NATURE ET GRÂCE
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NATURE ET GRÂCE
JUSTICE - HOMME

DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE. RÉFUTATION DE PÉLAGE.

In Oeuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIème, p. 185 à 221, Bar-le-Duc 1871

 

LIVRE UNIQUE.

CHAPITRE PREMIER. OCCASION DE CE LIVRE. QUELLE EST LA JUSTICE DE DIEU.

CHAPITRE II. SI L'HOMME PEUT ÊTRE JUSTE SANS LA FOI EN JÉSUS-CHRIST, CETTE FOI N'EST NULLEMENT NÉCESSAIRE AU SALUT.

CHAPITRE III. LA NATURE, CRÉÉE DANS L'INNOCENCE, A ÉTÉ DEPUIS SOUILLÉE PAR LE PÉCHÉ.

CHAPITRE IV. LA GRÂCE GRATUITE.

CHAPITRE V. LA JUSTICE EXIGEAIT LA CONDAMNATION DE TOUS LES HOMMES.

CHAPITRE VI. LES HARDIESSES DES PÉLAGIENS.

CHAPITRE VII. DISTINCTION PÉLAGIENNE ENTRE L'ÊTRE ET LE POSSIBLE.

CHAPITRE VIII. CEUX QUI N'ONT PU ÊTRE JUSTIFIÉS SONT ÉGALEMENT CONDAMNÉS.

CHAPITRE IX. QUICONQUE N'A PAS ENTENDU LE NOM DE JÉSUS-CHRIST NE SAURAIT ÊTRE JUSTIFIÉ.

CHAPITRE X. AVEU DÉGUISÉ DE PÉLAGE RELATIVEMENT A LA GRACE.

CHAPITRE XI. LA GRACE DONT NOUS PARLONS N'EST POINT UNE GRACE DE LA CRÉATION, MAIS UNE GRÂCE DE LA RÉDEMPTION.

CHAPITRE XII. QUEL EST LE BUT DES MENACES PORTÉES PAR LA LOI?

CHAPITRE XIII. RÉPUTATION DE LA DOCTRINE DE PÉLAGE.

CHAPITRE XIV. TOUT N'A PAS ÉTÉ ÉCRIT.

CHAPITRE XV. PÉLAGE CORROMPT LE TEXTE DE L'APÔTRE SAINT JACQUES.

CHAPITRE XVI. EXPLICATION DE CE MÊME PASSAGE DE SAINT JACQUES.

CHAPITRE XVII. PÉCHÉS D'IGNORANCE. A QUI LE SEIGNEUR DONNE-T-IL LA SAGESSE?

CHAPITRE XVIII. QUELLE PRIÈRE PÉLAGE ADMET-IL COMME NÉCESSAIRE ?

CHAPITRE XIX. PÉLAGE NIE LA DÉMENCE DE LA NATURE HUMAINE.

CHAPITRE XX. COMMENT LE PÉCHÉ, SANS ÊTRE UNE SUBSTANCE, PEUT-IL VICIER LA NATURE ?

CHAPITRE XXI. ADAM DÉLIVRÉ PAR LA MISÉRICORDE DE JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XXII. LE PÉCHÉ ET LE CHATIMENT DU PÉCHÉ SONT UNE MÊME CHOSE.

CHAPITRE XXIII. DIEU N'ABANDONNE QUE CEUX QUI MÉRITENT D'ÊTRE ABANDONNÉS. NOUS NOUS SUFFISONS A NOUS-MÊMES POUR PÉCHER.

CHAPITRE XXIV. JÉSUS-CHRIST EST MORT LIBREMENT, DIEU SAIT TIRER LE BIEN DU MAL.

CHAPITRE XXV. HABILETÉ DES HÉRÉTIQUES.

CHAPITRE XXVI. COMPARAISON FAISANT SENTIR LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE.

CHAPITRE XXVII. LE MODE DE NOTRE GUÉRISON NE DÉPEND QUE DU CÉLESTE MÉDECIN.

CHAPITRE XXVIII. DIEU NOUS ABANDONNE QUELQUEFOIS POUR NOUS SOUSTRAIRE A L'ORGUEIL.

CHAPITRE XXIX. TOUT PÉCHÉ N'EST PAS UN PÉCHÉ D'ORGUEIL.

CHAPITRE XXX. COMMENT LE PÉCHÉ EST L'OEUVRE PERSONNELLE DE L'HOMME.

CHAPITRE XXXI. POURQUOI DIEU NE NOUS GUÉRIT-IL PAS IMMÉDIATEMENT DE L'ORGUEIL?

CHAPITRE XXXII. ÉVITONS L'ORGUEIL JUSQUE DANS NOS BONNES OEUVRES.

CHAPITRE XXXIII. L'HOMME, FUT-IL ABSOLUMENT SANS PÉCHÉ, NE SERAIT POINT ENCORE ÉGAL A DIEU.

CHAPITRE XXXIV. NOUS POUVONS DIRE EN TOUTE VÉRITÉ QUE NOUS NE SOMMES PAS SANS PÉCHÉ.

CHAPITRE XXXV. POURQUOI CERTAINS PÉCHÉS NOUS SONT-ILS RAPPORTÉS PAR L'HISTOIRE

CHAPITRE XXXVI. LA SAINTE VIERGE MARIE A VÉCU SANS PÉCHÉ.

CHAPITRE XXXVII. POURQUOI L'ÉCRITURE N'A-T-ELLE PAS ÉNUMÉRÉ LES PÉCHÉS DE TOUS LES HOMMES?

CHAPITRE XXXVIII. LES PÉCHÉS DES JUSTES.

CHAPITRE XXXIX. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE XL. EN QUOI PÉLAGE FAIT CONSISTER LA NÉCESSITÉ DE LA RÉDEMPTION OPÉRÉE PAR JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XLI. EXPLICATION DE QUELQUES PAROLES DE L'APÔTRE.

CHAPITRE XLII. L'HOMME PEUT ETRE SANS PÉCHÉ, MAIS PAR LE SECOURS DE LA GRACE.

CHAPITRE XLIII. DIEU NE COMMANDE PAS L'IMPOSSIBLE.

CHAPITRE. XLIV. ÉTAT DE LA QUESTION ENTRE LES PÉLAGIENS ET LES CATHOLIQUES.

CHAPITRE XLV. AUTRES COMPARAISONS ET RAISONNEMENTS DE PÉLAGE.

CHAPITRE XLVI. LA NÉCESSITÉ SE CONCILIE AVEC LE LIBRE ARBITRE DE LA VOLONTÉ.

CHAPITRE XLVII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE XLVIII. LE SECOURS DE LA GRACE DANS L'INTÉGRITÉ DE LA NATURE.

CHAPITRE XLIX. DIEU EST TOUT-PUISSANT, QUOIQU'IL NE PUISSE NI PÉCHER, NI MOURIR, NI SE SUICIDER.

CHAPITRE L. LES SAINTS ET LES JUSTES RÉSISTENT A LA GRACE.

CHAPITRE LI. QUEL SENS PÉLAGE RAPPORTE A LA GRACE DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE NE PAS PÉCHER.

CHAPITRE  LII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

CHAPITRE LIII. DE QUELLE GRACE DE DIEU PARLONS-NOUS ?

CHAPITRE LIV. DIALOGISME.

CHAPITRE LV. NOTRE CORPS EST DIT UN CORPS DE MORT A CAUSE DU VICE DONT IL EST ATTEINT ET NON A CAUSE DE SA SUBSTANCE MÊME.

CHAPITRE LVI. MÊME SUJET.

CHAPITRE LVII. QUEL EST CELUI QUI EST SOUS LA LOI ?

CHAPITRE LVIII. MÊME SUJET.

CHAPITRE LIX. MÊME SUJET.

CHAPITRE LX. EST-IL UN SEUL HOMME SUR LA TERRE QUI SOIT SANS PÉCHÉ?

CHAPITRE LXI. LES PÉLAGIENS DÉNATURENT EN LEUR FAVEUR LA PENSÉE DES ÉCRIVAINS CATHOLIQUES.

CHAPITRE LXII. LE COMMENCEMENT ET LA PERFECTION DE LA JUSTICE.

CHAPITRE LXIII. TÉMOIGNAGES DE SAINT AMBROISE.

CHAPITRE LXIV. SAINT JEAN CHRYSOSTOME ET SAINT XYSTE.

CHAPITRE LXV. SAINT JÉRÔME.

CHAPITRE LXVI. QUELLE PEUT ETRE LA NÉCESSITÉ DE PÉCHER.

CHAPITRE LXVII. DEUX MOYENS POUR ÉVITER LE PÉCHÉ. TÉMOIGNAGES D'AUGUSTIN.

CHAPITRE LXVIII. EXHORTATION A LA FOI, A LA PÉNITENCE, A LA PERFECTION.

CHAPITRE LXIX. DIEU NE COMMANDE PAS L'IMPOSSIBLE.

CHAPITRE LXX. LES DEGRÉS DE LA CHARITÉ CONSTITUENT LES DEGRÉS DE LA JUSTICE.

 

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DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE. RÉFUTATION DE PÉLAGE.

Adressée à Timasius et à Jacques

 

LIVRE UNIQUE.

 

 

Deux jeunes hommes nobles et lettres, anciens Pélagiens convertis par l'évêque d'Hippone, avaient communiqué à ce dernier un ouvrage de Pélage en forme de dialogue; où- la grâce était immolée au profit de la nature. Augustin entreprit aussitôt la réfutation de ce livre. Il établit que la justice de Dieu ne consiste pas dans les commandements de la loi, mais dans le secours de la grâce de Jésus-Christ. La nature humaine fut créée saine et pure; depuis la rébellion primitive, elle a besoin du secours du médecin. Le secours de Jésus-Christ, sans lequel il n'est pas de salut, n'est pas le prix du mérite, mais on le reçoit gratuitement; et voilà pourquoi on l'appelle grâce. Tous ayant péché, la masse du genre humain aurait pu être condamnée sans injustice de la part de Dieu.

 

 

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CHAPITRE PREMIER. OCCASION DE CE LIVRE. QUELLE EST LA JUSTICE DE DIEU.

 

1. Chers fils Timase et Jacques, j'ai reçu le livre que vous m'avez envoyé, et faisant trêve aux travaux dont j'étais occupé, je l'ai lu rapidement, il est vrai, mais avec une grande attention. L'auteur de ce livre m'a paru enflammé d'un zèle ardent contre ceux qui, au lieu de rendre la volonté humaine responsable des péchés qu'elle commet, accusent la nature même des hommes et voudraient trouver dans cette nature une excuse à toutes leurs fautes. Il s'élève énergiquement contre cette doctrine pestilentielle que des auteurs, même païens, ont condamnée sévèrement, quand ils ont dit: « C'est à tort que le genre humain se plaint de sa nature (1) ». D'un autre côté, pour rendre sa thèse plus facile, il a chargé de toutes les exagérations possibles la thèse de ses adversaires.

Toutefois, je crains fort que toute sa plaidoirie ne tourne en faveur de ceux « qui ont le zèle de Dieu, mais non pas selon la science de ceux qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir leur justice propre, ne sont point soumis à la justice de Dieu. » Après ces paroles, l'Apôtre nous apprend quelle est cette justice dont il parle : « Jésus-

 

1. Salluste. Prologue de la guerre de Jugurtha.

 

Christ », dit-il, « est la fin de la loi pour la justification de tous ceux qui croient en lui (1) ». Par conséquent, cette justice ne consiste pas dans le précepte de la loi, capable seulement d'inspirer la crainte, mais dans le secours de la grâce de Jésus-Christ, vers laquelle doit nous conduire la crainte inspirée par la loi, et c'est la seule utilité qu'elle puisse nous procurer (2). Voilà sur quoi repose la justice de Dieu, et c'est ce dont il faut être persuadé si l'on veut savoir pourquoi l'on est chrétien. « Car si la justice nous vient par la loi, c'est en vain que Jésus-Christ est mort (3) ». Mais si ce n'est pas en vain que Jésus-Christ est mort, le pécheur ne peut trouver de justification que dans celui « qui justifie le pécheur en considération de sa foi, de telle sorte que sa foi lui est imputée à justice (4). Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu, étant justifiés gratuitement par son sang (5) ». Tous ceux donc qui ne croient pas être du nombre de ces hommes qui ont péché et qui -ont besoin de la gloire de Dieu, ne peuvent savoir pour quel motif ils sont obligés d'être chrétiens; car ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin; ce besoin n'existe que pour ceux qui sont malades; c'est pourquoi Jésus-Christ n'est point venu appeler les justes, mais les pécheurs (6).

 

1. Rom. X, 2-4. — 2. Gal. III, 22.— 3. Id. II, 21.— 4. Rom. IV, 5.— 5. Id. III, 23, 24.— 6.  Matth. IX, 12, 13.

 

 

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CHAPITRE II. SI L'HOMME PEUT ÊTRE JUSTE SANS LA FOI EN JÉSUS-CHRIST, CETTE FOI N'EST NULLEMENT NÉCESSAIRE AU SALUT.

 

2. Si la nature humaine, sortie de la chair du premier prévaricateur, peut se suffire à elle-même pour accomplir la loi et atteindre à la perfection de la justice, elle doit être entièrement assurée de la récompense, c'est-à-dire de la vie éternelle, alors même qu'à telle époque ou au sein de telle nation elle aurait été privée de toute foi à la rédemption future du Messie. En effet, Dieu est essentiellement juste, et il ne saurait priver les justes de la récompense de la justice, si on ne leur a donné aucune connaissance du mystère de l'incarnation du Verbe (1). Comment croiraient-ils ce dont ils n'ont pas entendu parler ? et comment peuvent-ils en entendre parler, si personne ne leur prêche? Car, comme il est écrit :  « La foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée (2) » . Mais est-il donc vrai qu'on n'ait pas entendu? « Le son de leur voix s'est fait entendre sur toute la terre, et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités du monde (3) ».

Toutefois, en attendant que ce prodige s'accomplisse, en attendant que la prédication de l'Evangile parvienne jusqu'aux extrémités du monde, il faut bien avouer qu'il est des nations, si peu nombreuses fussent-elles, qu, n'ont encore entendu aucune prédication. Ou que deviendra ou qu'est devenue la nature humaine dans un tel état de choses? Direz-vous qu'à la foi au Dieu tout-puissant, qui a créé le ciel et la terre et par qui elle sent qu'elle a été faite, elle joindra une vie sainte et l'accomplissement parfait de la volonté de Dieu, sans avoir aucune notion de la foi en la passion et en la résurrection de Jésus-Christ? S'il en est ainsi, je n'ai plus qu'à vous adresser la réponse que faisait l'Apôtre à ceux qui attachaient la justification à la loi: « Donc, c'est inutilement que Jésus-Christ est mort ». L'Apôtre parlait de cette loi donnée par Dieu à la seule nation judaïque; avec beaucoup plus de raison ne pouvait-il pas en dire autant de la loi de nature gravée dans le coeur du genre humain tout entier? Si la nature opère la justification, c'est donc inutilement que Jésus-

 

1. Tim. III, 16.— 2. Rom. X, 14, 17.— 3. Ps. XVIII, 5.

 

Christ est mort? Mais si ce n'est pas inutilement que Jésus-Christ est mort, aucun homme ne peut ni atteindre la justification, ni se soustraire à la juste vengeance du Très-Haut, sans la foi et le sacrement du sang de Jésus-Christ.

 

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CHAPITRE III. LA NATURE, CRÉÉE DANS L'INNOCENCE, A ÉTÉ DEPUIS SOUILLÉE PAR LE PÉCHÉ.

 

3. L'homme fut créé sans tache et sans souillure ; mais Adam se rendit coupable, et toute sa postérité a besoin d'être guérie, parce qu'elle n'est plus saine. Malgré sa chute, il lui reste des biens qui font partie de sa constitution, de sa vie, de ses sens, de son intelligence, et ces biens, il les a reçus de la main de son Créateur. Le vice est survenu, plongeant dans les ténèbres et affaiblissant ces biens naturels et rendant nécessaires la diffusion de la lumière et l'application du remède ; mais ce vice n'est point l'oeuvre de Dieu; car ce vice de la part d'Adam, fut le résultat du dérèglement de son libre arbitre, et, de la part de hommes, il est la conséquence du péché originel. Par conséquent notre nature viciée n'a plus droit qu'à un châtiment légitime. Sans doute, nous sommes devenus une nouvelle créature en Jésus-Christ, mais. « nous étions par la corruption de notre nature, enfant de colère aussi bien que les autres hommes. Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a rendu la vie en Jésus-Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés (1) ».

 

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CHAPITRE IV. LA GRÂCE GRATUITE.

 

4. Or, cette grâce de Jésus-Christ, sans laquelle ni les enfants ni les adultes ne peuvent être sauvés, ne nous est point donnée à raison de nos mérites, mais d'une manière absolument gratuite ; de là son nom de grâce. « Nous avons été justifiés gratuitement par son sang », dit l'Apôtre. D'où il suit que ceux qui n'ont pas été délivrés par cette grâce, soit parce qu'ils n'ont pas pu en entendre parler, soit parce qu'ils n'ont pas voulu obéir, soit que leur âge ne leur permette pas de comprendre, soit enfin parce qu'ils n'ont pas reçu le sacrement

 

1. Ephés. II, 3-5.

 

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de la régénération, qu'ils auraient pu recevoir ci qui les aurait sauvés, tous ceux-là, dis-je, sont privés du bonheur du ciel, et cette condamnation n'est que justice ; car ils ne sont pas sans péché, soit qu'il s'agisse du péché originel, soit qu'il s'agisse des péchés actuels. « Car tous ont péché », soit en Adam, soit en eux-mêmes, et « tous ont besoin de la gloire de Dieu ».

 

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CHAPITRE V. LA JUSTICE EXIGEAIT LA CONDAMNATION DE TOUS LES HOMMES.

 

5. Ainsi donc, par le fait de leur origine, tous les hommes sont soumis au châtiment, et lors même que tous subiraient en réalité le supplice de la damnation, ce ne serait que rigoureuse justice. Voilà pourquoi ceux qui sont délivrés par la grâce ne sont pas appelés des vases de leurs propres mérites, mais des vases de miséricorde (1). Et de qui cette miséricorde, si ce n'est de celui qui a envoyé Jésus-Christ en ce monde pour sauver les pécheurs (2), c'est-à-dire ceux qu'il a connus par sa prescience, qu'il a prédestinés, qu'il a appelés, qu'il a justifiés et qu'il a glorifiés (3) ? N'est-ce donc pas le comble de la folie que de ne point rendre d'ineffables actions de grâce à la miséricorde de celui qui délivre ceux qu'il a voulu, quand on sait que la justice autorisait parfaitement le Seigneur à réprouver tous les hommes sans aucune distinction ?

 

 

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CHAPITRE VI. LES HARDIESSES DES PÉLAGIENS.

 

6. Si nous saisissons le sens de ces passages de l'Ecriture, nous ne verrons aucune nécessité de disputer contre la grâce chrétienne et de recourir à toute sorte d'arguments pour montrer que la nature humaine, dans les enfants, n'a pas besoin d'être guérie, parce qu'elle est saine, et que cette même nature, dans les adultes, peut se suffire à elle-même si elle veut, pour arriver à la justice. Pour établir des démonstrations de ce genre, les Pélagiens se mettent en frais d'esprit et de finesse ; mais toute leur sagesse n'est qu'une sagesse de paroles pour détruire la croix de Jésus-Christ (4). « Cette sagesse n'est pas la sagesse qui descend du ciel (5) ».  Je ne veux pas

 

1. Rom. IX, 23.— 2. I Tim. I, 15.— 3. Rom. VIII, 29, 30.— 4. I Cor. I, 17. — 5. Jacq. III, 15.

 

les suivre dans la hardiesse de leurs inventions, car je craindrais de paraître faire injure à nos amis pour lesquels je n'ai qu'un seul désir, celui de voir leur intelligence aussi prompte que perspicace suivre toujours la voie droite qui conduit à la vérité.

 

 

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CHAPITRE VII. DISTINCTION PÉLAGIENNE ENTRE L'ÊTRE ET LE POSSIBLE.

 

7. En parcourant le livre que vous m'avez adressé, je me prends d'admiration pour le zèle que déploie sols auteur contre ceux qui, pour se justifier de leurs fautes personnelles, s'en prennent à la faiblesse de la nature humaine. Combien plus ardent ne doit pas être notre zèle pour empêcher d'anéantir la croix de Jésus-Christ ! Or, c'est l'anéantir que de prétendre que, sans le secours du Sacrement de Jésus-Christ, nous pouvons parvenir à la justice et à la vie éternelle. Et pourtant tel est le but que poursuit notre auteur, je n'ose pas dire sciemment et volontairement, car autrement il cesserait, à mes yeux, d'être chrétien ; mais qu'il poursuit sans le savoir, j'aime à le croire, et avec des efforts véritablement inouïs ; pourquoi ses efforts ne sont-ils pas ceux d'un homme sage, au lieu d'être ceux d'un frénétique ?

8. Il s'attache tout d'abord à établir la distinction partout admise en principe entre ce qui est possible et ce qui existe. Il est de toute évidence que ce qui existe, par là même est possible, tandis que ce qui est possible peut fort bien ne pas exister. En effet, puisque le Sauveur a ressuscité Lazare (1), il est clair qu'il a pu le ressusciter; mais de ce qu'il n'a pas ressuscité Judas, s'ensuit-il qu'il n'aurait pas pu le ressusciter? Il le pouvait, mais il ne le voulut pas. Car s'il l'eût voulu, cette résurrection se serait opérée en vertu de la même puissance qui avait ressuscité Lazare ; le Fils vivifie ceux qu'il veut vivifier (2).

Mais remarquez à quelle conséquence l'auteur voudrait nous amener par cette distinction fondamentale. « Nous traitons », dit-il, « uniquement de la possibilité; et sur un tel sujet, il ne faut établir que ce qui est certain; car toute exagération pourrait entraîner à de très graves conclusions ». Puis, entrant dans des développements interminables, il se répète Jean,

 

1. Jean, XI, 43, 44.— 2. Id. V, 21.

 

 

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sous mille formes diverses, pour prouver qu'il ne s'occupe que de la possibilité de ne pas pécher. Entre autres choses, voici ce qu'il écrit: « Sans craindre de me répéter, je dis que l'homme peut être sans péché. Que dites-vous vous-même? Que l'homme ne peut pas être sans péché ? Je ne dis pas que l'homme est sans péché, et de votre côté vous ne dites pas non plus que l'homme n'est pas sans péché : nous discutons sur la possibilité et l'impossibilité, et non pas sur la réalité et la non-réalité ». Rappelant ensuite certains oracles sacrés que l'on a coutume de leur opposer, il soutient qu'ils sont étrangers à la question de savoir si l'homme peut, oui ou non, être sans péché. « Personne n'est pur de toute souillure (1) ; il n'est pas d'homme qui ne pèche (2); il n'y a pas de juste sur la terre (3); il n'est personne qui fasse le bien (4) » . « Or », dit-il, « tous ces passages s'appliquent au fait, et non point à la possibilité. En effet, nous y trouvons ce qu'ont été certains hommes à telle époque, et non pas ce qu'ils auraient pu être; aussi sont-ils à bon droit regardés comme coupables. Supposez qu'ils n'aient  pu être que ce qu'ils ont été, comment pourraient-ils être coupables ? »

 

 

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CHAPITRE VIII. CEUX QUI N'ONT PU ÊTRE JUSTIFIÉS SONT ÉGALEMENT CONDAMNÉS.

 

9. Pesez bien ses paroles. Je suppose un enfant ayant pris naissance dans un lieu où il n'a pu recevoir le baptême de Jésus-Christ; il meurt dans cet état, c'est-à-dire privé du sacrement de la régénération, parce qu'il n'a pu le recevoir. Notre auteur l'absolvera-t-il et lui ouvrira-t-il le royaume des cieux contre la sentence manifeste du Sauveur (5) ? Du moins, il est évident que l'Apôtre ne l'absout pas, quand il s'écrie : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (6) » . Ainsi donc, en vertu de cette condamnation qui court à travers toute la masse, cet enfant ne saurait être admis dans le royaume des cieux, quoiqu'il y ait eu pour lui une véritable impossibilité de devenir chrétien.

 

 

1. Job, XIV, 4, selon les Septante.— 2. III Rois, VIII, 46.— 3. Eccle. VII, 21.— 4. Ps. XIII,  1.— 5. Jean, III, 5. — 6. Rom. V,12.   

 

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CHAPITRE IX. QUICONQUE N'A PAS ENTENDU LE NOM DE JÉSUS-CHRIST NE SAURAIT ÊTRE JUSTIFIÉ.

 

10. « Mais », répondent les Pélagiens, « cet homme n'est point condamné; car s'il est dit que tous ont péché en Adam, il ne s'agit que d'une simple imitation et non pas d'une

souillure réelle contractée par le péché originel ». Si donc on soutient qu'Adam est l'auteur des péchés commis par sa postérité, parce qu'il a été de tous les hommes le premier pécheur, pourquoi ne pas dire d'Abel, plutôt que du Christ, qu'il est le chef de tous les justes, puisqu'il a été de tous les hommes le premier juste? Remarquez que ce n'est plus d'un enfant que je parle; je suppose qu'un jeune homme ou un vieillard meurt dans une contrée où il n'a pu entendre parler de Jésus-Christ, et je demande si, oui ou non, il a pu être justifié par la nature ou par son libre arbitre. S'ils disent qu'il a pu être justifié, je demande si l'on peut, sans anéantir la croix de Jésus-Christ, soutenir que tel homme a pu être justifié par la lai naturelle et par son libre arbitre. S'il en est ainsi, il ne nous reste qu'à dire : « C'est inutilement que Jésus-Christ est mort », car la justification possible à un homme l'était également pour tous, lors même que Jésus-Christ ne serait pas mort; et si c'est uniquement parce qu'ils l'ont voulu que les hommes sont coupables, ce n'est donc plus parce qu'ils ne pouvaient être justes par eux-mêmes. Or, il est certain que personne ne peut être justifié sans la grâce de Jésus-Christ; vienne maintenant le Pélagien poussant l'audace jusqu'à absoudre tel ou tel pécheur en nous disant: « Puisqu'il n'est ce qu'il est, que parce qu'il n'a pu être autrement, il est par là même exempt de toute faute ».

 

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CHAPITRE X. AVEU DÉGUISÉ DE PÉLAGE RELATIVEMENT A LA GRACE.

 

11. L'auteur s'adresse à lui-même, comme venant d'un interlocuteur, l'objection suivante: « L'homme », direz-vous, « peut être sans péché, mais par la grâce de Dieu ». Puis, en forme de réponse il ajoute: «Je félicite votre humanité d'avoir changé d'opinion; car tout à l'heure vous combattiez mon (189) assertion, et maintenant, non content de ne plus la combattre, vous l'embrassez et vous ne la refusez pas de la prouver. En effet, dire de d'homme qu'il peut, mais par tel où tel a moyen, n'est-ce pas d'abord avouer qu'il a, ce pouvoir, n'est-ce pas même montrer la p source et l'étendue de ce pouvoir ? Le meilleur moyen de prouver la possibilité d'une chose, n'est-ce pas de formuler les conditions ou les qualités de cette possibilité? car des qualités doivent nécessairement avoir un objet ». Il se pose ensuite une nouvelle objection: «Mais », me direz-vous, « vous paraissez, dans ce passage, rejeter la grâce de Dieu, puisque vous n'en faites aucune mention ». Il répond : « Puis-je donc rejeter une chose que j'avoue, qu'il m'est nécessaire d'avouer, et qui, seule, rend possible la chose dont je parle; vous, au contraire, qui niez cette chose, ne niez-vous point, par là même, ce qui lui donne toute sa réalité ? »

Notre auteur oublie qu'il répond à un interlocuteur qui ne nie pas, et dont il a ainsi formulé l'objection: « L'homme, peut être sans péché, mais par la grâce de Dieu ». Et du moment que cette possibilité n'est pas niée par son adversaire, pourquoi s'ingénier de cette sorte à l’établir? Toutefois, on ne saurait en douter, son interlocuteur, qu'il abandonne après lui avoir prêté un aveu complet, n'était pour lui qu'une occasion plus ou moins directe d'attaquer ceux qui soutiennent que l'homme ne saurait être sans péché. Mais que nous importe ? Qu'il s'attaque à qui il voudra, pourvu qu'il avoue ce qu'on ne saurait nier sans une impiété. manifeste, à savoir que l’homme, sans la grâce, ne saurait être exempt de péché. Il dit donc: « Que ce soit par une grâce, par un secours ou par miséricorde, que l'homme peut être sans péché, il suffit à ma thèse que l'on avoue cette possibilité ».

 

 

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CHAPITRE XI. LA GRACE DONT NOUS PARLONS N'EST POINT UNE GRACE DE LA CRÉATION, MAIS UNE GRÂCE DE LA RÉDEMPTION.

 

12. J'avoue à votre charité qu'en lisant ces paroles, j'ai été tout à coup saisi de joie en voyant qu'il ne niait pas la grâce par laquelle seule l'homme peut être justifié; car dans toutes nos discussions, le point qui m'indigne et me révolte, c'est surtout cette négation. Toutefois, en continuant ma lecture, certaines comparaisons ne vinrent que trop promptement soulever des doutes dans mon esprit. Voici comme il s'exprime : « Si je dis que l'homme peut discuter, l'oiseau voler, le lièvre courir, sans indiquer les moyens par lesquels ces actions s'accomplissent, c'est-à-dire la langue, les ailes, les pieds, est-ce que j'ai nié les propriétés de ces fonctions, puisque j'ai avoué les actes eux-mêmes? » Que l'auteur veuille bien remarquer que tous ces exemples sont pris dans l'ordre naturel; en effet, quoi de plus naturel que la langue, les ailes, les pieds? Au contraire, il garde un profond silence sur les choses de l'ordre purement surnaturel comme est la grâce dont nous traitons et sans laquelle l'homme ne saurait être justifié. Ce qui nous occupe, ce n'est pas de créer la nature humaine, mais de la guérir. Sous le coup de ces fâcheuses impressions, j'ai continué ma lecture et je me suis promptement convaincu que mes craintes n'étaient pas sans fondement.

 

 

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CHAPITRE XII. QUEL EST LE BUT DES MENACES PORTÉES PAR LA LOI?

 

13. Avant tout, écoutez ce qu'il dit. Traitant de la différence des péchés, il se fait à lui-même cette objection, d'ailleurs assez Commune : « Les péchés légers, vu leur multitude et les nombreuses occasions qui se présentent, ne peuvent être tous évités ». Il soutient que « ces péchés ne sont dignes d'aucun châtiment, même le plus léger, s'ils ne peuvent être évités ». Il ne tient aucun compte des Ecritures du Nouveau Testament, dans lesquelles nous apprenons que le but de toute loi prohibitive est de nous faire recourir à la grâce et à la miséricorde divine, à raison même des dangers que nous courons et des fautes que nous commettons. Elle agit comme un pédagogue qui commence par exiger la foi à ce qui ne sera révélé que plus tard. Soyons-y fidèles, et la grâce nous accordera le,pardon des fautes commises et nous aidera puissamment à ne les plus commettre. La voie est faite pour les voyageurs, quoiqu Il n'y ait de voyageurs parfaits que ceux qui tendent efficacement au but. Or, à la, souveraine perfection rien ne saurait. être, ajouté, et nous commençons à la posséder (190) par cela même que nous nous engageons dans la voie qui y conduit.

 

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CHAPITRE XIII. RÉPUTATION DE LA DOCTRINE DE PÉLAGE.

 

14. Quant à cette question qui lui est posée : « Vous-même êtes-vous sans péché? » convenons d'abord qu'elle est étrangère à la question qui nous occupe. Mais quand l'auteur ajoute : « Si vous n'êtes pas sans péché, attribuez-en la cause à votre négligence », il a parfaitement raison, pourvu qu'il en conclue qu'il doit demander à Dieu de ne point se rendre l'esclave de cette coupable négligence. C'est la prière que formulait le Psalmiste par ces paroles : « Dirigez mes voies selon votre parole , et que l'iniquité ne domine point sur moi (1) ». Cela prouve qu'il ne comptait ni sur sa propre diligence, ni sur ses propres forces pour parvenir à cette perfection qu'il appelait de tous ses voeux.

 

 

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CHAPITRE XIV. TOUT N'A PAS ÉTÉ ÉCRIT.

 

15. Il suppose cette autre objection de la part de ses lecteurs : « Il n'est écrit nulle part  que l'homme puisse être sans péché ». Il la réfute facilement en répondant « qu'il ne s'agit pas de savoir en quels termes une maxime est énoncée ». Toutefois, ce n'est pas sans raison que l'Ecriture, qui nous parle plusieurs fois d'hommes trouvés sans reproche, ne parle nullement d'un seul homme trouvé sans péché, si ce n'est de celui à qui s'applique manifestement cet oracle : « Celui qui ne connaissait pas le péché (2) ». Dans un autre passage où il s'agissait des prêtres, l'Apôtre nous dit de Jésus-Christ « qu'il a tout éprouvé, selon la ressemblance sans péché (3) » ; il parlait de ce que le Sauveur a éprouvé dans sa chair , laquelle avait la ressemblance de la chair de péché, quoiqu'elle ne fût pas une chair de péché. Or une telle ressemblance ne suppose-t-elle pas que toute autre chair est une chair de péché?

Reste à savoir quelle interprétation l'on doit donner à ces paroles : « Tout ce qui est né de Dieu ne pèche pas et ne saurait pécher, parce que la semence divine demeure en lui (3) ». Saint Jean, qui écrit ces paroles,

 

1. Ps. CXVIII, 133.— 2. II Cor. V, 21.— 3. Héb. IV, 15.— 4. Jean, III, 9.

 

n'était pas né de Dieu, ou s'adressait à des hommes qui n'étaient pas encore nés de Dieu ; car c'est lui-même qui auparavant écrivait : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous (1)». Or, j'ai donné, selon mon pouvoir, l'explication de ces paroles dans les livres que j'ai adressés sur ce sujet à Marcellin (2). Quant à ces mots: « Il ne peut pécher», je ne m'oppose pas à ce qu'on les interprète comme s'il y avait: il ne doit pas pécher. Car ne serait-ce pas folie de soutenir qu'on ne doit pas pécher, puisque l'expression même de péché signifie quelque chose qui ne doit pas être fait?

 

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CHAPITRE XV. PÉLAGE CORROMPT LE TEXTE DE L'APÔTRE SAINT JACQUES.

 

16. Ces paroles de l'apôtre saint Jacques : « Aucun des hommes ne peut dompter la langue », ne me paraissent pas devoir être interprétées dans le sens adopté par notre auteur, qui veut y voir un reproche, comme s'il y avait : Est-ce donc qu'aucun des hommes ne peut dompter sa langue ? Quoi donc, aurait voulu dire l'Apôtre, vous pouvez dompter les bêtes féroces, et vous ne pouvez pas dompter votre langue? comme s'il était plus facile de dompter sa langue que de dompter les bêtes féroces. Je ne crois pas que tel soit le sens de ce passage. En effet, si l'Apôtre eût voulu faire ressortir la facilité de dompter la langue, cette idée se serait poursuivie dans la comparaison des bêtes féroces. Or, nous lisons, toujours au sujet de la. langue : « Elle est un mal qui agite et tourmente ; elle est pleine d'un venin mortel (3)» ; et ce venin est plus dangereux que celui des bêtes et des serpents, car ce dernier ne tue que le corps, tandis que l'autre tue l'âme, selon cette parole: « La bouche qui meut, tue l'âme (4) ».

Saint Jacques n'a donc pas dit ni voulu dire qu'il soit plus facile de dompter la langue que de dompter les bêtes féroces; il soutient, au contraire, que le mal de la langue est si grand dans l'homme qu'elle ne peut être domptée par aucun homme, tandis que les hommes domptent les bêtes féroces. D'un autre côté, il est loin de sa pensée de nous

 

 

1. I Jean, I, 8.— 2. Du Mérite des péchés, liv. II, n. 8-10.— 3. Jacq. III, 8.— 4.  Sag. I, 11.

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porter à conclure que nous pouvons par notre négligence nous rendre les dociles esclaves de ce mal; ce qu'il veut, c'est que nous recourions il a grâce divine pour dompter notre langue. En effet il ne dit pas : Nul ne peut dompter sa langue, mais : « Aucun des hommes ne peut dompter sa langue », afin de nous faire mieux comprendre que si notre langue est domptée, c'est à la grâce, au secours et à la miséricorde de Dieu que nous devons cette faveur. Que l'âme s'efforce donc de dompter la langue, et en faisant ces efforts, qu'elle implore le secours divin, qu'elle prie par la langue pour obtenir que la langue soit domptée, par la grâce de celui qui a dit à ses Apôtres : « Ce n'est pas vous qui parlez, mais c’est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (1) ». Ainsi donc le précepte nous avertit de faire ce que nous ne pouvons ni par nos efforts ni par nos propres forces, parce qu'il veut que nous implorions le secours de Dieu.

 

 

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CHAPITRE XVI. EXPLICATION DE CE MÊME PASSAGE DE SAINT JACQUES.

 

17. Après nous avoir vivement décrit le mal que fait la langue, après s'être écrié antes frères , de telles choses ne doivent « point avoir lieu », l'Apôtre saint Jacques indique aussitôt le secours à l'aide duquel on pourra résister au mal qu'il vient de signaler. « Y a-t-il parmi vous quelqu'un qui soit sage et savant? Qu'il fasse paraître ses oeuvres dans la suite d'une bonne vie, avec une sagesse pleine de douceur. Mais si vous avez dans le coeur une jalousie pleine d'amertume et un esprit de contention, ne vous glorifiez point et ne mentez point contre la vérité. Car ce n'est point là la sagesse qui vient d'en haut, mais c'est une sagesse terrestre, animale et diabolique. « Car où il y a de la jalousie et un esprit de contention, il y a aussi du trouble et toute a sorte de mal. Quant à la sagesse qui vient d'en haut, elle est premièrement chaste, puis amie de la paix, modérée, docile, susceptible de tout bien, pleine de miséricorde et de fruits de bonnes oeuvres; elle ne juge point, elle n'est point dissimulée (2) ». Telle est la sagesse qui dompte la langue, sagesse descendant du ciel et n'ayant point sa

 

1. Matth. X, 20.— 2. Jacq. III, 10, 13-17.

 

source dans le coeur humain. Qui donc oserait ne pas attribuer cette sagesse à la grâce de Dieu et l'attribuer orgueilleusement au pouvoir de l'homme? S'il ne dépend que de l'homme de la posséder, pourquoi donc est-elle le premier objet de nos prières? Doit-on s'interdire de la demander pour ne pas faire injure au libre arbitre qui trouverait dans ses forces naturelles le moyen d'accomplir les préceptes de la justice? Qu'on ose enfin démentir l'apôtre saint Jacques nous criant à tous : « Si quelqu'un de vous a besoin de la sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous libéralement sans reprocher ses dons, et la sagesse lui sera accordée ; mais qu'il la demande avec foi, sans défiance (1) ». Telle est la foi à laquelle nous poussent les préceptes

la loi commande, mais la foi obtient ce qui est commandé. Si « nous faisons tous beaucoup de fautes (2) », c'est par cette langue qu'aucun des hommes ne peut dompter et qui ne peut l'être que par la sagesse descendant du ciel. D'ailleurs ce dernier passage, dans la pensée de l'Apôtre, n'est que la reproduction sous une autre forme de ces premières paroles : « Aucun homme ne peut dompter sa langue ».

 

 

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CHAPITRE XVII. PÉCHÉS D'IGNORANCE. A QUI LE SEIGNEUR DONNE-T-IL LA SAGESSE?

 

18. Pour prouver l'impossibilité de ne pas pécher, personne, sans doute, ne leur objectera ces paroles de saint Paul : « La sagesse de la chair est l'ennemie de Dieu, car elle n'est pas soumise à la loi de Dieu, et elle ne peut pas l'être. Quant à ceux qui sont dans la chair, ils ne peuvent plaire à Dieu (3) ». L'Apôtre parle de la sagesse de la chair et non pas de la sagesse qui nous vient du ciel; de même, en :parlant d'hommes qui sont dans la chair, il :n'entend pas parler de ceux qui ne sont pas encore morts, mais de ceux qui vivent selon la chair. Or tout cela est étranger à la question qui nous occupe. Je voudrais apprendre de notre auteur si les hommes qui vivent selon l'esprit, et qui à ce titre ont cessé jusqu'à un certain point de vivre dans la chair, ont besoin de la grâce de Dieu pour vivre ainsi selon l'esprit, ou s'ils se suffisent à eux-mêmes, en vertu de la puissance naturelle qu'ils ont reçue dans la création, et par le

 

1. Jacq. I, 5.— 2. Id. III, 2.— 3.Rom. VIII, 7, 8.

 

 

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seul moyen de leur propre volonté. Ce. qui, enflamme d'autant plus mon désir bien légitime, c'est que la plénitude de la loi n'est autre chose que la charité (1), et que la charité a été répandue dans nos coeurs, non point par nous-mêmes, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2).

19. L'auteur traite également des péchés d'ignorance et s'exprime en ces termes « L'homme doit faire en sorte d'échapper à l'ignorance, et ce qui constitue le crime de l'ignorance, c'est que l'homme, par sa négligence, ignore tout ce qu'il aurait dû savoir en apportant la diligence suffisante ». D'après lui l'important c'est de discuter, plutôt que de prier et de dire : « Donnez-moi l'intelligence afin que j'apprenne vos commandements (3) ». Autre chose est de né pas s'inquiéter de savoir, et ces péchés de négligence paraissaient être expiés par certains sacrifices de la loi; autre chose, de vouloir comprendre sans pouvoir y parvenir, et d'agir ; contre la loi, ne comprenant pas ce que la loi commande. De là cette prescription qui nous est. faite de demander la sagesse à Dieu « qui, donne à tous abondamment » et spéciale ment à tous ceux qui proportionnent l'intensité de leurs prières à la grandeur de la grâce qu'ils implorent.

 

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CHAPITRE XVIII. QUELLE PRIÈRE PÉLAGE ADMET-IL COMME NÉCESSAIRE ?

 

20. Il avoue cependant « que l'on doit expier divinement les péchés commis et prier Dieu dans ce but » afin d'en obtenir le pardon; car, dit-il, « quand un péché est commis, rien ne peut faire qu'il ne soit point commis », pas même cette « puissance de la nature et cette volonté humaine » auxquelles, pourtant il prodigue de si grands éloges. Par conséquent il ne reste plus qu'à en demander le pardon. Quant à demander que Dieu nous aide à repousser, le péché, notre auteur n'en parle pas, du moins que je sache. Le, silence dans une pareille matière ne laisse pas que de surprendre ; car l'oraison dominicale nous fait demander à Dieu qu'il daigne nous pardonner les péchés commis et ne pas nous laisser succomber à la tentation ; de ces deux demandes, l'une regarde le passé, et l'autre

 

 

1. Rom. XIII, 10. — 2. Id. V, 5.— 3. Ps. CXVIII, 73.

 

l'avenir. Sans doute, pour ne pas succomber, il faut le concours de notre volonté, mais notre volonté seule ne suffit pas; voilà pourquoi notre prière, qui alors n'est ni superflue ni impudente. En effet, ne. serait-ce pas folie de demander à faire ce. que. vous avez le pou. voir de faire ?

 

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CHAPITRE XIX. PÉLAGE NIE LA DÉMENCE DE LA NATURE HUMAINE.

 

21. Ce qui doit surtout nous intéresser, ce sont les efforts que tente notre auteur pour montrer que la nature humaine a conservé toute son innocence originelle, dût-il pour cela lutter par la sagesse de la parole contre les oracles les plus formels de la sainte Ecriture, et anéantir la croix de Jésus-Christ (1); Toutefois cette croix ne sera point anéantie, tandis que sa prétendue sagesse sera complètement déjouée. Espérons en effet que quand nous lui aurons prouvé son erreur, le Seigneur, dans son infinie miséricorde, lui accordera la grâce d'un repentir salutaire.

« Et d'abord », dit-il, « nous devons examiner si réellement, comme quelques-uns le prétendent, la nature a été débilitée et changée par le péché. Pour cela nous devons avant tout  nous demander ce qu'est le péché: est-ce une substance ou un simple nom sans substance, en ce sens que le péché ne soit ni un être, ni une existence, ni un corps quelconque, mais la simple dénomination d'un acte mauvais?» Il ajoute : « Je crois qu'il en est ainsi. Et s'il en est ainsi, comment ce qui manque de substance a-t-il, pu débiliter ou  changer la nature ? »

Remarquez, je vous prie, comment, dans sa profonde ignorance, il s'efforce de dénaturer les expressions salutaires des oracles divins. « J'ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous (2) ». Qu'est-ce donc qu'il peut guérir, si rien n'est blessé, si rien n'est malade, si rien n'est débilité ni vicié? Vous entendez les aveux de l'homme, pourquoi vouloir qu'il discute? « Guérissez mon âme », dit-il. Demandez-lui à quelle source s'est souillé ce dont il demande la guérison, et écoutez la réponse: « Parce que j'ai péché contre vous». Que notre auteur l'interroge, qu'il lui pose

 

1. I Cor. I, 17.— 2. Ps. XL, 5.

 

la question qui le préoccupe et qu'il dise : O vous, qui criez: « Guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous », qu'est-ce donc que le péché? est-ce une substance, ou un nom sans substance, en ce sens qu'il ne soit ni un être, ni une existence, ni un corps quelconque, mais la simple dénomination d'un acte mauvais ?

L'Ecrivain sacré lui répond :Vous dites vrai, le péché n'est pas une substance, il est la dénomination d'un acte mauvais. Mais notre auteur se récrie : Pourquoi donc criez-vous . « Guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous? » Comment ce qui manque de substance a-t-il pu vicier votre âme ? Et l'Ecrivain sacré, pénétré de regret sur sa blessure, ne voulant pas que la discussion l'interrompe dans sa prière, répondrait d'un seul mot Eloignez-vous de moi, je vous prie; allez plutôt, si vous le pouvez, discuter avec Celui qui a dit : « Le médecin est nécessaire non a pas à ceux qui se portent bien, mais aux malades; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1) ». Ne compare. t-il pas les justes à ceux qui se portent bien et les pécheurs aux malades ?

 

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CHAPITRE XX. COMMENT LE PÉCHÉ, SANS ÊTRE UNE SUBSTANCE, PEUT-IL VICIER LA NATURE ?

 

22. Voyez-vous où tend cette discussion ? c'est à rendre parfaitement inutile cette parole : « Vous l'appellerez Jésus, car il sauvera a son peuple de leurs péchés (2) ». Comment sauver, quand il n'y a pas de maladie? En effet, ces péchés dont Jésus-Christ sauvera son peuple, selon la parole de l'Evangile, ne sont pas des substances et comme tels, d'après notre auteur, ils ne sauraient vicier. O frère, il est bon de vous souvenir que vous êtes chrétien ! Peut-être suffirait-il de croire ces choses; mais, cependant, comme vous roulez disputer, ce qui ne serait pas mauvais, ce qui serait même utile si précédemment on avait la foi affermie; ne pensons pas que le péché ne puisse point vicier la nature humaine, mais sachant par les divines Ecritures, que notre nature est corrompue, cherchons plutôt comment cela s'est fait. Nous avons appris déjà que le péché n'est pas une substance; mais ne pas manger ce n'est pas une substance, et ce

 

1. Matth. XV, 12, 13.— 2. Id. X, 21.

 

 

pendant le corps, s'il est privé de nourriture, languit, s'épuise, se brise tellement, que la durée d'un tel état lui permettrait à peine de revenir à cette nourriture dont la privation l'a vicié. C'est ainsi que le péché n'est pas une substance, mais Dieu est une substance et une substance souveraine, et la seule nourriture vraie de la créature raisonnable; en se retirant de lui par la désobéissance, et refusant par faiblesse de puiser et de se réjouir où il devait, entendez le Prophète s'écrier : « Mon coeur a été frappé, et s'est desséché comme la paille, parce que j'ai oublié de manger mon pain (1) ».

 

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CHAPITRE XXI. ADAM DÉLIVRÉ PAR LA MISÉRICORDE DE JÉSUS-CHRIST.

 

23. Voyez ensuite comment, ;pur de simples raisons de vraisemblance, votre auteur attaque la vérité des saintes Ecritures. Le Sauveur, appelé Jésus parce qu'il sauve son peuple de leurs péchés, nous adresse ces belles paroles : « Le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se portent bien, mais aux malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (2) ». C'est ce qui a fait dire à l'Apôtre : « C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec une entière déférence, que Jésus-Christ est venu dans ce monde sauver les pécheurs (3) ». Or, contre cette vérité certaine et digne d'être reçue avec une entière déférence, le Pélagien ne craint pas de protester en ces termes: « Cette maladie n'a pas dû se contracter par les péchés; car le châtiment du péché ne saurait être de nous faire commettre un plus grand nombre de péchés ».

Pour les enfants eux-mêmes, nous cherchons un médecin qui vienne à leur secours, et l'auteur nous dit : « Que cherchez-vous ? ceux pour qui vous appelez un médecin sont d'une santé parfaite.       Le premier homme lui-même n'a pas été condamné à la mort à cause du péché, car dans la suite il n'a plus péché ». Ne dirait-on pas qu'un ange est venu lui révéler le degré de justice du premier homme, et qu'il ne lui suffit pas de savoir, par l'Eglise, qu'Adam a été délivré par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ? « Ses descendants », nous dit-il, « non seulement ne sont pas plus faibles que lui,

 

1. Ps. CI, 5.— 2. Matth. XI,12, 13.— 3. I Tim. I, 15.

 

 

 

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mais on les voit même accomplir un grand « nombre de préceptes, tandis qu'il a négligé  d'accomplir le seul qui lui fût imposé ». Or, il voit naître la postérité d'Adam dans des conditions toutes différentes de celles qui accompagnèrent la création du premier homme; non-seulement nous sommes incapables de recevoir aucun précepte, puisque les sens sont absolument endormis, mais nous pouvons à peine prendre la nourriture quand la faim nous presse. Et quand nous rappelons que Celui qui sauve son peuple de leurs péchés, appelle ces petits enfants à recevoir le salut sur le sein de l'Eglise notre mère, les Pélagiens protestent et, comme s'ils connaissaient mieux ces enfants que ne les connaît Celui qui les a créés, ils attestent leur parfaite innocence avec un langage qui n'est rien moins qu'innocent.

 

 

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CHAPITRE XXII. LE PÉCHÉ ET LE CHATIMENT DU PÉCHÉ SONT UNE MÊME CHOSE.

 

24. Notre auteur soutient que la punition du péché devient la matière du péché, si le pécheur, affaibli par son péché, se trouve entraîné à des fautes plus nombreuses. Il ne réfléchit pas que pour le prévaricateur de la loi ; la lumière de la vérité va toujours et doit aller s'affaiblissant. Bientôt même il arrive à l'aveuglement; de là vient qu'infailliblement il tombe, en tombant il se blesse; sous le poids de ses blessures, il ne peut plus se relever, et alors il n'entend plus que la voix de la loi qui l'avertit d'implorer la grâce du Sauveur. Ne subissaient-ils aucun châtiment ceux dont l'Apôtre nous dit : « Parce que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâce, mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres ? » Cet aveuglement est une vengeance et un châtiment, et cependant c'est par suite de ce châtiment, c'est-à-dire de cet aveuglement du coeur, résultat de la disparition de la lumière de la sagesse, qu'ils sont tombés dans des péchés plus nombreux et plus graves. « Ainsi sont-ils devenus insensés, en s'attribuant le nom de sages ». Pour peu qu'on le comprenne, ce châtiment est terrible. Aussi voyez-en les suites.

« Ils ont transféré l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu incorruptible, à l'image d'un homme corruptible, et à des figures d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de reptiles ». C'est le résultat du châtiment du péché, car « leur coeur insensé a été rempli de ténèbres ». Et parce que leurs péchés ne sont que le châtiment du péché, l’Apôtre ajoute : « Voilà pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leur coeur, au vice de l'impureté ». Se pouvait-il des châtiments plus graves? Mais voyez les suites de ce châtiment : « En sorte qu'ils ont déshonoré eux-mêmes leur propre corps ». Voulant encore nous faire mieux sentir que cette iniquité n'est que le châtiment de l'iniquité, il ajoute : « Ils ont mis le mensonge à la place de la vérité de Dieu et rendu à la créature l'adoration et le culte souverain, au lieu de le rendre au Créateur qui est béni dans tous les siècles. Amen. C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions honteuses ». Telle est la vengeance de Dieu, et il en jaillit aussitôt des péchés plus nombreux et plus graves.« Car les femmes, parmi eux, ont changé l'usage qui est selon la nature, en un autre qui est contre la nature. Les hommes de même, rejetant l'union des deux sexes, qui est selon la nature, ont été embrasés d'un désir brutal les uns envers les autres, l'homme commettant avec l'homme des crimes infâmes ».

Enfin, voulant montrer que ces péchés ne sont que le châtiment d'autres péchés, l'Apôtre ajoute : « C'est ainsi qu'ils reçoivent en eux-mêmes la juste peine qui est due à leur erreur ». Or, voyez combien de fois cette vengeance se renouvelle et combien elle est féconde pour enfanter l'iniquité. « Comme ils n'ont pas fait usage de la connaissance qu'ils avaient de Dieu, Dieu aussi les a livrés à un sens dépravé, en sorte qu'ils ont fait des actions indignes. Remplis de toutes sortes d'injustices, de méchanceté, de fornication, d'avarice, de malignité, ils ont été envieux, meurtriers, querelleurs, a trompeurs; ils ont été remplis d'injustice, semeurs de faux rapports, calomniateurs, ennemis de Dieu, outrageux, superbes, altiers, inventeurs de crimes, désobéissants à leurs pères et à leurs mères, sans prudente, sans modestie, sans affection, sans foi, sans miséricorde (1) ». Après cela que

 

1. Rom. I, 21-31.

 

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notre auteur ose s'écrier : « Il n'a pu se faire que pour le châtiment de son péché, le pécheur se trouve entraîné à d'autres péchés ».

 

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CHAPITRE XXIII. DIEU N'ABANDONNE QUE CEUX QUI MÉRITENT D'ÊTRE ABANDONNÉS. NOUS NOUS SUFFISONS A NOUS-MÊMES POUR PÉCHER.

 

25. Notre auteur me répondra peut-être que ce n'est pas Dieu qui pousse les pécheurs à ces crimes, et qu'il lui suffit d'abandonner ceux qui sont dignes de l'être. Si ce sont là ses propres convictions, je les approuve; car du moment que ces pécheurs sont privés des lumières de la justice, et par là même plongés dans les ténèbres, que peuvent-ils produire autre chose que ces oeuvres de ténèbres que je viens de rappeler, jusqu'à ce que cette parole leur soit adressée et soit entendue par eux : « Vous qui dormez, levez-vous et sortez d’entre les morts, et le Christ vous éclairera (1) ? » La vérité les regarde comme étant déjà morts, et de là cette parole: « Laissez les morts ensevelir leurs morts (2) ». Et ceux que la vérité regarde comme morts, notre auteur soutient qu'ils ne peuvent être ni blessés ni viciés par le péché, parce qu'il a appris que le péché n'est point une substance. Personne ne lui dit : « que l'homme est ainsi fait qu'il peut passer de la justice au péché, mais qu'il ne peut du péché retourner à la justice ». Nous disons seulement que pour pécher il lui suffit de son libre arbitre, qui devient ainsi le principe de toutes ses souillures, tandis que pour revenir à la justice, il a besoin d'un médecin, car il est malade, et d’un vivificateur, car il est mort. Or, sur cette grâce, notre adversaire garde le plus fond silence, prétendant sans doute que pécheur peut se guérir par sa propre volé, puisqu'elle a suffi toute seule pour le souiller.

Nous ne lui disons pas « que la mort du corps est un péché », car elle n'en est que le  châtiment; mourir corporellement ne saurait être un péché. Au contraire, la mort de l’âme c'est le péché, car en péchant, l'âme est séparée de sa vie, c'est-à-dire de Dieu ; et si elle ne peut faire que des oeuvres mortes, jusqu'à ce qu'elle revive par la grâce de Jésus-Christ. Nous. sommes loin de dire que :

 

1. Ephés. V, 14.— 2. Matth, VIII, 22.

 

 « La faim, la soif et les autres infirmités corporelles nous entraînent dans la nécessité de pécher ». Nous ne voyons dans tout cela que des épreuves pour la vie des justes et des occasions ménagées par la providence pour donner à la vertu plus d'éclat et lui faire mériter une plus belle récompense. Mais pour supporter patiemment et saintement ces épreuves, l'âme a besoin d'être aidée par la grâce de Dieu, par l'esprit de Dieu, par la miséricorde de Dieu ; au lieu de s'élever dans l'orgueil de sa volonté, c'est dans l'humble confession de sa faiblesse qu'elle trouve la force et le courage. Ne sait-elle pas dire à Dieu : « Vous êtes ma patience (1) ? » Or, je ne sais pourquoi cette grâce, ce secours et cette miséricorde sans laquelle il n'y a pas de justice possible, sont l'objet du silence le plus absolu de la part de notre auteur. Il va plus loin encore, car en nous présentant la nature comme suffisante pour produire la justice par le seul concours de la volonté, il détruit évidemment toute l'économie de la grâce de Jésus-Christ, en dehors de laquelle il n'y a plus de justice possible. D'un autre côté, après l'absolution du péché par la grâce et après notre justification, nous restons soumis à la mort corporelle, quoique cette mort ne soit que la conséquence du péché. Mais je crois avoir, selon mes forces, résolu suffisamment cette question dans les livres que j'ai adressés à Marcellin de sainte mémoire (2) .

 

 

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CHAPITRE XXIV. JÉSUS-CHRIST EST MORT LIBREMENT, DIEU SAIT TIRER LE BIEN DU MAL.

 

26. L'auteur nous objecte que « Jésus-Christ a pu mourir quoiqu'il fût exempt de tout péché». Ne pouvons-nous pas dire de sa naissance qu'elle est due à la puissance de sa miséricorde, et non pas à la condition de la nature? De même il est mort par sa propre puissance, et sa mort a été le prix de notre rachat. Cela seul, du reste, suffit pour les convaincre d'erreur quand ils exaltent la nature humaine au point de soutenir que le prix de la mort de Jésus-Christ n'est nullement nécessaire au libre arbitre pour s'arracher à la puissance des ténèbres et mériter le royaume éternel. Cependant, à l'approche

 

1. Ps. LXX, 5.— 2. Du Mérite et de ta Rémission des péchés, liv. II, n. 49-56.

 

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de sa passion, le Sauveur s'écriait : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi » ; c'est-à-dire aucun péché qui lui donne sur moi le moindre droit de me faire mourir. « Mais afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d'ici (1) » ; c'est bien comme s'il leur eût dit: de meurs; non point que j'y sois contraint par le péché, mais parce que je veux avant tout obéir.

27. L'auteur soutient « que le mal ne saurait être la cause d'aucun bien». Le châtiment est un mal, et néanmoins il est pour beaucoup la cause de leur conversion. Il est donc des maux qui deviennent utiles par l'ineffable miséricorde de Dieu. Etait-ce de quelque bien que le Psalmiste parlait quand il s'écriait: « Vous avez détourné de moi votre face et j'ai été confondu ? » Il était dans l'affliction, mais cette affliction fut pour lui un puissant remède contre l'orgueil. Quand il était dans l'abondance, il avait dit : « damais quoi « que ce soit ne pourra m'ébranler ». Et il s'attribuait ainsi ce qu'il ne tenait que de Dieu. Car ce qu'il possédait, ne l'avait-il pas reçu' ? Il fallait donc lui montrer de quelle source unique il pouvait attendre le remède, afin qu'il reçût dans l'humilité ce qu'il avait perdu par son orgueil. Aussi l'entendons-nous s'écrier: « Seigneur, vous avez donné la force à ma beauté ». Pourtant je disais dans mon abondance: « Je ne serai point ébranlé », quand ce bienfait ne venait que de vous et non pas de moi. Enfin « vous avez détourné de moi votre face, et j'ai été confondu (3) ».

 

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CHAPITRE XXV. HABILETÉ DES HÉRÉTIQUES.

 

28. Ces sentiments ne sont point goûtés par un esprit orgueilleux, mais le Seigneur est grand, et il sait les inspirer quand il lui plaît. En face d'une erreur, nous sommes plus portés à chercher la réfutation, qu'à com. prendre de quel prix il est pour nous de ne, pas tomber dans l'erreur. Aussi je suis persuadé qu'en face des hérétiques nous aurons moins besoin de discuter que de prier pour eux et pour nous. Par exemple, jamais nous n'avons tenu ce langage que pourtant il nous reproche : « Le péché a été nécessaire pour donner libre cours à la miséricorde de

 

1. Jean, XIV, 30, 31.— 2. I Cor. IV, 7.— 3. Ps. XXIX, 7, 8.

 

Dieu » . Plût à Dieu que cet abîme de misère n'eût jamais existé et n'eût pas rendu cette miséricorde nécessaire ! Mais comme le péché avait revêtu un caractère d'iniquité d'autant plus grande qu'il était plus facile à l'homme de ne pas pécher puisqu'il n'avait pas encore perdu sa force, il dut être puni dans la même proportion. Il devait ressentir en lui-même le contre-coup de son péché en perdant cet empire sur son corps qu'il ne tenait que de Dieu et dont il avait refusé de faire hommage à Dieu. Aujourd'hui nous naissons sous cette loi du péché, et cette loi, dans nos membres, lutte contre la loi de l'esprit (1); gardons-nous cependant de murmurer contra Dieu, et de discuter contre un fait d'une telle évidence; contre ce châtiment, qu'il nous suffise de chercher et d'implorer la miséricorde de Dieu.

 

 

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CHAPITRE XXVI. COMPARAISON FAISANT SENTIR LA NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE.

 

29. Pesez attentivement ces paroles de notre Auteur : « Quand il est nécessaire, Dieu ne refuse pas de faire miséricorde à l'homme, parce qu'il est nécessaire de venir au secours de l'homme après son péché, et non point parce que Dieu a désiré la cause de cette nécessité ». Ne voyez-vous pas que s'il ad. met la nécessité de la miséricorde de Dieu, ce n'est point afin que nous ne péchions pas, mais parce que nous avons péché? Il ajoute: « Le médecin doit être prêt à guérir celui qui est blessé, mais il ne doit point désirer que celui qui est sain reçoive quelque blessure ».

Si cette comparaison peut s'appliquer à la matière que nous traitons, il en résulte évidemment que la nature humaine n'a pu être blessée par le péché, puisque le péché n'est pas une substance. De même, par exemple, que celui qui boîte à cause d'une blessure, se fait soigner pour que la guérison de celle blessure lui rende une marche régulière; de même, en guérissant nos maux, le Médecin céleste n'a pas seulement en vue de détruire ces maux, mais encore de nous faire marcher droit dans le chemin de la vertu; or, cette marche n'est possible, même aux justes, que par le secours de Dieu.

 

1. Rom. VII, 23.

 

 

Quand un médecin ordinaire a guéri un homme, il s'en remet pour le reste à la Providence, de qui seule le malade peut attendre sa sustentation par les éléments et par la nourriture corporelle, toutes choses nécessaires à l'affermissement et à la conservation de la santé et qui ne peuvent venir que de Dieu aussi bien que les remèdes employés pour refouler la maladie. En effet, si le médecin soigne et guérit, ce n'est point avec des médicaments qu'il crée lui-même ; car les substances qui composent ces médicaments sont l'oeuvre de Celui qui crée tout ce qui est nécessaire à ceux qui sont en santé et à ceux qui sont malades.

D'un autre côté, ce Dieu qui, par Jésus-Christ médiateur de Dieu et des hommes, guérit spirituellement les malades et ressuscite les morts, c'est-à-dire justifie les pécheurs, ne nous abandonne pas si nous ne l'avons pas abandonné nous-mêmes, et après nous avoir ramenés à une santé parfaite, c'est-à-dire à la vie parfaite et à la justice, il est toujours là pour nous aider à vivre dans la piété et dans la justice. En effet, de même que l'oeil le plus sain ne peut distinguer les objets qu'autant qu'il est plongé dans la lumière, de même l'homme pleinement justifié, ne peut vivre dans cette justice qu'autant qu'il est aidé divinement par l'éternelle lumière de la justice. Dieu nous guérit donc, non pas seulement en ce sens qu'il efface les péchés que nous avons commis, mais en ce sens encore qu'il nous fournit les moyens de ne pas pécher

 

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CHAPITRE XXVII. LE MODE DE NOTRE GUÉRISON NE DÉPEND QUE DU CÉLESTE MÉDECIN.

 

30. L'auteur déploie toute son habileté et s’ingénie de toute manière pour réfuter ce raisonnement qui lui est posé : « Pour ôter à l'homme toute occasion de s'enorgueillir, il était nécessaire de lui faire sentir qu'il ne peut être sans péché ». Et voici que notre adversaire regarde comme « une absurdité et une folie que le péché devienne un remède au péché, puisque l'orgueil est lui-même lui péché ». Mais ne plonge-t-on pas le scalpel dans une plaie, ne fait-on pas des incisions dans une blessure , afin d'enlever la douleur par la douleur? Si jamais nous n'avions éprouvé ce genre d'opérations, et si  nous en avions entendu parler dans des pays où choses semblables ne seraient jamais arrivées, n'aurions-nous pas souri de mépris et répondu par ces paroles : C'est une absurdité de prétendre que la douleur soit nécessaire pour détruire la douleur que cause un ulcère ?

31. « Mais Dieu », disent-ils, « peut tout guérir ». Et en effet, Dieu agit en vue de tout guérir, mais il agit conformément à ses propres desseins, et ce n'est pas au malade à lui tracer l'ordre de la guérison. Le Seigneur voulait assurément affermir son Apôtre, et cependant il lui dit : « La force se perfectionne dans la faiblesse » ; de plus, malgré les fréquentes prières de cet Apôtre, il ne lui enlève pas je ne sais quel aiguillon de la chair que Paul avoue lui avoir été donné dans la crainte qu'il ne trouvât dans la grandeur de ses révélations l'occasion de s'enorgueillir (1). Les autres vices se nourrissent de mauvaises actions, l'orgueil seul est à craindre jusque dans les oeuvres les plus parfaites. Aussi les justes sont-ils fréquemment avertis de ne pas s'attribuer à eux-mêmes ce qui ne leur vient que de Dieu, car autrement ils pécheraient plus gravement que ceux-là mêmes qui ne font aucun bien et auxquels il est dit : « Faites votre salut avec crainte et tremblement; car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir (2) ».

Si c'est Dieu qui opère en nous, pourquoi n'est-ce pas avec sécurité, plutôt qu'avec crainte et tremblement ? Mais le bien ne peut se faire sans notre propre volonté ; or il est à craindre que celui qui fait le bien ne s'en attribue à lui seul le mérite et ne dise dans son abondance : « Je ne serai jamais ébranlé ». Autrement celui qui, dans sa volonté, avait ajouté la force à la beauté , détournerait peu à peu sa face, ce qui jetterait dans le trouble l'orgueilleux qui aurait tenu ce langage ; cette tumeur de l'orgueil ne peut se guérir sans douleur.

 

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CHAPITRE XXVIII. DIEU NOUS ABANDONNE QUELQUEFOIS POUR NOUS SOUSTRAIRE A L'ORGUEIL.

 

32. II n'est pas dit à l'homme: « Il est nécessaire que vous péchiez pour que vous ne péchiez pas ». Mais nous lui disons : Dieu vous

 

1. II Cor. XII, 7, 9.— 2. Philip. II, 12,13.

 

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abandonne quelquefois pour punir votre orgueil, afin que vous sachiez que le bien dont vous vous enorgueillissez ne vient pas de vous et que vous appreniez à vous défier de l'orgueil. Ecoutons une de ces paroles de l'Apôtre, à laquelle il serait très-difficile de croire si ce n'était pas un crime de ne pas croire à sa parole inspirée. Nous savons tous que Satan a été pour le genre humain la première séduction au péché (1) et le premier auteur de tous les péchés. Et cependant quelques-uns sont livrés à Satan afin qu'ils apprennent à ne pas blasphémer (2). Comment donc l'œuvre de Satan est-elle repoussée par l’oeuvre de Satan? Que notre auteur pèse attentivement ces considérations, de crainte qu'elles ne lui paraissent trop relevées et qu'un examen superficiel ne lui laisse entrevoir que des obscurités.

Que prétend-il prouver par ces comparaisons dans lesquelles il devrait voir qu'il fournit lui-même la réponse à toutes ses objections? « Que dirai-je encore » , s'écrie-t-il , « à moins que je n'ajoute qu'il n'est pas plus difficile de croire que le feu est éteint par le feu que de croire que le péché se guérit par le péché ? » Lors même qu'on ne pourrait pas éteindre le feu par le feu, s'ensuivrait- il , comme je l'ai dit, que la douleur ne peut pas se guérir par la douleur ? Qu'il prenne la peine de l'examiner, et il verra que le poison se détruit par le poison. Et s'il remarque que le feu de la fièvre est éteint quelquefois par le feu des remèdes, avouera-t-il que le feu peut s'éteindre par le feu ?

 

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CHAPITRE XXIX. TOUT PÉCHÉ N'EST PAS UN PÉCHÉ D'ORGUEIL.

 

33. « Comment donc », dit-il, « séparerons« nous du péché l'orgueil lui-même?» Et quelle nécessité de le séparer, puisqu'il est évident que l’orgueil lui-même est un péché ? « De même », dit-il, « que tout péché est un acte d'orgueil, de même tout acte d'orgueil est un péché. En effet, demandez-vous ce qu'est le  péché, et voyez si vous trouverez quelque péché qui ne soit pas avant tout inspiré par l'orgueil ». Voici maintenant les preuves sur lesquelles il appuie sa proposition « Tout péché, si je ne me trompe, est un, mépris de Dieu, et tout mépris de Dieu est de l'orgueil. Car se peut-il quelque chose de

 

1. Gen. III, 1-6. — 2. I Tim. I, 20.

 

plus orgueilleux que de mépriser Dieu ?Tout péché est donc de l'orgueil, selon cette parole de l'Ecriture : L'orgueil est le commencement de tout péché ».

Or, j'invite notre auteur à examiner sérieusement la question, et il trouvera une différente profonde entre les autres péchés et le péché d'orgueil. En effet, beaucoup de péchés se commettent par orgueil , mais tous les péchés ne sont pas pour cela des actes d'orgueil; les uns n'ont-ils pas pour cause l'ignorance, et les autres la faiblesse ? Combien sont commis par des personnes plongées dans les gémissements et dans les larmes? De son côté, l'orgueil est par lui-même un péché, indépendamment de tout autre motif ; et, comme je rai déjà dit, il sait se glisser non pas seulement dans les péchés, mais même dans des actions très-bonnes d'ailleurs. Ceci, du reste, n'ôte rien à la vérité de cet oracle divin: « L'orgueil est le commencement ou le principe de tout péché» ; car c'est lui qui a précipité dans l'abîme le démon, cause première du péché de l'homme et qui, jaloux de l'innocence de l'homme, lui a tendu le piège dans lequel il était tombé lui-même. N'est-ce point à la porte de l'orgueil que le serpent venait frapper quand il s'écriait : « Vous serez comme des dieux (1) ? » De là ces autres paroles : « L'orgueil est le commencement de tout péché; le commencement de l'orgueil pour l'homme, c'est de se séparer du Seigneur (2) ».

 

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CHAPITRE XXX. COMMENT LE PÉCHÉ EST L'OEUVRE PERSONNELLE DE L'HOMME.

 

34. Mais que signifient ces paroles de notre auteur : « Comment donc l'homme peut-il accepter devant Dieu la responsabilité d'un péché qu'il sait n'avoir pas commis personnellement ? En effet, si vous regardez ce péché comme nécessaire, comment pouvez-vous le lui attribuer? Un péché n'est nôtre que quand il est volontaire, et s'il est volontaire il peut être évité ». A cela nous répondons : Le péché est l'oeuvre propre du pécheur, mais le vice qui en est la source n'est pas encore parfaitement guéri. Supposez ensuite que nous fassions un mauvais usage de notre santé spirituelle, bientôt ce vice prend de grands développements, et de là une multitude

 

1. Gen. III, 5.— 2. Eccli. X, 15, 14.

 

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de péchés qui viennent de la faiblesse ou de l'aveuglement. La seule chose à faire, c'est d'implorer sa guérison et une santé qui ne défaille plus. Mais qu'il se mette en garde contre l'orgueil qui lui ferait croire que sa guérison et sa maladie découlent du même principe.

 

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CHAPITRE XXXI. POURQUOI DIEU NE NOUS GUÉRIT-IL PAS IMMÉDIATEMENT DE L'ORGUEIL?

 

35. En parlant ainsi, je ne veux que faire mieux ressortir la profonde ignorance où je suis des décrets éternels de Dieu, et en particulier de la raison pour laquelle le Seigneur ne guérit pas immédiatement cet orgueil qui tend à se glisser jusque dans nos meilleures actions. La guérison de ce vice lui est demandée par les âmes pieuses avec des larmes amères et de longs gémissements; elles le conjurant sans cesse de leur offrir sa main puissante pour vaincre cet orgueil et en quelque sorte pour le fouler aux pieds et pour l’anéantir. Qu'un homme se réjouisse d'une bonne action qu'il vient d'accomplir et dans laquelle il croit avoir vaincu l'orgueil, aussitôt et du sein de cette joie l'orgueil se lève et dit: Je vis encore, pourquoi ce triomphe de la part? Car je vis précisément parce que tu triomphes. Sans doute ce serait une grande joie pour nous de pouvoir avant le temps triompher de l'orgueil vaincu, quoique nous sachions bien que son ombre planera sur nous jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le plein midi. C'est ce midi qui nous est promis par la sainte Ecriture : « Il fera éclater notre justice comme la lumière ; il fera briller notre innocence comme le midi », pourvu que se réalise cette autre parole : « Placez vos voies dans le Seigneur, espérez en lui, il agira lui-même (1)».

Est-ce ainsi qu'en jugent ceux qui se croient le pouvoir d'agir par eux-mêmes? « Dieu agira lui-même » ; à qui s'adressaient ces paroles, si ce n'est pas à ceux qui disent : C’est nous qui agissons, c'est-à-dire nous nous justifions nous-mêmes. Sans doute nous ne restons pas sans agir, mais nous ne faisons que coopérer à l'action de Dieu qui nous prévient par sa miséricorde. Or, il nous prévient afin que nous soyons guéris et afin qu'étant guéris nous prenions de la force; il nous

 

1. Ps. XXXVI, 6, 5.

 

prévient afin que nous soyons appelés et qu'étant appelés nous soyons glorifiés; il nous prévient afin que nous vivions pieusement et que, vivant pieusement, nous vivions éternellement avec lui; car sans lui nous ne pouvons rien faire (1). Ne lisons-nous pas : « Le Seigneur mon Dieu, sa miséricorde me préviendra (2)»;«Votre miséricorde m'accompagnera tous les jours de ma vie (3) » . Faisons-lui, donc l'humble confession de notre vie, et ne cherchons pas à nous justifier. Car si notre vie n'est pas la sienne, mais la nôtre, elle ne saurait être innocente. C'est pourquoi nous devons la lui révéler par un humble aveu, et n'oublions pas qu'elle lui est connue, lors même que nous essaierions de la lui cacher. Il est bon de se confesser au Seigneur (4).

 

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CHAPITRE XXXII. ÉVITONS L'ORGUEIL JUSQUE DANS NOS BONNES OEUVRES.

 

36. Le Seigneur nous donnera ce qui lui plaît, si ce qui lui déplaît en nous nous déplaît également. Que le Seigneur, dit la sainte Ecriture, détourne nos sentiers de sa voie (5) et qu'il fasse que sa voie devienne la nôtre; car c'est de lui que tout secours vient à ceux qui croient en lui et qui attendent de lui qu'il agisse lui-même. Telle est la voie juste, mais ignorée de ceux qui « ont le zèle de Dieu, mais un zèle qui n'est pas selon la science; car ne connaissant pas la justice qui vient de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu. En effet, Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (6) » qui a dit : « Je suis la voie (7) ». Alors même que nous marchons dans cette voie, Dieu ne laisse pas de nous effrayer par ses menaces, dans la crainte que nous ne présumions de nos propres forces. De là ce langage de l'Apôtre : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement; car c'est Dieu qui produit en vous la volonté et l'action, selon son « gré (8) ». De là aussi ces paroles du Psalmiste: « Servez le Seigneur avec crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement. Soumettez-vous à sa discipline, de a peur qu'il ne s'irrite, et que vous ne périssiez

 

1. Jean, XV, 5. — 2. Ps. LVIII, 11. — 3. Ps. XXII, 6.— 4. Ps. XCI,  2. — 5. Ps. XLIII, 19. — 6. Rom. X, 2-4. — 7. Jean, XIV, 6. —  8. Philip. II, 12, 13.

 

 

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dans votre voie quand sur vous sa colère s'allumera soudain ». En nous menaçant du courroux divin, le Prophète ne dit pas que le Seigneur refuserait de nous montrer la voie juste, ou de nous introduire dans la voie juste; l'oracle s'adresse à ceux qui marchent dans cette voie et leur dit à tous de craindre « de peur qu'ils ne périssent dans leur voie juste ».

Tout cela, comme je l'ai dit précédemment, prouve que l'orgueil est à craindre même dans les bonnes actions, c'est-à-dire dans la voie juste, de peur que l'homme ne vienne à s'attribuer ce qui ne lui vient que de Dieu, et ne perde ce qui lui vient ainsi de Dieu, ce qui le réduirait aux seules forces naturelles. Réalisons donc ce voeu que le Psalmiste formule en terminant : « Heureux tous ceux qui ont mis leur confiance dans le Seigneur (1) ». Demandons à Dieu qu'il agisse lui-même, qu'il nous découvre sa voie, «qu'il nous montre sa miséricorde ». Que celui à qui nous disons: « Donnez-nous votre salut (2) », nous donne lui-même ce salut afin que nous puissions marcher. Qu'il nous conduise dans cette voie, Celui à qui nous disons : « Seigneur, conduisez-moi dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité (3) ». Qu'il nous fasse parvenir au terme de cette voie, c'est-à-dire à la possession des promesses, Celui à qui nous disons : « C'est votre main qui m'y conduit, c'est votre droite qui m'y soutient (4)». Qu'il rassasie ceux. qui sont assis avec Abraham, Isaac et Jacob, Celui dont il est dit : « Il les fera asseoir, il passera, et les servira ». Si nous rappelons tous ces oracles, ce n'est pas pour exalter la puissance du libre arbitre, mais pour affirmer de nouveau le besoin et l'efficacité de la grâce. A qui tout cela peut-il être utile, si ce n'est à celui qui veut, mais qui veut humblement et qui, pour arriver à la perfection de la justice, croit à l'insuffisance de ses propres forces et à la nécessité absolue de la grâce?

 

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CHAPITRE XXXIII. L'HOMME, FUT-IL ABSOLUMENT SANS PÉCHÉ, NE SERAIT POINT ENCORE ÉGAL A DIEU.

 

37. Loin de nous de lui poser l'objection qu'il prétend lui être faite par d'autres : « En

 

1. Ps. II, 11-13.— 2. Ps. LXXXIV, 8.— 3. Ps, LXXXV, 11.— 4. Ps. CXXXVIII, 10.— 5. Luc, XII, 37.

 

affirmant que l'homme est sans péché, on l'assimile à Dieu ». L'Ange est assurément sans péché, et, cependant, nous nous gardons bien de l'égaler à Dieu. Je vais plus loin encore, et je dis qu'en nous supposant une justice tellement parfaite qu'on ne pourrait rien y ajouter, nous ne laisserions pas, comme créatures, d'être à une distance infinie du Créateur. S'il en est qui supposent que nous arriverons à un tel degré d'élévation, que nous serons changés en la substance de Dieu et que nous deviendrons ce qu'il est, je les prie de me donner les preuves de leur assertion; quant à moi, je proteste.

 

 

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CHAPITRE XXXIV. NOUS POUVONS DIRE EN TOUTE VÉRITÉ QUE NOUS NE SOMMES PAS SANS PÉCHÉ.

 

38. A ceux qui disent : « Ce que vous affirmez paraît raisonnable, mais c'est par orgueil que l'on prétend que l'homme peut être sans péché », notre auteur adresse cette réponse à laquelle j'applaudis : Il n'y a pas d'orgueil à affirmer ce qui est absolument vrai. Il ajoute, avec autant d'esprit que de vérité : « De quel côté placerez-vous l'humilité ? Sans aucun doute, du côté du mensonge, si l'orgueil se trouve avec la vérité ?» Il conclut, et avec raison, que l'humilité se trouve du côté de la vérité et non pas du côté du mensonge. Il suit de là que ces paroles : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous », sont l'expression de la plus haute vérité; car pourrait-on .croire que l'humilité eût inventé un semblable mensonge? L'Apôtre pourrait se contenter de dire : « Nous nous trompons nous-mêmes »; si donc il ajoute: « Et la vérité n'est pas en nous », n'est-ce point parce qu'il pensait qu'il y aurait des hommes qui, dans ces mots : « Nous nous trompons nous-mêmes », ne verraient qu'une allusion à ceux qui mettent une certaine complaisance dans le bien véritable qu'ils accomplissent? En ajoutant : « Et la vérité n'est pas en nous », l'Apôtre montre clairement, et notre auteur professe avec raison cette vérité, que personne n'a le droit de dire qu'il est sans péché. Autrement l'humilité se trouverait du côté du mensonge et perdrait par

 

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là même tout droit à la récompense de la vérité.

39. En exagérant les forces de la nature, notre auteur se flatte de défendre la cause même de Dieu; il ne voit pas qu'en soutenant de la nature qu'elle est parfaitement saine, il repousse la miséricorde du médecin. En effet, celui qui est notre Créateur est en même temps notre Rédempteur. Ainsi donc, en louant le Créateur, prenons garde de nous mettre dans la nécessité logique de conclure ou de paraître conclure que l'oeuvre de la Rédemption est absolument superflue. Faisons de la nature humaine les plus grands éloges, et que ces éloges tournent à la gloire du Créateur; mais si nous sommes reconnaissants de la création, ne soyons pas ingrats pour notre rédemption. Les vices dont nous obtenons la guérison par Jésus-Christ, nous devons les attribuer, non point à l'oeuvre divine, mais à notre volonté humaine et aux justes châtiments que méritent nos péchés; mais si nous avouons qu'il était primitivement en notre pouvoir de nous exempter de ces vices, convenons, aujourd'hui, que la guérison de ces mêmes vices est plutôt l'oeuvre de la divine miséricorde que de notre propre volonté. Or, l'auteur que nous combattons, quand on lui parle de la miséricorde et du secours médicinal du Sauveur, les fait consister dans le pardon des péchés passés, et non pas dans le secours pour éviter le péché dans l'avenir. C'est là une erreur des plus pernicieuses; sans le savoir, peut-être, il nous défend de veiller et de prier, afin que nous n'entrions pas en tentation ; car il soutient que nous avons plein pouvoir par nous-mêmes de résister partout et toujours à cette tentation.

 

 

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CHAPITRE XXXV. POURQUOI CERTAINS PÉCHÉS NOUS SONT-ILS RAPPORTÉS PAR L'HISTOIRE

 

40. « Si les Ecritures », dit-il, « et c'est a avec raison, nous transmettent le souvenir a de certains péchés, ce n'est assurément pas a dans le but de nous jeter dans le désespoir de ne pas pécher, ou de nous établir dans a une sorte de sécurité quand nous péchons ». Dans ce récit nous ne devons apprendre qu'une chose, à nous humilier dans la pénitence, ou à ne pas désespérer de notre salut alors même que nous serions tombés dans de semblables péchés. Enfin, la damnation de certains hommes vient moins de leurs péchés que du désespoir dont ils sont saisis; car sous le coup de ce désespoir, non-seulement ils négligent une pénitence qui les sauverait, mais ils se font les aveugles esclaves de leurs passions honteuses et de leurs désirs criminels; on dirait que, pour eux refuser quelque chose à leurs passions ce serait autant de perdu, puisqu'ils n'ont désormais à attendre que leur condamnation. Comme remède à une maladie aussi dangereuse, on ne saurait trop citer à ces malheureux les péchés commis pas des hommes qui sont devenus plus tard des justes et des saints.

41. La question suivante de notre auteur ne manque pas d'un certain esprit : « Dans quel état étaient ces saints au moment de leur mort? étaient-ils coupables, ou sans péché? » Si l'on répondait qu'ils sont morts dans le péché, on en conclurait, ce qui serait un crime, que ces saints sont damnés. Si l'on répond qu'ils sont morts sans péché, il demandera que l'on prouve que tel homme, du moins à l'approche de la mort, a été, pendant cette vie, quelque temps sans péché. Malgré son esprit, il oublie que ce n'est pas en vain que les justes eux-mêmes s'écrient dans la prière : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »; il oublie cette explication, donnée par le Sauveur, de la prière qu'il venait d'enseigner : « Car si vous pardonnez les péchés de vos frères contre vous, votre Père vous pardonnera également vos péchés contre lui ». Cette demande de l'oraison dominicale est comme un encens spirituel et quotidien que nous offrons à Dieu sur l'autel de notre coeur; dès lors, quoique nous ne vivions pas ici-bas sans péché, en vertu de cette prière, nous pouvons mourir sans péché, pourvu que nous obtenions sans cesse le pardon des fautes que nous commettons par ignorance ou par faiblesse.

 

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CHAPITRE XXXVI. LA SAINTE VIERGE MARIE A VÉCU SANS PÉCHÉ.

 

42. Notre auteur énumère ensuite ceux « qui nous sont présentés, non-seulement « comme n'ayant pas péché, mais comme ayant vécu dans la justice, Abel, Enoch, Melchisédech, Abraham, Isaac, Jacob, Josué, (202) Phinées, Samuel, Nathan, Elie, Joseph, Elisée, Michée, Daniel, Ananie, Azarias, Misaël, Ezéchiel, Mardochée, Siméon, Joseph, époux de la vierge Marie, Jean ». Il y ajoute aussi certaines femmes: « Debbora, Anne, mère de Samuel, Judith, Esther, une autre Anne, fille de Phanuel, Elisabeth et la Mère de notre Sauveur, de laquelle, dit-il, il est nécessaire d'avouer qu'elle a été sans péché ». Ainsi donc, à l'exception de la sainte Vierge Marie, dont il ne saurait être question quand je traite du péché et dont je ne saurais mettre en doute la parfaite innocence, sans porter atteinte à l'honneur de Dieu ; car celle qui a mérité de concevoir et d'enfanter l'innocence même, le Verbe incarné, pouvait-elle ne pas recevoir toutes les grâces par lesquelles elle serait victorieuse de tout péché quel qu'il fût? Je dis donc qu'en mettant hors de cause la Vierge Marie, si nous pouvions rassembler tous les saints et toutes les saintes pendant qu'ils vivaient sur la terre, et leur demander s'ils étaient ici-bas sans péché, quelle, pensons-nous, serait la réponse ? Serait-ce celle de notre auteur, ou celle de l'apôtre saint Jean?

Je vous le demande, quelle qu'ait été l'excellence de leur sainteté sur la terre, si on avait pu les interroger, n'auraient-ils pas répondu d'une voix unanime: « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous ? » Et cette réponse eût-elle été plus humble qu'elle n'était vraie? Mais notre auteur l'a dit, et avec raison, on ne saurait faire l'éloge de l'humilité en la plaçant du côté du mensonge ». Si donc leur réponse était vraie, il est certain qu'ils n'étaient pas sans péché, et comme ils l'avouaient humblement, la vérité était en eux; supposé qu'ils eussent menti, ils n'en auraient été que plus coupables puisque la vérité n'aurait point été en eux.

 

 

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CHAPITRE XXXVII. POURQUOI L'ÉCRITURE N'A-T-ELLE PAS ÉNUMÉRÉ LES PÉCHÉS DE TOUS LES HOMMES?

 

43. « Mais, ajoute l'auteur, mes adversaires me diront peut-être: Est-ce que l'Écriture a pu énumérer les péchés de tous les hommes ? » Quels que soient ces adversaires, leur question est parfaitement fondée, et je ne vois pas que l'auteur ait répondu d'une manière péremptoire, quoique je voie clairement qu'il n'a pas voulu se taire. Écoutez sa réponse: « Cela peut être dit légitimement de ceux, bons ou parfaits, dont l'Écriture n'a pas fait mention. Quant à ceux qu'elle nous présente comme justes, elle eût sans aucun doute mentionné leurs péchés, si péchés ils avaient eus ». Dans ce cas, il ne lui reste plus qu'à soutenir que la justice n'avait rien à voir dans cette foi si vive de la multitude qui assistait à l'entrée triomphale du Sauveur à Jérusalem et qui, sans s'inquiéter des frémissements et des murmures des ennemis de Jésus-Christ, criaient de toutes leurs voix : « Hosanna au Fils de David ! béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (1) ! ». Qu'il ose dire également que dans cette foule immense il n'y avait pas un seul homme qui fût coupable de péché. Si cette dernière hypothèse est une grossière absurdité , pourquoi l'Écriture n'énumère-t-elle pas les péchés de cette foule comme elle en exalte la foi pleine d'enthousiasme et de spontanéité ?

44. Notre auteur, sans doute, pressentait la valeur de cette réponse; car il ajoute aussitôt: «Admettons, si l'on veut, que dans la suite des siècles la foule des hommes était si grande qu'il eût été impossible d'énumérer les péchés de tous dans la sainte Écriture; toujours est-il qu'à l'origine du monde, alors que le genre humain ne se composait encore que de quatre personnes, l'énumération de tous leurs péchés était possible ; pourquoi donc l'Écriture a-t-elle refusé de la faire? Est-ce à cause de la multitude, qui n'existait pas encore? Ou bien s'est-elle contentée de signaler les péchés de ceux qui en avaient commis, tandis qu'elle a dû garder le silence sur celui qui n'en avait pas commis ? » Sa pensée se développe et se complète dans ce qui suit: « Il n'y a », dit-il, « que quatre personnages qui nous apparaissent à l'origine de l'histoire, Adam et Eve, et leurs enfants, Caïn et Abel ; Eve a péché, l'Écriture nous rapporte son crime; Adam a péché aussi, sa faute nous est signalée (2); Caïn se rend coupable, l'Écriture nous l'atteste également (3); et non-seulement ces péchés sont mentionnés, mais ils sont encore caractérisés dans leur gravité. Si Abel eût péché, l'Écriture nous l'aurait dit; elle se tait sur ce point; donc Abel n'a pas péché, et l'Écriture nous le dépeint comme un juste. Croyons

 

1. Matth. XXI, 9. — 2. Gen. III. — 3. Id. IV.

 

203

 

donc ce que nous lisons, et regardons comme un crime d'affirmer ce que nous n'avons pas lu ».

 

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CHAPITRE XXXVIII. LES PÉCHÉS DES JUSTES.

 

45. En prononçant ces paroles, l'auteur oubliait sans doute ce qu'il avait dit un peu plus haut : « Quand le genre humain se fut multiplié, le nombre des péchés devint si grand, qu'il eût été impossible à l'Ecriture de les mentionner tous ». Avec un peu plus d'attention il aurait vu que dans un seul homme les péchés légers deviennent si nombreux que l'Ecriture n'aurait pu, ou, l'eût-elle pu, elle n'a pas dû les énumérer tous. Il fallait une limite à cette énumération, et d'ailleurs quelques exemples suffisaient parfaitement pour donner au lecteur les enseignements nécessaires. A l'origine du monde les hommes n'étaient pas encore nombreux, et cependant l’Ecriture ne juge pas nécessaire de nous donner en détail le nom des fils et des filles qu'eurent Adam et Eve. C'est ce qui nous explique comment des hommes qui ne se rendaient pas compte du silence des Ecritures, en sont venus à croire que Caïn avait connu sa propre mère puisqu'il n'avait pas de soeurs. Pourquoi donc ne pas continuer la lecture du texte sacré? Ils y auraient vu qu'Adam engendra des fils et des filles, quoiqu'il ne nous soit pas dit à quelle époque ils naquirent, quel était leur nombre et comment ils furent appelés (1). Faut-il s'étonner après cela que l'Ecriture ne nous dise pas si Abel, quoique juste, n'a pas quelquefois ri d'une manière un peu immodérée, s'il ne s'est pas un peu livré à la dissipation, s'il n'a pas jeté sur tel objet .un regard de convoitise s'il n'a pas mangé avec trop d'empressement ou de satisfaction, s'il n'a pas eu quelques distractions dans ses prières, en un mot s'il n'a pas commis plus ou moins fréquemment ces fautes ou autres semblables.

Toutes ces négligences ne sont-elles pas des péchés, et l'Apôtre ne nous invitait-il pas à les combattre et à les réprimer, quand il disait « Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel, et n'obéissez pas à ses désirs (2)? » Or, pour résister à ces mouvements illicites ou inconvenants, il faut soutenir une lutte quotidienne et perpétuelle. En vertu de cette convoitise vicieuse, l'oeil se lève ou s'abaisse sur

 

1. Gen. V, 4. — 2. Rom. VI, 12.

 

ce qui lui est défendu; laissez cette convoitise se développer et prévaloir, bientôt le corps lui-même commettra l'adultère qui s'était formé dans le cœur aussi rapidement que la pensée. Ceux qui, s'armant contre ce péché, c'est-à-dire contre ce mouvement d'une affection vicieuse, sont parvenus à le dompter en grande partie, à ne point obéir à ses désirs, à ne pas faire de leurs membres des armes d'iniquité, nous les appelons justes, et ils méritent cette dénomination à laquelle pourtant ils ne seraient jamais parvenus sans la grâce de Dieu.

D'un autre côté, il arrive souvent à ces justes eux-mêmes de pécher soit par légèreté, soit par imprudence; ils sont justes néanmoins, et cependant ils ne sont pas sans péché. Enfin s'agit-il du juste Abel lui-même, il est certain que la charité divine, par laquelle seule nous sommes constitués dans la justice, n'avait pas atteint en lui un degré tel qu'elle ne pût et ne dût encore s'augmenter; par conséquent il lui manquait encore quelque chose, et ce manque lui-même était un vice. Et à qui donc ne manque-t-il pas quelque chose, jusqu'à ce que nous soyons arrivés à cette force divine dans laquelle disparaîtra toute la faiblesse humaine ?

 

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CHAPITRE XXXIX. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

46. Notre auteur conclut par cette grande maxime : « Croyons donc ce que nous lisons, et ce que nous ne lisons pas, regardons comme un crime de l'affirmer ». A cette affirmation, voici celle que j'oppose : Nous ne devons pas croire tout ce que nous lisons, comme le prouve cette parole de l'Apôtre : « Lisez tout, ne conservez que ce qui est bon (1) »; et ce n'est pas toujours un crime d'affirmer ce que nous n'avons pas lu. En effet, ce que nous avons éprouvé nous-mêmes, nous pouvons l'affirmer de bonne foi comme témoins, lors même que nous n'aurions trouvé nulle part l'occasion de le lire. L'auteur va sans doute me répondre: « En formulant ma proposition, j'entendais ne parler que des saintes Ecritures ». Plaise à Dieu qu'il n'affirme jamais, non pas ce qu'il a lu dans les saintes Ecritures, mais rien de contraire à ce qu'il y a lu ! Alors, en effet, il recueillerait avec

 

1. I Thess. V, 21.

 

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autant de fidélité que d'obéissance ces paroles si formelles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) ». S'il acceptait fidèlement cette parole, il cesserait d'affaiblir la grâce du suprême Médecin en refusant d'avouer la déchéance de la nature humaine. Plaise à Dieu qu'il lise, comme tout chrétien doit le faire, qu'en dehors de Jésus-Christ il n'est aucun nom sous le ciel par qui nous puissions trouver le salut (2) ! Il cesserait alors d'exalter la puissance de la nature humaine, jusqu'à soutenir que, par les seules forces de son libre arbitre, l'homme peut être sauvé sans la grâce dont ce nom est pour nous l'unique principe.

 

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CHAPITRE XL. EN QUOI PÉLAGE FAIT CONSISTER LA NÉCESSITÉ DE LA RÉDEMPTION OPÉRÉE PAR JÉSUS-CHRIST.

 

47. L'auteur pense peut-être que si le nom de Jésus-Christ nous est nécessaire, c'est afin que par l'Evangile nous apprenions comment nous devons vivre, mais nullement afin que nous trouvions dans sa grâce un moyen indispensable pour bien vivre. Qu'il avoue, du moins, le misérable état où nous jettent les ténèbres qui obscurcissent notre esprit, puisque nous connaissons le moyen de dompter les lions tandis que nous ignorons comment nous devons vivre. Pour avoir cette connaissance, suffit-il du libre arbitre et de la loi naturelle ? Ce serait alors cette sagesse de parole par laquelle est anéantie la croix de Jésus-Christ. Or, celui qui a dit : « Je perdrai la sagesse des sages »,  sachant bien que la croix de Jésus-Christ ne saurait être anéantie, détruit évidemment cette sagesse mondaine par la folie de cette prédication qui apporte la guérison avec la foi (3).

En effet, si, par les forces naturelles du libre arbitre, nous pouvons arriver à connaître comment nous devons vivre, et nous suffire pour bien vivre, « c'est donc en vain que « Jésus-Christ est mort a, et le scandale de la « croix n'a plus aucune ;raison d'être ». Pourquoi dès lors ne m'écrierais-je pas, pourquoi refuserais-je de leur adresser cette protestation d'une douleur chrétienne : Vous

 

1. Rom. V, 12. — 2. ACT. IV, 12. — 3. I Cor. I, 17, 19, 21. — 4. Gal. II, 21.

 

qui trouvez votre justification dans la nature, vous êtes rejetés par Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce (1) ; car ignorant la justice de Dieu et voulant établir la vôtre, vous ne vous êtes point soumis à la justice de Dieu. De même que Jésus-Christ, pour la justification de quiconque croit en lui, est la fin de la loi, de même il est le sauveur de la nature humaine viciée (2).

 

 

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CHAPITRE XLI. EXPLICATION DE QUELQUES PAROLES DE L'APÔTRE.

 

48. L'Apôtre avait dit d'une manière absolue : « Tous ont péché (3) », et il est clair qu'il « parlait de ceux qui existaient alors, c'est-à-dire des Juifs et des Gentils ». Il dit de même : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché » ; or il est manifeste que ces paroles s'appliquent à tous les hommes sans aucune distinction, aux anciens comme aux modernes, à nous et à nos descendants. Mais voici un autre témoignage dans lequel le mot « tous », également employé, n'est pas tellement exclusif qu'il ne puisse subir quelques exceptions : « Comme c'est par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, de même c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la  justification de la vie ». « Or », dit notre auteur, « il n'est pas douteux que la justice de Jésus-Christ ne sanctifie pas tous les hommes, mais uniquement ceux qui ont bien voulu lui obéir et qui ont été purifiés par le bain du Baptême ». Eh bien ! qu'il me permette de lui dire que ce passage ne lui suffit pas pour prouver ce qu'il avance. En effet, de même qu'on ne saurait admettre d'exception dans les paroles suivantes : « Comme c'est par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation », de même pourquoi en admettre dans ces autres paroles: « C'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie  (4)? » Ces paroles, sans doute, ne signifient pas que tous croient en Jésus-Christ et sont purifiés dans le bain du Baptême; mais elles affirment d'une manière absolue que personne n'est justifié s'il ne croit en Jésus

 

1. Gal. V, 11, 4. — 2. Rom. X, 3, 4. — 3. Id. III, 23. — 4. Id. V, 18.

 

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Christ et n'est purifié dans son Baptême. Ce mot « tous » est donc employé pour nous faire comprendre que personne ne peut être sauvé que par Jésus-Christ. Supposé qu'il n'y eût qu'un seul maître de belles-lettres dans une ville, nous serions parfaitement en droit de dire que ce maître enseigne à tous les belles lettres ; ce qui signifierait, non pas que tous les habitants apprennent les belles-lettres, mais seulement qu'il n'y a pour les apprendre que celui à qui ce maître les enseigne. De même disons-nous que personne n'est justifié si ce n'est celui que Jésus-Christ a justifié.

 

 

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CHAPITRE XLII. L'HOMME PEUT ETRE SANS PÉCHÉ, MAIS PAR LE SECOURS DE LA GRACE.

 

49. «Mais soit », dit l'auteur, «j'avouerai que l'Apôtre atteste que tous ont été pécheurs.  Il dit ce qu'ils ont été, mais il ne dit pas qu'ils n'auraient pu être autrement. Dût-on même prouver que tous les hommes sont pécheurs, cela n'infirmerait en rien ma proposition, car je m'occupe moins de ce que sont les hommes, que de ce qu'ils pourraient être ». Il a raison d'avouer enfin que nul homme vivant ne sera justifié en présence de Dieu 1. Toutefois la question n'est pas là, car l'auteur s'occupe surtout de la possibilité de ne pas pécher, et sur ce point nous n'avons aucun besoin de le combattre. En effet, je ne m'occupe pas de savoir si l'on a trouvé, si l'on trouve, ou si l'on pourra trouver des hommes qui ont possédé, possèdent ou posséderont cette charité de Dieu qui est la justice éminemment vraie, pleine et parfaite. N'ai -je pas toujours confessé que la justice est possible à l'homme par la grâce de Dieu, sans chercher à savoir où et dans quel homme elle se trouve ? Je ne m'occupe même pas de la possibilité elle-même, puisque cette possibilité se trouve réalisée dans les saints par le fait même que leur volonté guérie et aidée par la grâce a prêté son concours à cette charité de Dieu répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2) et dans toute la plénitude que pouvait comporter notre nature guérie et purifiée. Ainsi donc, tandis que notre auteur se flatte par sa doctrine de défendre les droits de la nature, nous disons

 

1. Ps. CXLII, 2. — 2. Rom. V, 5.

 

que le meilleur moyen de soutenir la cause de Dieu, c'est de le proclamer tout à la fois notre Créateur et notre Sauveur; car en proclamant que la nature est saine et jouit de toute l'intégrité de ses forces, on rend inutiles l'oeuvre et le secours du Sauveur.

 

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CHAPITRE XLIII. DIEU NE COMMANDE PAS L'IMPOSSIBLE.

 

50. Je ne puis qu'approuver ce qu'ajoute notre auteur : « Dieu, qui est aussi bon qu'il est juste, a créé l'homme capable, s'il l'eût voulu, de ne point connaître le mal du péché ». En effet, personne n'ignore que l'homme a été créé sain, innocent, doué du libre arbitre et pouvant vivre dans la justice. Mais il s'agit aujourd'hui de l'homme déchu, laissé sur la voie à demi-mort par les voleurs, et qui, percé de graves blessures, ne peut plus remonter au sommet de la justice, comme il a pu en descendre; heureux est-il s'il a été recueilli dans l'hôtellerie pour y être guéri (1). Ainsi donc Dieu ne commande pas, l'impossible, mais en nous commandant, il nous avertit de faire ce que nous pouvons et de demander ce que nous ne pouvons pas. Reste à savoir la cause pour laquelle nous pouvons et celle pour laquelle nous ne pouvons pas. Notre auteur répond : « Ce n'est point parla volonté que la nature peut ». Et moi je dis: A la vérité, c'est par sa volonté que l'homme n'est point juste, si la nature peut le rendre tel ; mais il obtiendra du remède ce qu'il ne pouvait obtenir de la maladie.

 

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CHAPITRE. XLIV. ÉTAT DE LA QUESTION ENTRE LES PÉLAGIENS ET LES CATHOLIQUES.

 

51. Pourquoi nous arrêter à de plus longs détails? Venons au coeur même de la question, la seule ou à peu près la seule qui soit à débattre entre nous et mes adversaires. Notre auteur en convient lui-même : « Il ne s'agit pas pour le moment de rechercher s'il y a eu ou s'il y a en cette vie des hommes sans péché, mais s'ils ont pu ou s'ils peuvent être sans péché ». De mon côté, sans affirmer s'il y en a eu ou s'il y en a, je soutiens qu'aucun homme n'a pu ou ne peut être sans péché, à moins qu'il n'ait été justifié dans la

 

1. Luc, X, 30, 34.

 

 

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grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, mort sur la croix. La foi qui nous guérit est la même qui a guéri les justes de l'antiquité, c'est-à-dire la foi au Médiateur unique entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme, la foi en sa mort et en sa résurrection. « Ayant donc un même esprit de foi, nous croyons nous aussi, et c'est aussi pourquoi nous parlons (1) ».

52. Mais enfin voyons ce qu'il répond sur cette question qu'il se pose à lui-même et sur laquelle il ne peut que s'attirer les protestations des catholiques. « Ce qui émeut un grand nombre de chrétiens, me direz-vous, c'est de vous entendre soutenir que ce n'est point par la grâce de Dieu que l'homme peut être sans péché ». Oui, sans doute, c'est là ce qui nous émeut, c'est là ce que nous lui reprochons. Il l'avoue lui-même, une telle proposition nous révolte, et malgré toute la charité que nous avons les uns pour les autres, nous ne pouvons souffrir qu'une thèse semblable soit soutenue par des chrétiens. Maintenant voici comment il croit se tirer de l'objection qui lui est posée : « O aveuglement de l'ignorance ! » s'écrie-t-il, « ô honte d'une intelligence sans culture et qui prétend que nous soutenons qu'une chose peut exister sans la grâce de Dieu, quand nous ne cessons de répéter qu'elle n'a que Dieu seul pour auteur ! » Si nous ne savions pas ce qui va suivre, nous nous croirions abusés sur son compte par le bruit public ou par les dépositions formelles de nos frères. En effet, pouvait-on affirmer avec plus de brièveté et de vérité que la possibilité de ne pas pécher, quelque grande qu'elle soit ou qu'elle puisse être dans l'homme, ne peut venir que de Dieu ? De notre côté, c'est là ce que nous ne cessons de répéter, donnons-nous donc la main.

 

 

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CHAPITRE XLV. AUTRES COMPARAISONS ET RAISONNEMENTS DE PÉLAGE.

 

53. Faut-il nous condamner à entendre le reste ? Oui, certes, afin de réfuter ses erreurs et de nous en préserver. « Quand », dit-il, « nous affirmons que l'homme peut vivre

 

1. II Cor. IV, 13.

 

sans péché, nous n'attribuons pas ce pouvoir uniquement au libre arbitre, mais aussi à l'auteur de notre nature, c'est-à-dire à Dieu ; comment donc nous accuse-t-on de refuser à la grâce de Dieu ce que nous déclarons appartenir directement à Dieu ? » Nous commençons à deviner sa pensée, mais dans la crainte de nous tromper écoutons des développements plus explicites encore. « Afin », dit-il, « de nous faire mieux comprendre, étendons un peu la discussion.

Nous disons que la possibilité d'une chose repose non pas tant sur la puissance du libre-arbitre que sur la constitution même de notre nature ». Il appuie sa proposition sur des exemples ou des comparaisons. « Par exemple », dit-il, « je puis parler ; ce pouvoir de parler ne vient pas de moi; ce qui m'appartient en propre, c'est ce que je dis; et comme ce que je dis ne dépend que de ma volonté, il s'ensuit que je reste parfaitement le maître de parler et de ne pas parler. Quant au pouvoir même de parler, comme il ne vient pas de moi, c'est-à-dire de mon libre arbitre et de ma volonté, nécessairement il est toujours en moi et bon gré mal gré j'aurai toujours ce pouvoir de parler, à moins que je ne me coupe la langue, instrument indispensable à la parole ».

Je pourrais citer beaucoup de circonstances dans lesquelles, s'il le veut, l'homme peut s'enlever à lui-même la possibilité de parler, sans avoir besoin pour cela de se couper la langue. Supposé qu'un homme fasse une. action qui lui enlève la voix, il ne pourra plus parler quoique le membre destiné à la parole lui reste ; car la voix de l'homme n'est pas un membre; pour que la voix s'éteigne, il n'est pas nécessaire de couper la langue, il suffit qu'un organe intérieur se trouve notablement lésé. Pour éviter même toute occasion de chicaner sur les mots, car il pourrait peut-être me dire que léser c'est couper, il me suffit de faire remarquer que le mutisme aura lieu si, à l'aide de quelques liens, on arrive à fermer la bouche de telle sorte qu'il ne soit plus possible de l'ouvrir, ce qui n'a pas lieu quand ces organes sont dans leur état naturel.

 

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CHAPITRE XLVI. LA NÉCESSITÉ SE CONCILIE AVEC LE LIBRE ARBITRE DE LA VOLONTÉ.

 

54. Cette question d'ailleurs est pour nous sans intérêt. Mais voyons quelle conclusion l'auteur va en tirer. « Tout ce qui s'impose à nous », dit-il, « en vertu d'une nécessité naturelle, exclut par là même la libre volonté et la délibération ». C'est là encore une question. En effet, c'est pour nous une nécessité naturelle de vouloir être heureux; s'ensuit-il que notre volonté soit étrangère à ce mouvement? De même Dieu ne peut pécher; dirons-nous que la justice est pour lui non pas un acte de volonté propre, mais une véritable nécessité ?

 

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CHAPITRE XLVII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

55. Ecoutons également ce qui suit : « Nous pouvons », dit-il, « sentir par l'ouïe, l'odorat ou la vue, ce qu'il est en notre pouvoir d'entendre, de goûter et de voir ; quant au  pouvoir même d'entendre, de goûter ou de voir, il ne dépend pas de nous, puisqu'il est pour chaque homme une nécessité naturelle ». Ou bien je ne comprends pas ce qu'il dit, ou peut-être il ne le comprend pas lui-même. Comment donc la possibilité de voir n'est-elle pas en notre pouvoir, si la nécessité de ne pas voir est entre nos mains, puisque nous pouvons nous arracher les yeux et par là même nous mettre dans l'impossibilité de voir? De même, comment est-il en notre pouvoir de voir si nous le voulons, puisque tout eu maintenant l'intégrité de la nature de notre corps et de nos yeux, nous pouvons ne pas voir bien que nous le voulions, soit que nous nous privions de lumières pendant la nuit, toit qu'on nous enferme dans quelque lieu ténébreux ?

De même, si le pouvoir d'entendre ou de ne pas entendre est pour nous une telle nécessité de nature, qu'il ne dépende aucunement de nous, tandis que l'acte même d'entendre ou de se pas entendre dépendrait entièrement de notre propre volonté, pourquoi ne remarque-t-il pas que nous sommes condamnés malgré nous à entendre une multitude de choses qui, malgré la résistance de nos oreilles, pénètrent jusqu'à notre coeur, à peu près comme le bruit  strident d'une lime rapprochée de nous ou le grognement d'un porc? Si l'acte même de se fermer les oreilles prouve qu'il n'est point en notre pouvoir de ne pas entendre lorsque nos oreilles sont ouvertes, il prouve également qu'il est en notre pouvoir de nous mettre dans l'impossibilité d'entendre. Quant à ce qu'il veut bien nous dire de l'odorat, il ne voit point qu'il ne se comprend pas lui-même quand il affirme « qu'il n'est pas en notre puissance de pouvoir goûter ou de ne le pouvoir pas, mais qu'il est en notre puissance », c'est-à-dire qu'il dépend de notre libre volonté, « de goûter ou de ne pas goûter ». Supposons-nous placés au milieu d'odeurs fortes et mauvaises, et les mains étroitement liées, nous jouirons de la parfaite intégrité de nos membres ; et cependant, tout en voulant ne pas sentir, nous sentirons malgré nous. En effet, ne sommes-nous pas forcés de respirer et en respirant d'aspirer les odeurs?

 

 

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CHAPITRE XLVIII. LE SECOURS DE LA GRACE DANS L'INTÉGRITÉ DE LA NATURE.

 

56. Toutes ces comparaisons sont fausses et le principe qui les lui inspirait est une erreur. Il continue : « On doit en dire autant de la possibilité de ne pas pécher; car il dépend de nous de ne pas pécher, mais il ne dépend pas de nous de pouvoir ne pas pécher ». S'il parlait de la nature humaine dans toute son intégrité native, je comprendrais encore ; mais cette, intégrité est perdue pour nous. « Car nous ne sommes encore sauvés qu'en espérance, et l'espérance qui se voit n'est plus l'espérance ; si donc nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons avec patience (1) ». Cependant, même en parlant de la nature humaine, telle qu'elle était à l'origine, il ne serait pas encore exact de dire qu'il ne dépend que de nous de ne pas pécher, quoique le péché soit notre oeuvre propre; car avant sa déchéance l'homme recevait le secours de Dieu, et le Seigneur aurait été pour les hommes de bonne volonté ce qu'est la lumière pour nos yeux. Mais notre auteur parle de notre état actuel, où le corps qui se corrompt appesantit l'âme et où cette dépouille terrestre abat l'esprit et le trouble de mille soins (2). Voilà pourquoi je ne puis

 

1. Rom. VIII, 24, 25. — 2. Sag. IX, 15.

 

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assez m'étonner que, rejetant tout secours de notre Sauveur, il ose penser qu'il dépend de nous de ne pas pécher, tandis que s'il s'agit du pouvoir même de ne pas pécher, il l'attribue à cette nature qui apparaît si manifestement viciée, qu'il faut être arrivé au comble de la déchéance, pour ne pas voir cette déchéance même.

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CHAPITRE XLIX. DIEU EST TOUT-PUISSANT, QUOIQU'IL NE PUISSE NI PÉCHER, NI MOURIR, NI SE SUICIDER.

 

57. « Puisque », dit-il, « il dépend de nous de ne pas pécher, nous pouvons pécher et ne pas pécher ». Que répondrait-il donc si quelqu'un venait lui dire : Puisqu'il dépend de nous de ne pas vouloir le malheur, nous pouvons ne pas le vouloir et le vouloir ? Et cependant, il est certain que nous ne pouvons le vouloir. Et qui donc pourrait jamais vouloir être malheureux, quoiqu'il agisse peut-être de manière à se rendre malheureux sans le vouloir? Ensuite, comme il ne saurait être question de pécher quand on parle de Dieu, oserions-nous dire qu'il peut pécher et ne pas pécher? Loin de nous de dire que Dieu peut pécher ! Ne serait-ce pas folie de penser que Dieu n'est pas tout-puissant s'il ne peut mourir, ni se nier lui-même (2) ? Que vient donc nous dire cet auteur et par quelles règles du discours prétendrait-il nous persuader ce qu'il ne veut même pas examiner?

Il ajoute : « puisqu'il ne dépend pas de nous de pouvoir ne pas pécher, si nous voulons ne pouvoir pas ne pas pécher, nous ne pouvons ne pouvoir pas ne pas pécher ». Une telle combinaison de mots rend la phrase à peu près incompréhensible. Il serait plus simple de dire : Puisqu'il ne dépend pas de nous de pouvoir ne pas pécher; soit que nous le voulions, soit que nous ne le voulions pas, nous pouvons ne pas pécher. Il ne dit pas : Soit que nous le voulions, soit que nous ne le voulions pas, nous ne péchons point; car assurément nous péchons si nous voulons ; et cependant, que nous le voulions, ou que nous ne le voulions pas, nous avons, selon lui, la possibilité de ne pas pécher, car il affirme que cette possibilité est inhérente

 

1. II Tim. II, 18.

 

à notre nature. S'il s'agissait d'un homme qui a les pieds valides, rien n'empêcherait de dire que, bon gré mal gré, il a la possibilité de marcher ; tandis que si ses pieds sont broyés, il cesse, même malgré lui, de pouvoir marcher. Or, la nature dont ou nous parle est une nature déchue et viciée. Pourquoi s'enorgueillissent la terre et la cendre (1) ? Elle est viciée, aussi implore-t-elle le médecin: « Sauvez-moi, Seigneur (2) », « guérissez mon âme », s'écrie-t-elle (3). Pourquoi étouffer ces cris et empêcher la guérison future, en soutenant la possibilité présente de ne pas pécher ?

 

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CHAPITRE L. LES SAINTS ET LES JUSTES RÉSISTENT A LA GRACE.

 

58. Voyez ce qu'il ajoute sous forme de preuve: « Aucune volonté ne peut détruire ce qui a été inséparablement gravé dans la nature». D'où vient donc cette parole; « Afin que vous ne fassiez pas ce que vous voulez (4) ? » Et cette autre : « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais ? » Qu'est devenue cette possibilité inséparablement gravée dans la nature ? Voici que les hommes font ce qu'ils ne veulent pas; et c'est bien du péché qu'il s’agit, et non pas du pouvoir de s'élancer dans les airs; car l'Apôtre s'adressait à des hommes et non pas à des oiseaux. Voilà l'homme ne faisant pas le bien qu'il veut, et faisant le mal qu'il ne veut pas ; car « il y a » en lui « la volonté de faire le bien, mais il n'a pas le moyen de l’accomplir (5) ». Qu'est devenue cette possibilité inséparablement gravée dans la nature? Si vous niez que l'Apôtre ait pu dire cela de lui. même, peu importe du reste; car toujours est-il qu'il l'a dit de l'homme. Or, il refuse à la nature humaine cette inséparable possibilité de ne pas pécher. Tel est le sens immédiat de ces paroles, et si la portée de ces mots est ignorée de celui qui parle, elle ne l'est point de celui qui, s'adressant à des fidèles trop peu défiants, ne tend à rien moins qu'à détruire la grâce de Jésus-Christ, en proclamant que la nature humaine se suffit à elle-même pour posséder la justice.

 

1. Eccli. X, 9. — 2. Ps. XI, 2. — 3. Ps. XL, 5. — 4. Galat. V, 17. — 5. Rom. VII, 15,18.

 

209

 

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CHAPITRE LI. QUEL SENS PÉLAGE RAPPORTE A LA GRACE DE DIEU LA POSSIBILITÉ DE NE PAS PÉCHER.

 

59. Devant un tel langage les chrétiens indignés et au nom de leur propre salut se récrient et demandent : Pourquoi donc dites-vous que sans le secours de la grâce de Dieu l'homme peut ne pas pécher ? Et l'auteur, comme pour calmer cette trop juste indignation, leur répond : « La possibilité de ne pas pécher repose moins sur la puissance du, libre arbitre que sur une nécessité de la nature. Tout ce qui constitue l'essence de la nature remonte par là même à l'auteur de la nature, c'est-à-dire à Dieu. Comment donc, ajoute-t-il, ose-t-on nous accuser de soustraire la grâce de Dieu ce que je démontre au contraire se rapporter directement à Dieu? Ces paroles nous dévoilent enfin le fond de sa pensée qui jusque-là était restée pour nous un mystère. Il rapporte à la grâce de Dieu la possibilité de ne pas pécher en ce sens que Dieu est l'auteur de la nature de l'homme et que dans cette nature il a gravé inséparablement la possibilité de ne pas pécher. Par conséquent l'homme fait ce qu'il veut, puisqu'il n'agit pas quand il ne veut pas agir. Du moment qu'il est doué de cette inséparable possibilité, il ne saurait être question pour lui de faiblesse de volonté, ou plutôt de l'absence de volonté et de perfection.

Mais s'il en est ainsi, comment l'Apôtre peut-il dire : « Je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen de l'accomplir? » Si l'auteur que je réfute avait parlé de notre nature humaine telle qu'elle a été créée, c'est-à-dire dans toute sa force native et dans toute son innocence, nous pourrions accepter ses principes, en faisant nos réserves toutefois sur ce qu'il appelle une inséparable possibilité, qui a bien le sens d'une possibilité inamissible, possibilité qui en ce sens n'existait pas, puisque notre nature pouvait être viciée et avoir besoin d'un médecin qui guérît les yeux de aveugle et nous rendît cette possibilité de voir, qui nous avait été enlevée par l'aveuglement. Je suppose, en effet, que tout aveugle voudrait voir, mais qu'il ne le peut pas. Si donc il veut et ne peut pas, il a la volonté, mais la possibilité lui a été ravie.

 

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CHAPITRE  LII. CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

60. Voyez encore quels obstacles il essaie de franchir pour soutenir son opinion. Il se pose à lui-même cette question : «Mais, direz-vous, à en croire l'Apôtre, la chair nous est contraire (1) ». Il répond : « Comment peut-il se faire que la chair soit contraire à un homme baptisé, puisque, selon le même Apôtre, l'homme baptisé n'est plus dans la chair? » Voici ses paroles : « Pour vous, vous n'êtes plus dans la chair (2) ». L'auteur affirme donc d'une manière formelle que la chair ne peut être contraire à ceux qui sont baptisés, et nous jugerons de la vérité de cette proposition dans le chapitre suivant. Pour le moment, comme il ne peut complètement oublier qu'il est chrétien quoiqu'il n'en ait qu'un très-faible souvenir, il ne se fait plus, avec la même ardeur, le champion de la nature. Que devient donc notre inséparable possibilité ? Est-ce que par hasard il n'y aurait pas encore de baptisés parmi les hommes ? Qu'il y prenne garde et qu'il redouble d'attention.

« Comment », dit-il, « peut-il se faire que la chair soit contraire à un homme baptisé?» La chair ne peut donc pas lutter contre un homme baptisé. Nous demandons sur ce point des explications. Car ces hommes baptisés possèdent cette nature humaine dont il prend si chaudement la défense. Il admet donc que cette nature a été viciée, puisqu'il parle du baptême que je comparerais volontiers à cette hôtellerie de l'Evangile d'où l'on sort parfaitement guéri des blessures reçues, et où l'on ne séjourne que pour obtenir, à l'aide du bon Samaritain, une guérison complète (3). Or, s'il admet que dans ces hommes baptisés la chair fait la guerre, qu'il nous dise comment cela peut se faire, puisque la chair et l'esprit sont tous deux l'oeuvre d'un seul et même Créateur, et à ce titre au moins, oeuvre bonne et sainte. Ne faut-il pas que cette guerre ait pour cause un vice, fruit malheureux d'une volonté perverse? et pour que ce vice soit guéri, nous avons absolument besoin du concours de celui qui, après avoir été notre créateur, doit devenir notre sauveur. Ce concours, ce remède apporté par le Verbe fait chair afin d'habiter parmi nous (4), si nous

 

1. Gal. V, 17. — 2. Rom. VIII, 9. — 3. Luc, X, 30-5. — 4. Jean I, 14.

 

 

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confessons tous qu'il est nécessaire aux petits et aux grands, aux enfants comme aux vieillards, toute controverse cesse, la question est résolue.

 

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CHAPITRE LIII. DE QUELLE GRACE DE DIEU PARLONS-NOUS ?

 

61. Maintenant est-il vrai que nous lisions quelque part que dans les hommes baptisés la chair convoite contre l'esprit ? Où donc et à qui l'Apôtre disait-il : « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; ce sont là deux ennemis dont l'opposition vous  empêche de faire ce que vous voulez (1) ? » C'est aux Galates qu'il adresse ces paroles, et pourtant c'est à eux qu'il avait dit quelques instants auparavant : « Celui donc qui vous communique son esprit, et qui fait des miracles parmi vous, agit-il par les oeuvres de la loi ou par la foi que vous avez entendu prêcher (2) ? » Il est clair que l'Apôtre parle à des chrétiens, à des hommes à qui Dieu avait accordé son esprit, par conséquent à des hommes baptisés. Voilà donc que, même dans des hommes baptisés, la chair se trouve contraire et qu'on ne retrouve plus cette possibilité que l'auteur nous présentait comme inséparablement gravée dans notre nature.

Que devient donc sa question : « Comment peut-il se faire que la chair soit contraire à un homme baptisé? » De quelque manière qu'il entende la chair, il est forcé d'avouer qu'elle ne désigne pas notre nature, car cette nature comme telle est bonne; par conséquent, il n'est question ici que des vices charnels de la chair. Quoi qu'il en soit, voici que la chair nous est désignée hautement comme contraire aux hommes baptisés, et comment leur est-elle contraire? En ce sens que ces hommes ne font pas ce qu'ils veulent. Je retrouve la volonté dans l'homme, mais qu'est devenue cette possibilité de la nature? Avouons donc la nécessité de la grâce et écrions-nous : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Et qu'il nous soit répondu : « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur (3) ».

62. Quand nous disons à nos adversaires: Pourquoi prétendez-vous que sans le secours de la grâce de Dieu l'homme peut être sans péché? la grâce dont nous parlons n'est pas

 

1. Gal. V,17. — 2. Id. III, 5. — 3. Rom. VII, 24, 25.

 

celle que Dieu nous a faite en nous créant, mais celle qu'il nous a faite en nous rachetant par Jésus-Christ Notre-Seigneur. En effet, que disent les fidèles dans leurs prières quotidiennes : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal (1) ». S'ils possèdent la possibilité de ne pas pécher, pourquoi donc prient-ils ? De quel mal surtout demandent-ils à être délivrés, si ce n'est surtout « de ce corps de mort » dont ils ne peuvent être délivrés que par « la grâce de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Il ne s'agit pas non plus de la substance du corps, car elle est bonne en elle-même, mais des vices charnels dont l'homme ne peut être délivré que par la grâce du Sauveur, alors même que par la mort corporelle l'âme se trouve séparée du corps.

Afin de rendre la conclusion plus évidente, l'Apôtre avait eu soin d'en poser un peu plus haut les principes. « Je sens », dit-il, « dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans les membres de mon corps (2) ». Tel est le vice que la désobéissance de la volonté a infligé à la nature humaine. Qu'on nous laisse donc prier pour obtenir notre guérison. Mais enfin, sur quoi peut-on s'appuyer pour présumer ainsi de la possibilité qu'on suppose à notre nature ? Elle est blessée, meurtrie, déchirée, perdue; ce dont elle a besoin ce n'est pas de panégyristes menteurs, mais d'un aveu libérateur. A quoi bon nous parler de la grâce de la création ? Ce qu'il nous faut c'est la grâce de la réparation, et cependant, loin de juger cette grâce nécessaire, notre auteur ne daigne même pas nous en parler. Si pourtant il n'avait pas fait intervenir la grâce de Dieu dans le débat, s'il n'avait pas introduit la question de la grâce, nous aurions pu à notre tour garder le silence et supposer que sur ce point il avait des convictions chrétiennes. Mais c'est lui-même qui soulève cette question de la grâce, et il expose largement ses idées sur ce point. Maintenant la question est clairement posée, non pas comme nous l'aurions voulu, mais comme le voulaient les doutes que nous inspiraient ses opinions.

 

1. Matth. VI, 13. — 2. Rom. VII, 23.

 

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CHAPITRE LIV. DIALOGISME.

 

63. Invoquant ensuite un grand nombre de passages de l'Apôtre, il s'efforce de montrer, ce qui n'est pas en question, que dans le langage apostolique la chair doit se prendre non pas comme substance , mais comme synonyme des oeuvres de la chair. Que nous importe d'ailleurs? Nous disons que les vices de la chair combattent la volonté de l'homme; nous n'accusons pas la nature en elle-même, mais nous réclamons un médecin pour guérir ces vices. Que signifie cette question qu'il se pose à lui-même : « Qui a créé l'esprit de l'homme ? » Il répond aussitôt : « C'est a Dieu, sans aucun doute ». Il demande encore : « Qui a créé la chair? » « C'est le a même Dieu », répond-il. — « Ce Dieu qui a créé la chair et l'esprit n'est-il pas essentiellement bon? Assurément. — Ce qu'il a créé dans sa bonté, n'est-il pas bon? — Nous ne pouvons en douter »: Il conclut: « Si donc l'esprit est bon et si la chair est bonne, comme ayant été créés par un Dieu bon, comment peut-il se faire que ces deux biens se combattent l'un l'autre? »

J'omets de dire que ces raisonnements ingénieux seraient promptement troublés si quelqu'un venait lui poser cette simple question : Qui a créé le froid et la chaleur ? Il répondrait sans hésiter : c'est Dieu. Eh bien ! sans l'interroger davantage, je lui demande de dire si le froid et la chaleur ne sont pas des biens, ou s'il n'est pas évident qu'ils se combattent l'un l'autre. Il répondra peut-être : le froid et la chaleur ne sont que des qualités et non pas des substances. C'est vrai, mais du moins ce sont des qualités naturelles appartenant sans aucun doute à une créature de Dieu. Or ce n'est point précisément par elles-mêmes, mais par leurs qualités, que les substances, comme l'eau et le feu, se combattent l'une l'autre. Et s'il en était ainsi de la chair et de l'esprit? et pourtant ce n'est pas là ce que nous affirmons, car pour renverser tous ses raisonnements, il nous suffit de dire que l'opposition que nous remarquons entre les créatures vient de leurs qualités et non pas de leur substance. D'ailleurs, des choses contraires peuvent ne pas se combattre, mais seulement se tempérer réciproquement et produire la santé, comme dans le corps la sécheresse et l'humidité, le froid et la chaleur; du mélange de ces qualités résulte un état tempéré qui produit la bonne santé. Mais s'il s'agit de la lutte engagée entre la chair et l'esprit, de telle sorte que nous ne fassions pas ce que nous voulons, c'est là un vice et non un état naturel; cherchons la grâce médicinale et finissons la controverse.

64. L'esprit et la chair sont deux biens créés par Dieu; d'après le raisonnement de l'auteur, ils devraient être d'accord : comment donc avoue-t-il qu'ils peuvent se combattre dans les infidèles? Va-t-il regretter d'avoir prononcé cette parole que lui a dictée sans doute un certain sentiment de la foi chrétienne ? En disant : « Comment la chair peut-elle combattre dans un homme baptisé »? il avouait implicitement qu'elle peut combattre dans un infidèle. Autrement pourquoi cette distinction entre l'homme baptisé et l'infidèle, quand surtout cette distinction détruit par sa base tout son raisonnement?

J'invite donc ces infidèles en qui il croit possible la lutte de la chair contre l'esprit, à lui opposer ses propres raisonnements et à lui dire : Qui a créé l'esprit de l'homme ; il répondra : c'est Dieu. Qui a créé la chair? il répondra : c'est Dieu. Celui qui a créé l'esprit et la chair est-il un Dieu bon ? sans aucun doute, répondra-t-il. Enfin, ce qu'un Dieu bon a créé, est-il bon naturellement ? Et il avouera que l'esprit et la chair sont bons. Mais alors, le perçant de son propre glaive, ils tourneront contre lui sa conclusion et lui diront : Si l'esprit est bon et si la chair est bonne, comme ayant été créés par un Dieu bon, comment peut-il se faire que deux biens se combattent l'un l'autre ?

Il répondra peut-être : Pardonnez-moi, car je n'aurais pas dû dire que la chair ne saurait combattre un homme baptisé, ce qui était avouer qu'elle pouvait vous combattre vous-mêmes; je devrais affirmer d'une manière absolue que la chair n'est en lutte contre personne. Voilà cependant les piéges qu'il se tend à lui-même; voilà comment s'exprime celui qui ne veut pas s'écrier avec l'Apôtre : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». « Mais », répond-il, « pourquoi donc crierais-je, moi qui suis baptisé en Jésus-Christ? Ce cri ne convient qu'à ceux qui n'ont pas reçu le même bienfait, et dont l'Apôtre (212) s'appropriait la voix, supposé toutefois qu'ils jettent ce cri ».

Mais tout son langage n'est qu'une justification de la nature , et les païens eux-mêmes n'ont pas, selon lui, à exhaler ces plaintes. On ne saurait prétendre que la nature est dans ceux qui sont baptisés, tandis qu'elle ne serait pas dans les infidèles. Ou bien, s'il concède que dans les infidèles la nature est viciée de telle sorte qu'ils aient sujet de s'écrier: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? s'il avance qu'ils n'ont à espérer du secours que de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur », qu'il confesse donc enfin que la nature humaine a besoin d'être guérie par Jésus-Christ.

 

 

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CHAPITRE LV. NOTRE CORPS EST DIT UN CORPS DE MORT A CAUSE DU VICE DONT IL EST ATTEINT ET NON A CAUSE DE SA SUBSTANCE MÊME.

 

65. Je demande donc où la nature humaine a perdu cette liberté qu'elle redemande avec anxiété quand elle s'écrie : « Qui me délivrera ? » Ce n'est certes pas la substance même de la chair que l'Apôtre accuse lorsqu'il demande à être délivré de ce corps de mort, car la substance du corps comme celle de l'âme est l'oeuvre d'un Dieu bon. Quand donc il gémit, ce ne peut être que des vices du corps. Quant au corps lui-même, la mort nous en sépare; quant aux vices qu'il a contractés, ils adhèrent à notre personnalité et méritent ces châtiments que le mauvais riche a trouvés dans l'enfer (1). Voilà ce dont ne pouvait se séparer celui qui s'écriait « Qui me délivrera de ce corps de mort? »

Cependant, quoique l'homme ait perdu cette liberté, il lui reste cette possibilité inséparable de la nature, dont nous parle l'auteur ; il a le pouvoir d'agir par sa force naturelle, il a la puissance de vouloir par son libre arbitre; pourquoi donc demande-t-il le sacrement de Baptême? Est-ce à cause des péchés commis, de manière à en obtenir le pardon, quoiqu'ils ne puissent produire aucune solidarité? Laissez l'homme demander ce qu'il demandait. Ce qu'il désire, ce n'est pas seulement de ne point être puni pour ses péchés passés, mais aussi de ne plus se sentir si violemment entraîné

 

1. Luc, XVI, 22-26.

 

vers le mal. En effet, il se réjouit dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, mais il voit dans ses membres une autre loi qui combat la loi de son esprit; cette loi n'est pas pour lui un souvenir du passé, mais une chose actuelle et immédiate; c'est le présent qui l'accable, et non pas seulement le passé qui l'affecte.

Non-seulement il sent en lui-même ce com. bat, mais il se voit captif sous la loi du péché, et cette loi n'est pas un souvenir ; car elle a toute la force de la réalité. De là ce cri: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Laissez-le prier, laissez-le invoquer le secours de son médecin tout-puissant. D'où lui vient la contradiction? D'où lui vient le reproche? Est-il possible que ce soient des chrétiens qui l'empêchent dans sa misère d'implorer la miséricorde de Jésus-Christ? Ne marchaient-ils pas avec le Sauveur ceux qui empêchaient l'aveugle de demander par ses cris la lumière? Mais malgré le tumulte et l'opposition, Jésus-Christ a entendu sa prière (1). De là cette réponse : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ».

66. Or si nos adversaires nous concèdent, pour ceux qui ne sont pas encore baptisés, le droit d'implorer le secours de la grâce du Sauveur, n'est-ce point de leur part une contradiction flagrante avec cette doctrine tant de fois professée par eux de la suffisance de la nature et de la puissance du libre arbitre? Comment, en effet, peut-il se suffire à lui-même celui qui ne cesse de crier : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera? » Quand on demande à être délivré, peut-on s'entendre dire qu'on jouit d'une liberté parfaite?

 

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CHAPITRE LVI. MÊME SUJET.

 

Voyons ensuite si ceux-là mêmes qui sont baptisés font le bien qu'ils veulent sans aucune répulsion de la concupiscence de la chair. Mais ce que nous pourrions dire se trouve résumé par notre auteur dans la conclusion même du passage que nous étudions. « Comme nous l'avons dit, conclut-il, ces paroles : La chair convoite contre l'esprit, doivent s'entendre non pas de la substance de la chair, mais des vices ou des oeuvres de la chair ». Nous aussi nous parlons, non pas

 

1. Marc, X, 46, 52.

 

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de la substance de la chair, mais des oeuvres qui viennent de la concupiscence charnelle, c'est-à-dire du péché contre lequel l'Apôtre nous adresse cette défense : « Que le péché ne règne point dans notre corps mortel, de telle sorte que nous obéissions à ses désirs (1) ».

 

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CHAPITRE LVII. QUEL EST CELUI QUI EST SOUS LA LOI ?

 

67. Que l'auteur veuille bien remarquer que c'est aux hommes baptisés qu'il a été dit : « La chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, de telle sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ». Et dans la crainte que des lâches ne semblent s'autoriser de cette parole et se donner un prétexte de se laisser aller à leurs passions, l'Apôtre ajoute aussitôt : « Que si vous êtes conduits par l'esprit, vous n'êtes plus sous la loi (2) ». Il est sous la loi celui qui, uniquement par la crainte du châtiment dont la loi le menace et non par l'amour de la justice, s'abstient de l'oeuvre du péché, quoiqu'il se sente encore sous le joug de la volonté de pécher. Cette volonté formelle suffit pour le rendre coupable, car s'il le pouvait, il détruirait tout motif de craindre, afin d'accomplir librement ce qu'il désire secrètement.

Donc, dit l'Apôtre, « si vous êtes conduits par l'esprit, vous n'êtes plus sous la loi », sous cette loi qui frappe de terreur et ne donne pas la charité, j'entends la charité de Dieu répandue dans nos coeurs, non point par la lettre, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné (3). Cette loi est donc la loi de la liberté il non de la servitude, parce que c'est la loi de charité et non de la crainte. C'est d'elle que l'apôtre saint Jacques a dit : « Celui qui tournera ses regards vers la loi parfaite de la liberté (4) ». Voilà ce qui nous explique pourquoi saint Paul, au lieu de se laisser effrayer par la loi de Dieu comme un esclave, se complaisait dans cette loi selon l'homme intérieur, ce qui ne l'empêchait pas de voir dans ses membres une autre loi qui combattait la loi de son esprit. La même pensée se reproduit dans ces autres paroles : « Si vous êtes conduits par l'esprit, vous n'êtes plus sous la loi ». Plus on est conduit par cet esprit, moins on est sous la loi, parce que plus on se plaît dans la loi de Dieu, moins on est

 

1. Rom. VI, 12. — 2. Gal. V, 17, 18.— 3. ROM. V, 5.— 4. Jacq. I, 25.

 

sous la crainte de la loi; la crainte est un tourment (1) et non pas un plaisir.

 

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CHAPITRE LVIII. MÊME SUJET.

 

68. Si donc nous sentons le besoin de rendre grâces à Dieu de la guérison de certains membres, de même nous devons demander la guérison des autres, afin que, possédant tous une santé aussi parfaite que possible, nous jouissions en toute liberté de l'ineffable douceur de la charité divine. En effet, nous ne nions pas que la nature humaine puisse être sans péché, qu'elle puisse se perfectionner et qu'elle se perfectionne réellement ; mais nous affirmons que rien de tout cela ne peut se faire sans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Avec le secours de cette grâce, cette nature devient juste et heureuse, de telle sorte que c'est bien Dieu qui la relève comme c'est Dieu qui l'a créée.

Il est facile dès lors de réfuter l'objection que l'auteur se fait adresser: « Le démon combat contre nous ». A cela nous répondons comme il a répondu lui-même : « Résistons-lui, et il fuira loin de nous. Résistez au démon, dit l'Apôtre, et il fuira loin de vous (2). « Ces paroles nous montrent comment le démon peut nuire à ceux qu'il fuit, ou quelle puissance peut posséder cet esprit mauvais qui ne saurait prévaloir que contre ceux qui ne lui résistent pas». J'approuve parfaitement ce langage, car on ne saurait mieux dire. Mais entre nous et les Pélagiens voici la différence : tout en résistant au démon, non-seulement les hommes peuvent mais ils doivent implorer le secours divin, c'est là ce que nous enseignons hautement; les Pélagiens, au contraire, attribuent toute cette résistance à la volonté humaine, de telle sorte que la prière n'est plus une partie nécessaire de la piété. C'est pour résister au démon et le chasser loin de nous, que nous adressons à Dieu cette prière : « Ne nous laissez point succomber à la tentation (3) ». C'est également dans ce but que nous est adressé cet avertissement semblable à celui qu'un général adresserait à ses soldats : « Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation (4) ».

 

1. I Jean, IV, 18. — 2. Jacq. IV, 7. — 3. Matth. VI, 13. — 4. Marc, XIV, 38.

 

 

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CHAPITRE LIX. MÊME SUJET.

 

69. Quelques-uns disaient : « Qui donc ne voudrait être sans péché, si cet heureux état était en la puissance de l'homme? » L'au1eur répond avec beaucoup de justesse : « Cette objection prouve précisément la possibilité en question, car beaucoup d'hommes et même tous voudraient être sans péché ». Il ne lui reste plus qu'un pas à faire, et nous aurons la paix; qu'il avoue ce qui peut nous rendre sans péché. C'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur; mais jusque-là il a refusé de dire que si nous pouvons être sans péché, c'est par le secours de cette grâce que nous implorons dans la prière. Il peut se faire qu'il soit intérieurement d'accord avec nous, mais jusqu'à preuve du contraire, qu'il nous permette d'en douter. Pourquoi donc sur une matière qui soulève contre lui une si grande réprobation, se donner le droit de confesser et de dire le contraire de ce qu'il pense ? En le sommant de se prononcer, lui demandait-on un si grand sacrifice, puisque, prenant le rôle de ses adversaires, il se proposait de réfuter et de dévoiler l'erreur? Pourquoi tant d'efforts uniquement en faveur de la nature ? Pourquoi soutenir qu'en vertu même de sa création l'homme pouvait ne pas pécher s'il l'eût voulu, de telle sorte que la possibilité de ne pas pécher découle pour l'homme uniquement et exclusivement du privilège et de la grâce de sa création? Par conséquent la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a plus aucun caractère de nécessité soit pour guérir notre nature viciée, soit pour lui aider dans son insuffisance.

 

 

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CHAPITRE LX. EST-IL UN SEUL HOMME SUR LA TERRE QUI SOIT SANS PÉCHÉ?

 

70. Entre des chrétiens réels et pieux, on peut se demander si dans cette vie il y a eu, s'il est ou s'il peut y avoir un homme vivant dans une justice si parfaite, qu'il ne soit capable d'aucun péché. Poser cette question à l'égard des hommes qui ont quitté la terre, ce serait le comble de la folie. Pour moi, je ne veux même pas établir cette question pour la vie présente. Ma conviction personnelle se trouve suffisamment formée par la clarté de ces paroles : « Aucun homme vivant ne sera justifié en votre présence (1) » ; et combien d'autres témoignages semblables ! Toutefois, je serais heureux que l'on pût me démontrer que ces passages peuvent être interprétés dans un sens plus favorable, et que cette justice pleine et parfaite à laquelle on ne pourrait rien ajouter s'est trouvée hier, se trouve aujourd'hui et se trouvera demain dans des hommes encore enveloppés de la misérable mortalité humaine; ma joie serait grande, lors même qu'on serait obligé d'ajouter que le plus grand nombre auront besoin, jusqu'au dernier jour de leur vie, de répéter sans cesse : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2) », tout en faisant reposer sur le Christ et sur ses promesses leur espérance vraie, certaine et inébranlable. Toutefois, je ne laisse pas de déclarer que je ne puis regarder comme chrétien et traiter comme tel, celui qui soutiendrait que, sans la grâce du Sauveur Jésus crucifié et sans le don du Saint-Esprit, il est possible à l'homme d'arriver à une entière, Perfection, ou même à un degré quelconque d'une justice véritable et surnaturelle.

 

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CHAPITRE LXI. LES PÉLAGIENS DÉNATURENT EN LEUR FAVEUR LA PENSÉE DES ÉCRIVAINS CATHOLIQUES.

 

71. L'auteur cite à l'appui de sa thèse un certain nombre de témoignages tirés, non pas de la sainte Ecriture, mais des écrivains catholiques, pour prouver qu'il n'est pas seul à suivre l'opinion qu'il professe. Mais ces témoignages sont de telle sorte, qu'ils ne contredisent ni none doctrine ni la sienne. Il a même cité quelques-unes de mes paroles, me jugeant digne de prendre plaise avec les auteurs qu'il a nommés. Je lui en témoigne toute ma gratitude, et l'honneur qu'il me fait est un nouveau motif qui me presse de demander que ses yeux s'ouvrent à la vérité.

Quant au premier auteur qu'il a cité (3), je n'ai pu vérifier les textes, car je n'ai pu les trouver dans ses ouvrages, soit qu'il n'ait pas écrit ce qu'on lui prête, soit que l'exemplaire que vous m'avez adressé ait été interpolé. Comme je ne me crois pas obligé d'accepter les paroles des écrivains avec la même soumission que je témoigne aux Ecritures canoniques,

 

1. Ps. CXLII, 2. — 2. Matth. VI, 12. — 3. Lactance.

 

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je ne me sens nullement ébranlé par cette proposition tirée des écrits de l'auteur dont je n'ai pas lu le nom: « Il a fallu que le maître et le docteur de la vertu fût en tout semblable à l'homme, afin qu'en triomphant du péché, il apprît à l'homme qu'il peut, lui aussi, vaincre le péché (1) ». L'auteur seul de cette proposition pourrait en préciser le sens et la portée; toutefois, il est pour nous hors de doute que le Christ n'a pas eu en lui de péché à vaincre, car s'il est né dans la ressemblance de la chair de péché, il n'est pas né dans la chair de péché. Autre proposition du même auteur : « Et ensuite, afin qu'après avoir dompté les désirs de la chair, il nous apprît que le péché n'est point pour nous une nécessité, mais un acte libre et volontaire ». Je puis supposer qu'il ne s'agit pas ici des désirs illégitimes de la chair, mais simplement des désirs naturels, comme la faim, la soif, la lassitude et autres besoins semblables. En effet, quoique la satisfaction de ces besoins soit légitime, cependant elle est pour plusieurs une occasion de péchés; or, c'est là assurément ce qui n'a pu arriver pour le Sauveur, quoiqu'il ait éprouvé ces besoins en vertu de cette ressemblance de la chair de péché, qui lui est attribuée dans l'Evangile.

 

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CHAPITRE LXII. LE COMMENCEMENT ET LA PERFECTION DE LA JUSTICE.

 

72. Nous trouvons ensuite ces paroles du bienheureux Hilaire : « Quand nous serons arrivés à la perfection de l'esprit, et quand nous aurons revêtu l'immortalité, glorieux privilèges de ceux qui ont le coeur pur, alors seulement nous contemplerons ce qui est immortel en Dieu (2) ». En quoi cette proposition aide-t-elle à notre auteur ou nous contredit-elle ? Je l'ignore absolument, à moins qu'il n'y voie pour l'homme la possibilité d'avoir le coeur pur. Et qui de nous en a jamais douté, en admettant toutefois l'insuffisance du libre arbitre et l'absolue nécessité de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur? Saint Hilaire aurait dit également: « Job avait lu ces lettres, qui lui avaient appris à s'abstenir de toute chose mauvaise; car il servait le Seigneur avec un esprit exempt

 

1. Lactance, Institut., liv. IV, ch. 24, 25.—  2. Hilaire, sur saint Matth., V.

 

de vices, et servir Dieu c'est la fonction spéciale de la justice ».

Dans ces passages, saint Hilaire nous raconte ce que Job avait fait, mais il ne nous dit pas que ce patriarche fût arrivé à la perfection dans ce siècle, et surtout il est loin d'affirmer que tout ce que Job a fait ou parachevé, il l'ait fait ou parachevé sans la grâce du Sauveur, dont il a prophétisé la venue et les bienfaits. Celui-là s'abstient de toute chose mauvaise qui, tout en éprouvant le péché en lui-même, refuse de s'en rendre l'esclave et repousse toute pensée coupable qui ne lui permettrait pas de parvenir à la fin de son oeuvre. Mais autre chose est de ne pas avoir le péché, autre chose est de ne pas obéir à ses désirs. Autre chose est d'accomplir parfaitement ce grand précepte: « Vous ne convoiterez pas (1) »; autre chose est de faire effort de mortification pour réaliser en soi au moins cette autre parole: « N'allez pas à la suite de vos désirs (2) » . Et toutefois, dans ces deux cas, on ne doit pas oublier que l'on ne peut rien sans la grâce du Sauveur.

Pratiquer la justice, c'est dans le vrai culte de Dieu combattre par une lutte intérieure contre le mal intérieur de la concupiscence; et posséder la perfection de la justice, c'est ne plus avoir d'adversaire. Celui qui combat court toujours quelque danger, quelquefois même il est frappé, quoiqu'il ne soit pas renversé; pour celui qui n'a pas d'adversaire, il jouit d'une paix complète. Si l'on peut dire de quelqu'un, en toute vérité, qu'il est sans péché, c'est de celui en qui n'habite pas le péché, et non pas de celui qui, en s'abstenant des oeuvres mauvaises, est encore obligé de s'écrier: « Ce n'est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi (3) ».

73. Job lui-même ne garde pas le silence sur ses péchés, et votre ami s'applaudit avec raison de voir que l'humilité ne s'allie jamais avec l'erreur et le mensonge; d'où il suit que les aveux de Job sont inspirés par la vérité, puisqu'il est lui-même un véritable serviteur du Très-Haut.

Commentant ces paroles du psaume: «Vous avez méprisé tous ceux qui se sont éloignés de vos justices », saint Hilaire écrit: «Si Dieu méprisait les pécheurs, il mépriserait tous les hommes, car personne n'est sans péché. Ceux qu'il méprise, ce sont ceux qui se

 

1. Exode, XX, 16. — 2. Eccli. XVIII, 30.— 3. Rom. VII, 20.

 

 

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séparent de lui et que nous nommons apostats (1) ». Vous voyez que saint Hilaire ne se contente pas de dire au passé que personne n'a été sans péché; il affirme au présent que personne n'est sans péché ; quant aux raisons, je n'ai pas à les examiner. Il me suffit de remarquer que celui qui refuse de croire au témoignage de l'apôtre saint Jean, s'écriant « Si nous disons que nous sommes » et non pas seulement que nous avons été « sans péché (2) », refusera à plus forte raison de croire à la parole de saint Hilaire. Je défends donc la grâce de Jésus-Christ, sans laquelle personne n'est justifié, quelle que soit, du reste, la puissance du libre arbitre. Mais Jésus-Christ lui-même a mieux que tout autre affirmé la nécessité de sa grâce ; acceptons donc cette solennelle parole: « Sans moi vous ne pouvez rien faire (3) ».

 

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CHAPITRE LXIII. TÉMOIGNAGES DE SAINT AMBROISE.

 

74. Dans le passage que l'auteur cite de saint Ambroise, il est certain que ce grand docteur combat ceux qui prétendent que l'homme ne saurait être sans péché dans cette vie. Pour appuyer sa thèse, il cite le fait de Zacharie et d'Elisabeth qui nous sont présentés dans l'Evangile comme ayant marché sans faillir dans toutes les justifications de la loi; mais a-t-il dit quelque part que ces deux époux aient atteint cette perfection sans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur? N'est-il pas certain que, même avant la passion du Sauveur, les hommes n'ont été justes que par la foi en Jésus-Christ, seul principe d'où puisse nous venir le Saint-Esprit qui nous a été donné, par qui la charité est répandue dans nos coeurs? Or, n'est-ce pas uniquement par la charité que les justes possèdent la justice? Quant à la réception de l'Esprit-Saint, ce saint évêque affirme que nous ne l'obtenons que par nos prières, d'où il suit que la volonté par elle-même ne suffit pas, à moins qu'elle ne soit aidée par la grâce; n'est-ce pas lui qui a composé ce cantique dans lequel nous disons : « Et il accorde aux voeux ardents de mériter le Saint-Esprit ? »

75. Notre auteur a cité de saint Ambroise ce qu'il a voulu ; qu'il me soit permis à mon tour d'en citer le passage suivant : « Il m'a

 

1. Hilaire, sur le Ps. CXVIII, 118. — 2. I Jean, I, 8. — 3. Jean, XV, 5.

 

paru », dit-il. « Il peut se faire que ce qu'il a vu, d'autres l'aient vu également. En effet, cette vue ne dépend pas uniquement de la volonté humaine, mais surtout de celui qui parle en moi », est-il écrit (1), « du Christ qui seul nous rend capables de voir ce qui est bien. C'est lui qui a pitié de nous et celui dont il a pitié, il l'appelle. Voilà pourquoi celui qui suit Jésus-Christ et à qui vous demandez pour quel motif il a voulu être chrétien, pourra vous répondre . Il m'a paru. Il ne nie pas, en parlant ainsi, l'appel préliminaire de Dieu, car c'est par Dieu que la volonté humaine est préparée; et pour que Dieu soit honoré par un saint, il faut d'abord que ce saint ait été touché de la grâce de Dieu ».

Si donc notre auteur sait goûter les paroles de saint Ambroise, qu'il professe avec lui que c'est par Dieu que toute volonté humaine est préparée, et alors la question qui nous occupe sera à peu près résolue; car il ne s'agira plus que de savoir à qui ou quand est accordée la perfection de la justice, ce qui, dans tous les cas, ne peut se faire que par la grâce de Jésus-Christ. Et puis, quel motif avait donc notre auteur de ne citer qu'une seule phrase de saint Ambroise? Nous lisons: « Comme l'Eglise est formée de la réunion des Gentils, c'est-à-dire des pécheurs, comment pourrait-elle être immaculée, si tout d'abord elle n'avait été purifiée par la grâce de Jésus-Christ et si elle n'avait reçu le privilège de ne pas pécher et de ne tomber dans aucune faute? » Saint Ambroise ajoutait: « Dès le principe, l'Eglise n'est pas immaculée, car cet heureux état dépasse les forces de la nature; mais aidée par la grâce de Dieu et appuyée sur ses propres forces, elle cesse de pécher et se montre réellement immaculées ».

Notre auteur passe soifs silence ces dernières paroles, et il n'est que trop facile d'en comprendre la raison. Tous les efforts des Saints ici-bas tendent à réaliser dans l'Eglise de la terre cette pureté sans tache qui caractérise l'Eglise du ciel, laquelle ne renferme aucun pécheur dans son sein, laquelle ne connaît plus cette loi du péché combattant contre la loi de l'esprit, laquelle enfin participe à la sainteté même de la vie divine. Toutefois, que notre auteur veuille bien remarquer ces paroles de saint Ambroise, fondées

 

1. II Cor. XIII, 3. — 2. Ambroise, sur saint Luc, I.

 

 

 

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sur l'autorité même des saintes Ecritures : « L'Eglise n'est pas immaculée dès le commencement, car un tel état est impossible à la nature humaine ». Ce commencement est avant tout celui où nous naissons enfants d'Adam. Car Adam, nous ne pouvons en douter, a été créé dans une parfaite innocence ; quant à ses descendants, ils sont par le fait même de leur naissance enfants de colère, leur nature est viciée et déchue, ils sont souillés dès le commencement, et de là, selon saint Ambroise, l'impossibilité pour la nature humaine d'être sans péché.

 

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CHAPITRE LXIV. SAINT JEAN CHRYSOSTOME ET SAINT XYSTE.

 

76. Saint Jean, évêque de Constantinople, est également cité quand il affirme « que le  péché n'est point une substance, mais un acte mauvais ». Et qui donc en a jamais douté ? Il ajoute : « Parce que le péché n'est pas naturel et qu'il est le fruit du libre arbitre, il a dû être porté contre lui une loi qui le réprouve et le condamne ». Et qui donc l'a jamais nié? Ce qui est en question pour nous, c'est la nature humaine viciée par le péché, c'est la grâce de Dieu, laquelle seule peut nous guérir par l'application que nous en fait Jésus-Christ; grâce dont nous n'aurions pas besoin si notre nature était saine. Comment donc notre auteur ose-t-il soutenir qu'elle n'est pas viciée, qu'elle se suffit par son libre arbitre et qu'elle peut ne pas pécher ?

77. Nous savons tous que notre adversaire revendique pour lui l'autorité du bienheureux Xiste, évêque de l'Eglise romaine et martyr du Seigneur. Ce pontife aurait dit : « En donnant le libre arbitre aux hommes, Dieu leur a permis de vivre sans péché et de devenir ainsi semblables à Dieu ». Or, l'oeuvre du libre arbitre, c'est d'écouter la voix de Celui qui l'appelle, de se laisser persuader, et de demander à Dieu le secours pour ne pas pécher. Il s'agit pour les hommes « de devenir semblables à Dieu » ; or, le seul moyen de devenir semblables à Dieu, c'est la charité répandue dans nos coeurs, non point par la possibilité de notre nature, non point par le libre arbitre qui est en nous, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné.

Le même martyr dit également : « Le temple saint à présenter à Dieu, c'est l'âme pure; et l'autel           le plus excellent à ériger en son honneur, c'est un coeur pur et sans péché ». Or, qui ne sait que pour amener un coeur pur à cette perfection, et pour opérer ce renouvellement quotidien de l'homme intérieur, le moyen indispensable, c'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Saint Xiste dit également : « L'homme chaste et sans péché a reçu de Dieu le pouvoir de devenir enfant de Dieu ». Arriver à cet état de pureté et d'innocence, c'est le but suprême que se proposent les vrais chrétiens; mais ils savent qu'ils ne peuvent l'atteindre sans le concours efficace du Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme. Or, le saint pontife, s'adressant à ceux qui seraient parvenus à cet heureux état, leur rappelle que ce n'est point par leur propre pouvoir qu'ils y sont parvenus, mais par la grâce que Dieu leur a conférée; car, que pouvait leur nature viciée et dépravée, et n'est-ce pas à nous que s'adressent ces paroles de l'Evangile . « Quant à ceux qui l'ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir les enfants de Dieu (1) ? » Ils ne l'étaient point par nature et ils ne le seraient point devenus si, avec la foi en Jésus-Christ, ils n'avaient en même temps reçu ce pouvoir. Or, ce pouvoir n'appartient qu'à la force de la charité, laquelle n'est en nous que par le Saint-Esprit qui nous a été donné.

 

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CHAPITRE LXV. SAINT JÉRÔME.

 

78. L'auteur cite de même quelques paroles de Jérôme, ce prêtre vénérable, tirées de son commentaire sur ces paroles de l'Evangile « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu ». « Ces hommes », dit Jérôme, « ce sont ceux à qui la conscience ne reproche aucun péché » ; il ajoute: « On reconnaît celui qui est pur à la pureté de son coeur, car le temple de Dieu ne peut être souillé (3) ». Or, pour arriver à cette perfection dans laquelle nous pourrons voir Dieu par un coeur pur, si nous avons besoin de faire effort, de travailler, de prier, d'implorer, nous avons besoin surtout de la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Le même prêtre Jérôme dit ailleurs : « Dieu, en nous

 

1. Joan, I, 12. — 2. Saint Jérôme, sur le chap. IV de saint Matth.

 

 

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créant, nous a doués du libre arbitre et « nous ne sommes entraînés nécessairement « ni au vice ni à la vertu; car là où il y a nécessité, il n'y a pas lieu d'obtenir la récompense (1) ». Est-il donc un seul catholique qui ne reconnaisse cette vérité, ne l'embrasse de tout coeur et n'admette que c'est dans ces conditions que la nature humaine a été créée ? Quand nous faisons le bien, nous ne subissons le joug d'aucune nécessité, puisqu'alors nous jouissons de toute la liberté de la charité.

 

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CHAPITRE LXVI. QUELLE PEUT ETRE LA NÉCESSITÉ DE PÉCHER.

 

79. Je reviens à la doctrine de l'Apôtre « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2) ». Par qui donc l'Esprit nous a-t-il été donné, si ce n'est par celui qui est monté au ciel, qui a emmené notre captivité captive et a comblé les hommes de ses dons (3) ? Comme il y a pour nous une sorte de nécessité de pécher par l'effet des vices de notre nature et non point par suite de sa constitution même, que l'homme s'en souvienne, et pour échapper à cette nécessité, qu'il sache dire à Dieu : « Délivrez-moi des nécessités qui m'accablent (4) ». Cette prière est déjà une lutte engagée contre le tentateur qui cherche à exploiter contre nous la triste nécessité où nous sommes; par l'effort même que cette lutte suppose et surtout par le secours de la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous éloignerons cette malheureuse nécessité de pécher et nous revêtirons une liberté pleine et entière.

 

 

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CHAPITRE LXVII. DEUX MOYENS POUR ÉVITER LE PÉCHÉ. TÉMOIGNAGES D'AUGUSTIN.

 

80. Venons à nous. « Dans son livre du Libre Arbitre », dit notre auteur, « l'évêque Augustin s'exprime ainsi : Quelle que puisse a être cette cause prétendue de la volonté,

on peut ou on ne peut pas lui résister; si l'on ne peut, il n'y a pas de péché à la suivre; si on le peut, que l'on résiste, et on sera sans péché. Peut-être surprend-elle à l'improviste ? Eh bien ! qu'on se tienne

 

1. Contre Jovinien, liv. II. — 2. Rom. V, 5. — 3. Ephés, IV, 8. — 4. Ps. XXIV, 17.

 

sur ses gardes, pour n'être pas surpris. Et si la surprise est telle qu'on ne puisse y échapper ? Dans ce cas encore, il n'y a pas de péché. Qui pèche en faisant ce qu'il ne peut éviter ? Et pourtant l'on pèche ? Oui, sans doute, mais parce qu'il y avait possibilité d'y échapper ». Je le reconnais, ce sont bien là mes paroles, mais que l'auteur veuille bien aussi ne pas oublier ce qui a été dit plus haut.

Il est question entre nous de la grâce divine qui nous est donnée comme remède par le souverain Médiateur; mais il ne s'agit nullement de l'impossibilité de la justice. Quelle que soit la cause qui nous porte à agir, nous pouvons y résister, nous le pouvons parfaitement. N'est-ce pas un secours que nous implorons lorsque nous disons : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ? » Demanderions-nous donc ce secours, si nous croyions ne pouvoir résister en aucune manière ? Nous pouvons éviter le péché, mais avec l'aide de Celui qui ne peut être trompé. C'est encore en vue d'éviter le péché, que nous disons dans toute la véracité de notre âme : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (1) ». Quand il s'agit du corps, deux moyens se présentent à nous pour éviter les maladies, soit pour l'empêcher de venir, soit pour la guérir quand nous en sommes atteints. Pour l'empêcher de venir , nous disons : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation » ; et pour la guérir, nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses ». Donc nous pouvons échapper à la maladie, soit quand elle nous menace, soit quand nous en sommes atteints.

81. S'il a lu mes livres sur le Libre Arbitre, il en est d'autres qui ne les ont pas lus et qui, en parcourant ces pages de notre auteur, pourraient ne pas saisir assez clairement ma pensée. Pour obvier à ce danger, je crois devoir citer à mon tour certains passages, bien persuadé que si notre adversaire les comprenait et les goûtait, toute controverse cesserait à l'instant même entre nous. Immédiatement après les paroles qu'il a citées, cherchant de toutes mes forces à préciser ma doctrine, j'ajoutai : « Toutefois il est parlé dans nos livres divins d'actes commis par ignorance et néanmoins condamnés avec

 

1. Matth. VI, 13,12.

 

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obligation de les réparer ». Puis , après avoir cité plusieurs exemples, parlant de la faiblesse, j'ajoutai: « Il est encore parlé d'actes commis par nécessité, quand on ne peut faire le bien que l'on veut. Et en effet, qui fait entendre ces paroles . Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas? » A l'appui de ma proposition j'ajoutai quelques autres témoignages que je lis suivre de cette réflexion : « Voilà le cri de l'homme, mais de l'homme issu des condamnés à mort; car si ces mouvements ne sont point un châtiment, s'ils viennent de la nature, ils sont sans péché ». Un peu plus loin je m'exprimais ainsi : « La seule conclusion à tirer est donc de croire que cette même peine est infligée justement par suite de la condamnation de l'homme. Faut-il s'étonner encore que l'ignorance ne laisse point à l'homme la liberté de choisir le bien qu'il a à faire ; que les résistances de la convoitise charnelle devenue comme une seconde nature par la violence brutale des générations humaines ne permette point de faire le bien que l'on connaît et que l'on veut? La juste peine du péché est de perdre ce dont on n'a pas voulu faire un bon usage, quand on le pouvait aisément avec quelque bonne volonté. Ainsi, quand on n'accomplit pas le bien que l'on connaît, on perd la science du bien; et quand on ne veut pas faire le bien que l'on peut, on perd le pouvoir de le faire quand on veut. L'ignorance et la difficulté sont en effet les deux châtiments de toute âme coupable; l'ignorance qui produit la confusion de l'erreur, la difficulté qui cause la douleur du travail. Or, quand on prend ainsi le faux pour le vrai et qu'on s'égare malgré soi; quand, accablé sous le poids de la lutte et déchiré par la douleur des liens charnels, on ne peut s'abstenir des actes déréglés, on n'est point dans la nature telle que Dieu l'a établie, on souffre la peine à laquelle il a condamné. Quand nous parlons ici de la liberté du bien, nous entendons celle qui fut donnée à l'homme au moment de sa création » .

Voici maintenant comment je répondais à ceux qui se croyaient en droit de se plaindre de cette ignorance et de cette difficulté du bien, ignorance et difficulté qui sont comme des vices transmis par le premier homme à toute sa postérité : « Je leur réponds en peu de mots de se taire et de cesser leurs murmures contre Dieu. Peut-être auraient-ils droit de se plaindre, si nul ne triomphait de l'erreur et de la passion. Mais le Seigneur n'est-il pas présent partout? N'emploie-t-il pas de mille manières les créatures qui lui sont soumises pour appeler ceux qui sont éloignés, pour instruire la foi, consoler l'espérance, encourager la charité, seconder les efforts, exaucer ceux qui prient? On ne te fait pas un crime de ton ignorance involontaire, mais de ta négligence à t'instruire; on ne te reproche pas non plus de ne point panser tes membres blessés, mais de repousser celui qui s'offre à te les guérir ».

C'est par de telles paroles que j'exhortais, selon mon pouvoir, à embrasser une vie véritablement chrétienne; et surtout j'appuyais sur la nécessité de la grâce sans laquelle la nature humaine, aujourd'hui plongée dans les ténèbres et viciée dès l'origine, ne peut ni être éclairée ni être guérie. Et en effet tout ce que nous avons à faire contre les Pélagiens, c'est de ne pas permettre qu'on exalte la nature au détriment de la grâce de Dieu, qui nous vient par Jésus-Christ Notre-Seigneur (1). De cette nature encore j'ai dit un peu plus loin : Nous nommons la nature ce qui est proprement la nature humaine, la nature où l'homme fut créé d'abord dans l'innocence; nous appelons aussi nature celle où, par suite du châtiment infligé au premier homme devenu coupable, nous naissons sous l'empire de la mort, dans l'ignorance et soumis à la chair. C'est ainsi que l'Apôtre dit lui-même : « Nous avons été, comme les autres, enfants de colère par nature (2) ».

 

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CHAPITRE LXVIII. EXHORTATION A LA FOI, A LA PÉNITENCE, A LA PERFECTION.

 

82. Si donc nous voulons, par des exhortations chrétiennes , enflammer le zèle et secouer la paresse des hommes à marcher dans les voies de la perfection, commençons par réveiller en eux cette foi qui les rendra chrétiens et les soumettra à l'empire de celui sans lequel il n'y a pas de salut pour eux. S'ils sont chrétiens, mais chrétiens négligents, frappons-les de terreur et faisons briller à

 

1. Du Libre Arbitre, liv. III, n. 50-54. — 2. Ephés. II, 3.

 

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leurs yeux la beauté des récompenses. Souvenons-nous de les exhorter non-seulement à faire de bonnes actions, mais à adresser à Dieu de ferventes prières, à s'instruire de la saine doctrine et à rendre grâces au ciel quand ils ont résolu de diriger leur vie selon les règles de la foi, ce qu'ils ne peuvent faire sans triompher de certaines difficultés. D'un autre côté, quand ces difficultés se rencontrent, qu'ils sachent persévérer dans la prière et implorer de la miséricorde de Dieu la grâce de se mettre promptement à l'oeuvre. Pourvu qu'ils marchent ainsi, je n'ai plus à m'inquiéter ni du lieu ni du jour où ils arriveront à la perfection; il me suffit de savoir qu'ils ne peuvent ni commencer, ni poursuivre, ni achever l'oeuvre de leur perfection sans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Lors même qu'ils seraient fermement persuadés qu'ils ne sont point coupables, qu'ils ne disent pas qu'ils sont sans péché, dans la crainte que la vérité ne soit point en eux, comme la vérité ne se trouve point en ceux qui, étant coupables, disent qu'ils sont sans péché.

 

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CHAPITRE LXIX. DIEU NE COMMANDE PAS L'IMPOSSIBLE.

 

83. Les préceptes du Seigneur sont très-bons, pourvu que nous en usions légitimement (1). Par cela seul que nous croyons fermement que « Dieu juste et bon ne peut nous commander l'impossible », nous sommes avertis de ce que nous devons faire quand le précepte est facile,et de ce que nous devons demander quand il est difficile. Or tout est facile à la charité, car le joug est doux à celui-là seul qui n'a d'autre joug que celui de Jésus-Christ (2). Il est dit également : « Et ses préceptes ne sont pas intolérables (3) ». Que celui qui les trouverait trop lourds, veuille bien considérer que si Dieu nous déclare qu'ils ne le sont pas, c'est parce qu'il sait nous inspirer cet amour pour lequel rien n'est trop lourd et qui sait demander l'accomplissement de ce qui lui est prescrit. Telle est la pensée clairement exprimée dans le livre du Deutéronome, pour peu, du moins, que nous voulions l'envisager au point de vue de la piété, de la sainteté et de la foi ; car c'est ainsi que saint Paul lui-même l'a reproduite en ses termes : « La parole n'est

 

1. I Tim. I, 8. — 2. Matth. XI, 30. — 3. I Jean, V, 3.

 

 point éloignée de vous; elle est dans votre a bouche et dans votre coeur (dans vos mains, disent les Septante, parce que c'est dans le coeur que se trouvent les mains spirituelles); « telle est la parole de la foi que nous vous prêchons (1)».

Conformément au précepte qui nous est imposé, convertissez-vous au Seigneur votre Dieu de tout votre coeur et de toute votre âme, et le commandement du Seigneur n'aura plus rien de lourd et d'écrasant. Un commandement d'amour peut-il donc être lourd ? Pour celui qui n'aime pas, tout précepte est un fardeau qui l'écrase; mais pour celui qui aime, il n'y a plus rien de lourd. Or il aime celui qui, selon l'avertissement donné à Israël, se convertit au Seigneur son Dieu de tout son coeur et de toute son âme. « Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres (2) ». « Celui qui aime son prochain a accompli la loi » ; « la plénitude de la loi c'est la charité (3) ». Il est dit encore, et toujours dans le même sens : « S'ils marchaient dans les voies bonnes, ils trouveraient légères les voies de la justice (4) ». Et ces autres paroles: « A cause de la parole sortie de vos lèvres, j'ai marché dans la voie  difficile (5) », ne prouvent-elles pas la vérité de chacune de ces deux propositions: Les voies de Dieu sont dures pour la crainte, mais elles sont légères à l'amour?

 

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CHAPITRE LXX. LES DEGRÉS DE LA CHARITÉ CONSTITUENT LES DEGRÉS DE LA JUSTICE.

 

84. La charité commencée, c'est la justice commencée; la charité en progrès, c'est la justice en progrès; la charité développée, c'est la justice développée, et enfin « la charité parfaite, c'est la justice parfaite ». Mais la charité procède d'un coeur pur, d'une conscience bonne et d'une foi sincère, « et le plus haut degré auquel elle puisse parvenir en cette vie, c'est de mépriser pour elle la vie elle-même ». Toutefois je ne suis pas surpris qu'en sortant de cette vie la charité parvienne à une perfection plus grande encore. Quoi qu'il en soit et sans attendre que la charité soit arrivée à ce degré de plénitude au. delà duquel nulle addition n'est possible, je

 

1. Deut.XXX, 14; Rom. X, 8. — 2. Jean, XIII, 34. — 3. Rom, XIII, 8, 10. —  4. Prov. II, 20, selon les Septante. — 5. Ps. XVI, 4.

 

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dis qu'elle est répandue dans nos coeurs, non point par les forces de la nature ou de la volonté humaine, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné pour porter secours à notre faiblesse et soutenir en nous la santé. Or, cette charité, c'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent l'éternité et la bonté dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

 

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