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CONTROVERSE AVEC LES PÉLAGIENS.
DU MÉRITE ET DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS ET DU BAPTÊME DES PETITS ENFANTS (1).
LIVRE PREMIER. LA MORT VIENT DU PÉCHÉ.
Réfutation de ceux qui prétendent qu'Adam serait mort, quand même il n'eût pas péché, et que la génération ne transmet absolument rien de ce péché à ses descendants. La mort de l'homme a été la conséquence, non pas de la nécessité de sa nature, mais du mérite de son péché : toute la race d'Adam s'est trouvée, d'ailleurs, englobée dans son péché, et les petits enfants reçoivent le baptême pour la rémission même de ce péché originel.
CHAPITRE PREMIER. AVANT-PROPOS.
CHAPITRE II. ADAM NE DEVAIT PAS MOURIR S'IL N'AVAIT PAS PÉCHÉ.
CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE ÊTRE MORTEL ET ÊTRE SUJET A LA MORT.
CHAPITRE IV. LA MORT DU CORPS MÊME VIENT DU PÉCHÉ.
CHAPITRE V. DIFFÉRENCE ENTRE MORTEL, MORT ET CERTAIN DE MOURIR.
CHAPITRE VI. COMMENT LE CORPS EST MORT A CAUSE DU PÉCHÉ.
CHAPITRE VII. ON DOIT ESPÉRER LA VIE POUR LE CORPS, PUISQUE DÉJA PRÉCÈDE LA VIE DE LAME.
LA MORT CHAPITRE VIII. COMMENT IL FAUT ENTENDRE UN TEXTE DE SAINT PAUL.
CHAPITRE X. DISTINCTION DES DEUX SORTES DE PÉCHÉS, ACTUEL ET ORIGINEL.
CHAPITRE XI. QU'EST-CE QUE LE RÈGNE DE LA MORT SELON L'APÔTRE?
CHAPITRE XII. IL EST UN SEUL PÉCHÉ QUI EST COMMUN A TOUS.
CHAPITRE XIII. COMMENT NOUS VIENT PAR UN SEUL LA MORT, ET PAR UN SEUL LA VIE.
CHAPITRE XIV. NUL AUTRE QUE JÉSUS-CHRIST NE PEUT JUSTIFIER.
CHAPITRE XVII. ON NE DOIT ATTRIBUER AUX ENFANTS AUCUN PÉCHÉ PERSONNEL.
CHAPITRE XX. NUL N'APPROCHE RÉGULIÈREMENT DE LA TABLE DU SEIGNEUR AVANT D'AVOIR REÇU LE BAPTÊME.
CHAPITRE XXIII. JÉSUS-CHRIST, POUR LES ENFANTS MÊMES, EST SAUVEUR ET RÉDEMPTEUR.
CHAPITRE XXVI. ON CONCLUT QUE TOUS LES HOMMES NAISSENT ASSUJÉTIS AU PÉCHÉ ORIGINEL.
CHAPITRE XXVII. TEXTES DE L'ÉCRITURE.
CHAPITRE XXIX. EN QUOI CONSISTE LE BIEN DU MARIAGE. QUATRE USAGES DIFFÉRENTS DU BIEN ET DU MAL.
CHAPITRE XXX. EN QUEL SENS LE BAPTÊME EST NÉCESSAIRE D'APRÈS LES PÉLAGIENS.
CHAPITRE XXXIII. PERSONNE NE PEUT ÊTRE RÉCONCILIÉ AVEC DIEU QUE PAR JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE XXXV. LES PETITS ENFANTS N'ONT POINT DE PÉCHÉS ATTRIBUABLES A LEUR VIE PROPRE.
CHAPITRE XXXVI. IGNORANCE DE LA PREMIÈRE ENFANCE; CAUSE DE CE FAIT.
CHAPITRE XXXVIII. IGNORANCE ET FAIBLESSE DE L'ENFANT.
CHAPITRE PREMIER. AVANT-PROPOS.
1. Jeté comme au milieu des vagues redoutables de soucis et d'ennuis que soulèvent autour de nous les pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu (2), obligé d'ailleurs d'imputer ces orages aux tristes mérites de nos péchés personnels, une dette de plus nous a été créée, bien-aimé Marcellin, par votre consultation si confiante qui vous rend à nos yeux plus intéressant encore et plus aimable; et, en dépit de tous les obstacles, je n'ai pas voulu, ou, pour dire plus vrai, je n'ai pas pu différer plus longtemps à m'acquitter envers vous. Je m'y suis senti porté, soit par la charité, grâce à laquelle nous ne faisons qu'un, en cet être sublime qui ne peut changer, mais qui nous changera un jour à notre avantage ; soit par la crainte d'offenser en vous le Dieu qui vous a inspiré ce désir, tandis qu'en y condescendant, je servirai celui qui vous l'a suggéré. Oui, je le répète, je me suis senti porté, pressé, entraîné à résoudre, dans la mesure de mes forces si chétives, les questions
1. Ecrit en l'an 412. 2. Peut-être les Donatistes, qui alors troublaient l'Eglise d'Afrique.
que vous m'avez posées par écrit.. Dès lors, ces problèmes ont pour un instant pris le pas sur toutes les autres affaires dans mole esprit, jusqu'à me décider aujourd'hui à un travail quelconque, mais capable toutefois de prouver que je voulais me mettre, sinon suffisamment, au moins avec obéissance, au service de cette bonne volonté que vous témoignez, vous et tous ceux qui s'intéressent à ces questions.
CHAPITRE II. ADAM NE DEVAIT PAS MOURIR S'IL N'AVAIT PAS PÉCHÉ.
2. Plusieurs prétendent qu'Adam a été créé à la condition de mourir, quand même il ne l'aurait pas mérité par le péché; c'eût été pour lui, non pas la peine d'une faute, mais une nécessité de nature. Conséquemment, quand nous lisons dans la loi de Dieu : « Le jour où vous mangerez de ce fruit vous mourrez de mort (1) », cet arrêt terrible, on s'efforce de l'appliquer non pas à la mort corporelle, mais à la mort que le péché produit dans l'âme; à cette mort dont.le Seigneur nous a montré l'oeuvre dans les infidèles,
1. Gen. II, 17.
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puisqu'il dit en parlant d'eux : « Laissez les morts ensevelir leurs morts (1) ». Mais que répondre, en cette hypothèse, à ce texte où nous lisons qu'après le péché même Dieu adresse à l'homme cet arrêt, cette condamnation : « Tu es terre et tu retourneras dans la terre (2) ? » Ce n'est point, en effet, par son âme, c'est bien évidemment par son corps que l'homme était poussière, et c'est par la mort de ce même corps qu'il devait retourner en poussière. Donc aussi, bien qu'étant poussière par son corps, bien que conservant pour un temps ce corps purement animal avec lequel il avait été créé, il devait toutefois, s'il n'avait pas péché, être un jour changé en un corps spirituel, et passer ainsi, sans l'épreuve de la mort, dans cette condition nouvelle d'incorruptibilité qui est promise aux fidèles et aux saints : heureux état, dont nous ne sentons pas seulement le désir en nous-mêmes, mais dont nous avons la connaissance par cette leçon que nous fait l'Apôtre : « En effet, nous gémissons en ce point, désirant que notre habitation céleste recouvre celle-ci, en supposant toutefois que nous soyons trouvés vêtus et non point nus. Car, nous qui sommes dans cette habitation d'ici-bas, nous gémissons sous son fardeau, et pourtant nous ne voulons pas en être dépouillés, mais seulement recevoir par-dessus elle un vêtement nouveau, de sorte que le mortel soit absorbé par la vie (3) ». Concluons que si Adam n'avait pas péché, il ne devait point être dépouillé de son corps, mais recevoir sur cette chair un vêtement d'immortalité et d'incorruptibilité, de sorte que l'élément mortel aurait été absorbé par la vie, c'est-à-dire que la partie animale en lui serait devenue toute spirituelle.
CHAPITRE III. DIFFÉRENCE ENTRE ÊTRE MORTEL ET ÊTRE SUJET A LA MORT.
3. En effet, il se pouvait que l'homme vécût plus longtemps dans ce corps animal, et qu'il n'eût point à craindre toutefois le poids de la vieillesse, et ces lents progrès de l'âge qui l'auraient conduit à la mort. Le Dieu des Israélites n'a-t-il pas accordé à leurs vêtements mêmes et à leurs chaussures le privilège de ne point s'user pendant les années de leur
1. Matt. VIII, 22. 2. Gen. III, 19. 3. II Cor. V, 2-4.
long pèlerinage dans le désert (1) ? Serait-ce donc chose étonnante que l'obéissance de l'homme lui eût valu, de par cette même souveraine Puissance, une faveur analogue, celle de porter un corps animal et mortel, mais doué cependant d'une certaine stabilité qui l'empêchât de défaillir en dépit du nombre des ans, et le fît arriver de l'état mortel à l'immortalité, au temps marqué de Dieu et sans l'intermédiaire de la mort? En effet, nul ne dira que notre chair, telle que nous la portons à présent, ne puisse être blessée, en donnant pour raison qu'il n'est pas nécessaire qu'on la blesse : de même on ne pourrait prétendre que la chair du premier homme fût immortelle, par la raison qu'il n'était point nécessaire qu'elle mourût. Et telle est, je pense, la condition où Dieu a voulu placer ceux mêmes qu'il a transportés hors de ce monde sans leur faire subir la mort, mais en leur conservant toutefois leur corps animal et mortel. Non; Enoch et Elie ne sont pas usés par une vieillesse décrépite, malgré leur vie si prolongée ; et cependant, je ne crois pas qu'un changement semblable à celui que nous promet la résurrection, et dont Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a donné le premier exemple, ait déjà spiritualisé leur chair, sauf en un point peut-être, c'est qu'ils n'auraient plus actuellement besoin de cette nourriture, que nous consommons pour entretenir nos forces. Depuis leur enlèvement, au contraire, ils vivraient sans éprouver la faim, comme Elie vécut quarante jours, sans nourriture, par l'efficacité d'un simple verre d'eau et d'un seul pain '1; ou, s'ils ont encore besoin de ces aliments qui soutiennent la vie, peut-être trouvent-ils leur nourriture dans le Paradis, comme Adam la trouvait avant de mériter par son péché d'en être chassé. Car, autant que je puis le conjecturer, les arbres, en général, offraient à notre premier père de quoi réparer les défaillances ordinaires; et l'arbre de vie, en particulier, lui communiquait un état de stabilité qui le préservait de la vieillesse.
CHAPITRE IV. LA MORT DU CORPS MÊME VIENT DU PÉCHÉ.
4. Je ne sais vraiment comment il est possible d'entendre, autrement que de la mort corporelle, cet arrêt prononcé par la
1. Deut. XXIX, 5. 2. IV Rois, II, 11.
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vengeance divine : « Tu es terre et tu retourneras en terre ». Mais outre cet oracle, il en est d'autres d'où il ressort avec la dernière évidence que le péché a mérité la mort au genre humain, non-seulement dans l'âme, mais aussi dans le corps. Tel est ce passage de saint Paul aux Romains : « Or, si Jésus-Christ est en vous, votre corps est donc mort à cause du péché, mais votre esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts donnera aussi la vie à. vos corps mortels, par l'esprit de celui-ci qui habite en vous (1) ». Une maxime si claire et si évidente n'a pas besoin, je pense, d'être commentée, mais seulement d'être lue. « Le corps », dit-il, « est mort », non pas à cause de sa fragilité terrestre et parce qu'il est fait de la poussière de la terre, mais « à cause du péché ». Que demandons-nous de plus? Encore a-t-il soigneusement évité de dire. Le corps est mortel; il dit : « Le corps est mort ».
CHAPITRE V. DIFFÉRENCE ENTRE MORTEL, MORT ET CERTAIN DE MOURIR.
5. Car, avant d'être changé en cet état d'incorruptibilité que nous promet la résurrection des saints, le corps pouvait être mortel sans jamais de fait subir la mort ; exactement comme notre corps dans l'état actuel peut, si j'ose ainsi parler, être capable de maladie, lors même que la maladie de fait ne devrait pas l'atteindre. Supposez, en effet, un homme qui meure avant d'avoir jamais été malade : dira-t-on que sa chair n'était point susceptible de maladie ? Ainsi le corps d'Adam était. mortel tout d'abord ; mais cette mortalité devait être absorbée par une transformation qui lui aurait donné une incorruptibilité éternelle, si sa justice, c'est-à-dire son obéissance, avait persévéré; mais ce corps mortel n'est devenu mort qu'à cause du péché. Au contraire, telle sera dans la résurrection à venir notre heureuse transformation, qu'elle ne gardera plus, non-seulement aucun germe de cette mort causée par le péché, mais pas même la mortalité que le corps animal avait avant le péché. Aussi saint Paul ne dit pas
1. Rom. VIII, 10, 11.
«Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts vivifiera même vos corps morts», bien que s'étant servi précédemment de cette expression de corps mort; non, mais il dit qu' « il vivifiera vos corps mortels », pour nous faire entendre qu'ils ne seront plus morts, ni même mortels, en ce jour où l'être animal ressuscitera spirituel, où l'élément mortel revêtira l'immortalité, où le mortel enfin sera absorbé par la vie (1).
CHAPITRE VI. COMMENT LE CORPS EST MORT A CAUSE DU PÉCHÉ.
6. Il serait étonnant qu'on exigeât rien de plus clair qu'un texte si évident. Devrions-nous, par hasard, écouter certaine réponse qu'on oppose à ce lumineux témoignage? Nous faut-il entendre dans ce texte de saint Paul que le corps est mort, dans le même sens où il a dit ailleurs : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre (2) ? » Mais quand le corps est ainsi mortifié, c'est pour la justice et non pour le péché; car c'est pour pratiquer la justice que nous mortifions nos membres qui sont sur la terre. Que si les adversaires interprètent autrement encore ces derniers mots : « Pour le péché» ; s'ils veulent que nous entendions non pas : « Parce qu'un péché a été fait », mais bien : «Pour que le péché ne se fasse plus »; dès lors le sens de l'Apôtre reviendrait à ceci Le corps est mort pour que le péché ne soit . plus commis à l'avenir. Mais alors, dans quel but saint Paul aurait-il complété sa seconde maxime : « L'esprit au contraire est vivant », par l'addition de ces mots : « Peut la justice? » Il lui suffisait d'ajouter simplement que l'esprit possède la vie; on eût aussitôt sous-entendu le complément déjà exprimé : « Pour que le péché ne se fasse plus ». Ce motif unique, s'appliquant aux deux maximes, nous ferait comprendre à la fois et que le corps est mort, et que l'esprit est vivant pour éviter le péché. Réciproquement, si l'Apôtre ne voulait indiquer que le second motif « pour la justice », avec le sens de pour pratiquer la justice, les deux maximes s'expliqueraient également, bien par cette unique raison que, pour pratiquer la justice, le corps serait mort et l'esprit serait vivant.
1. I Cor. XV, 44, 53, 54. 2. Coloss. III, 5.
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Or, au contraire, le fait est que l'Apôtre a dit l'un et l'autre: selon lui, le corps est mort pour le péché, et l'esprit est vivant pour la justice; il attribue ainsi des mérites tout opposés à des causes en effet toutes différentes: au mérite du péché, la mort du corps; au mérite de la justice, la vie de l'esprit. Par conséquent, s'il est vrai (et nul n'en peut douter) que « l'esprit est vivant pour la justice », c'est-à-dire par le mérite de la justice ; comment devons-nous ou même pouvons-nous, dans la maxime corrélative : « Le corps est mort pour le péché », voir autre chose que le mérite du péché, à moins de prendre à tâche d'altérer ou de tordre à notre caprice le sens le plus clair de la sainte Ecriture? Et cette conclusion s'éclaire encore à la lumière des paroles qui suivent immédiatement. L'Apôtre veut définir le genre de grâces accordées à la vie présente. Il déclare donc que, sans doute, le corps est mort à cause du péché, parce qu'en attendant le jour où le corps sera renouvelé parla résurrection, il subit le mérite trop persévérant du péché, c'est-à-dire la nécessité de mourir ; mais, ajoute-t-il aussitôt, l'esprit au contraire est vivant à cause de la justice, parce que, tout chargés que nous sommes de ce corps de mort, déjà néanmoins nous respirons sous l'empire de la justice par la foi, où déjà commence notre rénovation selon l'homme intérieur ». Il continue toutefois; et, craignant que l'humaine ignorance n'espère rien de la résurrection même du corps, il revient à ce corps qu'il avait déclaré mort dès le siècle présent par le mérite du péché; et il affirme que dans le siècle à venir il devra, par le mérite de la justice, recevoir la vie, non pas seulement en ce sens que de mort il deviendra vivant, mais bien que de mortel il sera fait immortel.
CHAPITRE VII. ON DOIT ESPÉRER LA VIE POUR LE CORPS, PUISQUE DÉJA PRÉCÈDE LA VIE DE LAME.
7. Je crains, en vérité, que rues explications n'obscurcissent ici l'évidence même. Toutefois, remarquez encore combien est lumineux le texte apostolique. « Or», dit saint Paul, « si Jésus-Christ est en vous, votre corps sans doute est mort à cause du péché; mais votre esprit possède la vie à cause de la justice ». Les hommes pourraient croire que la grâce de Jésus-Christ ne leur apporte qu'un bienfait illusoire, ou du moins fort mince, puisqu'il leur reste à subir nécessairement la mort corporelle. Les paroles précitées de l'Apôtre préviennent cette idée. Ils doivent observer en effet, qu'à la vérité, le corps ne cesse de porter toujours le triste mérite du péché, dont la mort est la conséquence rigoureuse ; mais que déjà l'esprit commence à retrouver la vie par la foi, après que dans, l'homme il avait été, lui aussi, éteint par cette sorte de mort qu'on appelle l'infidélité. Non, dit l'Apôtre, ne regardez pas comme une mince faveur celle qui vous est donnée par ce fait de l'habitation de Jésus-Christ en vous-même. Si le corps chez vous est mort à cause du péché, désormais du moins l'esprit est vivant à cause de la justice; et pour ce motif même, ne désespérez pas que votre corps aussi ne trouve la vie. « Car si l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels par cet esprit de son Fils, qui habite en vous ». A cette lumière magnifique comment opposer encore la vaine fumée de la 'dispute? Le corps, d'après saint Paul, le corps sans doute est mort en vous à cause du péché; mais vos corps mortels eux-mêmes retrouveront la vie à cause de la justice, puisque par elle, dès à présent, votre esprit est vivant; et cette oeuvre de revivification totale s'accomplira par la grâce de Jésus-Christ, c'est-à-dire par son esprit qui habite en vous. Et contre ce cri de l'Apôtre on réclame encore ! Et pourtant il vous dit comment il se fait que, en tuant la mort, la vie parvient à s'assimiler la mort même. Ecoutez-le : « Donc, mes frères, nous sommes débiteurs non pas de la chair, de façon à vivre selon la chair, car si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si par l'esprit vous mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez (1) ». Qu'est-ce à dire, sinon : Si vous vivez selon la mort, tout en vous mourra; mais si vous vivez selon la vie, en mortifiant la mort elle-même, tout en vous vivra?
1. Rom. VIII, 10-13.
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LA MORT CHAPITRE VIII. COMMENT IL FAUT ENTENDRE UN TEXTE DE SAINT PAUL.
8. Et dans cet autre texte de saint Paul « Par un homme nous avons la mort, et par un homme nous avons la résurrection des morts », est-il possible de voir autre chose que la mort corporelle ? En effet, lorsque l'Apôtre parlait ainsi, il traitait de la résurrection des corps, qu'il voulait de toutes ses forces et de toute son ardeur prouver aux Corinthiens. Or, quand il leur dit: « Par un homme vient la mort, et par un homme aussi la résurrection des morts; car, ainsi que tous meurent en Adam, tous aussi en Jésus-Christ recevront la vie (1) », n'est-ce pas exactement la même chose que ce qu'il dit aux Romains aussi: « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort (2)? » La mort ici nommée, nos adversaires veulent qu'on l'entende de l'âme et non pas du corps, tandis que, selon eux, le texte aux Corinthiens: « Par un homme nous avons la mort », aurait un sens tout différent. Eux-mêmes, en effet, se trouvent dans l'impossibilité absolue d'interpréter ce dernier texte au sens de la mort spirituelle, parce que le sujet traité en cet endroit est la résurrection du corps, dont le contraire est évidemment la mort du corps. Mais pourquoi, dans ce second passage, l'Apôtre rappelle-t-il seulement que la mort est l'oeuvre d'un seul homme, sans parler du péché ? C'est que l'Apôtre ne traitait pas ici de la justice, ni par suite du péché, son contraire; mais bien de la résurrection dont l'opposé est la mort corporelle.
CHAPITRE IX. C'EST PAR PROPAGATION ET NON PAR SIMPLE IMITATION, QUE LE PÉCHÉ EST PASSÉ DANS TOUS LES HOMMES.
9. Quant à l'oracle même de saint Paul, où il nous dit : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et parle péché, la mort », votre lettre, cher Marcellin, me dit bien que les adversaires essaient de le détourner au sens d'une autre opinion nouvelle; mais vous ne m'apprenez pas ce qu'ils prétendent
1. I Cor. XV, 21, 22. 2. Rom. V, 12.
ainsi découvrir en ce texte. Autant que j'ai pu le savoir d'ailleurs, voici leur pensée à ce sujet : La mort dont parle ici l'Apôtre ne serait pas celle du corps, car ils ne veulent pas qu'Adam l'ait méritée par son péché; mais ce serait cette mort de l'âme que produit le péché même. Quant au péché, il aurait passé du premier homme dans ses descendants, non par la génération, mais par l'imitation. Conséquemment ils refusent de croire aussi que le baptême remette le péché originel aux petits enfants, parce qu'ils prétendent que l'homme à sa naissance est absolument sans péché. Je réponds : Si l'Apôtre avait voulu parler de cette espèce de péché qui est entrée dans le monde non par la génération, mais par l'imitation, il en attribuerait les prémices et la cause non pas à Adam, mais au démon. Car c'est du démon qu'il a été écrit: « Le diable pèche dès le commencement (1) » ; et c'est de lui encore qu'on lit au livre de la Sagesse : « La mort est entrée dans le monde par la jalousie du diable (2) ». La mort dont il s'agit ici est bien entrée chez les hommes par l'oeuvre du démon; mais ce n'est pas pour être nés de lui, c'est pour l'avoir imité; aussi l'Esprit-Saint ajoute immédiatement: « Ceux qui lui appartiennent l'imitent (3) ». Rappelant au contraire le péché même et la mort, qui d'un seul passe à tous par la génération, l'Apôtre place en tête celui par qui a commencé la propagation du genre humain. 10. Adam, sans doute, a pour imitateurs tous ceux qui par désobéissance transgressent un. précepte divin. Mais, autre est la puissance de l'exemple sur ceux qui pèchent par leur volonté propre; autre l'effet de l'origine pour ceux qui naissent dans le péché. Notre-Seigneur, lui aussi, a pour imitateurs ses saints bien-aimés qui veulent suivre les sentiers de la justice; et c'est ce qui faisait dire au même saint Paul: « Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (4) ». Mais, outre cette puissance extérieure d'imitation, la grâce de Jésus-Christ produit l'illumination et la justification des profondeurs mêmes de notre âme ; et c'est de cette grande oeuvre que le même et sublime prédicateur de Jésus a dit: « Celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui
1. I Jean, III, 8. 2. Sag. II, 21. 3. Ibid. 25. 4. I Cor. XI, 1.
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arrose, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (1) ». Par cette grâce, en effet, il rattache à son corps les petits enfants eux-mêmes, dès qu'ils sont baptisés, alors que bien certainement ils ne peuvent encore imiter personne. Concluons. Celui en qui tout homme trouve la vie, non content de s'être fait le modèle de la justice pour ses imitateurs, accorde de plus à ses fidèles la grâce profondément cachée de son Esprit, qu'il infuse en secret jusque dans les petits enfants. De même, celui en qui meurent tous les hommes, n'a pas donné seulement un triste exemple à suivre à ceux qui se font volontairement les transgresseurs de la loi de Dieu; mais, par la souillure cachée de sa concupiscence charnelle, il a infecté en lui-même tous ceux qui sortent de sa souche corrompue. C'est ce fait, et ce fait seul, qui a dicté l'oracle de l'Apôtre: « Par un seul homme le péché est entré dans le monde ; et par le péché, la mort, qui ainsi a passé dans tous les hommes, parce qu'en lui tous ont péché ». Si cette maxime était de moi, nos adversaires y feraient opposition ; ils crieraient à l'inexactitude de l'expression et de la pensée. Dès qu'un homme, en effet, tiendrait ce langage, ils n'y verraient point d'autre sens que celui même qu'ils ne veulent pas reconnaître dans saint Paul. Mais, comme cette maxime est de lui, et que son autorité et sa doctrine les écrasent, ils nous objectent la peine qu'ils éprouvent à bien saisir sa pensée et s'efforcent de tordre à je ne sais quel sens étrange des affirmations nettes et claires comme celle-ci: « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort ». Voilà bien un effet de génération, et non pas d'imitation. S'il s'agissait d'imitation, il dirait : Par le démon. D'ailleurs, et personne n'en doute, il désigne ici comme premier homme celui qui reçut le nom d'Adam; « et ainsi », conclut-il, « la mort a passé dans tous les homme ».
CHAPITRE X. DISTINCTION DES DEUX SORTES DE PÉCHÉS, ACTUEL ET ORIGINEL.
11. Il ajoute aussitôt: « En qui tous ont péché » ; et ces expressions sont d'un choix,
1. I Cor. III, 7.
d'une exactitude, d'une clarté admirable ! De deux choses l'une, en effet : Les entendez-vous, comme s'il disait: Il y a un péché, lequel est entré par un seul homme dans le monde, et dans lequel (péché) tous les hommes ont péché ? Aussitôt vous concluez avec certitude que autres sont les péchés propres à chaque coupable, et dans lesquels ceux-là seuls sont pécheurs, qui personnellement les commettent; autre est ce péché unique dans lequel (1) tous ont péché, parce que ce seul homme alors était tout le genre humain. Préférez-vous dans l'expression « en qui » (in quo), ne pas entendre le péché, mais ce seul homme en qui seul tous ont péché? Quoi de plus évident que cette évidence nouvelle? Car, en retour aussi, nous lisons que tous ceux qui croient en Jésus-Christ sont justifiés en lui par la communication secrète et par l'inspiration de sa grâce spirituelle. Par elle, quiconque s'attache au Seigneur ne fait plus avec lui qu'un seul esprit. Il est bien vrai que les saints de Dieu veulent en outre l'imiter; mais des fidèles à leur tour ont imité les saints de Dieu; or, trouvez-moi au sujet de ces fidèles un passage comme celui-ci, un texte qui jamais ait déclaré de quelqu'un d'entre eux : Il a été justifié en saint Paul, en saint Pierre, en n'importe qui de ces personnages sublimes dont l'autorité brille au sein du peuple de Dieu. J'avoue qu'on nous déclare bénis en Abraham, d'après la promesse qui lui a été faite : « En toi seront bénies toutes les nations (2) » ; mais c'est à cause de Jésus. Christ, son descendant selon la chair; et ce sens est plus clairement indiqué, quand la même promesse lui est formulée en ces termes: « En celui qui naîtra de ta race toutes les nations seront bénies (3)». Mais que quelqu'un ait jamais péché ou même pèche dans le démon, bien que tous les méchants et tous les impies soient ses imitateurs, c'est là une assertion qui est encore à découvrir dans l'Ecriture sainte; et je ne sais si jamais pareille découverte se fera dans nos saints livres. Or, c'est bien là cependant ce que l'Apôtre a dit de nous par rapport au premier
1. L'expression in quo, en latin, est amphibologique dans la phrase de saint Paul ; elle peut s'entendre in quo homine ou in quo peccato. Le grec eph o ne prête qu'au premier sens, parce que le mot amartia, péché, est féminin. (Note du traducteur.) 2. Gen. XII, 3 ; Gal. III, 8. 3. Gen. XXII, 18.
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homme: « En lui tous ont péché ». Comment dès lors contester la transmission du péché par propagation? Comment se perdre ainsi dans je ne sais quel nuage d'imitation qu'on nous oppose ? 12. Remarquez aussi les paroles qui suivent. L'Apôtre vient de dire : « En lui tous ont péché » ; il continue et ajoute : « Car jusqu'à la loi le péché a été dans le monde » ; c'est-à-dire que la loi n'a pu détruire le péché ; elle est entrée après lui pour faire abonder l'iniquité (1). Et cela est vrai de la. loi naturelle, en vertu de laquelle tout homme, dès qu'il use de sa raison, commence à ajouter ses fautes personnelles au péché de son origine. Cela est vrai encore de cette loi écrite elle-même qui fut donnée au peuple d'Israël par l'intermédiaire de Moïse : « Car si Dieu avait donné une loi capable de produire la vie, la justice viendrait tout à fait de la loi. Mais l'Écriture enclôt tout sous le péché, afin que la promesse par la foi en Jésus-Christ soit donnée à ceux qui croient (2). Le péché d'ailleurs n'était pas imputé, tant que la loi n'existait pas ». Qu'est-ce à dire: «Le péché n'était pas imputé », sinon qu'on ne savait pas, qu'on ne croyait pas qu'il fût péché ? N'allez pas croire toutefois que Notre-Seigneur et Dieu le regardât comme non avenu ; au contraire, il est écrit : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi (3) ».
CHAPITRE XI. QU'EST-CE QUE LE RÈGNE DE LA MORT SELON L'APÔTRE?
13. « Mais », continue l'Apôtre, « la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse », c'est-à-dire depuis le premier homme jusque même sous cette loi qui fut promulguée par ordre de Dieu, parce que cette loi elle-même ne put détruire le règne de la mort. L'Apôtre, par ce règne de la mort, veut nous montrer la domination, sur le genre humain, d'un péché dont la tache subsistante, loin de leur permettre d'arriver à la vie éternelle, seule vie véritable après tout, les entraîne encore à une seconde mort éternelle,
1. Le saint Docteur reproduit littéralement le texte du grand Apôtre. Mais entre la loi et le péché, il ne faut voir qu'un rapport de temps et non pas de nécessité. Le péché a suivi la loi, mais non d'après le dessein du Dieu-Législateur.
1. Gal. III, 21, 22. 2. Rom. 12.
hélas ! par le châtiment. Seule et pour tout homme, la grâce du Sauveur détruit ce règne de la mort ; c'est elle-même qui a déjà opéré dans les saints de l'antiquité qui ont précédé la venue de Jésus-Christ ; ils appartenaient, eux aussi, à sa grâce secourable, et non pas à cette lettre de la loi qui pouvait bien commander, mais non pas aider. Ce qui était caché dans l'Ancien Testament est maintenant révélé dans le Nouveau ; ainsi le voulait la très-juste économie de temps si différents. Ainsi « la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse n sur tous les hommes que la grâce de Jésus-Christ n'a point aidés à l'effet de détruire en eux le règne de la mort ; et ce règne s'est étendu sur ceux mêmes qui « n'ont pas péché par une ressemblance de prévarication avec Adam », c'est-à-dire qui n'ont pas eu le temps de pécher comme lui par leur volonté propre et personnelle, mais qui ont seulement reçu de lui le péché d'origine. Enfin « cet Adam est la forme de l'homme à venir », parce qu'en lui a été établie la forme de procès et de condamnation qui devait peser sur ses descendants, sur ceux qui seraient créés de sa race, de sorte qu'issus de lui seul, tous naîtraient pour une condamnation dont aucune puissance ne délivre, si ce n'est la grâce du Sauveur. Je sais que la plupart des exemplaires latins portent : « La mort a régné d'Adam jusqu'à Moïse sur ceux qui ont péché par la ressemblance de la prévarication d'Adam ». Ceux qui adoptent cette leçon, l'entendent d'ailleurs exactement dans notre sens ; ce péché par la ressemblance avec Adam, ils l'expliquent en disant que tous ont péché en lui ; qu'ainsi tous sont engendrés semblables à lui ; l'homme ne procréant que des hommes, Adam pécheur n'a procréé que des pécheurs ; condamné à mort et damné, il n'enfante que des êtres voués à la mort et à la damnation. Toutefois, les exemplaires grecs, sur lesquels a été faite la traduction latine, portent tous, ou presque tous, la leçon que j'ai donnée moi-même en premier lieu. 14. « Mais », dit l'Apôtre, « il n'en est pas du don de Dieu comme du péché. Car si, par le péché d'un seul, plusieurs sont morts, la miséricorde, le don de Dieu s'est répandu beaucoup plus abondamment sur plusieurs par la grâce d'un seul homme, qui est (488) Jésus-Christ ». L'Apôtre n'a pas dit que la grâce est donnée à un plus grand nombre d'hommes, car le chiffre des justifiés n'est pas plus considérable que celui des condamnés ; il a dit que cette grâce s'est répandue plus abondamment. En effet, Adam produit des coupables, mais qui n'ont de lui que son seul péché ; au contraire, bien des hommes auront ajouté au péché originel, dans lequel ils sont nés, des fautes commises par leur volonté propre ; et cependant Jésus-Christ les délivre et leur donne sa grâce, ce que la suite de nos réflexions va montrer, avec encore plus d'évidence.
CHAPITRE XII. IL EST UN SEUL PÉCHÉ QUI EST COMMUN A TOUS.
15. Etudiez, en effet, plus attentivement encore ce que dit l'Apôtre, que plusieurs sont morts pour le péché d'un seul. Pourquoi accuse-t-il ainsi, comme cause de mort, le péché de ce seul homme, et non pas les péchés personnels à chacun, s'il veut nous faire entendre en ce passage une faute d'imitation et non de propagation? Remarquez encore ce qui suit : « Mais il n'en est pas du don de Dieu, comme il en a été du mal introduit par un seul pécheurs ; nous avons été justifiés de plusieurs péchés par la grâce, tandis que nous avons été condamnés pour un seul par le jugement ». Qu'on trouve dans ce passage une place à ce prétendu péché par imitation. « Condamnés pour un seul » : qu'entendre ici par un seul, sinon par un seul péché ? L'Apôtre l'indique clairement, puisqu'il. dit que nous avons été justifiés de plusieurs péchés par la grâce. Mais pourquoi cette antithèse d'un jugement qui nous condamne pour un seul péché, et d'une grâce qui nous justifie pour plusieurs péchés? Supposé que le péché originel n'existe pas, n'est-il pas évident que l'objet de la justification par la grâce sera un certain nombre de péchés, et que ce même nombre devra être aussi le sujet de notre condamnation par le jugement ? Car si la grâce pardonne ainsi plusieurs péchés, on ne peut pas supposer que le jugement ne condamne aussi plusieurs
1. Saint Augustin a lu : Per unum peccantem; nous lisons actuellement : Per unum peccatum. De même la construction latine: Nam judicium EX UNO in condemnationem, gratia autem ex multis delictis in justifcationem, rend incertain le sens de ex uno, ou plutôt prête à un double sens, que nous avons tâché de conserver en renversant la construction française.
péchés. Condamnés pour un seul péché : l'entendez-vous en ce sens que tous les péchés condamnés d'ailleurs ont été commis par imitation de ce péché unique, qui pour cela est seul censé nous faire condamner? Mais la même raison devrait nous faire admettre que la justification non plus ne tombe que sur un.seul péché, puisque tous ceux qui sont effacés dans les âmes des fidèles n'auraient été commis que par l'imitation de cet unique péché ! Or, telle n'était pas, sans doute, la pensée de saint Paul, quand il disait : « Condamnés par le jugement divin pour un seul péché, nous sommes justifiés au contraire, par sa grâce, de plusieurs péchés ». Ah ! bien plutôt comprenons le grand Apôtre, et soyons convaincus que s'il nous déclare ainsi jugés et condamnés pour un seul péché, c'est qu'il suffirait du péché originel, même s'il était seul, pour condamner le genre humain. Certes, une condamnation plus sévère atteint ceux qui ont ajouté leurs fautes personnelles au péché de leur origine ; elle frappe plus grave et plus forte sur chacun, en proportion de la gravité de leurs propres iniquités ; et cependant le mal contracté dans notre origine même suffit à lui seul pour séparer du royaume de Dieu ; et, nos adversaires eux-mêmes l'avouent, les petits enfants mêmes ne peuvent y entrer s'ils meurent sans avoir reçu la grâce de Jésus-Christ. Il y a plus : une telle mort les exclut du salut et de la vie éternelle, qu'on ne peut concevoir comme différente de ce royaume même de Dieu, dans lequel, on n'est introduit que par l'union intime à Jésus-Christ.
CHAPITRE XIII. COMMENT NOUS VIENT PAR UN SEUL LA MORT, ET PAR UN SEUL LA VIE.
16. Par suite Adam, en qui tous nous avons péché, nous a transmis non pas tous nos péchés, mais celui seulement de notre origine; Jésus-Christ, au contraire, en qui tous nous sommes justifiés, nous a obtenu la rémission non pas seulement de cette faute originelle, mais celle aussi de tous les autres péchés que nous y avons ajoutés. Et c'est pourquoi, « le mal que nous a fait ce pécheur unique n'égale pas le bien que nous a fait le don de Dieu ». Son juste jugement peut nous conduire à la damnation pour une seule faute, (489) c'est-à-dire pour celle de notre origine, si elle ne nous est point remise ; tandis qu'il nous amène à la justification en nous remettant plusieurs péchés, c'est-à-dire non-seulement le péché originel, mais tous les autres avec lui. 17: « Que si, à cause du péché d'un seul, la mort a régné par un seul homme; ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et de la justice régneront bien plus dans la vie par un seul aussi qui est Jésus-Christ ». Ainsi la mort, à cause du péché d'un seul, a régné par un seul homme : pourquoi ? sinon parce qu'en lui tous ont péché, et qu'ainsi la mort les tient enchaînés, quand même ils n'ajouteraient pas à cette tache leurs péchés personnels ? Autrement, il ne serait pas vrai que par un seul et pour le péché d'un seul la mort ait obtenu l'empire ; elle régnerait, au contraire, pour plusieurs péchés de plusieurs hommes et par le fait de chaque pécheur. D'ailleurs, attribuez à la seule imitation d'un triste devancier la perte de tout le genre humain ; dites que c'est en ce sens, et pour l'avoir suivi dans la voie du péché, que le péché d'un seul leur a donné la mort : alors, lui aussi et bien plus qu'eux-mêmes, est mort pour la faute d'un autre criminel, car le démon n'avait-il pas précédé notre premier père dans la voie du péché, jusqu'à lui conseiller même cette offense de Dieu ? Adam, au contraire, n'a rien conseillé à ses imitateurs ; bon nombre de ceux à qui vous donnez ce nom d'imitateurs ici, ne savent ni son existence ni son crime, ou n'y ajoutent aucune foi. Supposé donc que l'Apôtre en ce passage eût voulu parler d'un péché d'imitation, et non pas de propagation, combien il eût été plus logique à lui de donner ici, comme je l'ai dit déjà, la première place au démon, et d'affirmer que par lui seul la mort et le péché ont passé dans tous les hommes ? Car si l'on peut être imitateur d'un coupable sans qu'il vous ait rien conseillé qui ressemble à son crime, sans même connaître sa personne en aucune manière, combien plus serait-il logique de désigner Adam comme imitateur du démon qui a su lui persuader le péché ? L'Apôtre ajoute : « Ceux qui reçoivent en abondance la grâce et la justice ». Qu'est-ce à dire? sinon que d'abord une grâce de pardon leur est accordée non-seulement pour cette faute où ils ont été pécheurs avec le reste des hommes, mais encore pour les péchés qu'ils y ont ajoutés par eux-mêmes ; et qu'ensuite à eux encore, une justice leur est donnée si forte et si puissante qu'ils ne céderont plus aux violences mêmes du démon, tandis qu'Adam a cédé à de simples conseils? « Ceux-là », conclut-il, « régneront bien plus dans la vie ». En quel sens ? car la mort domine le plus grand nombre des hommes, et son empire les entraîne à l'éternel châtiment. Evidemment, nous ne pouvons appliquer ce texte, comme le précédent, qu'aux seuls hommes qui passent d'Adam à Jésus-Christ, c'est-à-dire de la mort à la vie. Oui, leur règne dans la vie sera supérieur au triste règne de la mort sur eux: celui-ci n'aura duré qu'un temps et aura fini; celui-là sera éternel et ne finira point. 18. « Comme donc c'est par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justification d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie ». Admettons le péché par imitation : ce péché d'un seul ne peut être que celui du démon. Mais évidemment le texte ici désigne non pas le démon, mais Adam ; donc il ne peut être entendu que d'un péché par propagation, et non par imitation.
CHAPITRE XIV. NUL AUTRE QUE JÉSUS-CHRIST NE PEUT JUSTIFIER.
Remarquez que saint Paul a dit de Jésus-Christ : « Par la justification d'un seul » ; c'est bien plus expressif que de dire : Par la justice d'un seul. La justification ici indiquée, en effet, c'est l'oeuvre par laquelle Jésus-Christ justifie le pécheur, et qu'il ne nous a point proposé d'imiter pour le prochain, car lui seul peut l'opérer. L'Apôtre a bien pu dire de lui-même : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ (1) » ; mais jamais il n'aurait dit : Recevez de moi la justification, comme je l'ai reçue moi-même de Jésus-Christ. Il se peut trouver; il y a même et il s'est vu un certain nombre d'hommes justes et dignes d'être imités ; mais personne, excepté Jésus-Christ, ne possède à la fois la justice et la puissance de justifier. Aussi est-il écrit : « Lorsqu'un homme croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice (2)». Pour oser dire à quelqu'un : Je
1. I Cor. XI, 1. 2.
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te justifie, il faut pouvoir lui dire aussi Crois en moi. Or, parmi les saints, nul au monde, si ce n'est le Saint des saints, n'a eu le droit de dire : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (1) ». Pourquoi ? c'est que seul il justifie le pécheur, dont la foi dès lors est imputée à justice, parce qu'il croit en ce Jésus qui justifie le pécheur.
CHAPITRE XV. LE PÉCHÉ VIENT PAR LA PROPAGATION, COMME LA JUSTICE PAR LA RÉGÉNÉRATION. COMMENT TOUS SONT PÉCHEURS PAR ADAM, ETTOUSAUSSI JUSTES PAR JÉSUS-CHRIST.
19. D'ailleurs, si l'imitation seule nous fait pécheurs par Adam, pourquoi l'imitation seule ne nous fait-elle pas justes aussi par Jésus-Christ ? Saint Paul répond : « Comme parle péché d'un seul, tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi par la justification d'un seul, tous reçoivent la justification de la vie ». Dans l'hypothèse de l'imitation, ce terme un seul répété deux fois en deux phrases corrélatives, devrait désigner non pas Adam et Jésus-Christ, mais Adam et Abel. En effet, consultez l'histoire du monde : nous y avons eu, certes, plus d'un prédécesseur dans le péché, et ceux qui ont offensé Dieu dans les âges suivants ont été leurs imitateurs. Or, nos adversaires veulent qu'Adam seul soit désigné dans le texte sacré, qu'en lui seul tous aient péché par imitation ; et cela, parce qu'Adam a été le premier pécheur. Conséquemment c'est Abel que le texte sacré a dû désigner aussi comme celui en qui seul tous les hommes sont justifiés de même par imitation, puisque Abel a été le premier des hommes à vivre dans la justice. Prétendez-vous qu'une date aussi importante appartienne plutôt au Nouveau Testament ? Dites-vous que Jésus-Christ a été placé à la tête des justes uniquement pour en être imité ?Alors, Judas, qui le trahit, a dû être aussi placé à la tête des pécheurs... Ah ! plutôt, avouez que si Jésus-Christ est le seul en qui tous sont justifiés, par cette raison que ce n'est point son imitation seule qui nous fait justes, mais bien sa grâce spirituelle de régénération ; par une raison toute semblable Adam est aussi le seul en qui tous ont péché, parce que ce n'est pas seulement son imitation qui nous fait pécheurs,
1. Jean, XV, 1.
mais c'est bien aussi le malheur de recevoir par lui la génération charnelle. Ainsi s'explique encore le terme corrélatif tous, deux fois employé. Il ne signifie pas que ceux qui sont engendrés par Adam soient tous identiquement aussi régénérés par Jésus-Christ. Non ; mais ce terme est exact en ce sens que, comme personne ne reçoit, sinon par Adam, la génération charnelle, ainsi nul ne reçoit la régénération spirituelle que par Jésus-Christ. Car s'il se pouvait que tels fussent engendrés selon la chair autrement que par Adam, et tels autres engendrés selon l'esprit autrement que par Jésus-Christ, le mot tous serait bien peu clair dans le premier comme dans le second membre du texte apostolique. Or, ce même mot tous, il l'exprimera tout à l'heure par l'expression plusieurs. C'est qu'en effet, dès qu'il y a plus d'un, quand même il y aurait peu, le mot tous pourrait désigner ce petit nombre ; or, plus d'un reçoivent la génération charnelle, et plus d'un la régénération spirituelle, bien que les enfants, de l'esprit soient moins nombreux que ceux de la chair. Cependant celle-ci embrasse tous les hommes, exactement comme celle-là comprend tous les justes ; en dehors de la chair on n'est point un homme, comme en dehors de l'esprit on n'est point un homme justifié; et l'une et l'autre génération compte nombreuse famille ; « car, comme plusieurs se sont rendus pécheurs par la désobéissance d'un seul, ainsi plusieurs seront rendus justes par l'obéissance d'un seul ». 20. « Or, la loi est survenue pour que le péché surabondât (1) ». Ce sont les péchés que les hommes ont ajoutés à la tache originelle par leur volonté propre, mais non plus par celle d'Adam ; mais ces nouveaux péchés eux-mêmes sont effacés et guéris par Jésus-Christ ; parce que «où il y a eu abondance de péché, il y a surabondance de grâce ; afin que, comme le péché a régné en donnant la mort » (entendez ceci des fautes que les hommes n'ont point héritées d'Adam, mais qu'ils ont ajoutées à la sienne par leur propre volonté), « de même la grâce règne parla justice en donnant la vie éternelle». Observons cependant que Jésus-Christ ne nous donne pas certaine justice seulement,
1. C'est-à-dire, selon le langage de l'Ecriture, que la loi a donné occasion à une surabondance de péchés, mais contrairement à l'intention du Dieu-Législateur.
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comme Adam nous a donné certain péché. Aussi après avoir dit: « De même que le péché a régné en donnant la mort », l'Apôtre s'est gardé d'ajouter: Par un seul homme, ou encore, par Adam. Car il avait annoncé que, cette fois, il parlait d'une autre espèce de péchés qui abondèrent au moment où survint la loi ; or, cette espèce de fautes n'appartient plus à notre origine, mais à notre propre volonté. Et c'est pourquoi, après avoir dit que « la grâce de même devait régner par la justice en donnant la vie éternelle », il ajoute : « Et c'est l'oeuvre de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) », parce qu'en effet, la génération charnelle ne nous a fait contracter que le péché originel, tandis que notre régénération spirituelle produit la rémission de tous les péchés, de celui de notre origine comme de ceux de notre volonté.
CHAPITRE XVI. LES ENFANTS NON BAPTISÉS SUBISSENT CERTAINEMENT LA DAMNATION LA PLUS DOUCE DE TOUTES ; CEPENDANT, EN PUNITION DU PÉCHÉ D'ADAM, LE CORPS A PERDU, LUI AUSSI, LES DONS DE LA GRACE.
21. Par suite, on peut affirmer avec vérité que les petits enfants qui- meurent sans baptême seront placés dans la plus douce de toutes les damnations ; mais c'est adopter et propager une grosse erreur que de publier qu'ils ne seront point damnés ; car l'Apôtre dit : « Pour un seul péché il y a un jugement de condamnation » ; et il ajoute bientôt après : « Par la faute d'un seul tous les hommes tombent sous la condamnation ». Ainsi encore, après qu'Adam eut péché en désobéissant à Dieu, alors aussitôt son corps, déjà mortel et animal avant sa chute, perdit aussi une grâce, celle qui le rendait, en tousses membres, obéissant à notre âme. Alors, oui, se fit sentir ce mouvement bestial si honteux à notre humanité, et dont Adam rougit en se voyant nu. Alors une sorte de maladie sembla prendre son germe dans cette corruption soudaine et empestée de notre nature : le genre humain perdit cette vigueur de jeunesse inaltérable qu'il avait reçue du Créateur, et dut marcher à la mort à travers les vicissitudes des âges. Les hommes, dans la suite, vécurent encore de longues années, sans doute ; mais
1. Rom. V, 12-21.
ils commencèrent à mourir dès le jour où ils reçurent cette loi de mort qui les condamne à subir la décrépitude par la vieillesse. Peut-on dire, en effet, qu'il se maintienne, ne fût-ce qu'un instant? ou plutôt ne s'écoule-t-il pas sans relâche, l'être quel qu'il soit, qu'un continuel changement précipite peu à peu vers une fin qui, loin de le perfectionner, l'éteint et le détruit? Ainsi s'est accompli ce que Dieu avait prédit: « Le jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez (1) ». Mais, de plus, un homme quelconque a-t-il reçu sa naissance charnelle après cette désobéissance de la chair, et sous l'empire de cette loi de péché et de mort ? Il aura besoin, par suite, de recevoir une nouvelle naissance toute spirituelle, non-seulement pour arriver au royaume de Dieu, mais même simplement pour être délivré de la damnation encourue par le péché. Ainsi, quand l'homme naît dans la chair, il est atteint tout à la fois et du péché et de la mort du premier Adam ; mais aussi, quand il renaît dans le baptême, il a part à la justice et à la vie éternelle du second Adam auquel il est uni. Témoin, pour le premier de ces points, les paroles de l'Ecclésiastique : « C'est par la femme que le péché a commencé, et c'est par elle que nous mourons tous (2)». Qu'on attribue, au reste, la faute à Eve ou à son époux, dans les deux cas elle appartient au premier homme ; car nous savons que la femme a été tirée de l'homme, et que tous deux sont une seule chair, selon qu'il est écrit : « Ils seront deux en une seule chair ». « Ainsi ils ne sont plus deux», a dit Notre-Seigneur, « mais une seule chair (3)».
CHAPITRE XVII. ON NE DOIT ATTRIBUER AUX ENFANTS AUCUN PÉCHÉ PERSONNEL.
22. Aussi faut-il s'épargner de trop grands efforts, quand il s'agit de réfuter ceux qui prétendent que le baptême est donné aux petits enfants pour leur remettre les fautes contractées par eux-mêmes en cette vie, et non pas celle qu'ils ont héritée d'Adam. Quand les partisans d'une telle assertion voudront réfléchir un peu sérieusement et sans parti pris de dispute, convaincus bientôt de sa parfaite et indiscutable absurdité, ils changeront aussitôt d'avis. Si d'ailleurs ils s'y refusent,
1. Gen. II, 17. 2. Eccli. XXV, 33. 3. Matt. XIX, 5, 6.
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gardons-nous de désespérer du bon sens des autres hommes, jusqu'à craindre qu'ils se laissent persuader sur ce point. Nos adversaires, si je ne me trompe, se sont laissé entraîner à tenir ce langage au préjudice d'une autre idée bien touchante. Forcés d'avouer que le baptême remet les péchés à ceux qui le reçoivent, et se refusant d'ailleurs à confesser qu'Adam leur ait légué un péché, tout en reconnaissant qu'il en est remis quelqu'un même aux petits enfants, les voilà réduits à incriminer l'enfance elle-même, comme si l'accusateur de l'enfance était plus à l'aise et plus en sûreté, par la raison que l'accusé ne saurait lui répondre. Mais, je l'ai dit, laissons plutôt ces pauvres gens : lorsqu'il s'agit de l'innocence parfaite des petits enfants, du moins quant à l'usage personnel de leur vie née d'hier à peine, les discours et les raisonnements sont inutiles si le sens commun ne la reconnaît pas tout d'abord, sans avoir besoin d'être aidé par le secours d'aucune discussion.
CHAPITRE XVIII. RÉFUTATION DE CEUX QUI VEULENT QUE LES ENFANTS SOIENT BAPTISÉS, NON POUR LA RÉMISSION DU PÉCHÉ, MAIS POUR OBTENIR LE ROYAUME DES CIEUX.
23. D'autres adversaires émettent une opinion plus séduisante, ce semble, et plus digne d'être examiné et discutée. Ils disent que si l'on baptise les petits enfants au sortir du sein maternel, ce n'est pas pour la rémission du péché, mais pour leur donner la naissance spirituelle qui leur manque; ainsi doivent-ils acquérir création en Jésus-Christ, et droit de participation à son royaume éternel ; ainsi doivent-ils devenir les enfants et les héritiers de Dieu, et les cohéritiers de Jésus-Christ. Répondons par une question. Quoique non baptisés, quoique non rendus ainsi cohéritiers de Jésus-Christ et participants au royaume des cieux, ces enfants ont-ils du moins le bénéfice du salut éternel dans la résurrection des morts? Ici, grand est votre embarras, et vous ne trouvez pas d'issue. Car jamais chrétien au monde supportera-t-il d'entendre dire que quelqu'un puisse arriver au salut éternel, sans renaître d'abord en Jésus-Christ ? Or, cette renaissance, n'est-ce pas le baptême qui l'opère ? N'est-ce pas là une règle établie par Notre-Seigneur, à l'époque même où il voulut instituer ce sacrement, précisément pour régénérer ceux qu'il appelait à l'espérance de la vie éternelle? De là, en effet, ces paroles de l'Apôtre : « Ce n'est pas d'après les oeuvres de justice que nous avons pratiuées, mais c'est selon le dessein de sa miséricorde qu'il nous a sauvés par le bain de la régénération (1) ». Ce salut, d'ailleurs, nous ne l'avons qu'en espérance tant que nous vivons ici-bas; saint Paul le dit encore: « Car c'est par l'espérance que nous avons été sauvés. Or, l'espérance qui se dévoile n'est, plus espérance ; car ce qu'on voit, l'espère-t-on ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience (2) ». Or, le salut éternel des petits enfants eux-mêmes est-il possible sans cette régénération par le baptême ?... Qui oserait l'affirmer, comme si Jésus-Christ n'était pas mort pour eux ? Et pourtant l'Apôtre déclare que « Jésus-Christ est mort pour les impies (3) ». Comme, d'une part, il est évident que ces petites créatures n'ont commis dans leur vie personnelle aucun acte impie; si, d'autre part, ils ne sont originellement enchaînés par aucun lien .d'impiété, comment le Dieu mort pour les impies est-il mort pour eux ? Si la maladie du péché d'origine ne les a aucunement blessés, pourquoi la pieuse frayeur de leurs parents s'empresse-t-elle d'accourir au médecin Jésus et de les apporter pour recevoir ce sacrement du salut éternel? Pourquoi ne dit-on pas à ces parents dans l'Eglise même : Enlevez d'ici.ces petits innocents; les personnes saines n'ont pas besoin de médecin, mais bien les malades; Jésus-Christ n'est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs? Or, dans l'Eglise de Dieu, jamais on ne prononça, jamais on ne prononce, jamais on ne prononcera semblable énormité.
CHAPITRE XIX. LE TITRE DE PÉNITENTS PEUT S'APPLIQUER AUX ENFANTS AUTANT QUE CELUI DE FIDÈLES. LES PÉCHÉS SEULS SÉPARENT L'HOMME D'AVEC DIEU.
24. Voudrait-on s'imaginer qu'il faut apporter les petits enfants au baptême. par la raison que, sans être aucunement pécheurs, ils ne sont, pas non plus du nombre des justes? Mais alors, pourquoi certains partisans de cette idée nous rappellent-ils eux-mêmes que le
1. Tit. III, 5. 2. Rom. VIII, 24, 25. 3. Id. V, 6.
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Seigneur a loué les vertus de ce premier âge, en disant: « Laissez venir à moi les petits enfants; car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent (1)? » Si dans cette parole, en effet, Notre-Seigneur n'a pas eu seulement en vue de nous proposer le modèle de l'humilité, de cette vertu qui, de fait, nous rabaisse au niveau de ces petits enfants ; s'il a voulu, au contraire, faire l'éloge de leur vie et de leur conduite même, les voilà du même coup déclarés justes. Autrement il n'aurait pu dire avec raison: « Le royaume du ciel est à ceux qui leur ressemblent » ; car ce royaume ne peut appartenir qu'à des justes. Mais, d'une part, il se petit qu'on ait tort de raisonner ainsi, et de prétendre que les paroles du Seigneur: « Le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent », fassent l'éloge de la conduite des petits enfants. Le sens précité est le véritable, c'est-à-dire que Jésus-Christ a simplement proposé le premier âge comme modèle d'humilité. D'autre part, voudrait-on maintenir encore l'affirmation que j'ai signalée, à savoir que l'on doit baptiser les petits enfants parce que, sans être pécheurs, ils ne sont point des justes? Mais Notre-Seigneur ne s'est pas contenté de dire: « Je ne suis pas venu appeler les justes » ; continuant au contraire, comme s'il avait dû répondre à cette question : « Qui donc êtes-vous venu appeler? » il a aussitôt ajouté : « Mais bien les pécheurs à la pénitence (2) ». Concluez: Si les petits enfants sont des justes, si même ils ne sont pas des pécheurs, dans tous les cas Notre-Seigneur n'est pas venu les appeler, puisqu'il a dit: « Je ne suis pas venu, appeler les justes, mais bien les pécheurs à la pénitence ». Et par suite c'est en vain, disons même, c'est avec une sorte d'insolence et de crime qu'ils se précipitent au baptême de celui qui ne les appelle pas ... Loin de nous une telle pensée ! Au contraire ils sont appelés par le médecin dont les malades et non les personnes saines ont besoin, et qui n'est pas venu appeler les justes; mais bien les pécheurs à la pénitence. Et par suite, comme ils ne sont entachés encore d'aucun péché de leur vie personnelle, c'est seulement la maladie originelle que guérit en eux la grâce de celui qui les sauve par le bain de la régénération. 25. On objectera : En quel sens ces petits
1. Matt. XIX, 14. 2. Luc, V, 32.
enfants sont-ils eux-mêmes appelés à la pénitence? Peuvent-ils donc, en si bas âge, avoir quelque faute à regretter? Nous répondrons: Si l'on ne doit pas les compter au nombre des pénitents, par la raison qu'ils n'ont 'pas encore la faculté du repentir, on ne doit pas non plus les compter au nombre des fidèles, par cette raison toute semblable qu'ils n'ont encore aucun sentiment de foi. Mais, puisqu'on admet au contraire qu'on a raison de les nommer fidèles parce qu'ils confessent la foi d'une certaine manière, par la bouche de ceux qui les portent sur les bras ; pourquoi ne pas les regarder aussi d'avance comme pénitents, puisque, par la bouche aussi de ces mêmes personnes qui nous les apportent, ils manifestent leur renoncement au démon et au siècle présent? L'espérance accomplit en eux tous ces actes religieux, par la vertu du sacrement et de la grâce divine dont le Seigneur a doté son Eglise. Qui donc ignore, au reste, que le petit enfant perdra tout le bénéfice des grâces qu'il a reçues dès le berceau, si, parvenu à l'âge de raison, il refuse de croire et ne se garde point contre les convoitises coupables? Mais toutefois aussi, en cas qu'il sorte de cette vie avec l'innocence de son baptême, le lien du péché qui souillait son origine étant brisé, il obtiendra la perfection du bonheur dans cette vraie lumière qui demeure immuable à tout jamais, et dont l'éclat illumine par la présence du Créateur tout homme justifié. Car les péchés sont les seuls murs de séparation entre l'homme et son Dieu; et les péchés tombent sous les coups de la grâce de Jésus-Christ, de ce Médiateur qui nous réconcilie quand il justifie le pécheur.
CHAPITRE XX. NUL N'APPROCHE RÉGULIÈREMENT DE LA TABLE DU SEIGNEUR AVANT D'AVOIR REÇU LE BAPTÊME.
26. L'effroi de nos adversaires au sujet des petits enfants non baptisés est motivé par cette sentence du Seigneur : « Si quelqu'un ne renaît pas de nouveau, il ne verra pas le royaume de Dieu », sentence dont il a lui-même donné en ces termes l'explication : « Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit. il n'entrera pas dans le royaume des cieux (1) ». Aussi essaient-ils de leur
1. Jean, III, 3, 5.
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accorder, à titre d'innocents, le salut et la vie éternelle, tout en les faisant, comme non baptisés, étrangers au royaume des cieux: prétention étrange et inouïe, puisqu'elle imagine le salut et la vie éternelle en dehors de l'héritage de Jésus-Christ, en dehors du royaume des cieux. Voici, au reste, un refuge encore, et comme un abri derrière lequel ils se dérobent : Notre-Seigneur n'a pas dit que si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il n'aura pas la vie, mais seulement qu'il n'entrera pas dans le royaume des cieux. La première expression, s'il l'avait prononcée, rendait par avance le moindre doute impossible. Eh bien ! pour détruire le doute en effet, n'écoutons que le Seigneur, et non pas les opinions hasardées et conjecturales de simples mortels; oui, écoutons le Seigneur nous parler lui-même, non pas, il est vrai, de ce sacrement du bain régénérateur, mais du sacrement de la sainte table, où personne n'est régulièrement admis qu'après le baptême : « Si vous ne mangez pas ma chair et si vous ne buvez pas mon sang, vous n'aurez pas la vie en vous (1) ». Que pouvons-nous chercher encore ? A cet oracle quelle réponse est possible, à moins que l'entêtement et le parti pris de tout combattre ne se roidisse les nerfs contre le rempart de l'évidente et immuable vérité (2) ? 27. Et toutefois quelqu'un n'osera-t-il pas dire que cette dernière maxime ne regarde pas les petits enfants, et qu'ils peuvent avoir la vie saris la participation à ce corps et à ce sang de Jésus? Arguera-t-on de ce que le Maître n'a pas dit : « Celui qui ne mangera pas », comme il avait dit en parlant du baptême : « Celui qui ne renaîtra pas » ; mais que sa parole au cas présent est celle-ci : « Si vous ne mangez pas » ; et qu'il semble par conséquent s'adresser à ceux qui peuvent l'écouter et le comprendre, ce qui est certainement impossible aux enfants ? Poser cette objection, c'est ne pas réfléchir que si fous les hommes ne sont pas compris dans cet oracle du Sauveur et déclarés par lui incapables d'avoir la vie en dehors de ce sang
1. Jean, VI, 57. 2. Ne soyons pas surpris d'entendre saint Augustin appliquer cette maxime aux petits enfants eux-mêmes et à propos de l'hérésie pélagienne. Deux papes, Innocent Ier et Gélase Ier, l'ont appliquée dans le même sens et contre les mêmes erreurs. Et l'illustre Bossuet, défendant ici saint Augustin contre les insinuations perfides de Richard Simon, prouve parfaitement que cet argument n'est point une subtilité, et qu'il ne confond pas une loi de nécessité de précepte avec une loi de nécessité de moyen.
du Fils de l'homme, ceux mêmes d'entre nous qui sont d'un âge plus mûr que les enfants auraient tort de s'inquiéter du précepte. Car, supposé qu'on ne tienne pas compte de l'intention formelle de Jésus-Christ, mais qu'on s'arrête à la lettre de ses paroles, son précepte pourra bien paraître s'adresser exclusivement aux auditeurs que le Seigneur exhortait au moment même. Il ne dit point, en effet : Quiconque ne mangera pas; mais: « Si vous ne mangez pas ». Mais, alors, expliquez donc son langage dans le même passage et sur le même sujet : « Le pain que je vous donnerai », dit-il, « c'est ma chair pour la vie du siècle (1) ». Voilà qui nous fait comprendre que ce sacrement nous regarde aussi nous-mêmes, bien que nous ne fussions point nés quand il parlait ainsi; car nous ne pouvons dire que nous soyons étrangers, au siècle pour la vie duquel Jésus-Christ a donné sa chair. N'est-.il pas indubitable que, sous le nom de siècle les nommes sont ici désignés, parce que leur naissance les amène dans le siècle présent? C'est dans le même sens qu'il dit ailleurs : « Les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés (2) ». Ainsi, c'est pour la vie des petits enfants aussi, que la chair du Seigneur a été donnée, puisqu'elle a été offerte pour la vie du siècle; et s'ils ne mangent point la chair du Fils de l'homme, eux non plus n'auront pas la vie. 28. De là encore cette doctrine de Jésus-Christ : « Le Père aime son Fils et lui a tout remis entre les mains. Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; mais celui qui est incrédule au Fils n'a pas la vie; au contraire, la colère de Dieu demeure sur lui (3) ». Or, dans laquelle de ces deux catégories placerons-nous les enfants? Parmi ceux qui croient au Fils ou parmi ceux qui lui sont incrédules ? Dans l'une ni dans l'autre, répondra-t-on peut-être; incapables de croire, ils ne doivent pas être non plus comptés comme incrédules. La règle de l'Eglise n'est point ainsi tracée cependant: elle adjoint les enfants baptisés au nombre des fidèles. Or, si ceux qui arrivent au baptême sont rangés au nombre des croyants par la vertu puissante de ce grand sacrement et de sa réception solennelle, bien qu'ils ne fassent, d'ailleurs, ni de bouche ni de coeur, ce qu'il faut faire pour croire et pour
1. Jean, VI, 51, 53. 2. Luc, XX, 34. 3. Jean, III, 35, 36.
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confesser la foi, dès lors certainement aussi ceux à qui le sacrement aura manqué, doivent être placés avec ceux qui ne croient pas au Fils; et par conséquent, s'ils sortent de ce monde ainsi privés de cette grâce, l'oracle précité les regarde et les frappe : ils n'auront point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur eux. Et comme d'ailleurs il est clair qu'ils n'ont point de péchés personnels, comment expliquer leur perte, si on les suppose encore non entachés même du péché originel?
CHAPITRE XXI. POURQUOI LES ENFANTS MEURENT-ILS, LES UNS BAPTISÉS ET LES AUTRES SANS BAPTÈME ? MYSTÈRE INSONDABLE.
29. Le texte sacré, toujours exact, ne dit pas ici: La colère de Dieu viendra, mais: « La colère de Dieu demeure sur lui ». Telle est, en effet, cette colère en vertu de laquelle tous les hommes sont sous le joug du péché, cette colère dont l'Apôtre a dit : « Nous avons été nous-mêmes enfants de colère par notre nature, comme tout le reste des hommes (1) »; rien au monde n'en délivre, si ce n'est la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Mais pourquoi cette grâce vient-elle à l'un et ne vient-elle pas à l'autre ? La raison de cette différence peut être un secret, ruais rie peut pas être une injustice: « Car y aurait-il injustice en Dieu? Dieu nous garde de cette pensée (2) ». Seulement et avant tout, chacun doit courber la tête sous les oracles des saintes Ecritures, pour arriver à leur vrai sens par la foi ; ce n'est pas en vain qu'il est écrit; « Vos jugements sont comme autant de vastes abîmes (3) ! » Abîmes, en effet, dont l'immensité accable en quelque sorte le grand Apôtre quand il s'écrie : « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu (4) » . Il venait lui-même d'émettre une maxime étonnamment profonde : « Dieu », avait-il dit, « Dieu a voulu que tous les hommes fussent enveloppés dans l'incrédulité, pour exercer sa miséricorde envers tous ». Et comme frappé de l'épouvante que lui inspire cet abîme, il ajoute: « O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Combien ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! Car, qui a jamais « connu la pensée du Seigneur? ou qui a
1. Eph. II, 3. 2. Rom. IX, 14. 3. Ps. XXXV, 7.
jamais été son conseiller? Qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense ? Tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui. A lui soit la gloire dans tous les siècles. Amen (1) ». Nous avouons donc que notre intelligence est bien étroite pour discuter la justice des jugements de Dieu, et surtout pour discuter la gratuité de- la grâce; certes, elle n'est point injuste envers des mérites antérieurs, puisque ces mérites n'existent pas; et cependant, quand elle est accordée à des sujets indignes, nous sommes moins émus que quand nous la voyons refusée à d'autres sujets également indignes. 30. J'en appelle à ceux mêmes qui voient une injustice dans le sort des petits enfants lorsqu'ils sortent de ce monde sans avoir reçu la grâce de Jésus-Christ : Faut-il donc, disent-ils, qu'ils soient privés non-seulement du royaume de Dieu, car nos adversaires eux-mêmes avouent que personne n'y entre sans avoir été régénéré par le baptême, mais encore du salut et de la vie éternelle? Comment est-il juste que l'un soit délivré de son péché d'origine, et que l'autre n'en soit point affranchi, lorsque la condition de l'un comme de l'autre est la même ? Eh bien ! qu'eux, à leur tour, nous répondent comment, d'après leur opinion même, la justice permet que l'un reçoive le baptême, et par lui l'entrée dans le royaume de Dieu, tandis que l'autre en est exclu, lorsque les droits de l'un comme de l'autre sont égaux ? Etes-vous émus vraiment de la raison mystérieuse qui régit le sort de deux enfants entachés tous deux au même degré de la souillure originelle, et dont l'un est affranchi de ce lien parce que le baptême lui est accordé, tandis que l'autre reste sous sa chaîne, parce qu'une grâce pareille ne lui est pas octroyée? Alors, pourquoi n'êtes-vous pas également émus de voir que, de deux êtres innocents, selon vous, dans leur origine, l'un reçoit le baptême et peut par ce moyen entrer dans le royaume de Dieu, tandis que l'autre ne le reçoit pas et se trouve dans l'impossibilité d'être admis dans ce divin royaume? Ah ! plutôt dans les deux cas le cri de l'Apôtre retrouve ici sa place : « O profondeur des divins trésors ! » D'ailleurs, après même que deux enfants ont été baptisés, qu'on me dise donc pourquoi
1. Rom. XI, 32-36.
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l'un est enlevé de ce monde, de peur que le péché: ne pervertisse son intelligence (1), tandis que l'autre, un impie à venir, vivra cependant? N'est-il pas vrai que s'ils étaient enlevés tous les deux,. tous les deux aussi entreraient dans le royaume des cieux? Et néanmoins, en .Dieu point d'injustice ! Eh quoi, encore ? Qui donc ne sera pas ému ? Qui pourra retenir le cri de son âme en face d'autres abîmes si profonds? Oui, certains petits enfants sont tourmentés par des esprits impurs, d'autres n'éprouvent rien de pareil; quelques-uns mêmes, comme Jérémie, sont sanctifiés dès le sein de leurs. mères (2) ; et cependant tous sont également coupables, s'il existe un péché d'origine, et sinon, tous sont également innocents ! Et la raison de ces différences si profondes, où la trouver? N'est-ce pas simplement parce que les jugements de Dieu sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables?
CHAPITRE XXII. RÉFUTATION DE l'OPINION QUI PRÉTEND QUE LES AXES, POUR AVOIR COMMIS DANS UNE AUTRE VIE CERTAINS PÉCHÉS, SONT JETÉES CAPTIVES EN DES CORPS EN HARMONIE AVEC LEURS MÉRITES, ET Y SONT PLUS OU MOINS CHÂTIÉES.
31. Devons-nous ici, peut-être, adopter une opinion désormais détruite et partout répudiée ? Les âmes jadis auraient péché dans un séjour céleste ; elles arriveraient comme pas à pas et par . degrés à occuper le corps qu'elles-mêmes auraient mérité, et seraient plus ou moins frappées de châtiments corporels, selon leur conduite dans une vie antérieure. Mais, d'abord, cette opinion reçoit le démenti le plus formel dans l'Ecriture sainte. A l'endroit même où le texte sacré célèbre la grâce, elle nous dit: « Esaü et Jacob n'étaient pas encore nés ; ils n'avaient encore fait ni bien ni mal, pour qu'ainsi le décret de Dieu demeurât ferme selon son choix; et ce ne fut pas à cause de leurs oeuvres, mais à cause de la vocation de Dieu, qu'il fut dit à leur mère : L'aîné sera assujetti au plus jeune (3) ». Puis, quand même on oublierait ce texte, les partisans du sentiment contraire n'échapperaient pas aux difficultés redoutables de la
1. Sag. IV, 11. 2. Jérém. I, 5. 3.
question présente. Ils s'y trouvent; au contraire, arrêtés, enchaînés et réduits à s'écrier: « O profondeur ! » Comment se fait-il, en effet, d'une. part, que tel homme montre, dès son jeune âge et à un degré supérieur, la modération, l'intelligence, la tempérance, l'empire acquis en grande partie sur ses passions, la haine de l'avarice, l'horreur pour la luxure, un privilège enfin d'ardeur et d'aptitude pour toutes les autres vertus, et qu'en même temps. il soit placé dans un pays où la grâce chrétienne ne puisse lui arriver par la prédication ? « Car comment invoquera-t-on celui auquel on ne croit point ? ou comment croira-t-on à celui dont on n'a point entendu parler ? Et comment entendra-t-on parler de lui, si personne ne vous le prêche (1) ?» Et comment arrive-t-il, au contraire,. que tel autre homme d'intelligence paresseuse, adonné à ses passions, tout couvert même déjà de crimes et de hontes, soit amené à entendre, à croire, à recevoir le baptême, puis à être ravi de ce monde, ou même à y vivre saintement, tout en y étant retenu ? En quel lieu ces deux hommes ont-ils amassé des mérites tellement différents, .qu'il arrive ainsi, je ne dis pas que l'un croit et que l'autre ne croit pas, car ici leur volonté personnelle a sa part d'action, mais que l'un entend et l'autre n'entend pas prêcher la foi, car cela n'est pas en la. puissance de l'homme ? En quel lieu, dites-moi, ont-ils amassé des mérites si opposés ? Admettons.un instant qu'ils ont déjà passé .par une certaine vie dans le ciel, de sorte que leurs actes leur ont valu d'en être bannis, de tomber sur la terre, d'être attachés à telle ou telle demeure corporelle en harmonie avec leurs oeuvres précédentes. On doit croire, du moins, que si l'un d'eux a vécu plus pure Rient avant son séjour dans un corps mortel, c'est le premier des deux sans doute, puisque, loin de mériter d'être accablé de cette chair comme d'un pesant fardeau, il possède une bonne intelligence et ressent des passions moins vives, dont il peut aisément triompher ; et cependant il n'a point mérité d'en. tendre prêcher, cette grâce qui seule peut le délivrer de la seconde, mort! Le second, au contraire, après avoir si tristement mérité là haut, dans l'opinion de nos adversaires, bien entendu, se verrait enchaîné dans une
1. Rom. X, 14.
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chair plus pesante et plus grossière, n'aurait par suite qu'un coeur dur et stupide, serait vaincu par la plus ardente concupiscence et par les plus tristes assauts de la chair ; et ainsi, aux péchés anciens qui lui auraient mérité de tomber en cette dégradation, il ajouterait par la vie la plus infâme en ce monde d'autres péchés plus détestables encore ; et cependant un tel pécheur aurait entendu sur la croix même la douce parole : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis (1) » ; ou bien encore il se serait attaché à la personne d'un apôtre ; et, dès lors, converti par sa prédication, sauvé par le bain régénérateur, il vérifierait le texte : « Où le péché a abondé a surabondé la grâce (1) ». A ce double exemple je ne vois pas de réponse possible en vérité pour ceux qui, prétendant défendre la justice de Dieu à l'aide de conjectures purement humaines, et ignorant les profondeurs de la grâce, inventent un tissu de fables absurdes. 32. Il y aurait beaucoup à dire sur les merveilleuses vocations à la foi dont nous avons lu les exemples, ou dont nous avons d'ailleurs l'expérience. Cela suffirait à ruiner l'opinion qui admet pour les âmes humaines une vie antérieure à l'existence actuelle dans un corps, et la supposition qu'elles y descendent seulement par suite de leur conduite personnelle antécédente, afin d'éprouver ici-bas le bien ou le mal selon la diversité de leurs mérites. Mais le besoin de nous borner dans le présent écrit ne nous permet pas d'insister davantage sur ces idées. J'ai trouvé un fait cependant, admirable entre tous, et que je ne tairai point. Supposons, avec nos adversaires, que les âmes soient condamnées à porter plus ou moins lourdement le poids d'un corps terrestre, d'après la vie qu'elles auraient menée dans quelque région céleste avant leur existence corporelle. Qui donc, en cette hypothèse, aura commis les péchés les plus criminels et les plus monstrueux ? N'accuserons-nous pas tous et bien haut ces hommes qui auraient mérité de perdre la raison, cette lumière de l'âme, au point de venir au monde dans un état voisin de la brute ? Je ne parle pas seulement de ceux qui sont atteints d'une pesanteur excessive d'intelligence: d'autres, comme eux, sont ainsi qualifiés d'imbéciles ;
1. Luc, XXIII, 43.
cites ; non ; je parle de ces pauvres aliénés qui sont voués à faire rire nos populations saines d'esprit et à les amuser tristement par le spectacle de leur folie ; ceux enfin que le peuple appelle Morions, d'un terme dérivé du grec moros » . Parmi ces êtres, cependant, un homme s'est rencontré tellement chrétien, que, patient à l'extrême, grâce à son étonnante folie, quand il ne s'agissait que de souffrir les injures dont il était l'objet, il ne pouvait, au contraire, supporter l'injure faite au nom de Jésus-Christ ou même à la religion, dans sa pauvre personne d'insensé ; quand il entendait les blasphèmes de gens prétendus sains d'esprit qui se plaisaient ainsi à le provoquer, il ne cessait de les poursuivre à coups de pierres et n'épargnait pas même ses maîtres en pareil cas. Pourquoi de tels hommes sont-ils prédestinés et créés ? A mon avis, c'est pour que ceux qui peuvent comprendre, comprennent en effet que dans l'ordre de la grâce de Dieu, de cet Esprit qui souffle où il veut (1), aucune sorte d'esprit humain n'est exclue du nombre des enfants de miséricorde, comme aussi les enfants de perdition comptent parmi eux toutes sortes d'intelligence ; ainsi faut-il que « celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (2) ». Viennent maintenant ceux qui affirment que chacune de nos âmes, d'après ses mérites dans une vie précédente, reçoit un corps terrestre qui, du reste, charge les uns plus, les autres moins ; que selon ces mêmes mérites, les intelligences humaines sont créées différentes aussi, les unes étant plus vives, les autres plus grossières ; qu'enfin, et toujours en proportion des mérites d'une vie antérieure, la grâce divine est dispensée aux hommes qui doivent être sauvés. Dans leur hypothèse que répondront-ils au sujet de notre pauvre fou? Comment lui attribuer une vie antécédente tellement exécrable qu'elle lui aurait valu sa naissance dans cet état de démence, et cependant tellement méritoire qu'elle lui aurait aussi procuré la grâce de Jésus-Christ, au point d'être préférable aux chrétiens même les plus intelligents ? 33. Ah ! plutôt, cédons aux saintes Ecritures et tombons d'accord avec cette autorité qui ne sait ni tromper ni se tromper. Dès lors, comme déjà nous ne croyons point que personne
1. Jean, III, 8. 2. I Cor. I, 31.
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avant de naître ait fait quelque bien ou quelque mal qui doive établir une différence de mérite, ainsi gardons-nous de douter aucunement que tous les hommes ne soient assujettis à ce péché qui est entré dans le monde par un seul homme et s'est transmis à tous les autres, sans qu'aucune puissance en délivre, si ce n'est seulement la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
CHAPITRE XXIII. JÉSUS-CHRIST, POUR LES ENFANTS MÊMES, EST SAUVEUR ET RÉDEMPTEUR.
Oui, l'avènement médicinal de Jésus-Christ est un besoin; non pour des âmes saines, mais pour des âmes malades, parce qu'il est venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs ; nul n'entrera dans son royaume, sinon celui qui aura -reçu une seconde naissance dans l'eau et dans le Saint-Esprit ; nul enfin, en dehors de son royaume, ne possédera le salut et la vie éternelle. Non, il n'entrera point dans la vie, celui qui n'aura point mangé la chair de Jésus, celui qui aura été incrédule au Fils de l'homme; mais la colère de Dieu demeure sur lui. Ceux mêmes qui n'ont aucun péché personnel à raison de leur âge, ont contracté déjà ce péché originel, ils sont ainsi par nature enfants de colère ; et de cette colère, de cette maladie, de ce péché, nul n'est affranchi que par l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde (1) ; que par le médecin qui n'est pas venu pour les hommes bien portants, mais pour les malades, que par le Sauveur dont la venue a été annoncée au genre humain en ces termes : « Il vous est né aujourd'hui un Sauveur (2) » ; que par le Rédempteur dont tout le sang efface notre dette. Car, qui oserait dire que Jésus-Christ ne soit pas le Sauveur et le Rédempteur des enfants? Et de quoi les sauve-t-il, s'il ne trouve en eux aucune maladie de péché originel? Comment les rachète-t-il, s'ils n'ont pas été vendus au péché, rien que par leur naissance du premier homme ? N'allons donc pas, à notre fantaisie, promettre aux enfants aucune sorte de salut éternel en dehors du baptême de Jésus-Christ ; la divine Écriture, qui ne fait point semblable promesse, doit être préférée à tout esprit humain.
1. Jean, I, 29. 2. Luc, II, 11.
CHAPITRE XXIV. LES CHRÉTIENS D'AFRIQUE APPELLENT EUX-MÊMES LE BAPTÊME LE SALUT, ET L'EUCHARISTIE LA VIE.
34. Les chrétiens d'Afrique ont parfaitement raison d'appeler simplement le baptême le salut ; de nommer simplement- le sacrement du corps de Jésus-Christ la vie. D'où leur vient cette coutume, en effet, sinon de la tradition antique, je crois même apostolique, qui leur fait admettre du fond de leurs entrailles un dogme de l'Église de Jésus-Christ : à savoir que, en dehors du baptême et de la participation à la table du Seigneur, aucun homme ne peut arriver non-seulement au royaume de Dieu, mais même au salut et à la vie éternelle ? C'est, au reste, ce qu'ai. teste aussi l'Écriture, comme nous l'avons fait remarquer plus haut. En effet, appeler le baptême le salut, qu'est-ce croire, sinon ce qui est- écrit : « Il nous a sauvés par le bain de la régénération (1) » ; ou encore ce qu'a écrit saint Pierre: « Ainsi le baptême de forme semblable vous sauve vous-mêmes (2) ? » Enfin, désigner sous le nom de vie le sacrement de la table du Seigneur, qu'est-ce autre chose que rappeler la parole de Jésus : « Je suis le pain vivant, moi qui suis descendu du ciel ; le pain que je « vous donnerai, c'est ma chair pour la vie du siècle » ; et : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous (3) ? » Concluons. D'une part, les oracles divins si nombreux et si imposants le proclament de concert : nul n'a le droit d'espérer le salut ni la vie éternelle sans le baptême et sans le corps et le sang du Seigneur; par suite, c'est en vain qu'on ose, en dehors de ces moyens, faire aux enfants de semblables promesses. Mais, d'autre part, il est certain que le péché, et le péché seul sépare l'homme de la vie éternelle. Donc, les sacrements précités ne font qu'affranchir les petits enfants de ce lien du péché qui les souille. Aussi est-il écrit de cette souillure que « personne n'est pur, pas même l'enfant qui n'a qu'un jour (4) »; De là encore ce cri du psaume : « Car j'ai été conçu dans l'iniquité; et ma mère, me portant
1. Tit. III, 5. 2. I Pierre, III, 21. 3. Jean, VI, 51, 52, 54. 4. Job, XIV, 4; selon les LXX.
499
en son sein, m'a nourri dans le péché (1) ». De deux choses l'une, en effet, si David ne parle pas ici au nom de l'homme en général, c'est qu'il parlerait de lui-même personnellement; mais non, car il n'est point né de la fornication, mais bien d'une légitime alliance. Ainsi, ne doutons point que le sang de Jésus-Christ n'ait été versé, même pour les enfants qui devaient recevoir le baptême; car ce. sang, avant d'être répandu, nous fut donné et recommandé dans le sacrement en ces termes bien significatifs: « Ceci est mon sang, qui sera répandu pour plusieurs en rémission de leurs péchés (2) ». Or, c'est bien nier la délivrance des petits enfants que ne pas vouloir avouer leur naissance dans l'état du péché; car, de.quoi sont-ils. délivrés, s'ils ne sont en aucune sorte enchaînés par la servitude du péché? 35. Jésus-Christ dit encore : « Je suis venu, moi la lumière du monde, pour que tous ceux qui croiront en moi ne demeurent pas dans les ténèbres (3) ». Que démontrent ces paroles du Seigneur, sinon que tout homme qui ne croit pas en lui est dans les ténèbres ; tandis que s'il croit, il réussit à rie point demeurer dans les ténèbres? Et, par ces ténèbres, pouvons-nous entendre autre chose que le péché? Au reste, en quelque sorte qu'on les entende, bien sûrement au moins celui qui ne croit pas en Jésus-Christ demeure dans ces ténèbres mêmes ; et certainement aussi, ces ténèbres ont un caractère pénal et ne ressemblent pas à celles de la nuit, si nécessaires au repos de tout être vivant.
CHAPITRE XXV. ON CONCLURAIT BIEN A TORT DE L'ÉVANGILE QUE LES PETITS ENFANTS SOIENT ILLUMINÉS DÉS LEUR NAISSANCE.
Donc évidemment, les petits enfants, à moins de passer au nombre des croyants par le sacrement institué de Dieu à cet effet, resteront dans les ténèbres. 36. Je ne dissimule pas que certaines personnes regardent les enfants comme illuminés bientôt après leur naissance. Ils entendent ainsi ce qui est écrit: « La vraie lumière était celle qui illumine tout homme venant en ce monde (4)». Mais si c'est le sens du texte évangélique, on doit s'étonner que ces enfants
1. Ps. L, 7. 2. Matt. XXVI, 28. 3. Jean, XII, 46. 4. Id. I, 9.
soient illuminés par le Fils unique de Dieu, par celui qui était le Verbe, Dieu en Dieu, dès le commencement, et que cependant il nous faille les exclure du royaume de Dieu, comme n'étant ni les héritiers de Dieu, ni les cohéritiers de Jésus-Christ. Ce privilège, en effet, ne leur est accordé que par le baptême, de l'aveu même de ceux qui professent cette opinion. Puis, une fois qu'ils ont été illuminés, bien que incapables encore d'arriver au royaume de Dieu, ces enfants devraient recevoir du moins, avec joie et transport, le baptême lui-même; comment donc, au contraire, les voyons-nous résister avec des cris et des larmes ? Cette touchante ignorance de cet âge si tendre nous fait simplement pitié; et, comme nous savons quelle est pour eux l'utilité des sacrements, nous les leur conférons en toute cérémonie, malgré leur résistance. Comment, d'ailleurs, l'Apôtre nous recommande-t-il de « ne pas être des enfants par l'intelligence (1) », si ces intelligences d'enfants sont vraiment illuminées déjà par cette lumière véritable que nous appelons le Verbe de Dieu? 37. Comprenons donc bien ce texte de l'Evangile : « La vraie lumière était celle qui éclaire tout homme venant en ce monde ». Il doit nous apprendre qu'aucun homme ne reçoit la lumière, sinon de cette lumineuse vérité qui est Dieu lui-même; ce texte prévient donc l'erreur où pourrait tomber celui qui se croirait illuminé par le maître humain, dont il lui faut écouter les leçons pour s'instruire; ce maître fût-il d'ailleurs je ne dis pas un homme de génie, mais un ange même du ciel. Sans doute la parole de la vérité emprunte l'organe physique de la voix et retentit au dehors ; mais néanmoins, « celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui arrose; mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (2) ». L'homme entend cette voix humaine ou angélique; mais, pour sentir et pour connaître la vérité que les paroles expriment, il subit l'irradiation intérieure dans son âme, de cette lumière qui demeure éternellement, et dont il est dit aussi qu'elle luit dans les ténèbres. Et comme la clarté dl soleil n'arrive point aux aveugles,. bien qu'ils soient eux-mêmes enveloppés, si j'ose le dire, de ses puissants rayons, ainsi la lumière divine n'est point saisie par les ténèbres de la folie.
1. I Cor. XIV, 20. 2.
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38. Or, après avoir dit : «Cette lumière éclaire tout homme », l'Evangéliste ajoute : « Venant en ce monde ». Pourquoi cette addition? Cette phrase incidente a fait naître, en effet, l'opinion que tout aussitôt après la sortie du sein corporel de leur mère, l'âme de l'enfant qui ne fait que de naître reçoit ce rayon de lumière. Il est à remarquer que dans le texte grec le mot (1) est choisi de manière à signifier tout aussi bien que c'est la lumière elle-même qui vient en ce monde. Cependant, si c'est l'homme venant en .ce monde qu'il faut nécessairement entendre, il y a, selon moi, deux interprétations plausibles ici. Ou bien vous ne verrez en cette incidente qu'une phrase purement explicative, comme il y en a plus d'une dans l'Ecriture, une phrase qu'on peut supprimer sans changer en rien le sens principal. Ou bien vous tiendrez à croire que cette incidente a vraiment été ajoutée pour formuler une idée distincte et particulière; alors cette idée elle-même est susceptible d'être comprise de deux manières. La première, c'est qu'elle aurait pour but d'établir la différence entre l'illumination spirituelle et cette illumination corporelle qui éclaire en nous les yeux de la chair par le secours de ces flambeaux allumés au ciel ou de tout autre feu visible; ainsi, par l'homme venant en ce monde, l'Evangile aurait désigné l'homme intérieur, parce que l'homme extérieur est tout corporel comme ce monde même; et en écrivant Cette lumière illumine tout homme venant en ce monde, ce serait dire l'équivalent de cet autre texte : « J'ai eu en partage une âme a bonne, et je suis venu dans un corps exempt de souillure (2) »; je le répète : S'il faut voir une idée distincte de la phrase principale dans l'incise, « elle éclaire tout homme venant en ce monde », entendons-la comme si elle disait qu'elle éclaire tout homme intérieur, parce que l'homme intérieur, quand il de. vient vraiment sage, est alors illuminé par celui-là seul qui est la lumière véritable. Dans un second sens, préfère-t-on voir dans cette lumière la raison elle-même, à qui l'âme humaine doit d'être appelée raisonnable; la raison qui, bien qu'elle se cache dans une sorte de repos et de sommeil, n'en est pas
1. En effet, le participe grec est à la fois masculin et neutre, et peut se rapporter à l'un des deux mots phos, lumen, ou anthropos, homme; comme en français notre participe venant qualifierait également bien la lumière ou l'homme. 2. Sag. VIII, 19, 20.
moins gravée et comme à l'état de semence dans les petits enfants ? Est-ce la raison que l'Evangile a voulu nommer illumination, comme étant la création de l'oeil intérieur? Dans cette hypothèse, on doit accorder que, en effet, cette illumination se fait dès que l'âme est créée; il n'y a pas d'absurdité à la croire ainsi réalisée, lorsque l'homme vient en ce monde. Et toutefois, si l'il est bien réellement créé déjà, il restera nécessairement dans les ténèbres, s'il n'arrive pas à la foi en celui qui a dit : « Je suis la lumière du siècle, pour que tous ceux qui croient en moi ne demeurent pas dans les ténèbres ». Or, cet heureux effet se produit dans les petits enfants par le sacrement de baptême. Loin d'en douter, l'Eglise, en véritable mère, leur prête son coeur et sa bouche maternelle pour leur faire recevoir l'impression profonde des sacrés mystères; car, personnellement, eux-mêmes ne peuvent encore croire avec leur coeur pour être justifiés, ni confesser avec leur bouche pour être sauvés (1) ; ce qui n'empêche pas qu'aucun fidèle n'hésite à les appeler comme lui-même fidèles, et ce nom dérive certainement de l'idée de croire. S'ils n'ont pu répondre eux-mêmes en recevant le sacrement, d'autres ont répondu pour eux.
CHAPITRE XXVI. ON CONCLUT QUE TOUS LES HOMMES NAISSENT ASSUJÉTIS AU PÉCHÉ ORIGINEL.
39. Il serait trop long de discuter, comme nous venons de le faire, chacun des textes sacrés. Mais il me paraît utile de ramasser en bloc tous ceux que nous pourrons trouver, ou du moins ceux qui nous paraîtront suffire à démontrer un point : c'est que la raison de l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans notre chair, la cause qui lui a fait prendre ainsi la forme de l'esclave et devenir obéissant jusqu'à la mort de la croix (2), ce fut uniquement de sa part la volonté d'épancher les bienfaits de sa grâce infiniment miséricordieuse sur tous ceux dont il est le chef et le guide à la conquête du royaume des cieux, parce que ceux-là aussi ont été choisis pour faire partie de son corps et en être comme les membres. Ainsi voulut-il vivifier, sauver, délivrer, racheter, illuminer ceux qui avaient d'abord appartenu à l'empire du démon,
1. Rom. X, 10. 2. Philipp. II, 7, 8.
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prince du péché, qui les tenait enchaînés par le péché même dans la mort, les langueurs, l'esclavage, la captivité et les ténèbres. Par là encore Jésus devenait le médiateur entre Dieu et les hommes, puisque par lui, par la paix de sa grâce, s'éteignaient les inimitiés de notre impiété; notre réconciliation se faisait avec Dieu pour la vie éternelle; nous étions arrachés à la mort éternelle qui nous menaçait dans ce premier état. Quand ce point sera plus vivement éclairci, une conséquence s'ensuivra: c'est que ceux-là ne peuvent prétendre à la dispensation de grâce opérée par sa divine humilité, qui n'ont pas besoin de vie, de salut, de délivrance, de rédemption, d'illumination. Et comme à cette grâce se rattache le baptême, dans lequel les membres de Jésus-Christ, c'est-à-dire ses fidèles, doivent être ensevelis d'abord pour être incorporés à leur chef sacré; donc évidemment aussi, le baptême n'est point nécessaire à ceux qui n'ont pas besoin de ce bienfait de la rémission et de la réconciliation que produit le Médiateur. Or, nos adversaires nous accordent que les petits enfants doivent être baptisés; et, en effet, il leur est impossible de marcher ici à l'encontre de cette autorité de l'Église universelle qu'elle tient elle-même, sans aucun doute, du Seigneur et des Apôtres. Donc, il faut qu'ils nous accordent que ces petits enfants aussi ont besoin de notre médiateur; les mêmes bienfaits de sa part sont indispensables pour être lavés eux-mêmes par le sacrement et par la charité des fidèles, pour acquérir l'incorporation au corps de Jésus-Christ qui est l'Église, et par suite la réconciliation avec Dieu; pour devenir en lui vivants, illuminés, sauvés, délivrés, rachetés, et de quoi ? sinon de la mort, des ténèbres, des vices, de la souillure, de l'esclavage produit par les péchés. Comme d'ailleurs, à pareil âge, ils n'ont pu commettre aucune faute personnelle, reste donc le péché originel.
CHAPITRE XXVII. TEXTES DE L'ÉCRITURE.
40. Ce raisonnement deviendra plus fort quand j'aurai amassé en grand nombre les textes que j'ai promis. Outre celui déjà cité «Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1) », qu'on se rappelle une autre
1. Luc, V, 32.
parole du Sauveur quand il fut entré chez Zachée : « Le salut est venu aujourd'hui pour cette maison, car celui-ci est aussi un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (1) » . Cet oracle répète, on le voit, la parabole de la brebis perdue, que le Seigneur cherche et retrouve après avoir abandonné au désert les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles; on y sent de même l'allégorie de la drachme perdue, lorsque les neuf autres drachmes étaient conservées (2). « Aussi bien fallait-il », c'est toujours Jésus qui parle, « que la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem (3) » ; et saint Marc, à la fin de son Évangile, atteste le même commandement du Seigneur : « Allez par le monde entier », dit Jésus-Christ, « enseignez l'Évangile à toute créature ; celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé; mais celui qui ne croira pas sera condamné (4) ». Or, qui ne sait que, pour les enfants, croire c'est être baptisé; ne pas croire c'est ne pas être baptisé? Nous avons déjà emprunté plusieurs textes à l'Évangile de saint Jean; toutefois remarquez ceux-ci encore : Jean-Baptiste dit de Jésus-Christ : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (5) . Le Seigneur, parlant de lui-même, prononce : « Ceux qui sont du nombre de mes brebis écoutent ma voix, et moi-même je les connais, et elles me suivent; je leur donne la vie éternelle, et jamais elles ne périront (6) ». Or, les petits enfants ne commencent à être ses ouailles que par le baptême ; donc, s'ils ont le malheur de ne pas le recevoir, ils périront, puisqu'ils n'auront pas la vie éternelle qu'il donnera à ses brebis. Aussi dit-il ailleurs : « Je suis la voie, la vérité et la vie; personne ne vient à mon Père, si ce n'est par moi (7) » . 41. Les Apôtres, héritiers de cette doctrine, la proclament avec la dernière évidence. C'est d'abord saint Pierre, dans sa première épître : « Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, selon la grandeur de sa miséricorde, nous a régénérés par la résurrection de Jésus-Christ, pour nous donner l'espérance de la vie éternelle et nous conduire à cet héritage immortel, incorruptible,
1. Luc, XIX, 9, 10. 2. Id. XV, 3-10. 3. Id. XXIV, 46, 47. 4. Marc, XVI, 15, 16. 5. Jean, I, 29. 6. Id. X, 27, 28. 7. Id. XIV, 6.
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toujours florissant, et qui vous est réservé dans les cieux; à vous que la vertu de Dieu conserve par la foi pour vous faire jouir du salut qui doit vous être découvert à la fin des temps ». Et un peu plus loin : « Puissiez-vous être trouvés dignes de louanges et d'honneur aux yeux de Jésus-Christ, que d'abord vous n'aviez pas connu ! Et maintenant, même sans le voir, vous croyez en lui; mais quand vous le verrez, vous tressaillirez d'une joie inénarrable, d'une joie glorieuse et pure, parce que vous recevrez, comme l'héritage promis à votre foi, le salut de vos âmes (1) ». Il dit de même en un autre passage : « Quant à vous, vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple reçu à l'adoption, destiné à publier les grandeurs de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (2) ». Et encore : « Jésus-Christ a souffert pour nos péchés ; juste, il a souffert pour les injustes, afin de nous ramener à Dieu ». Puis l'Apôtre rappelle que dans l'arche de Noé huit personnes ont trouvé le salut, et il ajoute: « C'est de la même manière que le baptême vous a sauvés (3) ». Voilà bien un salut et une lumière à laquelle sont étrangers les petits enfants, condamnés à demeurer dans la perdition et les ténèbres, à moins d'être admis par l'adoption dans le sein du peuple de Dieu, en confessant que Jésus-Christ, juste toujours, a souffert cependant pour les injustes, afin de les ramener à Dieu. 42. L'épître de saint Jean m'a fourni, à son tour, les textes suivants qui m'ont paru se rapporter nécessairement à la question présente : « Si nous marchons dans la lumière, comme lui-même est dans la lumière, nous avons entre nous la plus étroite union, et le sang de Jésus, Fils de Dieu, nous purifiera de tout péché (4) ». Et ailleurs : « Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus imposant encore ; et voici ce témoignage de Dieu, plus imposant qu'aucun, c'est celui qu'il a rendu à son Fils. Celui qui croira au Fils de Dieu possédera en lui-même ce témoignage. Celui qui ne croit pas en Dieu le déclare lui-même menteur, en refusant de croire au témoignage qu'il a rendu de son Fils. Et
1. Pier. I, 3-9. 2. Id. II, 9. 3. Id. III, 18-21. 4. I Jean, 1, 7.
ce témoignage, c'est que Dieu nous a donné la vie éternelle; et cette vie est dans son Fils. Celui qui possède le Fils possède la vie; celui qui n'a point le Fils n'a point la «vie (1)». Ainsi les enfants ne seront pas privés seulement du royaume des cieux, mais de la vie même, s'ils ne possèdent pas le Fils; et certainement aussi ils ne peuvent avoir le Fils s'ils ne reçoivent le baptême établi par lui. Un autre passage déclare dans le même sens que « c'est pour détruire les uvres du diable que le Fils de Dieu est venu dans le monde (2) ». Donc les enfants n'auront aucune part à la grâce de cet avènement du Fils de Dieu, tant que lui-même ne détruira pas en eux les uvres du diable. 43. Et maintenant, remarquez sur ce point essentiel les témoignages de l'apôtre saint Paul, d'autant plus nombreux ici que lui-même a écrit plus d'épîtres qu'aucun Apôtre, et que, d'ailleurs, il s'est plus particulière. ment porté le défenseur de la grâce de Dieu contre les gens qui se glorifiaient de leurs oeuvres, ignorant en ceci la justice de Dieu pour faire valoir leur propre justice, et ainsi refusant de se soumettre au Dieu souverainement juste (3). Citons d'abord l'épître aux Romains: « La justice qui vient de Dieu est répandue sur tous ceux qui croient, car il n'y a pas de distinction. Tous ont péché, en effet; tous ont donc besoin de la grâce de Dieu; tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. C'est lui que Dieu à proposé pour être la victime de propitiation en son sang par la foi; ainsi Dieu voulut-il montrer la justice que donne le Sauveur, comme les péchés précédents avaient dû montrer la patience de Dieu; ainsi voulut-il manifester encore là justice de Jésus à notre époque, de sorte que Dieu est tout ensemble celui qui est juste et celui qui justifie l'homme qui a la foi en Jésus (4) ». Même doctrine en un autre passage: « La récompense qui se donne à quelqu'un pour ses uvres né lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Au contraire, lorsqu'un homme, sans faire des oeuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice. C'est ainsi que David proclame la béatitude de
1. I Jean, V, 9-12. 2. Id. III, 8. 3. Rom. X, 3. 4. Id. III, 22-26.
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l'homme à qui Dieu impute la justice sans les oeuvres : Heureux, dit-il, ceux dont les iniquités ont été remises, ceux dont les a péchés ont été couverts ! Heureux l'homme à qui Dieu n'a point imputé de péché (1) » Et peu après: « Or, ce n'est pas pour Abraham seul qu'il est écrit que sa foi lui est imputée à justice, mais aussi pour nous, à qui cette justice sera imputée de même, si nous croyons en Celui qui a ressuscité d'entre les morts Jésus-Christ Notre-Seigneur, lequel a été livré à la mort pour nos péchés, et lequel est ressuscité pour notre justification (2) ». Et encore : « Lorsque nous étions encore dans les langueurs du péché, Jésus-Christ est mort dans le temps pour les impies (3) ». Et ailleurs : « Car nous savons que la loi est spirituelle; mais pour moi je suis charnel, étant vendu pour être assujetti au péché. Car j'ignore vraiment ce que je fais ; en effet, je ne fais pas ce que je veux, je fais au contraire ce que je hais. Et toutefois, si je fais ainsi ce que je ne veux pas, je consens à la loi et reconnais qu'elle est bonne. Ainsi ce n'est plus moi qui fais cela, mais c'est le péché qui habite en moi. Car je sais qu'il n'y a rien de bon en moi, c'est-à-dire dans ma chair ; parce que je trouve en moi la volonté de faire le bien, mais je ne trouve point le moyen de l'accomplir. Car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. Si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi. Lors donc que je veux faire le bien, je trouve en moi une loi qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi. Car je me plais dans la loi de Dieu : selon l'homme intérieur; mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché, qui est dans les membres de mon corps. Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort? Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (3) ». Prétende maintenant qui pourra que les hommes ne naissent point avec un corps de mort! Il faut aller jusque-là pour pouvoir prétendre, en conséquence, à la non-nécessité pour eux de la grâce de Dieu par Jésus-Christ, laquelle doit les délivrer de ce corps de mort.
1. Rom. IV, 4-8, 23-25. 2. Id. V, 6. 3. Id. VII, 14-25.
L'Apôtre ajoute bientôt dans le même sens : « Car ce que la loi ne pouvait opérer, parce que la chair rendait la loi impuissante, Dieu l'a fait en envoyant son Fils revêtu d'une chair semblable à la chair du péché; et, par le péché, il a condamné le péché dans la chair (1) ». Affirme ici qui l'ose cette nécessité de la naissance de Jésus-Christ en la ressemblance de la chair du péché, supposé que nous ne fussions pas nés nous-mêmes dans la chair du péché ! 44. Même langage aux Corinthiens : « Je vous ai transmis tout d'abord », dit-il, « la doctrine que j'ai reçue moi-même : c'est que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures (2) ». Même enseignement dans la seconde épître aux Corinthiens: « Car l'amour de Jésus-Christ nous presse, considérant que si un seul est mort, pour tous, donc tous sont morts; et en effet, Jésus-Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour, celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux. C'est pourquoi nous ne connaissons plus désormais personne selon la chair, et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Si donc quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une a nouvelle créature; ce qui était devenu vieux est passé, et tout est devenu nouveau. Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui-même par Jésus-Christ, et qui nous a confié le ministère de la réconciliation. Et comment? Parce que Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant ainsi le monde et n'imputant point aux hommes leurs péchés; et c'est lui qui a mis en nous la parole de réconciliation. Nous faisons donc la fonction d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, et c'est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche. Ainsi nous vous conjurons, au nom de Jésus-Christ, de vous réconcilier avec Dieu, puisque pour l'amour de nous il a rendu victime pour le péché celui qui ne connaissait point le péché, afin qu'en lui nous devinssions justes de la justice de Dieu. Etant donc les coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons à ne pas; recevoir en vain la grâce de Dieu. Car il dit lui-même : Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Voici maintenant
1. Rom. I Cor. IV, 3.
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le temps favorable, voici les jours du salut (1) ». Si les enfants sont absolument exclus de cette réconciliation et de ce salut, pourquoi les appeler avec sollicitude au baptême de Jésus-Christ? Et s'ils y sont admissibles, c'est donc qu'ils se trouvent au nombre des hommes morts, pour lesquels Jésus a voulu mourir; or, ils ne peuvent être ainsi réconciliés ni sauvés, à moins que Jésus ne leur remette leurs péchés et cesse dès lors de les leur imputer. 45. Même doctrine aux Galates : « Grâce et paix sur vous de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher à ce siècle corrompu (2) ». Et dans un autre passage : « La loi n'a été établie que pour faire connaître les prévarications, jusqu'à l'avènement de celui qui devait naître d'Abraham et que la promesse regardait. Et cette loi a été donnée par le ministère des anges et par l'entremise d'un médiateur. Or, un médiateur n'est pas d'un seul ; mais il n'y a qu'un Dieu. La loi est-elle donc opposée aux promesses de Dieu ? Nullement. Car si la loi qui a été donnée avait pu vivifier, on pourrait alors dire avec vérité que la justice s'obtiendrait par la loi. Mais l'Ecriture a comme renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu a promis fût donné par la foi en Jésus-Christ à ceux qui croiraient en lui (3) ». 46. Citons encore les paroles aux Ephésiens : « Et vous-mêmes, il vous a aussi ressuscités en Jésus-Christ, lorsque vous étiez morts par vos dérèglements et par, vos péchés, dans lesquels vous avez autrefois vécu selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, cet esprit qui exerce maintenant son pouvoir sur les incrédules et les rebelles. Nous avons tous été aussi nous-mêmes autrefois dans les mêmes désordres, vivant selon nos passions charnelles, nous abandonnant aux désirs de la chair, et de notre esprit; car nous étions naturellement enfants de colère, ainsi que les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés, nous adonné la vie, quand nous étions morts par nos péchés, dans le Christ dont la grâce nous a sauvés ». Et bientôt après: « Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi ; et cela ne vient pas de vous, puisque
1. II Cor. V, 14 ; VI, 2. 2. Gal. I, 3, 4. 3. Id. III, 19-22.
que c'est un don de Dieu. Cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne s'en glorifie. Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions ». L'Apôtre continue : « Vous n'aviez point alors de part à Jésus-Christ ; vous étiez entièrement séparés de la société d'Israël ; vous étiez étrangers à l'égard des alliances divines; vous n'aviez pas l'espérance des biens promis ; vous étiez sans Dieu en ce monde. Mais, maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés de.Dieu, vous vous êtes approchés par le sang de Jésus-Christ. Car c'est lui qui est notre paix, qui des deux peuples n'en a fait qu'un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa mort a aboli la loi chargée de tant de préceptes et d'ordonnances, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples, en mettant la paix entre eux ; et afin que, les ayant réunis tous deux dans un seul corps, il les réconciliât avec Dieu par sa croix, ayant détruit en soi-même leur inimitié. Ainsi il est venu annoncer la paix, tant à vous qui étiez éloignés de Dieu, qu'à ceux qui en étaient proches ; car c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres auprès du Père dans un même esprit (1) ». Il dit encore ailleurs . « En toute vérité et d'après Jésus-Christ, vous devez déposer le vieil homme quant à sa conduite antérieure, l'homme qui se corrompt en suivant l'illusion de ses passions, puis vous renouveler dans l'intérieur de votre âme, et vous revêtir de l'homme nouveau, de celui qui a été créé selon Dieu dans une justice et, une sainteté véritables ». Et ailleurs encore : « N'attristez pas l'Esprit; de Dieu, dont vous avez été marqués comme d'un sceau, pour le jour de la rédemption (2) ». 47. Voici de même ces paroles aux Colossiens : « Rendons grâces à Dieu le Père, qui, en nous éclairant de sa lumière, nous a rendus aptes à participer au sort et à l'héritage de ses saints ; qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres, et nous a fait passer dans le royaume de son Fils bien-aimé, par lequel nous avons obtenu la rédemption dans la rémission de nos péchés (3) ». Et dans à
1. Eph. II, 1-18. 2.
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un autre passage: « Et c'est en lui que vous en êtes remplis, lui qui est le chef de toute principauté et de toute puissance. Comme c'est en lui que vous avez été circoncis d'une circoncision qui n'est pas faite de main d'homme, mais qui consiste dans le dépouillement du corps des péchés, que produit la concupiscence charnelle, c'est-à-dire de la circoncision de Jésus-Christ ; ayant été ensevelis avec lui par le baptême, dans lequel vous avez aussi été ressuscités par la foi .que vous avez eue que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts par l'efficace de sa puissance. Car lorsque vous étiez dans la mort a de vos péchés et dans l'incirconcision de votre chair, Jésus-Christ vous a fait revivre a avec lui, vous pardonnant tous vos péchés. Il a effacé par son sang la cédule qui s'élevait contre nous par ses décrets ; il a entièrement aboli cette cédule qui nous était contraire, il l'a abolie en l'attachant à sa croix; et, se dépouillant lui-même de sa chair, il nous a donné l'exemple d'un triomphe public et confiant sur toutes les principautés et sur toutes les puissances, après a les avoir ainsi vaincues dans sa personnel (1) ». 48. Il écrit à Timothée : « C'est une vérité touchante et digne d'être reçue avec une parfaite soumission, que Jésus-Christ est venu dans le monde sauver les pécheurs a entre lesquels je suis le premier, mais j'ai reçu miséricorde afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fît éclater son extrême patience, et que je devinsse un a exemple à ceux qui croiront en lui pour obtenir la vie éternelle (2) ». Il dit de même : « Il n'y a qu'un Dieu, mais aussi qu'un seul médiateur entré Dieu et les hommes, c'est Jésus-Christ fait homme, lequel s'est donné en rédemption pour tous (3) ». Dans la seconde épître au même Timothée, nous lisons : « Ne rougissez donc point de Notre-Seigneur, que vous devez confesser, ni de moi qui suis son captif ; mais souffrez avec moi pour l'Evangile, selon la force que vous recevrez de Dieu, qui nous sauve et nous appelle par sa vocation sainte, non selon nos oeuvres, mais selon son décret et selon cette grâce qui nous a été donnée par Jésus-Christ avant tous les siècles, et qui a paru maintenant p par l'avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a détruit la mort et nous a
1. Coloss. III, 10-15. 2. I Tim. I, 15, 16. 3. Id. II, 5, 6.
découvert par l'Evangile la vie et l'immortalité (1) ». 49. Il écrit à Tite : « Attendons cette bienheureuse espérance, cette manifestation de la gloire de notre grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, qui s'est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter, de toute iniquité et de purifier en nous un peuple abondant et fécond, pratiquant à l'envi les bonnes oeuvres (2) ». Et dans un autre passage : « Mais depuis que la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes a paru dans le monde, il nous a sauvés, non pas à cause des oeuvres de justice que nous aurions faites, mais à cause de sa miséricorde, par le bain régénérateur et par le renouvellement du Saint-Esprit qu'il a répandu sur nous avec une riche effusion par Jésus-Christ notre Sauveur, afin qu'étant justifiés par sa grâce nous devinssions, par l'espérance, héritiers de la vie éternelle (3) ». 50. L'épître aux Hébreux doit aussi nous fournir ici son appoint. Car, bien que quelques-uns la regardent comme douteuse (4), elle a été invoquée à l'appui de l'opinion contraire à la nôtre, dans la question du baptême des petits enfants, et j'ai lit moi-même leurs assertions en ce sens. D'ailleurs, je me décide plus volontiers à reconnaître cette épître pour authentique, à cause de l'autorité des Eglises d'Orient, qui la placent parmi les livres canoniques. Ecoutez donc quels textes imposants s'y trouvent en notre faveur : « Dieu ayant parlé autrefois à nos pères en divers temps et diverses manières, par les Prophètes, nous a enfin parlé en ces derniers jours par son propre Fils, qu'il a fait héritier de toutes choses, et par qui même il a créé les siècles. Et comme il est la splendeur de sa gloire et le caractère de sa substance, et qu'il soutient tout par la puissance de sa parole, après avoir expié par lui-même tous nos péchés, il est assis au plus haut du ciel à la droite de la souveraine majesté (5) ». Il continue bientôt après: « Si la loi promulguée par l'organe des anges est demeurée ferme, et si toute prévarication et désobéissance a reçu le juste salaire qui lui était dû, comment pourrons-nous échapper nous-mêmes, et si nous négligeons un si indispensable salut ?»
1. II Tim, I, 8-10. 2. Tit. II, 13, 14. 3. Id. III, 4. 4. L'épître aux Hébreux était encore quelque peu douteuse chez les Latins, comme l'atteste saint Jérôme en maints endroits. 5. Héb. I, 1-3.
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Et ailleurs: « Comme donc les enfants sont d'une nature mortelle, composée de chair et de sang, c'est pour cela que lui-même a pris à peu près la même nature, afin de détruire par sa mort celui qui était le prince de la mort, c'est-à-dire le diable, et de mettre en liberté ceux que la crainte de la mort tenait en servitude durant toute leur vie ». Il poursuit un peu plus loin : « Il a donc dû être en tout semblable à ses frères, pour être envers Dieu un pontife compatissant et le fidèle prince des prêtres qui doit expier les péchés du peuple (1) ». Et ailleurs: «Demeurons fermes à confesser la foi : car nous n'avons pas un pontife qui ne puisse pas compatir à nos infirmités ; en effet, il a tout subi pour nous ressembler, sauf le péché (2) ». Et dans un autre passage : « Jésus possède un sacerdoce indestructible ; c'est pourquoi il peut sauver pour toujours ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise, étant toujours vivant pour intercéder pour nous. Car il était bien raisonnable que nous eussions un pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux ; qui ne fût point obligé, comme les autres pontifes, à offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple ; ce qu'il a fait une fois en s'offrant lui-même (3) ». Et dans un dernier passage enfin : « Car Jésus-Christ n'est point entré dans ce sanctuaire fait de main d'homme, qui n'était que la figure du véritable ; mais il est entré dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu. Et il n'y est pas aussi entré pour s'offrir soi-même plusieurs fois, comme le grand-prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en portant un sang étranger, car autrement il aurait fallu qu'il eût souffert plusieurs fois depuis la création du monde ; au lieu qu'il n'a paru qu'une fois vers la fin des siècles, pour abolir le péché, en s'offrant lui-même en sacrifice public: Et comme il est arrêté que les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils soient jugés ; ainsi Jésus-Christ a été offert une fois pour les péchés de plusieurs ; et la seconde fois il apparaîtra sans avoir plus rien du péché, pour le salut de ceux qui l'attendent (4) ».
1. Héb. II, 2, 3, 14-17. 2. Id. IV, 15. 3. Id. VII, 24-27. 4. Id. IX, 21-28.
51. L'Apocalypse de saint Jean atteste aussi qu'entre autres louanges offertes à Jésus-Christ dans un cantique nouveau, on lui adresse celle-ci : « Vous êtes digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux ; car vous avez été immolé, et vous nous avez rachetés pour Dieu en votre sang, de toute nation, langue, peuple ou tribu (1) ». 52. De même encore, dans les Actes des Apôtres, l'apôtre saint Pierre déclare que Jésus est l'initiateur de la vie, et reproche en ces termes aux Juifs la mort cruelle du Sauveur: « Et vous, après avoir déshonoré et renié ce saint, ce juste, vous avez demandé au contraire grâce et vie en faveur d'un homicide; et vous avez tué l'auteur de la vie (2) ». Et dans un autre passage : « Voilà cette pierre réprouvée par vous, architectes, et qui est devenue la première pierre de l'angle. Car il n'est point sous le ciel d'autre nom donné aux hommes pour nous sauver tous (3) ». Ailleurs encore : « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez tué en le suspendant au bois. Oui, c'est lui que Dieu a exalté dans sa gloire comme Prince et Sauveur, afin de procurer par lui à Israël la pénitence et la rémission des péchés (4) », De même en un autre endroit : « C'est à lui que tous les Prophètes rendent ce témoignage que quiconque croit en lui reçoit par lui encore la rémission des péchés (5) ». Saint Paul tient le même langage dans ce livre apostolique : « Sachez donc, mes frères, que c'est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée, et que quiconque croit en lui, est justifié de toutes les choses dont vous n'avez pu être justifiés par la loi de Moïse (6) ». 53. Sous cette masse si imposante de témoignages, quel orgueil même en révolte contre la vérité divine ne se sent accablé? Encore pourrait-on trouver d'autres textes nombreux, si la raison ne nous faisait un devoir aussi de penser à finir le présent traité. D'ailleurs, j'ai cru d'abord inutile d'apporter, à l'appui de ma doctrine, une foule de preuves tirées du livre de l'Ancien Testament: les vérités qui s'y rencontrent sont couvertes comme d'un voile, sous des promesses en apparence toutes terrestres, tandis que leur éclat -se révèle dans le Nouveau Testament.
1. Apoc. V, 9. 2. Act. III, 14, 15. 3.
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Et cependant, Notre-Seigneur lui-même nous a, d'un seul mot; démontré et défini l'utilité de ces livres de l'antique alliance. Il fallait, a-t-il dit, que s'accomplit tout ce qu'ont écrit à son sujet, la loi, les Prophètes et les psaumes; et ces faits, qui devaient ainsi arriver infailliblement, c'étaient précisément la passion du Christ, sa résurrection le troisième jour et la prédication en son nom de la pénitente et de la rémission des péchés parmi tous les peuples, à commencer par Jérusalem (1). Dans le même sens, les paroles de saint Pierre, que j'ai rapportées précédemment, déclarent que tous les Prophètes rendent ce témoignage au Messie, que par son organe tous ceux qui croient en lui reçoivent la rémission de leurs péchés. 54. Il sera plus avantageux, toutefois, d'emprunter aussi quelques textes à l'Ancien Testament; ce sera comme un supplément à nos preuves, ou si on aime mieux, une sorte de couronnement à notre pieux édifice. Voici d'abord comment le Seigneur lui-même s'exprime dans un psaume, par la bouche du Prophète: « Dieu a rendu admirables toutes mes volontés à l'égard des saints qui habitent sur cette terre qui est à lui ». « Mes volontés », dit-il, et non pas leurs mérites: car que pourraient être leurs oeuvres, sinon ce que nous disent les paroles suivantes du même texte? « Leurs infirmités se sont « multipliées ». Outre qu'ils étaient infirmes, la loi mosaïque n'est survenue encore que pour faire abonder le péché. Et qu'ajoute encore le psaume ? « Ensuite ils se sont précipités » ; oui, leurs iniquités s'étant multipliées, c'est-à-dire, le péché abondant chez eux, ils se sont empressés d'autant plus vivement de chercher le médecin, afin que si le péché avait été abondant, la grâce surabondât encore (2). Le Messie continue : « Je ne réunirai plus leurs assemblées pour y répandre le sang » ; parce qu'en effet, cette multitude de sacrifices sanglants, pendant cette première période qui les réunissait dans le tabernacle ou dans le temple, démontrait en eux le péché plutôt qu'elle ne l'effaçait. Il n'y a qu'un sang versé depuis pour plusieurs, et qui fût capable de les purifier véritablement. Enfin, le Seigneur achève: « Je ne me souviendrai plus de leur nom sur mes lèvres (3) », parce quils seront renouvelés.
1. Luc, XXIV, 44-44. 2. Rom. V, 20. 3. Ps. XV, 3, 4.
Car leurs premiers noms, c'était enfants de la chair, enfants du siècle, enfants de colère, enfants du démon, impurs, pécheurs, impies; tandis qu'après leur réconciliation devenus enfants de Dieu, un nom nouveau leur est acquis par un Nouveau Testament; l'homme nouveau chante en eux un cantique nouveau; et cette grâce de Dieu ne doit trouver aucun ingrat parmi les hommes, petits ni grands; les plus abaissés comme les plus élevés lui doivent reconnaissance. C'est encore l'Eglise tout entière qui pousse ce cri : « Je me suis égaré comme la brebis perdue (1) ». Ce sont tous les membres de Jésus-Christ qui s'écrient en choeur: « Tous comme des brebis nous nous sommes égarés, et lui s'est livré pour nos péchés ». Ce dernier passage avec tous ses développements se lit dans Isaïe ; c'est pour en avoir entendu l'explication par le disciple saint Philippe, que l'eunuque de la reine de Candace crut en Jésus-Christ (2). Remarquez combien le Prophète insiste sur le point qui nous occupe, comme il semble l'inculquer par de nombreuses répétitions à je ne sais quels orgueilleux ou pointilleux adversaires : « C'est l'homme de douleur », dit-il, « et qui sait porter les infirmités. Aussi sa face s'est présentée aux soufflets, s'est laissé insulter et déshonorer. C'est lui qui se charge de nos langueurs, et qui pour nous se trouve dans les afflictions. Aussi bien l'avons-nous cru abandonné ainsi dans les douleurs, les coups et les supplices; mais il n'a été blessé que pour nos péchés; il n'a souffert que pour nos iniquités. Le châtiment qui devait nous procurer la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures. Tous nous nous sommes égarés comme des brebis errantes ; et le Seigneur l'a livré à la mort pour nos péchés. Et bien qu'horriblement traité, il n'a point ouvert la bouche ; il a été conduit comme la brebis qui doit être immolée, et pareil à l'agneau muet devant celui qui le tond, il n'a point ouvert la bouche. Un jugement l'a enlevé de ce monde dans l'humiliation. Qui racontera sa génération ? Car sa vie sera détruite sur la terre; il a été conduit à la mort à cause des péchés de mon peuple. Je lui donnerai donc les méchants pour prix de sa sépulture, et les riches pour récompense
1. Ps. CXVIII, 176. 2. Act. VIII, 27-39.
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de sa mort ; car il n'à point commis d'iniquité, le mensonge n'est point sorti de ses lèvres; et toutefois le Seigneur veut lui faire tout expier sous les coups. Et vous-même, si vous livrez votre âme pour vos péchés, vous verrez le germe d'une longue vie. Quant à lui, le Seigneur veut arracher son âme aux douleurs, lui montrer la lumière, donner en lui le modèle de la souffrance et justifier ce juste qui se fait si saintement l'esclave de plusieurs, car il se chargera lui-même de leurs péchés. Aussi c'est lui qui aura en héritage une foule d'hommes; c'est lui qui partagera les dépouilles des forts ; parce que son âme a été livrée à la mort, qu'il a été compté parmi les impies, qu'il a porté les péchés de plusieurs et qu'il a été livré à cause de leurs iniquités (1) ». Remarquez encore le passage du même Prophète que Jésus, faisant l'office de lecteur en pleine synagogue, a voulu citer publiquement, et qu'il a si parfaitement accompli : « L'Esprit du Seigneur est sur moi ; et c'est pourquoi il m'a donné l'onction sainte; il m'a envoyé pour évangéliser les pauvres, pour rafraîchir ceux dont le coeur est oppressé, pour prêcher aux captifs le pardon, aux aveugles le recouvrement de la vue (2) ». Ah ! reconnaissons-le tous, ce Sauveur; oui, sans ombre d'exception parmi nous qui voulons nous attacher intimement à 'son corps, et par lui entrer dans son bercail et parvenir jusqu'à cette vie, jusqu'à ce salut éternel qu'il a promis à ses brebis; je le répète, reconnaissons en lui le Sauveur qui n'a point fait de péché, mais qui a porté en son corps et sur le bois infâme nos péchés à nous, afin que, dès lors séparés du péché, nous vivions pour la justice; celui dont les cicatrices nous ont guéris, alors que nous étions infirmes et semblables à des brebis errantes (3).
1. Isa. LIII, 3-12. 2. Id. LXI, 1 ; Luc, IV, 16-21. 3. Pierre, II, 22, 24, 25.
CHAPITRE XXVIII. LE SAINT DOCTEUR CONCLUT QUE TOUS ONT BESOIN DE LA MORT DE JÉSUS-CHRIST, POUR ÊTRE SAUVÉS. LES PETITS ENFANTS NON BAPTISÉS SERONT DANS LA DAMNATION AVEC LES DÉMONS. COMMENT TOUS LES HOMMES VONT A LA DAMNATION PAR ADAM, ET A LA JUSTIFICATION PAR JÉSUS-CHRIST. PERSONNE N'EST RÉCONCILIÉ AVEC DIEU, QUE PAR JÉSUS-CHRIST.
55. Cela étant ainsi, la vraie foi et la sainte doctrine n'ont jamais admis qu'aucun de ceux qui sont venus à Jésus-Christ par le baptême n'ait pas eu besoin de cette grâce de la rémission des péchés, ni que personne puisse, en dehors de son royaume, obtenir la vie éternelle. Voilà le salut que Dieu préparait pour le révéler dans les derniers temps (1), c'est-à-dire à la résurrection des morts, pourvu toutefois qu'ils appartiennent non pas à la mort éternelle que l'Ecriture appelle la seconde mort, mais à la vie éternelle que Dieu, incapable de mentir, promet à ses saints et fidèles serviteurs ; encore est-il que tous ceux qui auront part a la vie éternelle devront avoir reçu la vie uniquement par Jésus-Christ, comme déjà tous par Adam reçoivent la mort (2). De même en effet que tous ceux, absolument dont la génération est due à la volonté de la chair, ne meurent qu'en Adam en qui tous ont péché; ainsi, dans ce nombre même des morts, tous ceux absolument dont la régénération est due à la volonté de l'esprit, ne sont vivifiés non plus qu'en Jésus-Christ en qui tous sont justifiés. D'un côté, tous par un seul arrivent à la condamnation; de l'autre, tous par un seul aussi arrivent à la, justification (3). Il n'y a pour personne aucun lieu mitoyen où l'on puisse ne pas être avec le démon, si l'on n'est pas avec Jésus-Christ. Aussi est-il une idée que le Seigneur a voulu arracher de tous les coeurs, où la foi serait altérée: c'est celle de je ne sais quel milieu où quelques-uns s'efforcent de placer les enfants morts sans baptême, prétendant que leur innocence est une sorte de mérite qui leur vaudrait la vie éternelle, mais que la privation du baptême les empêcherait d'être avec Jésus-Christ dans son royaume. Lui-même a prononcé cette maxime pour leur fermer la bouche: « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi (4) ». Et maintenant,
1. I Pier. I, 5. 2. I Cor, XV, 22. 3. Rom. V, 18. 4. Matt. XII, 30.
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offrez-nous tel petit enfant qu'il vous plaira; s'il est déjà avec Jésus-Christ, pourquoi le baptise-t-on? Si, su contraire, selon la doctrine de la vérité, on le baptise précisément pour qu'il soit avec Jésus-Christ, donc évidemment celui qui n'est pas baptisé n'est pas non plus avec Jésus-Christ; et, n'étant pas avec Jésus-Christ, il est contre Jésus-Christ; car nous ne pouvons ni infirmer ni commuer une sentence aussi manifeste du Seigneur: Mais par où est-il contre Jésus-Christ, sinon par le péché, puisque ce ne peut être ni par son corps ni par son âme, l'un et l'autre créés de Dieu? Et si c'est par un péché, quel est-il à pareil âge, sinon une faute originelle et antique? Car il n'y a qu'une chair de péché dans laquelle tous viennent au monde pour la damnation ; et il n'y a non plus qu'une chair qui ait revêtu la ressemblance du péché, et par laquelle tous sont délivrés de la damnation. Toutefois l'expression tous n n'a pas été écrite pour faire entendre que ceux qui naissent dans la chair de péché soient identiquement et tous purifiés par cette autre chair qui a porté la ressemblance de la chair de péché; « Car la foi n'appartient pas à tous (1) ». La vérité est donc que tous ceux qui doivent la vie à la génération d'un mariage charnel, ne naissent non plus que dans une chair de péché; et tous ceux au contraire qui doivent la vie à la génération d'un mariage spirituel, ne sont purifiés non plus que par la chair qui a pris la ressemblance de notre chair pécheresse. Une comparaison éclaircira notre pensée. Supposons qu'une ville possède une sage-femme seulement qui soit au service de tous les habitants; et seulement aussi un maître des lettres humaines, qui donne de même à tous l'enseignement. L'expression « tous v ne pourra s'entendre, dans le premier cas, que de ceux qui naissent; et dans le second que de ceux qui reçoivent l'enseignement ; et cependant ceux qui naissent ne vont pas tous en classe. Mais l'on voit clairement la justesse de l'expression « tous », dans les deux cas: la sage-femme est vraiment au service de tous, puisqu'aucun habitant ne naît que par ses mains; et le professeur donne à tous l'enseignement, puisqu'aucun n'est instruit qu'à son école. 56. Si l'on a bien pesé la divine parole, soit dans tous ces textes dont j'ai discuté quelques-
1. II Thess. III, 2.
uns à part; tandis que j'ai groupé les autres en une masse imposante; soit même encore dans tous ceux qui vont au même sens et que je n'ai pas rappelés, on n'y trouvera rien absolument que cette vérité enseignée par l'Église universelle, qui a la mission de veiller contre les nouveautés profanes. Tout homme est séparé de Dieu, sauf celui qui par Jésus médiateur est réconcilié avec Dieu. Les péchés, d'ailleurs, sont les seuls obstacles qui puissent créer cette séparation ; donc aussi la rémission des péchés est le seul moyen de réconciliation ; et cette rémission s'opère uniquement par la grâce d'un Sauveur infiniment miséricordieux, uniquement par la victime que daigna offrir ce Prêtre très-véritable. Ainsi tous les enfants de cette femme qui a cru aux paroles du serpent jusqu'à céder aux appétits corrompus de la chair (1), ne sont délivrés d'un corps de mort que par le Fils de cette Vierge qui a cru aux paroles de l'Ange jusqu'à mériter un enfantement sans oeuvre de chair (2).
CHAPITRE XXIX. EN QUOI CONSISTE LE BIEN DU MARIAGE. QUATRE USAGES DIFFÉRENTS DU BIEN ET DU MAL.
57. Aussi le bien, le droit du mariage ne consiste pas dans l'ardeur de la concupiscence, mais dans une certaine manière d'user de cette ardeur de concupiscence, en tout honneur et selon la loi, la faisant servir à la propagation de la famille et non pas à la satisfaction d'une passion grossière. Cette noble volonté fait le mariage, et non pas cette autre et ignoble volupté. Il y a donc dans notre corps mortel un principe qui se meut en nos membres avec désobéissance, s'efforce de dégrader notre coeur et de l'attirer tout à lui, ne s'élève pas toujours quand notre âme le voudrait, et qui ne cesse pas non plus d'agir malgré notre volonté : ce principe, c'est le mal du péché, dans lequel tout homme vient au monde. Mais aussi, qu'on l'empêche de s'adonner à des actes illicites de corruption ; qu'on lui permette seulement de réparer, par l'honnête propagation de l'espèce humaine, les pertes que celle-ci fait tous les jours : ce principe devient le bien du mariage, auquel tout homme doit la vie en toute société bien ordonnée. D'ailleurs, personne ne renaît dans
1. Gen. III, 1-6. 2. Luc, 1, 26-38.
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le corps innocent de Jésus-Christ, avant d'être né d'abord dans ce corps de péché. Maintenant remarquez que mal user d'un bien, c'est péché; comme bien user du mal, c'est vertu. Ainsi ces deux idées : le bien et le mal, et ces deux autres : le bon usage et le mauvais usage d'une Chose, en se couplant, engendrent quatre sortes d'actions différentes. Par exemple, tel voue à Dieu la continence : c'est le bon usage d'un bien; tel, au contraire, la voue à une idole, c'est le mauvais usage d'un bien. De même 'encore, celui-ci satisfait sa concupiscence par l'adultère : il fait mauvais usage d'un mal ; cet autre restreint sa: concupiscence par le mariage : il use bien d'un mal. Comme donc le bon usage d'un bien est plus louable encore que le bon usage d'un mal ; bien qu'il y ait d'ailleurs vertu dans les deux cas, concluez que « celui qui marie sa fille fait bien, et que celui qui ne la marie pas fait mieux (1) ». Mais, autant que Dieu m'en a fait la grâce, et dans la mesure de mes.forces si chétives, j'ai traité plus largement et plus convenablement ces questions en deux livres, l'un du Bien du mariage, l'autre De la sainte virginité. Cessez toutefois, cessez de faire l'apologie de la concupiscence, comme si elle était le bien du mariage, vous qui élevez la chair et le sang du premier prévaricateur contre la chair et le sang du Rédempteur; cessez de vous enorgueillir de l'erreur d'autrui, vous dont le Seigneur accuse la puérilité en nous donnant l'exemple de l'humilité. Seul, il est né sans péché celui que sans le concours d'un homme une Vierge a conçu, non par un désir charnel, mais par une obéissance toute spirituelle. Seule la Vierge aussi a pu produire le remède à notre blessure, parce qu'en dehors elle-même de la blessure du péché, elle a mis au monde l'Enfant béni.
CHAPITRE XXX. EN QUEL SENS LE BAPTÊME EST NÉCESSAIRE D'APRÈS LES PÉLAGIENS.
58. Actuellement examinons .plus à fond encore, autant que- le Seigneur voudra bien nous aider, le passage même de l'Évangile où Jésus a dit : « Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il n'entrera pas
1. Cor. VII, 38.
dans le royaume de Dieu ». Car c'est la maxime qui fait sur nos adversaires une telle impression, que, sans elle, ils se refuseraient absolument à croire à la nécessité du baptême pour les petits enfants. « Remarquez », nous disent-ils, « que Jésus-Christ n'a pas dit : Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il n'aura point le salut ou la vie éternelle ; mais seulement: Il n'entrera pas dans le royaume de Dieu. Par suite on doit baptiser les petits enfants pour qu'ils aient part au royaume de Dieu avec Jésus-Christ, puisqu'ils n'y seront point admis sans avoir été baptisés ; et toutefois, si les petits enfants meurent sans baptême, ils auront le salut et la vie éternelle, parce qu'ils ne sont sous le poids d'aucun péché ». D'abord ceux qui tiennent ce langage n'ont jamais expliqué ce que devient la justice, si elle prononce ainsi l'exclusion du royaume de Dieu contre l'image de Dieu même non souillée par le péché. Puis, étudions ici la pensée du Seigneur Jésus, seul et unique bon Maître ; voyons si, dans ce passage même de l'Évangile, il n'a pas indiqué, démontré même que la rémission des péchés est le seul moyeu pour les baptisés s'arriver .au royaume de Dieu. Certes, à tout esprit droit il devrait suffire que le Maître ait prononcé, comme il l'a fait : « Si quelqu'un ne reçoit pas une seconde naissance, il ne peut voir le royaume de Dieu » ; et encore : « Si quelqu'un ne renaît pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume.de Dieu ». En effet, pour; quoi naître à nouveau, sinon parce qu'il faut être renouvelé ? et de quoi faut-il être renouvelé, sinon d'un vieil état ? et quel est ce vieil état, sinon celui où le vieil homme en nous a été crucifié avec Jésus-Christ pour faire disparaître ce corps du péché (1) ? Mais, comme nous l'avons annoncé, étudions plutôt avec toute l'attention et le soin dont nous sommes capables tout le contexte du passage de lEvangile où est traité le sujet qui nous occupe. Le voici. 59. « Il y avait un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, sénateur des Juifs, qui vint trouver Jésus pendant la nuit, et lui dit : Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire, comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que
1. Rom. VI, 6.
vous faites, si Dieu n'est avec lui. Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Personne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naît de nouveau. Nicodème lui dit: Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère, pour naître une seconde fois? Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Si un homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne vous étonnez pas de ce que je vous ai dit, qu'il faut que vous naissiez de nouveau. L'Esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix ; mais vous ne savez d'où il vient ni où il va; il en est de même de tout homme qui est né de l'Esprit. Nicodème lui répondit: Comment cela peut-il se faire? Jésus lui dit : Quoi ! vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses? En vérité, en vérité, je vous dis que nous ne disons que ce que nous savons, et que nous ne rendons témoignage que de ce que nous avons vu; et cependant, vous ne recevrez point notre témoignage. Mais si vous ne m'avez pas cru lorsque je vous parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel? Aussi personne n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, savoir le Fils de l'homme, qui est dans le ciel. Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent d'airain, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique; afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n'est pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu. Et le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière; parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal, hait la lumière, et ne s'approche point de la lumière, de peur que ses oeuvres ne soient condamnées. Mais celui qui fait ce que la vérité lui prescrit, s'approche de la lumière, afin que ses oeuvres soient découvertes, parce qu'elles sont faites en Dieu (1) ». Ici s'arrête, quant à la question qui nous occupe, le passage évangélique, qui jusque-là s'y rapporte tout entier; l'écrivain sacré passe à un autre sujet.
CHAPITRE XXXI. JÉSUS-CHRIST NOTRE CHEF ET NOTRE CORPS. A CAUSE DE L'UNITÉ DE SA PERSONNE, IL DEMEURAIT AU CIEL, ET MARCHAIT SUR LA TERRE. EN QUEL SENS JÉSUS-CHRIST MONTE AU CIEL : LA TÊTE ET LE CORPS NE FONT QU'UN JÉSUS-CHRIST.
60. Ainsi, Nicodème ne comprenant pas le langage du Seigneur, lui demande comment ces choses peuvent s'accomplir. Voyons ce que le Seigneur lui répond. Voici bien, en effet, la question posée : « Comment cela se peut-il faire? » Et si c'est bien à cette question que le Seigneur daigne répondre, il nous apprendra par là même précisément comment peut s'opérer là régénération par l'Esprit de tout homme que produit au monde la génération par la chair. Le Seigneur commence par signaler en passant l'ignorance de ce docteur qui se préférait aux autres hommes à raison de ses fonctions magistrales, et par blâmer tous les hommes de cette espèce, dont l'incrédulité se refusait à recevoir le témoignage de la vérité. Il ajoute qu'ils ne l'ont point cru, alors même que ses discours ne traitaient que des choses de la terre, et demande ou s'étonne comment ils croiront les choses du ciel. Il poursuit toutefois et fait une réponse que d'autres croiront, si eux-mêmes se refusent à la croire. On lui a demandé : « Comment cela se peut il faire ? » «Personne », dit-il, «n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, à savoir le Fils de l'homme qui est dans le ciel ».Jésus l'affirme donc: la génération par l'Esprit s'accomplira de telle sorte que de terrestres les hommes deviendront célestes; et cet état, ils ne pourront l'acquérir s'ils ne deviennent ses membres, de sorte que, même en eux, celui-là seul monte qui est descendu; car « personne ne monte sinon celui qui est descendu ». Il le faut donc indispensablement : ceux qui doivent être
1. Jean, III, 1-21.
512
changés et grandis en Jésus-Christ, doivent d'abord concourir avec lui en l'unité de son corps; car il faut que Jésus-Christ, qui est descendu, remonte lui-même ; or, il ne met aucune différence entre lui et son corps; et ce corps, c'est l'Eglise ; parce qu'on entend de Jésus-Christ et de son Eglise, plus véritablement encore que de toute alliance, le texte : « Ils seront deux en une seule chair (1) », maxime que Jésus a reproduite sur le même sujet en ces termes : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair (2) »: Ainsi, sans cette unité avec le corps de Jésus-Christ, nul homme absolument ne pourra monter au ciel, puisque « personne ne monte au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, ce Fils de lhomme qui est au ciel ». Observons, en effet, que notre Sauveur, qui s'est fait sur la terre Fils de l'homme, reste en même temps au ciel dans cette divinité avec laquelle il descend ici-bas ; et cependant il ne croit pas déshonorer cette divinité en la désignant sous le nom de Fils de l'homme; comme aussi il a daigné honorer sa chair du nom de Fils de Dieu; et pourquoi ? c'est pour qu'en ces deux choses, on ne suppose pas deux Christs, dont l'un serait un Dieu et l'autre un homme, mais bien le même Christ, Dieu, et homme tout ensemble : Dieu, parce qu' « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » ; homme, parce que « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous (1) ». Ainsi, à cause de la distance qui sépare toujours la divinité de linfirmité humaine, le Fils de Dieu gardait sa demeure au ciel, et le Fils de l'homme cheminait sur la terre; mais, à cause de l'unité de personne, par, laquelle l'une et l'autre substance ne sont ensemble qu'un seul Jésus-Christ, le Fils de Dieu aussi cheminait sur la terre, et le même, comme Fils de l'homme, habitait le ciel. Ainsi, la foi de vérités plus incroyables nous conduit à celle de vérités plus faciles à croire. Admettez, en effet, que la substance divine, si fort éloignée de la nôtre, si incomparablement différente et plus sublime, ait bien pu, pour notre salut, revêtir à ce point l'humaine substance, qu'il n'y ait eu après cette union qu'une seule personne, et qu'ainsi le Fils de l'homme, tout en habitant ce bas monde par la faiblesse de sa chair, était toutefois
1. Gen. II, 24. 2. Marc, X, 8. 3. Jean, I, 1, 14.
identiquement ai! ciel par sa divinité qui s'était associé la chair : combien plus facilement vous croirez que d'autres hommes, ses saints et ses fidèles, deviennent un seul Christ avec l'Homme-Christ, de sorte que tous, par la grâce qu'il leur fait de se les unir ainsi, montent et s'élèvent sans doute, mais qu'en dernière analyse ce soit ainsi Jésus-Christ lui. même et lui seul qui monte au : ciel, comme il en est descendu? Or; telle est aussi la doctrine de l'Apôtre : « Comme nous avons plusieurs membres dans notre corps unique, et comme tous les membres, bien que nombreux, de notre corps, ne font qu'un corps, néanmoins .tel est le Christ (1) ». Il n'a pas dit : Ainsi en est-il des christs ou du corps de Jésus-Christ, ou des membres de Jésus-Christ; mais bien : « Tel est le Christ », appelant ainsi du nom unique de Jésus-Christ, et le chef et les membres.
CHAPITRE XXXII. LE SERPENT ÉLEVÉ DANS LE DÉSERTA FIGURÉ JÉSUS-CHRIST SUSPENDU SUR LA CROIX. LES PETITS ENFANTS EUX-MÉMES SONT EMPOISONNÉS PAR LA MORSURE DU SERPENT INFERNAL.
61. Grande et admirable bonté de Jésus-Christ, qui ne peut, se produire que par la rémission des péchés, comme le déclare la suite de son discours : « Et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tous ceux qui croiront en lui ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle ». Nous connaissons ce qui s'est alors passé dans le désert. Une foule d'Israélites périssaient par, la morsure des serpents; le peuple alors, avouant ses péchés, pria le Seigneur, par l'organe de Moïse, de vouloir bien les délivrer de ce fléau ; et par suite Moïse, d'après l'ordre de Dieu, éleva dans le désert un serpent d'airain, et avertit le peuple que chacun de ceux qui seraient atteints de la dent des serpents, eût à regarder la figure d'airain qu'il venait de dresser, et tous ceux, qui suivaient cet avis, guérissaient. Qu'est-ce que ce serpent dressé en l'air, sinon la mort de Jésus-Christ, d'après la figure que prend la cause pour l'effet? En effet, la mort est venue par le serpent, dont les conseils entraînèrent l'homme à ce
1. I Cor. XII, 12.
513
péché qui lui a depuis mérité la mort. Or, le Seigneur n'a pas transporté dans sa chair le péché qui ressemble à ce venin du serpent; mais il y a transporté la mort cependant, afin que le châtiment sans la faute se trouvât dans cette chair semblable à notre chair de péché, et qu'ainsi dans la vraie chair de péché, la faute et le châtiment fussent abolis. Comme donc alors le blessé qui regardait le serpent dressé, se trouvait à la fois guéri d'un poison terrible et délivré de la mort; ainsi maintenant celui qui se modèle sur la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, en acceptant la foi et le baptême de ce divin Sauveur, se trouve aussi délivré tout ensemble, et du péché par la justification, et de la mort par la résurrection. C'est bien le sens de la.parole de Jésus : « Afin que celui qui croit en lui ne périsse pas, mais possède la vie éternelle ». Mais aussi, en quoi un petit enfant aurait-il besoin d'être, par le baptême, modelé sur la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, s'il n'est pas infecté lui-même par la morsure du serpent infernal ?
CHAPITRE XXXIII. PERSONNE NE PEUT ÊTRE RÉCONCILIÉ AVEC DIEU QUE PAR JÉSUS-CHRIST.
62. Jésus continue immédiatement : « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ». Ainsi la tendre enfance même devait périr, si par le sacrement de baptême, elle ne croyait au Fils unique de Dieu, qui ,heureusement est venu ainsi, non pour juger le, monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. C'est un point sur lequel, il insiste en ajoutant les paroles suivantes. « Celui qui croit en lui n'est point jugé ; mais celui qui n'y croit pas, est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu ». Où plaçons-nous, en effet, les petits enfants une fois baptisés, sinon parmi les fidèles, comme l'Eglise nous le crie avec son autorité partout retentissante? Donc aussi les voilà parmi ceux qui ont cru: ce bonheur leur est acquis par la vertu du sacrement et par la caution de ceux qui les présentent. Mais aussi les enfants non baptisés se trouvent parmi ceux qui M'ont pas cru. De là encore, ceux qui ont reçu le baptême ne sont pas jugés; et les autres, qui en sont privés, subissent le jugement. Jésus-Christ ajoute : « Et voici le sujet de ce jugement: c'est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ». « Cette lumière est venue dans le monde», qu'est-ce à dire dans la bouche du divin Maître ? Ne désigne-t-il pas évidemment ici son propre avènement dans le temps ? Et, si l'on suppose les petits enfants privés du sacrement que cet avènement nous a valu, comment peut-on dire que ces enfants soient dans la lumière ? Comment ne pas réserver au jugement aussi ces hommes qui dans leur amour pour les ténèbres, et incrédules déjà pour leur propre compte, ne pensent pas non plus devoir apporter au baptême leurs petits enfants, alors même qu'ils craignent pour eux une mort imminente ? Le Seigneur affirme que « les oeuvres de celui qui vient à la lumière, sont faites en Dieu », parce qu'est effet l'homme ainsi illuminé comprend que sa justification n'appartient pas à ses mérites, mais à la grâce de Dieu. « Car c'est Dieu », dit l'Apôtre, « qui opère en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir (1) ». Et voilà de quelle manière se fait la régénération spirituelle de tous ceux qui viennent à Jésus-Christ en sortant de la génération charnelle. C'est Jésus même qui nous l'a révélé ; c'est lui-même qui nous l'a développé, quand on lui demandait comment cela pouvait s'accomplir ; il n'a point laissé dans ce grave sujet libre carrière aux raisonnements humains ; gardons-nous donc de croire les petits enfants même étrangers à la grâce de la rémission des péchés. Pour passer du côté de Jésus il n'est point d'autre voie ; pour être réconcilié avec Dieu et venir jusqu'à lui, il n'est point d'autre médiateur possible que Jésus-Christ même.
CHAPITRE XXXIV. FORME OU CÉRÉMONIES DU BAPTÊME. EXORCISME. DOUBLE ERREUR AU SUJET DES PETITS ENFANTS.
63. Que dirai-je de la cérémonie même du Sacrement ? Je voudrais qu'un de ceux qui soutiennent l'opinion contraire vînt me présenter un enfant à baptiser. Que fait en ce
1. Philipp. II, 13.
514
petit être mon exorcisme, s'il n'est pas enchaîné dans la famille du démon ? Oui, si vous me l'aviez apporté, vous auriez sans doute répondu à sa place, puisqu'il ne pouvait répondre pour lui-même; comment donc auriez-vous déclaré qu'il renonçait au démon, lequel n'avait aucun droit sur lui ? ou qu'il se convertissait à Dieu, dont il n'était point éloigné ? ou que, entre autres vérités, il croyait la rémission des péchés, lorsqu'elle ne devait en rien l'atteindre ? Pour moi, si je vous croyais opposé à toutes ces saintes croyances, je ne vous permettrais pas même de vous présenter à nos sacrements avec ce petit enfant. Je ne sais vraiment avec quel front, en pareil cas, vous oseriez paraître devant les hommes, avec quelle intention vous viendriez devant Dieu ; encore ne veux-je pas vous parler plus sévèrement. Ou bien, faudrait-il plutôt accuser de fausseté et de scandale les cérémonies qui entourent le baptême des petits enfants, puisqu'elles auraient l'air de promettre à grand bruit et d'opérer même une rémission des péchés, qui néanmoins n'aurait lieu en aucune manière ? Ce serait là, et quelques-uns de nos adversaires mêmes l'ont bien vu, ce serait là une façon de s'exprimer ou de penser tout à fait exécrable et détestable. Aussi bien, quand il s'agit du baptême des petits enfants, voulant que le sacrement leur soit nécessaire, ils accordent qu'eux-mêmes aussi ont besoin de rédemption ; c'est l'aveu que fait un d'entre eux dans un écrit fort court, tout en évitant de s'expliquer plus ouvertement quant à la rémission des péchés. Cependant, et vous me l'avez appris par votre lettre, très-cher Marcellin, ils commencent à avouer, ce sont vos expressions, que même dans les enfants il s'opère une rémission des péchés. Cet aveu n'a rien qui surprenne, car on ne peut autrement entendre l'idée de leur rédemption. « Cependant, ce n'est pas dans leur origine », nous disent-ils ; « c'est bien dans leur vie personnelle et après leur naissance, qu'ils commencent à avoir le péché ». 64. Nous voilà bien loin, n'est-ce pas, de ceux qui ont fait l'objet de cet ouvrage et de nos raisonnements multipliés et déjà prolongés? Nous n'en sommes plus au livre composé sur ces matières par un de leurs écrivains, que j'ai réfuté de tout mon possible. Oui, je le répète, dans la question des petits enfants, il y a loin, et vous le voyez, de ces premiers adversaires qui soutiennent leur pureté parfaite et leur exemption de tout péché originel ou personnel, à ces autres contradicteurs qui les regardent comme ayant contracté, après leur naissance même, des péchés personnels dont il est nécessaire, pensent-ils, de les purifier par le baptême. Ceux-ci, en effet, appréciant en ce sujet et les saintes Ecritures, et l'autorité de l'Église tout entière, et la forme du sacrement, ont bien vu que le baptême opère la rémission des péchés, même dans les petits enfants ; mais reconnaître dans le péché, quel qu'il soit, dont cet âge si tendre est coupable, une faute originelle, c'est ce qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas faire. De leur côté; les partisans de la première opinion, d'après la seule considération de la nature humaine, que tous les hommes sont à même d'étudier, ont bien vu, et c'était facile, que cet âge naissant n'avait pu encore contracter de péchés dans sa vie propre et personnelle ; mais pour ne pas avouer cependant le péché d'origine, ils affirment que les petits enfants n'ont absolument aucun péché. Aux deux partis, que dirons-nous ? Mettez-vous d'accord sur les deux points où chacun séparément vous êtes dans le vrai, et logiquement vous cesserez d'être en désaccord avec nous, Vous, accordez à l'autre opinion que les petits enfants reçoivent au baptême la rémission des péchés; et que la partie adverse vous accorde de son côté ce fait qui est le cri de la nature, je veux dire que les petits enfants n'ont contracté aucun péché dans leur vie personnelle. Dès lors, nécessairement, de pari et d'autre vous nous accorderez qu'il ne reste qu'une faute à effacer dans les petits enfants, et c'est le péché originel.
CHAPITRE XXXV. LES PETITS ENFANTS N'ONT POINT DE PÉCHÉS ATTRIBUABLES A LEUR VIE PROPRE.
65. Mais ne va-t-on pas ici nous poser une question, et ne faudra-t-il pas dépenser notre temps à là discuter ? Est-il nécessaire de prouver et de démontrer que la volonté propre, sans laquelle la vie personnelle ne peut être souillée par le péché, se trouve n'avoir commis aucun mal chez les petits enfants, que tout le monde pour cette raison appelle des innocents? Telle est, n'est-il pas (515) vrai, telle est chez eux l'infirmité du corps et de l'âme; telle leur ignorance des choses et leur incapacité absolue de comprendre aucun précepte; la loi naturelle et la loi écrite sont également si impuissantes à produire en eux aucune impression ou détermination ; il est si impossible à la raison de les faire pencher pour ou contre le devoir, que leur innocence se trouve proclamée et démontrée, par notre silence même, d'une façon plus convaincante encore que par tous nos discours. Accordons à l'évidence au moins quelque droit de se faire accepter par elle-même; car je ne trouve jamais moins à dire que quand le sujet dont on parle est plus clair que tout ce qu'on en peut dire. 66. Volontiers, toutefois, j'apprendrais d'un partisan de l'opinion contraire quel péché il a vu ou cru voir dans un enfant nouveau-né. Puisqu'il avoue que le baptême est nécessaire pour racheter cette petite créature, quel péché a-t-elle commis dans sa vie personnelle par son corps ou par son âme? Seraient-ce peut-être ses pleurs et les ennuis qu'il cause à ses aînés? Il serait étrange d'imputer ces faits à sa malice, et non pas plutôt à sa misère. Serait-il coupable encore, parce qu'aucun raisonnement, aucune défense ne peuvent arrêter ses vagissements? Mais n'accusez ici que cette ignorance où l'enfance est si profondément ensevelie, que dans quelques jours, devenu plus fort, il frappera dans sa colère sa mère même, et souvent portera ses coups jusque sur le sein où il puise la vie à l'heure de ses besoins. Et ces furies du premier âge, non-seulement on les supporte, mais on les aime. Or, à quel sentiment obéit-on dans ce cas, sinon à cette passion charnelle qui porte la nature à s'amuser de tout ce qui est risible ou plaisant, au point que des hommes capables et habiles y donnent aussi leur absurde suffrage? Car tel nous fait rire, que nous appellerions, non pas un plaisant, mais un fou, si son langage exprimait ses vrais sentiments. Et toutefois nous voyons ces pauvres aliénés, que le peuple nomme des morions, être employés pour amuser les sages; et quand il s'agit du prix vénal des esclaves, les têtes saines se paient moins cher que ces misérables, tant est puissante, jusque dans les hommes mêmes non atteints de démence, cette passion charnelle qui s'amuse du malheur d'autrui ! Oui, la folie chez autrui plaît naturellement aux hommes, bien qu'eux-mêmes n'auraient jamais voulu passer par cet état. Ainsi un père est heureux d'attendre et de provoquer même certaines sottises en son petit enfant qui déjà babille; et pourtant, s'il prévoyait que cette habitude dût lui rester quand il aura grandi, sans aucun doute il voudrait le pleurer plus tristement que s'il était mort. Mais il y a un secret espoir de progrès; mais on pense bien qu'avec l'âge croissant croîtra aussi l'intelligence ; par suite, les injures que les petits enfants profèrent même contre leurs parents, loin de blesser, plaisent et amusent. Et cependant, jamais homme sage n'approuvera que, pouvant empêcher des paroles ou des actions de ce genre, on n'ait pas soin de les interdire, et surtout que le plaisir de s'en amuser ou la vanité de leurs mères aillent jusqu'à les provoquer. En effet, l'enfant de cet âge connaît déjà son père et sa mère, et n'ose les injurier à moins que l'un des deux ou l'un et l'autre ne l'aient permis ou commandé. Voilà toutefois des faits possibles aux seuls petits enfants qui déjà s'échappent à prononcer quelques mots, et chez qui la langue peut déjà d'une façon quelconque exprimer les émotions de l'âme. Apprécions plutôt l'ignorance si absolument profonde des nouveaux-nés; car c'est de ce point qu'ils sont arrivés progressivement à cette première folie de babil qui ne doit pas durer, et qui chez eux semble l'aspiration aux premières connaissances et au langage.
CHAPITRE XXXVI. IGNORANCE DE LA PREMIÈRE ENFANCE; CAUSE DE CE FAIT.
61. Apprécions, oui, les ténèbres étranges de cette âme très-certainement raisonnable, cette nuit dans laquelle les petits enfants, loin de connaître Dieu, luttent contre ses sacrements à l'heure même où ils reçoivent le baptême. Pour quelle raison et à quelle date, je le demande, ont-ils été plongés dans ces ténèbres ? Faut-il dire ou qu'ils y sont tombés ici-bas par leur faute, et qu'ils ont oublié Dieu dans leur vie personnelle même et par une négligence criminelle ; ou bien au contraire que, jusque dans le sein de leurs mères, ils ont vécu avec une sainte connaissance et une vraie religion? Le dise qui l'ose; l'entende qui (516) veut; le croie qui peut; quant à moi, je pense que ces deux sentiments sont insoutenables pour quiconque n'a pas l'esprit aveuglé par l'entêtement à défendre son opinion. Par contre, dirons-nous que l'ignorance ne soit point un mal, et par suite qu'on ne doive point le guérir? Mais que signifie cette parole de l'Ecriture : « Oubliez, mon Dieu, mes fautes de jeunesse et mon ignorance (1)? » Certainement les péchés commis en connaissance de cause sont plus condamnables; mais enfin, s'il n'y avait point de péchés d'ignorance, nous ne lirions pas le texte que je viens de citer : « Oubliez, mon Dieu, mes fautes de a jeunesse et mon ignorance ». Ainsi, qu'on me réponde : Au sein de ces ténèbres si épaisses de l'ignorance, l'âme de l'enfant nouveau-né, âme humaine bien certainement, âme douée de raison, n'est pas seulement ensevelie sans aucune connaissance, mais dans l'incapacité même de rien apprendre. Pourquoi donc, à quelle date, de quel lieu est-elle ainsi tombée dans la nuit ? S'il est dans la nature de l'homme de commencer ainsi, pourquoi Adam n'a-t-il pas été ainsi créé? Pourquoi était-il, dès son premier jour, en état de recevoir un commandement et capable de donner des noms convenables à son épouse et à tous les animaux ? A l'une il disait : « Celle-ci s'appellera la femme », et, ajoute le texte sacré, « tous les noms qu'Adam imposa aux créatures vivantes sont bien leurs noms (2) ». Le nouveau-né, au contraire, ne sait où il est ni ce qu'il est; il ne sait quel est son créateur ni quels sont ses parents; déjà entaché de péché, bien qu'incapable de recevoir.un précepte; enveloppé et accablé dans les noires profondeurs de l'ignorance, à tel point qu'on ne peut l'éveiller comme d'un sommeil pour lui montrer du moins ces choses et lui en donner connaissance ; non, mais il faut attendre le temps pour qu'il digère enfin lentement cette espèce d'ineffable ivresse qui ne dure pas, comme l'ivresse grave, l'espace d'une nuit, mais durant de longs mois et pendant plusieurs années; et jusqu'à ce terme éloigné, les faits qu'on punit dans les grands, dans les enfants on les tolère, et si souvent, qu'on ne pourrait aucunement les compter. Je le demande, ce mal si grand de l'ignorance et de la faiblesse première, supposé que les enfants l'aient contracté depuis leur naissance,
1. Ps. XXIV, 7. 2. Gen. II, 23, 19.
dites où, quand et comment ils ont commis en effet quelque impiété bien grave qui leur a valu d'être ensevelis tout à coup en de pareilles ténèbres?
CHAPITRE XXXVII. PUISQU'ADAM N'A PAS ÉTÉ CRÉÉ TEL QUE NOUS SOMMES EN NAISSANT, POURQUOI JÉSUS-CHRIST, BIEN QU'EXEMPT DE PÉCHÉ, EST-IL NÉ DANS L'ÉTAT D'ENFANCE ET DE FAIBLESSE?
68. Mais, dira-t-on, si notre nature actuelle n'est pas pure; s'il faut y accuser un vice d'origine par la raison qu'Adam n'a pas été créé dans les mêmes conditions que nous, comment expliquer la naissance de Jésus-Christ se révélant au monde dans ce même bas âge, dans ce même état de faiblesse? Il était pourtant, avouez-le, incomparablement excellent, et son enfantement du sein d'une Vierge fut certainement sans aucun péché ! Nous répondons à cette objection : Adam n'a pas été créé tel que naissent les hommes après lui, par la raison que le péché d'un père ne l'ayant pas précédé en ce monde, il n'a pas été créé dans une chair de péché. Pour nous, au contraire, notre condition dès le berceau s'explique par ce motif que son péché nous précède et que nous naissons dans une chair de péché. Quant à Jésus-Christ, lui aussi vient au monde, semblable à nous, parce qu'il est né dans la ressemblance de notre chair de péché, pour condamner ainsi le péché par le péché même. Au reste, nous ne parlons pas ici d'Adam sous le rapport de sa taille physique; nous ne remarquons pas que, loin d'avoir été créé petit enfant, il a joui immédiatement de toute la force de membres parfaits. On pourrait nous opposer que les animaux sont créés aussi avec la condition de se reproduire par des êtres tout petits à leur naissance, sans que cela soit venu de leur péché. Non, nous n'envisageons pas ainsi la question pour le moment; mais il s'agit de l'âme du premier homme, de ce privilège qu'elle a eu, de cet usage de la raison qui la rendait capable de comprendre aisément le précepte de Dieu et la loi de son commandement, et de pouvoir facilement y obéir, si elle l'eût voulu. Actuellement, au contraire, l'homme vient au monde avec une impuissance absolue en cet endroit, et il faut (517) en accuser l'affreuse ignorance et infirmité, non de sa chair, mais de son esprit. Car, il faut bien l'avouer, l'âme raisonnable d'un petit enfant n'est pas d'une substance différente, elle est substantiellement la même que celle d'Adam; et cependant, telle est en nous l'infirmité de la chair, qu'elle suffit, selon moi, à démontrer je ne sais quel mystérieux châtiment. Elle prête, il est vrai, à cette question : Si le premier couple humain n'avait pas péché, en serait-il sorti des enfants hors d'état de se servir de leur langue, de leurs mains et de leurs pieds ? La capacité étroite du sein maternel aurait sans doute exigé qu'en effet les enfants vinssent au monde tout petits. Mais aussi, l'on répondrait qu'avec une seule côte, faible partie dans le corps humain, Dieu n'a pas voulu cependant créer au premier époux une épouse de taille enfantine ; mais il en construisit une femme véritable; la toute-puissance de Dieu pouvait donc aussi, pour les enfants d'Adam, les faire grandir tout d'un coup, aussitôt après leur naissance.
CHAPITRE XXXVIII. IGNORANCE ET FAIBLESSE DE L'ENFANT.
69. Sans insister sur ce point, avouons que Dieu pouvait nous accorder ce qu'il a donné même à plusieurs espèces d'animaux. On voit leurs petits, dès le premier âge, et sans que l'intelligence suive en eux les progrès du corps, parce qu'en effet ils n'ont point une âme raisonnable ; on les voit, frêles encore et à peine naissants, courir, reconnaître leurs mères, n'avoir pas besoin de secours étrangers pour prendre la mamelle, mais savoir déjà la trouver avec une admirable facilité dans les parties les plus cachées de ce corps qui les allaite. Au contraire, l'homme naît, et ses pieds sont impropres à la marche, ses mains mêmes inhabiles à saisir un objet; et si la nourrice n'aide les petites lèvres du nourrisson à s'attacher à la mamelle, il ne sent pas même où pose le sein; si proche qu'il en soit, il pleurera de besoin avant de pouvoir le saisir. Cette faiblesse de son corps est donc tout à fait en proportion avec la faiblesse de son intelligence; et la chair de Jésus-Christ n'aurait pas eu cette ressemblance avec notre chair de péché, si le péché, en effet, n'était pas le dominateur de notre chair, dont la pesanteur accable ainsi chez nous l'âme raisonnable. Quant à notre âme même, est-elle tirée de nos parents? Est-elle créée en eux? Est-elle un souffle d'en haut? C'est une question que j'ajourne pour le moment.
CHAPITRE XXXIX. JUSQU'À QUEL POINT LE PÉCHÉ EST DÉTRUIT PAR LE BAPTÊME, SOIT DANS LES ENFANTS, SOIT AUSSI DANS LES ADULTES; QUEL AVANTAGE RÉSULTE DE CE SACREMENT.
70. Une vérité certaine, c'est que dans les petits enfants la grâce de Dieu opère parle baptême de Celui qui a daigné venir dans la ressemblance de notre chair de péché, et que cette grâce fait disparaître la chair du péché. Elle disparaît, non pas toutefois en ce sens que la concupiscence, imprégnée et innée dans cette chair, soit détruite dès cette vie et n'existe plus; mais seulement que, attachée à l'homme dès qu'il naît, elle ne puisse lui nuire s'il vient à mourir aussitôt après. Et supposé qu'au contraire il vive après son baptême et qu'il parvienne en âge de comprendre le devoir, il trouve cette concupiscence encore pour la combattre ici-bas, mais aussi pour la vaincre, Dieu aidant, pourvu qu'il ne reçoive pas en vain la grâce divine et qu'il se refuse à devenir un réprouvé. Au reste, à moins peut-être d'un miracle ineffable du Créateur tout-puissant, le baptême ne confère pas même aux adultes cette grâce singulière qui éteindrait entièrement et réduirait à néant la loi du péché toujours existante en nos membres et en lutte contre la loi de l'esprit. Non, l'effet de ce sacrement, c'est que tout le mal dont l'homme se sera souillé par actions, paroles ou pensées, pendant que son âme était asservie à cette même concupiscence, se trouve entièrement aboli et regardé comme non avenu; et dès lors, après qu'ont été brisés ces indignes fers sous lesquels le démon retenait cette âme captive, lorsqu'est détruit ce mur de séparation qui isolait l'homme de son Créateur, cette âme elle-même demeure sur le champ de bataille où nous châtions notre corps et le réduisons en servitude (1) ; et il nous reste le devoir, tantôt de lui accorder une trêve nécessaire en lui permettant d'user des choses licites, tantôt de la dompter par la continence. Mais l'Esprit divin, qui connaît bien mieux que nous le présent, le passé et
1. I Cor. IX, 27.
518
l'avenir de tout le genre humain, sait aussi et nous prédit que toute vie humaine présente un triste caractère : c'est que devant Dieu tous les vivants ne se rendent point justes (1). Aussi arrive-t-il que, par ignorance ou par faiblesse, nous ne déployons pas contre la concupiscence toutes les forces de notre volonté, et que nous lui cédons même en plusieurs choses défendues ; aussi nos chutes sont-elles plus lourdes ou plus légères, plus fréquentes ou plus rares, selon que nous sommes pires ou meilleurs nous-mêmes. 1. Ps. CXLII, 2.
De là une grave question se pose ici. Est-il, sera-t-il, a-t-il jamais été dans cette vie un seul homme exempt de péché personnel ? On excepte évidemment Celui qui a dit: « Voici que vient le Prince de ce monde; mais il n'a aucun droit sur moi (1) ». La réponse demande une discussion trop approfondie, pour que nous ne terminions pas ici notre premier livre, et que nous n'en commencions pas un second pour ce nouveau problème.
1. Jean, XIV, 30.
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