils annonçaient la vérité, c'est-à-dire Jésus-Christ. Vous ne prétendez pas sans doute connaître les dispositions les plus intimes de notre coeur; qu'il vous suffise d'observer si nous résistons à la vérité ou si nous désirons convaincre ceux qui y résistent. Si nous prêchons la vérité, si nous réfutons l'erreur, lors même que notre intention ne serait pas pure, lors même que nous agirions dans le but de nous procurer quelque avantage temporel ou quelque gloire humaine, les amis de la vérité doivent se réjouir de voir que la vérité est annoncée, et, en cela, ils ne feront qu'imiter l'Apôtre quand
1. II Tim. IV, I, 2, 14, 15.
364
il déclare qu'il se réjouira pourvu que la vérité soit annoncée (1). Si donc, et j'invoque sur ce point le témoignage même de Dieu, comme j'invoquerais le vôtre si vos relations avec nous vous avaient permis de le constater vous-même ; si, dis-je, la prédication de la vérité est de notre part l'objet de la plus vive sollicitude et de la plus ardente charité, il me semble qu'on ne saurait nous faire un reproche de nous armer d'une sainte ardeur contre tous ceux qui se posent en adversaires de la vérité. X. Peut-être regardez-vous comme ami de la dispute et de la chicane tout homme qui se fait uri devoir de soulever la discussion sur tel ou tel point important, ou de la soutenir. Mais alors, que pensez-vous donc de Jésus-Christ, de ses Prophètes et des Apôtres? Est-ce que le Fils de Dieu lui-même a jamais reculé devant la nécessité de discuter la vérité, non-seulement en présence de ses disciples ou de ceux qui ont cru en lui, mais encore en présence de ses ennemis, malgré leurs questions insidieuses, malgré leurs attaques, leurs dénigrements, leurs questions et leurs malédictions? Au sujet de la prière, a-t-il hésité à discuter avec une femme victime de l'opinion ou de l'hérésie des Samaritains? Mais, dites-vous, le Sauveur savait par avance qu'il amènerait cette femme à la foi. Comment alors expliquerez-vous ses nombreuses discussions contre les Juifs, contre les Pharisiens, contre les Sadducéens qui, non-seulement ne devaient pas croire, mais étaient disposés à ne reculer devant aucune contradiction, devant même les persécutions les plus injustes ? Ne s'est-il pas permis bien souvent de les interroger, afin de les confondre sur leurs propres réponses? Quand, à leur tour, ils lui adressaient certaines questions insidieuses, a-t-il hésité à leur répondre avec une franchise telle qu'il les réduisait au plus honteux silence? Et cependant, il n'est dit nulle part que l'évidence de son argumentation en ait déterminé un seul à marcher à sa suite. Dans sa prescience infinie, le Sauveur pourtant savait fort bien que tout ce qu'il pouvait dire pour eux ou contre eux resterait absolument inutile pour leur salut. Disons .donc qu'il a voulu, par son exemple, nous enseigner la nécessité de toujours parler, quoique nous ignorions si les hommes accepteront
1. Philipp. I, 17, 18.
la foi ou s'obstineront dans leur perversité; fatigués de parler à des auditeurs trop endurcis et trop pervers pour recueillir de nos efforts quelque fruit de salut, quelle puissance n'aurait pas eue sur nous la tentation de céder au désespoir et de renfermer la lumière sous le boisseau? Mais voici venir le démon lui-même ; tout retour de sa part aux saintes.lois de la justice est jugé impossible, non-seulement par Dieu, mais par les hommes eux-mêmes. Eh bien ! quand il osa tenter insidieusement le Fils de Dieu, quand il eut l'audace de lui tendre des embûches par des questions empruntées à l'Ecriture sainte, est-ce que le Sauveur hésita un seul instant à lui répondre par des textes empruntés â cette même Ecriture? est-ce que, tout Dieu qu'il était, il crut indigne de lui de discuter avec le démon sur les oracles de la révélation (1)? Espérait-il convaincre les Juifs et le démon lui-même? Non assurément; il lui suffisait de prévoir que ces discussions serviraient aux Gentils. XI. Nous lisons également que les Prophètes ont quelquefois été envoyés à des hommes si endurcis dans le péché que Dieu lui-même, en envoyant ces Prophètes, ne craignait pas de leur prédire que ceux qu'ils devaient instruire resteraient sourds à leurs enseignements. Ne doit-on pas admettre que, sous l'inspiration de cet esprit prophétique qui leur dévoilait l'avenir, ils ont pu savoir que leurs enseignements seraient couverts d'un profond mépris, ce qui ne les empêchait pas de parler avec autant de force que de persévérance? Le Seigneur dit clairement au prophète Ezéchiel : «Allez, entrez dans la maison d'Israël et faites-leur entendre mes enseignements; c'est à la maison d'Israël que vous êtes envoyé et non à un peuple d'une langue inconnue; je ne vous envoie pas à des peuples étrangers et nombreux, parlant un langage lourd et différent que vous ne puissiez pas entendre ; et cependant, si je vous ordonnais d'évangéliser ces peuples, peut-être écouteraient-ils votre parole. Or, la maison d'Israël ne vous écoutera pas, parce qu'elle ne m'écoute pas moi-même, à cause de la dureté et de l'agitation de son coeur. Or, j'ai rendu votre front assez fort pour lutter contre leur front, et j'appuierai votre combat contre
1. Matt. IV, 3-10.
365
leur combat (1) ». Telle est la mission que reçoit ce serviteur de Dieu : il doit parler à des hommes qui ne l'écouteront point, peut-il en douter quand il en a pour garant la parole même de celui qui l'envoie et lui ordonne de parler? Pour quel motif donc, dans quel but, en vue de quel résultat est-il envoyé au combat pour prêcher la vérité à des hommes qui se révolteront contre lui et ne l'écouteront pas ? Dira-t-on que les saints prophètes du Seigneur ont été couverts du mépris que vous m'objectez quand vous dites : « Puisque vous savez que la cause dont il s'agit ne saurait être finie par vous, pourquoi donc entreprenez-vous un travail inutile? Pourquoi ce travail inutile? Pourquoi ces efforts vains et sans fruit? N'est-ce pas une grande erreur de votre part d'entreprendre ce que vous ne pouvez pas expliquer? La loi n'a-t-elle pas dit : Ne cherchez pas ce qui vous dépasse et ne scrutez pas ce que vous ne pouvez atteindre (2) ? » Et ailleurs : « L'homme belliqueux se prépare des luttes et l'homme colère exagère le péché (3) ». Oseriez-vous tenir ce langage à Ezéchiel à qui le Seigneur ordonne de déclarer une guerre sainte à des hommes qui n'obéiront pas, qui se révolteront, tiendront un langage et une conduite tout différents? Si vous lui parliez ainsi, ne pourrait-il pas vous adresser la réponse que les Apôtres faisaient à ces mêmes Juifs : « A qui doit-on obéir? N'est-ce pas à Dieu plutôt qu'aux hommes (4) ? » Telle est aussi ma réponse. XII. Vous allez peut-être me demander de vous exhiber l'ordre que Dieu m'a donné de faire ce que vous me défendez. N'oubliez pas que les lettres apostoliques n'ont pas été écrites uniquement pour ceux à qui elles furent adressées, mais aussi pour nous; c'est même pour nous en mieux convaincre qu'elles sont encore chaque jour récitées dans l'Eglise. Pesez donc cette parole de l'Apôtre : « Est-ce que vous voulez mettre à l'épreuve Jésus-Christ qui parle en moi (5)? » De ces paroles, rapprochez celles que j'ai citées précédemment et qui sont les paroles mêmes de Jésus-Christ par l'organe de Paul : « Prêchez la parole, insistez à temps et à contre-temps »... Rappelez-vous que, développant à Tite les qualités d'un évêque, il signale la persévérance,
1. Ezéch. III, 4-8. 2. Eccli. III, 22. 3.
afin que, selon cette parole authentique de la révélation, « il puisse exhorter dans la sainteté de la doctrine et réfuter les contradicteurs. Car il en est plusieurs, surtout parmi les Juifs, qui ne veulent point se soumettre, qui s'occupent de fables et qui séduisent les âmes; il faut les réfuter (1) ». Parmi ces rebelles, il n'y a donc pas que des Juifs, quoique ce reproche s'adresse surtout à eux; or, malgré leur obstination, un évêque, armé de la saine doctrine, doit réfuter ces esprits vains et séducteurs et leur opposer des préceptes certains. Comment donc ne regarderais-je pas cet ordre comme m'étant adressé à moi-même? comment ne pas déployer toutes mes forcés pour le remplir? comment ne persévérerais-je pas dans cette mission , avec l'aide de Celui qui me l'impose? Pourquoi vous y opposer, pourquoi vos frémissements, vos reproches? Dois-je plutôt vous obéir que d'obéir à Dieu ? XIII. Vous me direz peut-être que ces passages que je viens d'emprunter à la sainte Ecriture doivent être entendus dans ce sens, si bien mis en pratique par les vôtres, ce dont vous les louez hautement, à savoir que les préceptes de la loi ne doivent être enseignés au peuple que dans l'Eglise. C'est là, pensez-vous, que l'on doit corriger et convaincre ceux qui sont dans l'erreur, de manière que chaque docteur ne s'occupe exclusivement que des fidèles confiés à sa sollicitude. Quant à celui qui voudrait agir de même à l'égard de ceux qui sont hors de l'Eglise, il faudrait le regarder comme un partisan de la dispute et de la chicane; car, dites-vous, « Ezéchiel lui-même et les autres Prophètes n'ont reçu mission d'annoncer la parole de Dieu qu'au peuple même dont ils étaient les enfants » ; étant israélites, ils ne devaient parler qu'aux Israélites. XIV. Voici ma réponse à cette objection. J'ai dit plus haut que le Seigneur Jésus lui-même, se posant comme modèle pour ses disciples, n'avait pas dédaigné d'invoquer l'autorité de la loi pour réfuter, non-seulement les Juifs, voire même les Pharisiens, les Sadducéens et les Samaritains, mais encore le démon lui-même, c'est-à-dire le prince de tous les mensonges, et de toutes les erreurs. Direz-vous que le Sauveur avait ce droit, mais que ses serviteurs ne l'ont pas ? Voyez
1. Tit. I, 9-11.
366
donc ce que nous lisons dans les Actes des Apôtres : « Un juif nommé Apollo, originaire d'Alexandrie, homme éloquent et fort habile dans les Ecritures, vint à Ephèse. Il avait été instruit de la voie du Seigneur; ses paroles respiraient le zèle le plus ardent, et il enseignait exactement ce qui concerne Jésus, quoiqu'il ne connût que le baptême de Jean. Il commença donc à parler hardiment dans la synagogue. Et quand Priscille et Aquilas l'eurent entendu, ils le retirèrent chez eux et l'instruisirent plus amplement de la voie du Seigneur. Ayant ensuite voulu passer en Achaïe, les frères qui l'y avaient exhorté écrivirent aux disciples de le recevoir. Et lorsqu'il y fut arrivé, il se rendit très-utile à ceux qui avaient embrassé la foi, car il convainquait fortement les Juifs en public, faisant voir parles Ecritures que Jésus est le Christ (1)» . Que dites-vous de cet Apollo? Que pensez-vous de lui? Si vous n'étiez écrasés par l'autorité de ce saint livre, ne l'accuseriez-vous pas d'être un ami de la chicane et de la dispute? XV.Est-ce parce qu'il était un juif converti au christianisme, qu'il devait réfuter publiquement les Juifs qui s'obstinaient à résister à la foi chrétienne et à nier la divinité de Jésus-Christ? Et nous, au contraire, est-ce parce que nous n'avons jamais appartenu au Donatisme, que nous ne devons pas réfuter ceux des Donatistes qui s'obstinent à ne pas rentrer dans l'unité ? Mais est-ce que Paul fait jamais un adorateur des idoles ou un disciple des Epicuriens ou des Stoïciens? Cependant il n'hésite pas un instant à engager avec eux une discussion sur la question du Dieu vivant. Ecoutez encore ce que nous lisons à ce sujet dans le même livre : « Pendant que Paul les attendait à Athènes, son esprit se sentait ému et comme irrité en lui-même en voyant que cette ville était si attachée à l'idolâtrie. Il parlait donc dans la synagogue avec les Juifs et avec les prosélytes, et tous les jours, sur la place publique, avec ceux qu'il y rencontrait. Il y eut aussi quelques philosophes épicuriens et stoïciens qui conférèrent avec lui; et les uns s'écriaient. Que veut dire ce discoureur? les autres : Il semble qu'il prêche de nouveaux dieux étrangers ». Voilà donc l'apôtre saint Paul conférant avec les Epicuriens et les Stoïciens, qui ne s'entendaient ni entre eux,
1. Act. XVIII, 21-28.
ni avec les autres, et qui n'étaient pas seulement en dehors de l'Eglise, mais même en dehors de la synagogue ; d'un autre côté, rien ne peut le réduire au silence, ni la diversité de leurs opinions, ni les injures qu'ils lui adressent. Mais écoutons la suite : « Enfin ils le prirent et le menèrent à l'aréopage, en disant : Pourrions-nous savoir de vous quelle est cette nouvelle doctrine que vous publiez ? Car vous nous dites certaines choses dont nous n'avons point encore entendu parler ; nous voudrions savoir ce que, c'est. Or, les Athéniens et les étrangers qui demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu'à dire et à entendre dire quelque chose de nouveau. Paul étant donc au milieu de l'aréopage leur dit : Athéniens, il me semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès. Car, ayant regardé en passant les statues de vos dieux, j'ai trouvé un autel sur lequel il est écrit : Au Dieu inconnu. C'est donc ce Dieu que vous adorez sans le connaître que je vous annonce (1) ». Il continue son discours, qu'il serait trop long de citer. Quant à ce qui concerne la question qui nous occupe, il vous suffit de remarquer que l'orateur est un hébreu, converti du judaïsme au christianisme, et prêchant, non pas dans une synagogue juive ni dans une église catholique, mais dans l'aréopage d'Athènes, c'est-à-dire avec ces Grecs, de tous les peuples le plus.chicaneur et le plus impie. N'est-ce pas dans les rangs de ce peuple que se trouvaient de ces philosophes qui, appartenant à toutes les sectes, surtout à celle des Stoïciens, argumentaient sans fin sur de pures questions de mots? Or, c'est là surtout ce que l'Apôtre défend à Timothée, en lui disant que ce genre de dispute ne sert à rien qu'à jeter le trouble et la confusion parmi les auditeurs (2). C'est de ces ergoteurs que Cicéron a dit : « Les querelles de mots tourmentent vivement ces Grecs légers, qui se montrent plus avides de la chicane que de la vérité (3) ». Et cependant ce sont ces mêmes hommes que l'Apôtre entreprend de corriger et de convertir; il n'est pas même effrayé par le lieu où il se trouve; car c'est dans cette enceinte consacrée à Mars, le dieu de la guerre, qu'il parle avec intrépidité, qu'il fait entendre des paroles pacifiques
1. Act. XVII, 16-23. 2. II Tim. II, 14. 3. De l'orateur, livre I, ch. XI, n. 48.
367
pour ceux qui veulent y adhérer, et que, fort de ses armes spirituelles, il entreprend de combattre les erreurs les plus pernicieuses. Malgré sa douceur, il ne redoutait nullement ces amis de la chicane; malgré sa simplicité, il ne craignait aucunement les subterfuges de leur dialectique. XVI. Vous savez quelle importance les Stoïciens attachaient à la dialectique. Quant aux Epicuriens, malgré leur impéritie dans les arts libéraux, ils affectaient cependant une grande estime pour certaines règles de la discussion, au moyen desquelles ils se flattaient d'être à l'abri de toute erreur et dont ils faisaient sonner bien haut l'importance. Or, la dialectique est-elle autre chose qu'une certaine habileté de discussion? J'insiste sur ce point, parce que vous semblez m'objecter que cette dialectique ne convient pas à la vérité chrétienne, et parce que vos docteurs, sous prétexte que j'étais un dialecticien, me regardent comme un homme à fuir et à éviter, plutôt que de se donner la peine de me réfuter et de me convaincre. Du moins ils n'ont pu vous faire partager leur persuasion. En effet, vous n'avez pas rougi d'engager, par lettres, une discussion avec nous; toutefois vous ne laissez pas que de me faire un crime de ma dialectique, parce que, sans doute, vous y trouvez un moyen de mieux tromper les simples et de prodiguer, plus à l'aise, vos éloges à ceux qui avaient refusé d'engager une discussion avec moi. Mais n'usez-vous donc pas vous-même de dialectique quand vous écrivez contre nous? Puisque vous ne savez pas discuter, pourquoi donc vous êtes-vous mis dans la nécessité de discuter? D'un autre côté, si vous savez discuter, comment donc un dialecticien ose-t-il condamner la dialectique? Ainsi de deux choses l'une, ou vous êtes un imprudent, ou vous êtes un ingrat; un imprudent, d'oublier que votre impéritie vous expose à une défaite infaillible; un ingrat, de condamner un talent dont vous vous servez avantage use me lit. J'examine le traité que vous m'avez adressé, et je trouve que certaines parties y sont développées avec pompe et richesse, c'est-à-dire avec éloquence; d'autres, au contraire, ont eu re-, cours aux subtilités et aux arguties, c'est-à-dire à la dialectique ; et cependant vous incriminez l'éloquence et la dialectique. Si ce sont des arts nuisibles, pourquoi en usez-vous ? s'ils ne sont pas nuisibles, pourquoi les incriminer? Mais ne nous mettons point à la torture pour une controverse de mots; il s'agit ici de questions de la dernière évidence sur la dénomination desquelles les hommes depuis longtemps sont tombés parfaitement d'accord. On appelle éloquent tout homme qui non-seulement parle avec abondance et ornement, mais surtout avec vérité ; de même pour être un dialecticien il ne suffit pas d'user de subtilités, il faut encore rester dans la vérité. Il suit de là que vous n'êtes ni éloquent ni dialecticien; non pas sans doute que votre diction soit maigre et sans ordre, ou que votre argumentation soit lourde et paresseuse, mais parce que vous n'usez de votre talent de parler et de discuter que pour soutenir le mensonge. D'un autre côté, s'il suffit pour être éloquent et dialecticien de disserter énergiquement, non pas sur la vérité, mais sur le mensonge, à ce prix vous êtes tout à la fois et éloquent et dialecticien, car vous parlez avec une grande abondance des choses les plus vaines, et vous discutez avec beaucoup d'esprit sur les choses les plus fausses. Mais c'est trop insister sur votre propre personne. XVII. Les Stoïciens étaient assurément des dialecticiens; pourquoi donc saint Paul ne leur a-t-il pas ôté l'occasion de discuter avec lui, en évitant leur rencontre? Il ne l'a pas fait pourtant, et vous louez vos évêques du refus qu'ils nous opposent de discuter avec nous, sous prétexte que nous sommes des dialecticiens? Direz-vous que Paul était lui-même un dialecticien, et que s'il n'a pas craint de discuter avec les Stoïciens, c'est parce que non-seulement il discutait avec autant d'esprit qu'il pouvait en mettre, mais aussi parce qu'il avait un avantage qu'ils n'avaient pas, celui de posséder la vérité? Mais alors comment pouvez-vous incriminer quelqu'un d'user de dialectique, quand vous avouez que les Apôtres en ont usé eux-mêmes? Quand je vous entends m'adresser ce reproche, ne croyez pas que je m'en prenne à votre impéritie, je vous attribue plutôt le désir de tromper. Le mot dialectique est rendu en grec par une expression qui dans notre langue signifie l'art de la dispute, comme dans ces mêmes langues la littérature exprime la science des lettres, ou la connaissance de la grammaire du mot grec qui signifie lettres. J'en conclus que lors même que vous refuseriez à l'Apôtre le titre de dialecticien, vous (368) ne lui refuseriez pas celui de discuteur. Or, désapprouver en grec ce que vous approuvez dans notre langue, n'est-ce pas vouloir Tromper les simples et insulter les savants? Ou bien, si vous niez que l'Apôtre soit un discuteur, lui qui a discuté si fréquemment et avec tant de succès, vous prouvez que vous ne connaissez ni la langue de la Grèce, ni la nôtre, ou bien, ce qui serait plus honteux encore, que vous cherchez à tromper tout à la fois et ceux qui ne connaissent pas la langue grecque et ceux qui ne connaissent pas la nôtre. Je ne vous accuserai donc pas d'impéritie, puisque je sais que vous avez la connaissance de ces langues, mais je vous accuse de fourberie, car pouvant lire et comprendre les nombreux discours par lesquels les Apôtres ont affirmé la vérité, convaincu le mensonge, vous osez nier qu'ils aient employé la discussion, la discussion qui est le seul moyen d'obtenir ces précieux résultats. XVIII. Ces résultats obtenus par saint Paul sont trop évidents pour que vous puissiez les nier; mais voici que vous affirmez que dans leur manière de soutenir la vérité on ne doit voir que des discours ou des lettres, et non des discussions. Alors pensez-vous donc que si je discute plus longtemps avec vous, c'est pour laisser aux ignorants le droit d'approuver quand ils veulent ou de désapprouver quand il leur plaît? Ce que j'enseigne, je le tire des divines Ecritures, à l'autorité desquelles vous devez nécessairement céder; en expliquant les mots je me fonde sur l'étymologie elle-même. Vous avez également contre vous ce passage des Actes des Apôtres, tel que je l'ai déjà cité plus haut, et où il est dit de saint Paul : « Il discutait avec les Juifs dans la Synagogue, avec les Gentils et avec ceux qui fréquentaient la place publique ». Dans un autre passage nous trouvons également le même Apôtre discutant, mais cette fois avec les chrétiens: «Or, un jeune homme, nommé Eutychus, était assis sur la fenêtre et dormait profondément pendant que Paul discutait (1) ». Vous lisez au livre des psaumes « Que ma discussion soit suave (2) » ; dans Isaïe : « Venez, discutons, dit le Seigneur (3) ». Dans beaucoup d'autres passages vous trouverez cette même expression, et si vous voulez examiner les exemplaires grecs de ces mêmes Ecritures, vous pourrez connaître
1. Act. XX, 9. 2. Ps. CIII. 34. 3. Isa. I, 18, selon les Sept.
l'étymologie du mot dialectique; et quand vous verrez les justes répondre à cet appel de Dieu « Venez et discutons, dit le Seigneur », gardez-vous de les incriminer avec une témérité insolite, au lieu de les imiter avec une piété fondée sur la sagesse. XIX. Discuter, c'est discerner le vrai d'avec le faux. Ceux pour qui ce discernement est impossible et qui cependant veulent passer pour dialecticiens, ont recours à des questions insidieuses pour capter les applaudissements des insensés, en sorte que, d'après les réponses qui leur sont faites, ils puissent, comme conclusion, ou bien railler ceux qui sont victimes de faussetés évidentes, ou bien déguiser le mensonge et le faire accepter par les simples, surtout qu'eux-mêmes le prennent souvent pour la vérité. S'agit-il, au contraire, de celui qui est vraiment dialecticien, c'est-à-dire, qui discerne la vérité du mensonge ? il commente d'abord par bien s'assurer lui-même qu'il n'est pas victime d'une illusion, et il n'ignore pas qu'il a besoin pour cela du secours de Dieu. Ensuite, quand il se met en mesure de faire partager aux autres ses propres convictions, il étudie avant tout ce qu'il peut y avoir de vrai dans leur système, afin que, appuyé sur cette vérité, il puisse les amener à croire ce qu'ils ignoraient ou ce qu'ils rejetaient; et c'est ce qu'il fait en leur prouvant que ce qu'il leur enseigne n'est que la conséquence de ce qu'ils croyaient déjà. De cette manière, les vérités qu'ils croient les forcent en quelque sorte à admettre les vérités qu'ils repoussaient ; ils en viennent à regarder domine vrai ce qui auparavant leur paraissait faux, et ils discernent la vérité du mensonge avec d'autant plus de facilité que ce qu'ils admettent en dernier lieu ne leur paraît être que la conséquence nécessaire de ce qu'ils croyaient auparavant. XX. D'un autre côté, si ce dialecticien parle avec ampleur et abondance, il devient éloquent, et de discuteur qu'il était, il change de nom pour prendre celui d'orateur. Voyez dans le passage suivant comme l'Apôtre développe; et expose sa pensée: « Agissant en toutes choses comme des ministres de Dieu, nous nous rendons recommandables par une grande patience, dans les tribulations, dans les nécessités pressantes, dans les extrêmes afflictions, dans les plaies, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, (369) dans les jeûnes, par la chasteté, par la science, par une douceur persévérante, par la bonté, par les fruits du Saint-Esprit, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la force de Dieu, par les armes de la justice pour combattre à droite et à gauche, dans l'honneur et l'ignominie, dans la mauvaise et la bonne réputation ; comme des séducteurs, quoique sincères et véritables ; comme des inconnus, quoique très-connus ; comme toujours mourant, et vivant néanmoins; comme châtiés, mais non jusqu'à être tués; comme tristes, et toujours dans la joie; comme pauvres, et enrichissant plusieurs ; comme n'ayant rien, et possédant tout (1) ». Que pouvez-vous trouver de plus abondant et de plus orné, et par là même de plus éloquent que ce passage de l'Apôtre ? Veut-on, au contraire, l'admirer dans la concision et le serré de son langage, quand il cesse d'être éloquent pour n'être que dialecticien ? entendez-le parler soit de la circoncision et du prépuce dans la personne du patriarche Abraham, ou bien de la distinction à établir entre la loi et la grâce. Certains hérétiques, plus désireux de le calomnier que de le comprendre, lui ont fait un reproche de ces paroles : « Faisons le mal pour que le bien en sorte (2) ». Or, qu'il s'agisse d'un orateur ou d'un dialecticien, il est certain qu'il n'y a pas d'éloquence sans discussion ; car pour être développée avec plus de richesses dans l'éloquence, la vérité n'en est pas moins discernée du mensonge. De même toute discussion, par là même qu'elle est formulée par le langage, ne va jamais sans une sorte de diction. Soit que cette diction soit soutenue et continuelle, soit qu'elle procède par interrogation, toujours est-il qu'elle doit avoir pour réponse la vérité, et pour conclusion d'amener la connaissance de la vérité que l'on cherchait ; et c'est là ce qui constitue à proprement parler le rôle de la discussion. XXI. Quand un adversaire interrogé se laisse vaincre par ses réponses, ce n'est pas au dialecticien qu'il doit attribuer sa défaite, mais à lui-même. D'un autre côté, si sa réponse est bonne, il rougit de résister plus longtemps, non pas à son interlocuteur, mais à lui-même. Quand le Seigneur argumentait si fréquemment contre les Juifs et se servait de leurs propres réponses pour les convaincre d'injustice ou de mensonge, on doit regretter
1. II Cor. VI, 4-10. 2.
que ces pauvres Juifs n'aient pas eu le bonheur de vous entendre ni de connaître votre manière habituelle d'outrager; car plutôt que d'appeler le Sauveur un Samaritain, ils l'auraient appelé un dialecticien. Rappelez-vous cette circonstance où, pour sortir de leur extrême embarras, et désireux de le surprendre dans ses paroles, ils lui demandèrent s'il était permis de payer le tribut à César; ils lui posaient ainsi un dilemme; et, quelque parti qu'il adoptât, ils devaient le frapper sans retour. Accepterait-il la nécessité de payer le tribut? alors il se rendait coupable contre le peuple de Dieu; nierait-il cette nécessité ? alors il allait être puni comme ennemi de César. Jésus alors ordonne qu'on lui présente une pièce de monnaie et demande de qui est cette inscription. «De César», répondent-ils; et en effet ils ne pouvaient faire une autre réponse; aussitôt les prenant dans leurs propres piéges, Jésus répond: « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Dites-moi donc, ces Juifs qui se flattaient de vaincre le Sauveur par leurs questions insidieuses, sont-ils des dialecticiens? Ce titre n'appartient-il pas plutôt au Sauveur qui les questionne adroitement et s'appuie sur leur réponse aussi nécessaire que vraie pour les forcer d'avouer une vérité, quand eux-mêmes se flattaient que Jésus ne pourrait pas la formuler sans danger pour sa propre personne ? XXII. Direz-vous qu'ils ont été des dialecticiens, parce qu'ils ont su exploiter la ruse, la calomnié et la méchanceté, pour surprendre le Sauveur dans ses paroles, comme vous nous accusez de vouloir le faire nous-même ? Mais alors, pourquoi donc le Seigneur leur a-t-il répondu ? pourquoi donc les a-t-il mis en demeure de confesser eux-mêmes la vérité? Pourquoi leur a-t-il dit : « Dans quel but me tentez-vous, hypocrites (1) ? » Pourquoi n'a-t-il pas ajouté: Dialecticiens? Pourquoi demander qu'on lui montre la pièce de monnaie, même dans le but d'arracher des lèvres trompeuses de ses ennemis l'aveu de la vérité? Pourquoi ne pas leur dire bien plutôt: Retirez-vous, car je ne dois pas conférer avec vous qui ne proposez que des questions captieuses, et voulez faire montre avec moi de toutes les ressources de votre dialectique? Cependant ce n'est point ainsi que Jésus leur parle, et en
1. Matt. XXII, 15-21.
370
cela il veut nous servir de modèle, et nous obliger, par son exemple, à rendre témoignage à la vérité et à confondre les ennemis de la vérité par des questions prudentes et par des raisons invincibles. Telle est aussi la conduite que les vôtres doivent tenir à notre égard, si nous sommes des hommes malicieux, entièrement livrés aux séductions de la dialectique. Mais ne craignent-ils pas que ce. ne soit là le rôle que nous -prenons a leur égard ? Remarquez cependant que si vous faites de Jésus-Christ un dialecticien, vous louez par là même la dialectique, que vous me reprochez comme un crime. XXIII. Pour vous soustraire à cette conclusion rigoureuse, je prévois que vous allez me répondre que ni les Juifs, ni le Sauveur n'ont fait aucun usage de la dialectique. J'y consens; mais alors si la dialectique n'entre pour rien ni dans les raisonnements de ceux qui usaient aussi largement de séduction et de ruse pour tromper leurs interlocuteurs, ni dans les réponses de ceux qui les ont manifestement convaincus de mensonge, dites-nous donc ce que c'est que la dialectique ; apprenez-nous ce qu'elle peut faire de mal, quelle horreur, elle doit nous inspirer: Puisque vous jetez, son nom comme un épouvantail aux yeux des ignorants, prouvez à ceux qui désirent le savoir, quelle est véritablement criminelle. Vous refusez de voir de la dialectique dans les paroles de celui dont les questions droites et habiles ont suffi pour ramener à la vérité les hommes, qui lui étaient le plus hostiles ; je comprends ce refus sans lequel il vous faudrait avouer que la dialectique a joué un grand rôle dans les relations de Jésus-Christ avec les Juifs. D'un autre côté, vous ne voulez pas que la dialectique soit entrée pour quoi que ce soit dans les questions insidieuses à l'aide desquelles les Juifs se proposaient de renverser la doctrine du Sauveur; je comprends votre tactique, car vous avez besoin de montrer qu'en s'entretenant avec les Juifs, Jésus-Christ ne pouvait les considérer comme des dialecticiens; autrement vous ne pourriez plus justifier vos évêques qui sont pour vous des types de science et de sagesse, dans le refus qu'ils opposent de s'entretenir avec des dialecticiens, lors même qu'ils espéreraient procurer le triomphe de la vérité. Je n'en doute point; vous éprouvez de cruelles angoisses, quand vous entreprenez de définir un dialecticien ; dire que c'est un habile discuteur, ce serait vous mettre dans la nécessité de louer ce que vous avez méprisé ; si vous dites que c'est un séducteur en paroles, vous craignez qu'on ne vous réplique que le chrétien doit néanmoins conférer avec lui comme Jésus-Christ a conféré avec ses adversaires. Le seul moyen de vous tirer d'embarras serait de définir le dialecticien en: disant que c'est celui avec lequel les plus habiles Donatistes refusent de discuter. Quel autre moyen de salut peut-on vous proposer quand ou vous entend-nous faire un crime de notre dialectique et soutenir que vos évêques sont d'autant plus dignes d'éloge qu'ils refusent de conférer avec nous ? XXIV. Quant aux Juifs, malgré la ruse et l'habileté de leurs questions, vous trouvez moyen de soutenir qu'ils n'étaient pas des dialecticiens. S'il s'agit des Stoïciens, on ne peut assurément rien en dire, car non-seulement ils furent des dialecticiens, mais on peut dire que dans cet art ils l'emportaient de beaucoup sur les autres sectes philosophiques. Un type du stoïcien, c'est ce Chrysippe dont l'académicien Carnéade disait que, quand-il devait discuter, avec lui, il avait besoin de se purger avec de l'ellébore, tandis que, même en sortant de prendre son repas, il pouvait facilement triompher de tous ses autres adversaires. Si donc c'est dans les livres des Stoïciens que nous avons appris la dialectique, que vos évêques nous opposent la doctrine de saint Paul, mais qu'ils nous permettent de discuter avec eux, comme l'Apôtre autrefois ne dédaigna -point de discuter avec ces philosophes. XXV. Cet art que l'on appelle dialectique et qui apprend à tirer les conséquences des principes, conséquences vraies si les principes, sont vrais, conséquences fausses si les principes sont faux, cet art, dis-je, jamais la doctrine chrétienne ne l'a redouté; pas plus que l'Apôtre ne l'a redouté sur les lèvres des Stoïciens avec lesquels-i1 n'a pas craint de discuter (1). N'est-il pas reçu comme premier principe de la dialectique qu'une conséquence fausse ne peut jamais découler que de prémisses fausses ? Du moment que l'on accepte de telles prémisses, la conséquence doit suivre nécessairement. Rejetez-vous la conséquence? renoncez d'abord au principe. D'un autre
1. Act. XVII, 16-31.
371
côté, si les prémisses sont vraies, quelque fausses ou douteuses n'aient d'abord paru les conséquences, on doit les accepter sans hésitation, sur la foi des prémisses, autrement on prouverait plus d'amour pour la chicane que pour la froide et pure vérité. XXVI. Ces développements seraient sans utilité si je n'en montrais immédiatement l'application à la question qui nous occupe. Au sujet. du baptême vous demandez où ce sacrement doit être reçu, si c'est dans notre Eglise ou dans la secte des Donatistes. Mais comme vous optez exclusivement en faveur des Donatistes, vous alléguez comme principal argument que nous-mêmes nous avouons que les Donatistes confèrent validement le baptême. Mais il est évident que de ce principe vous voulez déduire une conséquence que nous rejetons impitoyablement; parce que nous avouons que les Donatistes confèrent validement le baptême, vous voudriez nous forcer à avouer que c'est par eux que tout homme doit être baptisé. XXVII. Examinez attentivement si cette conclusion est rigoureuse, et répondez-vous à vous-même. Pour peu que vous y apportiez d'attention, je suis persuadé que vous avez trop de perspicacité intellectuelle pour vous laisser prendre à de pures apparences quand il s'agit de conclusions. Oui, sans doute, nous affirmons que les Donatistes ont conservé le baptême véritable; mais, loin de dire que ce baptême conféré par eux soit utile, nous soutenons au contraire qu'il est nuisible. Quand on demande où chacun doit être baptisé, je crois ne voir dans cette question que l'application de ces paroles du Sauveur. « Si un homme ne renaît de l'eau et du Saint-Esprit il n'entrera pas dans le royaume des cieux (1) ». Tel est donc le but qui rend nécessaire la réception du baptême ; d'où il suit que demander où l'on doit recevoir le baptême, c'est demander non pas précisément où il est, mais où il est conféré de manière à permettre l'entrée dans le royaume des cieux. Si tous ceux qui possèdent un bien véritable savaient toujours en profiter, on pourrait en toute sécurité demander le baptême à tous ceux qui le possèdent. Mais puisqu'un si grand nombre d'hommes n'ont souvent d'aussi grands biens que pour leur propre malheur, peut-on douter encore qu'en demandant où
1. Jean, III, 3.
l'on doit recevoir tel bien, on demande à le recevoir là seulement où il doit nous profiter ? Vous m'avouerez, je pense, que l'or est une chose bonne en soi ; vous m'avouerez également.que des voleurs peuvent avoir de l'or; mais si de ces prémisses je tirais pour conclusion que celui qui veut avoir de l'or, doit entrer en société avec les voleurs, est-ce que vous ne vous opposeriez pas à une telle conclusion ? De même, quand je déclare que le baptême est bon par lui-même, quand je concède que les Donatistes ont le baptême véritable, pouvez-vous conclure que celui qui veut recevoir le baptême doit entrer en société avec les Donatistes ? XXVIII. Vous conviendrez également qu'il est beaucoup de choses, bonnes et utiles en elles-mêmes, et qui cependant ne sont pas utiles à tous ceux qui les possèdent, mais uniquement à ceux qui en font un bon usage. Tel homme a les yeux sains, tel autre les a malades; la lumière vient également les frapper tous, mais pour les premiers elle est un secours et pour les autres elle est un tourment. La même nourriture soutient telle santé et en blesse telle autre; le même remède guérit, compromet et débilite ceux-là ; les mêmes armes sont pour les uns une défense, et pour les autres un embarras; le même vêtement est pour ceux-ci une protection, et pour ceux-là un obstacle. Il en est de même du baptême, il conduit les uns au ciel et les autres à la damnation. XXIX. Je comprends ce qui peut vous émouvoir. Vous m'objectez peut-être que dans toute cette énumération il n'est pas question de sacrement, tandis que le baptême est un sacrement divin. II pourrait donc fort bien se faire que l'or, la lumière, la nourriture, les armes, les vêtements, soient utiles pour les uns, tandis qu'ils sont inutiles ou nuisibles pour les autres; mais n'est-ce pas autre chose quand il s'agit de soutenir que le baptême, à l'égard de ceux qui l'ont reçu, soit utile pour les uns et nuisible pour les autres? Eh bien ! soit, examinons si les biens de l'ordre surnaturel profitent toujours à ceux qui les reçoivent. Il suffit de poser cette question pour la résoudre et pour se convaincre avec nous que ces biens ne profitent pas toujours à ceux qui les possèdent. Je n'en veux d'autres preuves que vos propres aveux. Avant tout vous avouez que l'on doit (372) croire à l'apôtre saint Paul. Ce point seul me suffit. Vous avouez également que c'est bien l'apôtre saint Paul qui a prononcé cette parole : « La loi est bonne ». Il suit de là que la loi est bonne, mais pour ceux qui en font un usage légitime (1). Supposé qu'on en fasse un usage criminel, la loi n'en devient pas mauvaise par elle-même, mais elle nuit certainement aux méchants. XXX. Vous direz peut-être que personne ne peut vivre sous la loi et faire un mauvais usage de la loi; car, du moment qu'il la viole, il cesse de vivre sous son empire. Je soutiens, au contraire, que l'on peut être sous la loi et faire de la loi un mauvais usage. Je n'en veux également d'autres preuves que vos propres aveux. Vous avouez, je pense, que ce même saint Paul a emprunté au livre des psaumes un passage où il condamne ceux qui, tout en se glorifiant d'appartenir à la loi, vivaient contre la loi. « Selon qu'il est écrit : Il n'y a pas un juste, il m'y en a pas un seul. Il n'y a point d'homme qui ait de l'intelligence, il n'y en a point qui cherche Dieu. Ils se sont tous détournés du droit chemin, ils sont tous devenus inutiles, il n'y en a point qui fasse le bien, il n'y en a pas un seul. Leur gosier est un sépulcre ouvert; ils se sont servis de leur langue pour tromper avec adresse; ils ont sous leur langue un venin d'aspic. Leur bouche est remplie de malédiction et d'amertume, leurs pieds sont légers pour répandre le sang. Le brisement et le malheur sont dans toutes leurs voies. Ils ne connaissent point la voie de la paix; ils n'ont point la crainte de Dieu devant les yeux ». Et de peur que ceux auxquels il s'adressait ne crussent qu'il s'agissait là des païens exclusivement, l'Apôtre ajoute aussitôt : « Or, nous savons que toutes les paroles de la loi s'adressent à ceux qui sont sous la loi, en sorte que toute bouche doit être fermée et tout le monde soumis à Dieu (1) ». Il écrit également dans un autre passage : « Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché? Nullement. Mais je n'ai connu le péché que par la loi, car je n'aurais point connu la a concupiscence si la loi n'avait dit : Vous n'aurez point de mauvais désirs. Or, 1e péché ayant pris occasion de s'irriter par les préceptes, a produit en moi toute sorte de mauvais désirs ». Un peu après il
1. I Tim. I, 8. 2.
ajoute : « Le péché, ayant pris occasion du commandement, m'a trompé et tué par le à commandement même. Ainsi la loi est véritablement sainte, et le commandement est saint, juste et bon. Ce qui était bon en soi, m'a-t-il donc causé la mort? Nullement ; mais c'est le péché qui, m'ayant donné la mort par une chose qui était bonne, a fait paraître ce qu'il était (1) ». Vous voyez que tout en louant la loi il blâme ceux qui vivent sous la loi et leur reproche de faire de ce qui est bon un mauvais usage pour le mal. Ailleurs, parlant d'une certaine science de la loi, le même Apôtre avoue que cette science est possédée par lui et par d'autres; mais en même temps il déclare que sans la charité cette science est inutile et nuisible. « Quant aux viandes immolées aux idoles, nous n'ignorons pas que nous avons tous sur ce point assez de science; mais la science enfle, tandis que la charité édifie (2) ». Pourtant cette science avait pour objet la loi de Dieu, ce qui n'empêche pas qu'elle enfle et nuise quand elle n'est pas fondée sur la charité. S'agit-il du sacrifice unique du corps et du sang de Notre-Seigneur immolé pour notre salut? Jésus-Christ a dit : « Si quelqu'un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n'aura pas la vie en lui (3) »; et cependant voici que l'Apôtre déclare que ce sacrement devient pernicieux pour ceux qui en usent mal : « Quiconque mange le pain et boit le calice du Seigneur indignement, se rend coupable du corps et du sang du Sauveur (4) ». XXXI. Voilà comment les choses les plus divines et les plus saintes peuvent nuire à ceux qui en font un mauvais usage. De quel droit ferait-on une exception pour le baptême? Pourquoi sous un baptême bon en lui-même n'y aurait-il pas des hérétiques mauvais, quand la bonté de la loi n'empêchait pas les Juifs d'être mauvais? Vous ne pouvez plus en douter, puisque je n'ai fait appel qu'à vos propres aveux. Vous déclarez croire à l'apôtre saint Paul, et vous ne doutez point que ces passages que je viens de citer ne soient réellement de cet Apôtre. J'ai donc prouvé qu'il est des choses qui, toutes bonnes qu'elles soient en elles-mêmes, peuvent nuire à ceux qui les possèdent et en font un mauvais usage. Demanderez-vous encore pourquoi le
1. Rom. VII, 7-13. 2. I Cor. VIII, 1. 3. Jean, VI, 54. 4. I Cor. XI, 27.
373
baptême, quoique bon et légitime, peut n'être pas utile à tous ceux qui le possèdent? Parce que nous concédons que les Donatistes ont le véritable baptême, vous prétendiez en conclure que c'est chez eux que tout homme doit recevoir le baptême. Vous ne remarquiez donc pas que nous pouvions ajouter que ce baptême, quelque juste, quelque bon, quelque saint qu'il fût en lui-même, devient un châtiment, un obstacle, pour les ennemis du corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire pour les ennemis de l'Eglise, répandue sur toute la terre selon les prophéties. XXXII. A cela vous répondez qu'on ne peut assimiler le baptême à ces biens qui découlent de la loi divine, et que l'on peut posséder sans cesser pour cela d'être pécheur. Ainsi donc telle est la nature de la loi, de la science, et même du sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, qu'on peut les posséder, ou y participer dans l'état du péché, tandis que le baptême est un bien tel que quiconque le possède est nécessairement bon. Une telle assertion n'est qu'une fausseté évidente, et voyez quelles fausses conséquences en découlent. En les développant devant vous, je ne prétends pas procéder par voie de déduction d'un principe faux à ses conséquences de même nature ; il me suffit de vous faire comprendre la fausseté de la conséquence, afin de vous y arracher et de vous faire sentir la fausseté du principe. Quel est ce principe ? C'est que, d'après vous, tous ceux qui possèdent le baptême véritable sont nécessairement bons; et c'est là une erreur évidente. Quelle en est la conséquence? C'est qu'on doit regarder comme réellement bons tous ceux qui faisaient schisme et disaient : « Moi j'appartiens à Paul, moi à Céphas, et moi au Christ ». Ce langage leur est reproché par l'Apôtre en ces termes : « Est-ce que Jésus-Christ est divisé? est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés (1) ? » C'est donc une erreur de soutenir que tous ces hommes étaient bons ; il n'y avait de bons que ceux qui disaient : « Je suis au Christ » ; et cependant tous avaient reçu le saint baptême de Jésus-Christ. Maintenant, d'où vient que cette conséquence est fausse ? C'est parce que le principe est faux lui-même, à savoir que tous ceux qui possèdent le baptême véritable sont
1. I Cor. I, 12, 13.
nécessairement bons. Il faut donc corriger et le principe et la conséquence. Puisque ceux qui formaient des schismes n'étaient pas bons, quoiqu'ils eussent reçu le baptême véritable, il est de la dernière évidence qu'on ne doit pas toujours regarder comme bons tous ceux qui ont reçu le baptême. Voilà pourquoi enfin nous ne sommes pas tenus de conclure que c'est dans la secte de Donat que l'on doit recevoir le baptême, quoique nous concédions que cette secte, toute mauvaise qu'elle soit en elle-même, possède le baptême véritable. XXXIII. Vous allez plus loin encore, et pour me faire accepter une conclusion contre laquelle je proteste, vous m'alléguez ces paroles de l'Ecriture : « Un Dieu, une foi, un baptême, une Eglise catholique incorruptible et véritable (1) ». Je concède ces paroles, quoiqu'elles aient été écrites dans un autre sens. Mais de toutes mes concessions, quelle conséquence pouvez-vous tirer? Que tous ceux qui ne sont pas dans une seule Eglise ne peuvent avoir un seul baptême ? C'est là une absurdité. Mais c'est uniquement par vous-même que je veux vous convaincre. En citant ces paroles : « Un Dieu, une foi, un baptême, une église catholique incorruptible et véritable», vous vous flattez assurément de me convertir à vos idées, et de me prouver ce que je n'admets pas, à savoir qu'il ne peut y avoir unité de baptême que là où se trouve l'unité d'Eglise. De mon côté, je soutiens au contraire que, lors même qu'il n'y a pas unité d'Eglise, il peut y avoir unité de baptême, pourvu qu'on ne change rien à ce qui constitue son essence. Je le prouve par les termes mêmes de votre citation, où nous lisons également l'unité de Dieu et l'unité de foi. Est-ce qu'en dehors de l'Eglise nous ne trouvons pas le même Dieu adoré; et fût-il adoré par des hommes qui ne le connaissent pas, cesse-t-il pour cela d'être le même Dieu ? Quant à la foi en vertu de laquelle nous croyons que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant, ne la trouvons-nous pas dans des hommes qui ne sont pas membres de l'Eglise ? Leur séparation de l'Eglise empêche-t-elle l'unité de la foi ? De même quand, en dehors de l'Eglise, nous trouvons le baptême administré dans toutes ses conditions essentielles, de quel droit affirmerions-nous que ce n'est pas le baptême véritable? XXXIV. Vous soutiendrez peut-être qu'en
1. Eph. IV, 5.
374
dehors de l'Eglise le Dieu unique et véritable ne peut être adoré, et qu'on ne peut trouver la- foi unique par laquelle nous confessons que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant, et qui a mérité un si bel éloge à l'apôtre saint Pierre (1). Eh bien ! je veux vous prouver que vous êtes dans l'erreur. Vous avez encore présentes à la mémoire ces paroles de l'apôtre saint Paul aux Athéniens, quand il leur rappelle l'autel portant pour inscription : « Au Dieu inconnu », et qu'il ajoute: « Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, c'est celui-là même que je vous annonce (2) ». Leur dit-il : Parce que vous l'adorez en dehors de l'Eglise, ce n'est pas le Dieu véritable que vous adorez? Non, et son langage est formel : « Celui que vous adorez sans le connaître, c'est celui que je vous annonce » ; son but évident n'est-il pas de.les amener à adorer sagement et utilement dans l'Eglise celui qu'ils adoraient inutilement et sans le connaître, en dehors de l'Eglise? C'est dans le même sens que nous vous disons à vous-mêmes : Le baptême que vous observez sans le connaître, nous vous en prêchons la paix; non pas que nous voulions, quand vous reviendrez à nous, vous en conférer un autre, mais nous ne désirons que vous rendre utile et efficace la possession de celui que vous avez. Certains fidèles osaient soutenir que la foi suffit au salut sans les oeuvres. Saint Jacques entreprend de dissiper cette erreur et leur dit : « Vous croyez qu'il n'y a qu'un seul Dieu; c'est bien ; mais les démons le croient également et ils frémissent (3) ». Les démons ne sont pas membres de l'unité de l'Eglise, et cependant nous ne pouvons pas soutenir que leur foi soit erronée, quand nous les entendons dire au Sauveur : « Qu'y a-t-il entre nous et vous, Fils de Dieu (4)? » De là cette phrase si connue de l'Apôtre : « Quand j'aurais une foi capable de transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien (5)». Or, je ne crois pas que l'on puisse pousser la folie jusqu'à croire qu'on appartienne à l'unité de l'Eglise quand on n'a pas la charité. De même donc que le Dieu unique est adoré, sans être connu, hors de l'Eglise, et qu'il ne cesse pas pour cela d'être le même Dieu ; de même que l'unité de la foi peut exister, sans la charité, hors de l'Eglise, sans cesser pour cela d'être la
1. Matt. XVI, 16, 17. 2. Act. XVII, 23. 3. Jacq. II, 19. 4. Marc, I, 24. 5. I Cor. XIII, 2.
même foi; de même le baptême unique peut exister, par ignorance et sans la charité, hors de lEglise, sans cesser pour cela d'être le baptême véritable. Un Dieu, une foi, un baptême, une Eglise catholique incorruptible; ce n'est pas seulement dans le sein de cette Eglise que le Dieu unique est adoré, mais c'est uniquement dans son sein qu'il est pieusement adoré ; ce n'est pas seulement dans son sein que l'on trouve la foi une, mais c'est uniquement dans son sein que l'on trouve la foi unie à la charité; ce n'est pas seulement dans son sein que l'on trouve le baptême un, mais c'est uniquement dans son sein qu'il produit des fruits de salut et de paix. XXXV. Vous nous alléguez l'unité de Dieu, de la foi, du baptême, de l'Eglise incorruptible: sur tous ces points nous sommes parfaitement d'accord; mais vous pouvez déjà reconnaître que vous n'avez pas obtenu le résultat que vous vous proposiez, et qu'au contraire vous nous avez été d'un grand secours pour vous convaincre de ce que nous voulions vous prouver. Comprenez donc quelle situation heureuse est la nôtre ; quand des schismatiques ou des hérétiques reviennent à nous, nous rétablissons les vérités qu'ils ont dénaturées ; quant à celles qu'ils ont conservées pures et intactes, nous les reconnaissons, nous y applaudissons, sans nous exagérer à nous-mêmes, outre mesure, les vices de la nature humaine, et sans faire aucune injure aux choses divines nous suivons .ainsi les Mates de l'Apôtre, qui trouvant le nom de Dieu inscrit sur un autel de ces païens, adorateurs des idoles, applaudit à cette idée, loin de la condamner et de la maudire. Parce qu'un déserteur s'est servi du sceau royal pour s'entourer de satellites, est-ce une raison pour détruire et changer ce sceau dans tout homme qui, revenu de son erreur, a obtenu avec son pardon l'ordre de rassembler des troupes? Parce qu'un serviteur infidèle a gravé le nom de son maître sur les brebis qu'il lui a ravies, est-ce une raison pour se croire obligé de changer cette marque sur toutes les brebis restées fidèles? XXXVI. Que si vous trouvez ces comparaisons insensées, parce qu'elles ne sont pas tirées des livres ecclésiastiques, dans lesquels toutefois il est souvent parlé de brebis et de soldats, je vais alors consulter les Ecritures prophétiques que nous appelons (375) lAncien Testament. Quant aux livres du Nouveau Testament, vous et moi nous chercherions en vain des exemples du même genre. Prenons d'abord la circoncision ; je pense que vous n'oseriez pas douter qu'elle ne fût la figure du baptême de Jésus-Christ. Or, s'il fût arrivé qu'un Samaritain déjà circoncis eût voulu se faire juif, l'aurait-on circoncis une seconde fois? Ne se serait-on pas contenté de corriger l'erreur de son intelligence, en respectant en lui le signe extérieur de la foi ? Aujourd'hui certains hérétiques se disent Nazaréens, et désignés par quelques-uns sous le nom de Symmachiens, reçoivent tout à la fois la circoncision des Juifs et le baptême de Jésus-Christ. Supposé donc que l'un d'entre eux veuille se faire juif, on ne pourrait le circoncire de nouveau ; de même, s'il revient à nous on ne doit pas lui réitérer le baptême. Mais, direz-vous encore, autre est la circoncision des Juifs, autre le baptême des chrétiens. Il est vrai que la -circoncision n'était que la figure du baptême; mais enfin, puisque chez les Juifs ceux qui étaient regardés comme hérétiques avaient réellement la circoncision, pourquoi les hérétiques, chez les chrétiens, ne pourraient-ils pas avoir le baptême ? XXXVII. Montrez-nous dans les Ecritures canoniques, dont nous vénérons également l'autorité, la preuve qu'un seul hérétique, en se convertissant, ait de nouveau reçu le baptême. Nous lisons, il est vrai, que les Apôtres ordonnèrent de conférer le baptême de Jésus-Christ à des hommes qui avaient déjà reçu le baptême de Jean; mais il y a ici à établir une différence essentielle. Loin d'être hérétique, Jean était l'ami de l'Epoux (1), et le plus grand parmi les enfants des hommes (2). La question est donc toute différente; en effet, puisque Paul a baptisé après Jean, quoique tous deux fussent dans l'unité du Christ, combien plus vos évêques, qui se disent également dans l'unité du Christ, doivent-ils baptiser après ceux de leurs collègues en qui ils trouvent des moeurs répréhensibles; car Paul ne trouvait rien de répréhensible en saint Jean, et cependant il a baptisé après lui. Il y a donc lieu d'établir ici plusieurs distinctions essentielles qui nous entraîneraient trop loin ; du reste, nous les avons déjà signalées dans d'autres ouvrages. Je me borne pour le moment
1. Jean, III, 29. 2. Matt. XI, 11.
375
à cette simple question : Montrez-nous dans les Ecritures canoniques un seul exemple de la réitération du baptême à un homme qui quittait l'hérésie. En attendant, nous vous opposons cette parole adressée à saint Pierre : « Celui qui a été lavé une fois n'a pas besoin d'être lavé de nouveau (1) ». Mais, dites-vous, Pierre n'avait pas été baptisé parmi les hérétiques. Alors si vous ne pouvez nous fournir aucun exemple d'un hérétique baptisé de nouveau après avoir quitté l'hérésie; si les Ecritures canoniques, dont nous proclamons tous l'autorité divine, restent silencieuses sur ce point, convenez du moins que votre cause n'est pas jusque-là meilleure que la nôtre. XXXVIII. D'un autre côté, nous vous avons prouvé qu'un certain nombre de biens, qui découlent de la loi de Dieu, deviennent la propriété de ceux qui sont hors de lEglise, et personne d'entre vous n'ose le nier. Vous soutenez seulement qu'il n'en est point ainsi du baptême; je n'en vois pas la raison, et je suis certain que vous ne pouvez pas me la donner. Sur ce point encore nous nous appuyons sur l'infaillible autorité des Ecritures canoniques. Quelle importance, en effet, ne doit-on pas attacher à ce fait évident que la doctrine que nous enseignons a été suivie généralement par tous les évêques de la catholicité, avant la naissance de la secte des Donatistes, et au moment même où cette question était vivement débattue et soulevait des solutions différentes de la part de ces évêques qui tous restaient fidèles à l'unité catholique? Vous nous alléguez le concile de Cyprien ; mais ou bien ce concile n'a pas eu lieu, ou bien il a été victorieusement réfuté par les autres membres de cette unité dont Cyprien ne s'est jamais séparé. Supposé même que Cyprien ait admis la nécessité de rebaptiser les hérétiques, nous ne nous croirions pas meilleurs que lui, parce que nous sommes dans le vrai en agissant autrement; de même que nous ne nous croyons pas meilleurs que saint Pierre, quoique nous n'obligions pas les nations à judaïser comme il le fit lui-même, selon ce que nous rapporte saint Paul, qui le reprit de cette faiblesse (2), quoique la circoncision fût alors pour les Apôtres l'objet des mêmes préoccupations que le baptême fut plus tard pour les évêques.
1. Jean, XIII, 10. 2. Gal. II, 14.
376
XXXIX. Quoique nous ne trouvions dans les Ecritures canoniques aucun exemple à l'appui de la cause que nous soutenons, cependant nous avons le droit de soutenir que nous nous appuyons réellement sur l'autorité de ces mêmes Ecritures quand nous nous conformons à l'esprit de l'Église universelle dont l'autorité repose sur l'autorité même des Ecritures. Comme cette autorité des Ecritures est infaillible, quiconque craint de se laisser surprendre par l'obscurité de la question qui nous divise, doit consulter cette même Eglise, dont la sainte Ecriture prouve évidemment l'institution divine. Mais vous doutez que cette Eglise, dont la fécondité prodigieuse se répand sur toute la terre, trouve dans l'Écriture son appui et sa force; vous en doutez, car si vous n'en doutiez pas, vous cesseriez d'appartenir à la secte de Donat ; eh bien ! j'invoquerai contre vous les témoignages les plus évidents empruntés à cette Ecriture. L'évidence même vous arrachera de nombreuses concessions, et à moins que vous ne portiez l'obstination au suprême degré, vous serez contraint d'avouer que, malgré votre désir de réfuter ma lettre, vous n'avez pu lui opposer aucune réponse logique et sérieuse. XL. Pour le moment, je ne dois pas insister davantage. Si je me suis développé si longuement, c'est que je voulais vaincre cette cruelle obstination d'hommes qui, ayant à traiter une question principale, voulaient en détourner l'attention des juges en invoquant la prescription et en alléguant qu'ils n'ont pas à discuter avec nous. M'appuyant sur les saintes Ecritures, et autant que je l'ai pu sur les raisons les plus évidentes, j'ai prouvé que les partisans de la vérité n'ont rien à craindre ni de l'éloquence, ni de la dialectique, quelles qu'elles soient, et qu'ils peuvent toujours être assurés de réfuter et de convaincre les partisans du mensonge toutes les fois qu'ils auront à discuter avec eux. J'ai démontré également qu'en concédant aux Donatistes la possession du baptême véritable, et c'est là ce qui vous a le plus ému dans ma lettre, on ne pouvait aucunement nous forcer à conclure que le baptême doive être reçu dans cette même secte. En effet, de même que le peuple réprouvé des Juifs a pu avoir une loi bonne en elle-même, de même la secte réprouvée des hérétiques peut avoir un sacrement véritable. Quant à déterminer ce qui ne peut être donné que dans l'Église et par l'Église, je le ferai plus tard'. Car je sais parfaitement que pour agir noblement avec les hérétiques que nous voulons ramener à la vérité, il ne suffit pas de leur concéder la possession du baptême, nous devons aussi leur prouver, d'abord qu'ils recevront dans l'Église ce qu'ils ne recevraient nulle part ailleurs, et ensuite que s'ils ne reçoivent pas ces dons qui lui sont propres, tout ce qu'ils auront pu recevoir hors de son sein, fût-ce même des biens qui concernent la loi de Dieu, leur seront complètement inutiles. Ces dons, qui ne peuvent être conférés et reçus que dans l'Église, comme nous le prouverons par l'Écriture et par la raison, nous les ferons découler de « la fontaine scellée, du puits de l'eau vive, et du paradis avec le fruit des arbres », toutes choses dont vous parlez sans les comprendre. En effet, vous en faites exclusivement l'application au baptême visible; sans doute ce baptême est saint, il ne doit être omis pour aucun motif; cependant veuillez donc remarquer que si ce sacrement est reçu par les bons qui sont appelés à reproduire en eux la ressemblance du Fils de Dieu (2), il est aussi reçu par des hommes qui ne posséderont jamais le royaume de Dieu, et au nombre desquels l'Apôtre cite les ivrognes et les avares (3). Pour peu que vous y réfléchissiez, sans parti pris de vous obstiner quand même, vous comprendrez la vérité de mes paroles, vous vous répondrez facilement à vous-même, et vous ne chercherez la fontaine scellée et le puits de l'eau vive que là où ne peuvent pénétrer ceux qui résistent à Dieu et lui déplaisent. J'ai dit, lisez.
1. Ci-dessous, livre II, n. 16. 2.
|