**** LE KARMA
Pour bien comprendre loriginalité du Sadhou et le sens complet de son enseignement concernant le péché, la souffrance et le jugement, il faut établir un rapport : « Puisque les hommes ont choisi le péché, il leur faut mourir dans le péché. Ce nest pas Dieu qui donne cette mort. Dieu nenvoie personne en enfer. Le pécheur attire sur lui-même son propre châtiment. Considérons le cas de Judas Iscariot. Quand il trahit Notre-Seigneur, il ne fut pas pendu par Pilate, par les prêtres, par Notre-Seigneur qui était tout amour, par les apôtres. Il se pendit lui-même. Il se suicida et mourut dans son péché. Cest ainsi que finit celui qui vit dans le péché. « Mais lamour de Dieu est toujours là, prêt à intervenir, pour enrayer les suites du châtiment. Ce nest pas au moyen dun « pardon arbitraire », extérieur, que Dieu agit en commuant simplement la peine. Il change le coeur de lhomme et guérit ainsi la maladie morale qui est à la base du péché. Mais il faut que lhomme se repente. « La doctrine du Karma enseigne que toutes les peines, les épreuves, les avilissements, les maladies dont un individu peut souffrir sont lexpiation juste, exacte, dune faute quelconque commise dans une incarnation précédente. Cest le résultat automatique de la loi des causes et des effets. De par cette même loi, toute faute commise dans cette vie devra être payée par une souffrance équivalente, lors de notre retour sur terre, à notre prochaine incarnation. Une telle doctrine exclut forcément tout espoir en la rémission des péchés (2). » Le Sadhou insiste tout particulièrement sur le fait que le châtiment est automatique et ne doit pas être attribué à la colère divine ; car le Sadhou est inspiré par sa conviction passionnée de lamour de Dieu, conviction quil appuie sur certains passages de lÉvangile selon saint Jean. Bien que cette doctrine soit prédominante dans cet Évangile, on peut se demander si le Sadhou leût découverte aussi facilement sil navait été familiarisé avec la doctrine du Karma. Nous avons là un exemple de la nouvelle interprétation que lInde, si elle se convertit, pourra donner à lÉvangile selon saint Jean ; Westcott la pressenti. Entre la doctrine du Sadhou et lidée du Karma qui, toutes deux admettent le châtiment automatique, il existe une différence subtile mais importante. Pour le Sadhou, le châtiment est le fait dune transformation intérieure, inhérente à la personnalité. Le Karma représente le châtiment comme dépendant de circonstances tout extérieures. Mais cette même idée de lamour du Christ, qui fait adopter au Sadhou une conception presque hindoue du châtiment, lamène à rejeter avec énergie certains autres aspects de la doctrine du Karma ; notamment la négation de la possibilité du pardon et la conception de la souffrance envisagée comme châtiment. Cette dernière idée est encore très répandue dans le christianisme populaire, malgré le livre de job et renseignement de Notre-Seigneur. Aussi, est-ce contre elle que le Sadhou sélève le plus fréquemment. Il en appelle encore à lautorité de saint Jean : « Ce nest pas que lui ou ses parents aient péché ; mais cest afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui. » (Saint Jean IX, 3.) Nous retrouvons ici le Sadhou et sa philosophie de la Croix : Endurer des privations, de mauvais traitements, des souffrances physiques, cest participer à la croix de Christ ; les endurer avec sérénité, sans rancune, cest reproduire Son caractère, et par conséquent proclamer silencieusement Son message et Sa puissance. Aussi le Sadhou ne considère-t-il pas la souffrance comme une punition, mais parfois comme un remède, et toujours comme un moyen. * LA SOUFFRANCE
« Dieu est amour, cest pourquoi Il ne punit pas. Je ne suis pas daccord avec ceux qui considèrent la maladie ou les malheurs comme un châtiment. Ce sont ce que jappellerai des « tapes amicales ». Un médecin me raconta lhistoire suivante : « Les poumons de lenfant ne fonctionnent pas avant sa naissance, mais dès que lenfant vient au monde, il se met à respirer. Il faut que lenfant crie, sans quoi ses poumons restent contractés et la mort sensuit. Un enfant qui venait de naître ne pouvait respirer. Il allait mourir, mais la sage-femme lui donna une tape. La mère dut penser : « Cette femme est venue me soigner, mais elle tue mon fils. À peine est-il né quelle le frappe. » La tape fit crier lenfant et, en criant, il respira. Cest ainsi que Dieu parfois nous frappe avec amour. » « Un jour que je descendais de la montagne je massis sous le porche dune maison. Le vent se mit à souffler avec violence, entraînant un petit oiseau dans ses tourbillons. Alors surgit un faucon ; il fonça sur loiseau pour en faire sa proie. Pris entre ces deux dangers, le petit oiseau tomba sur mes genoux. Bien que ces passereaux craignent les hommes, celui-ci chercha un refuge auprès de moi au jour du danger. Ainsi la tempête de la souffrance nous jette dans le sein de Dieu. « Alors que je me baignais à Karachi, je fus entraîné vers le large sans men rendre compte. Tout à coup, je vis une vague, haute comme un mur, qui savançait vers moi. Dans ma crainte, je criai à Dieu. Je pensais quil me serait impossible de revenir à terre et que je serais englouti dans les flots. Et cependant, loin de me faire périr, cette vague me ramena sur la grève. Il en est de même de la souffrance. « Au cours dun de mes voyages, je rencontrai un berger. Il avait lhabitude de faire passer la rivière à son troupeau pour le mener paître ; à la fin du jour, il le ramenait et le faisait traverser la rivière à nouveau. Ce soir-là, le troupeau traversa tout entier, à lexception dune vache et de son veau résolus, semblait-il à ne pas bouger. Craignant quils ne fussent dévorés la nuit par des bêtes sauvages, le berger leur donna des coups de fouet pour les décider à entrer dans leau. Ce fut en vain. Il leur tendit du foin, essaya de les attirer de lautre côté de la berge. Mais il ne réussit pas davantage. Je lui donnai alors ce conseil : « - Prenez le veau dans vos bras, et la vache viendra delle-même. Nest-il pas permis de supposer que Sundar a songé à la mort de sa mère, dont il parle toujours avec tant de tendresse, et de linfluence que cette séparation eut sur ses aspirations religieuses ? « Les chagrins et les épreuves nous rapprochent de Dieu et nous rendent aptes à Le servir. Beaucoup ne considèrent les épreuves que comme un châtiment du péché. Cependant la souffrance et lattitude que nous avons en face de cette souffrance est une merveilleuse possibilité de servir Dieu, un moyen effectif de Le servir et de Le glorifier. « Considérons le cas du pauvre Lazare. Il était couvert dulcères. Il nest pas dit que ces ulcères aient été la conséquence de ses fautes, sans quoi il neût pas obtenu le grand privilège de reposer dans le sein dAbraham. Ses souffrances et la façon dont il les endura furent une prédication vivante pour ceux qui le voyaient et par ce moyen, il amena beaucoup dâmes à glorifier Dieu « Plusieurs diront : « Cela est fort bien ; mais Dieu éprouve-t-il linnocent afin den être glorifié ? » Considérons cependant la récompense que Dieu accorda à Lazare après cette brève période dépreuves. Il lui dit : « Jai porté la croix, toi aussi tu las portée. Maintenant je règne et tu régneras avec moi. » « La doctrine hindoue de la transmigration des âmes sefforce de résoudre le problème de la souffrance, mais sans y parvenir. Pour expliquer quun homme est rajah et un autre coolie, elle prétend que dans une vie précédente le rajah était bon et le coolie méchant. Un certain rajah, fit la critique de cette doctrine en disant : « Lorsquun doigt est fortement écorché, la blessure saute aux yeux. Par contre, on peut avoir los du doigt cassé sans quil n'y paraisse rien. Ainsi, ma vie est une longue série de soucis et de fardeaux, bien que je semble vivre dans le luxe et la joie. Le coolie nest troublé par aucun souci. Il a dû être un saint dans une vie précédente, et moi, un pêcheur. » « Nous te louons Seigneur, des joies et des souffrances que tu nous as envoyées dans le passé et que tu nous envoies encore. Parce que nous portons Ta croix, les joies du ciel nous réservent leurs douceurs. Car celui qui na pas supporté la souffrance ne peut connaître la joie véritable » * * LE PECHE
« Autrefois cette parole me surprenait ; maintenant je la comprends. Le péché est généralement causé par la recherche du plaisir. Mais celui qui aime Dieu possède en lui-même des sources de joie profondes, intarissables au point que tout autre plaisir ne lattire plus. Il ne pèche plus ; il est comme un homme qui possède un louis dor et ne saurait que faire dun sou démonétisé. » « Il était une jeune fille dans un village. Elle enlevait tous les jours les toiles daraignées qui se trouvaient dans sa chambre. Alors quelle se livrait à ce travail, elle se mit à réfléchir et sécria : « De même, il ne suffit pas que nos péchés quotidiens soient pardonnés, il faut, comme le dit lapôtre, que nous nous dépouillions du vieil homme. « Cest un signe de santé spirituelle que de se sentir pécheur. Nous sommes en danger lorsque nous navons pas conscience de notre péché. Me baignant un jour dans la rivière Sutlej, je plongeai à une grande profondeur. Au-dessus de ma tête, il y avait des masses deau considérables, et cependant je nen sentais pas le poids. Quand je fus de nouveau sur la rive, je soulevai une cruche remplie deau et métonnai de la trouver si lourde. Tant que jétais sous leau, je nen avais pas senti la pesanteur. Cest ainsi que le pécheur ne réalise pas le poids de son péché, tant quil vit dans le péché. « Le charbon est noir. Il est impossible de le blanchir. Cent livres de savon nen modifieraient pas la couleur. Mettez-le dans le feu ; il perdra sa couleur noire et deviendra brillant, lumineux. De même, nous qui sommes pécheurs, nous brillerons devant le monde, quand le Saint-Esprit nous baptisera de feu et pénétrera nos coeurs et nos vies consacrées au Christ. Cest ce quentend le Christ lorsquIl dit : « Vous êtes la lumière du monde. » « Lorsque nous persévérons dans le péché, notre conscience qui est loeil de notre âme, devient aveugle. « Je vis une fois un moine tibétain qui avait passé de longues années à méditer dans une grotte obscure. Quand il en sortit, il ne pouvait plus rien voir. Ses yeux étaient pâles et jaunes. Alors que je revenais du Japon aux Indes, je fis la connaissance dun savant qui avait des poissons dans un bocal. Ces poissons étaient magnifiques, mais ils étaient aveugles. Ils navaient pas dyeux ; une trace superficielle témoignait quils en avaient autrefois possédé. Les poissons avaient vécu dans lobscurité, ils ne sétaient pas servis de leurs yeux et les avaient perdus. « Un jour, dans lHimalaya, je mangeai un fruit vénéneux, et pendant trois jours ma langue fut insensible. Je ne pouvais rien goûter. Cest ainsi que nous perdons le goût du divin (cest-à-dire que notre conscience se paralyse) lorsque nous mordons au fruit empoisonné du péché. « Je vis une fois un chiffonnier qui portait un seau rempli dordures. Lodeur était telle que je faillis vomir. Mais lhomme avait tellement lhabitude de cette odeur que, de sa main libre, il portait de la nourriture à sa bouche et mangeait. Nous sommes si accoutumés au mal et au péché qui règnent dans le monde, que nous nen sommes pas incommodés. Mais le Christ ressentirait sur la terre le malaise que jéprouvai lorsque je rencontrai le chiffonnier. Aussi est-ce une erreur de croire que la souffrance du Christ se borne à la crucifixion ; cest pendant trente-trois ans quIl demeura crucifié. » * LA REPENTANCE
« Je voyageais dans lHimalaya avec quelques compagnons ; lun deux fut pris dune grande soif. Nous aperçûmes, en arrivant sur une hauteur, un peu deau au milieu dun marais. Le jeune homme voulut boire de cette eau. Son frère, qui connaissait le pays, lui dit à plusieurs reprises : « Au Tibet, il y avait un village privé deau. Les habitants étaient obligés de faire deux milles pour aller en chercher. Lassés de ce travail, ils creusèrent une citerne, espérant que la pluie la remplirait et que ce long trajet quotidien leur serait épargné. Mais plusieurs villageois continuèrent à aller chercher de leau à la source fraîche et claire. Les autres se moquèrent deux ; ils riaient et les traitaient dinsensés. Heureux de navoir plus aucune peine, ils burent leau de la citerne, mais ils moururent, car leau était mauvaise. Ceux qui sétaient donné la peine daller chercher leau bien loin vécurent. Cest ainsi quil est difficile daimer le Seigneur et de haïr le monde, mais cest le chemin de la vie. « Un chasseur sortit avec sa fronde. Il vit un oiseau perché sur un arbre. Au moment de saisir une pierre, il saperçut quil nen avait plus sur lui. Or, à quelques pas de lui se trouvait un vase contenant des pierres magnifiques. Il les prit et les lança. Les pierres tombèrent toutes dans la rivière à lexception dune seule que le chasseur rapporta à la maison pour la donner à son enfant comme jouet. Sur la route, il rencontra un marchand de diamants qui lui offrit mille roupies de cette pierre. Le chasseur ne voulut cependant pas la céder. Le marchand lui dit alors : « Un homme pauvre vivait dans le nord de lInde. Il était criblé de dettes et ne savait comment les payer ; il était trop paresseux pour gagner de largent. Ses créanciers résolurent de le faire mettre en prison. Un homme généreux et riche voulut venir en aide à ce malheureux. Comme il désirait que son action fût tenue secrète, il se rendit à la maison du pauvre après minuit. Il apportait toutes sortes daliments et cinq cents roupies. La dette natteignait pas ce chiffre. Il frappa à la porte plus dune heure durant, mais lhomme était trop paresseux pour se lever. Lhomme riche sen retourna écoeuré et trouva que lindigent nétait pas digne dêtre secouru. Le lendemain, le pauvre apprit ce qui sétait passé ; il eut damers regrets, mais il était trop tard. Le Roi des rois est prêt à payer toutes les dettes de notre péché. Il frappe à la porte ; Il nous tend une nourriture divine qui nous fortifie et nous donne la victoire sur nos ennemis spirituels. Ne soyons pas paresseux et indifférents comme cet homme. Ouvrons-Lui de suite. La paix céleste et la joie seront alors nôtres. Notre coeur lui-même deviendra le ciel. « Satan sème le doute dans le coeur des vrais chrétiens et les trouble ainsi. Mais par la grâce de Dieu, le juste échappe à cette emprise. Pour illustrer ceci, permettez-moi de vous raconter une histoire : « Contemplons les trois croix du Calvaire. Celui qui était crucifié au milieu mourut pour le péché. Un des larrons se repentit ; il implora humblement le Seigneur qui écouta sa prière et lui promit de le recevoir ce jour même dans Son paradis. Le larron mourut au péché et vécut en Christ. Lautre malfaiteur chercha à sauver son corps, sans se repentir : « Ami, quelle est ta condition ? Es-tu mort dans le péché, ou es-tu mort au péché ? » * LE JUGEMENT
Pour savoir exactement comment le Sadhou comprend le jugement, il faut compléter ce paragraphe par lenseignement ésotérique tiré des visions, visions rapportées dans le chapitre précédent. Comme nous lavons déjà dit, le Sadhou insiste beaucoup dans ses discours sur la certitude du châtiment. Mais jamais il ne fait allusion à lespoir quil a dune rédemption finale, rédemption accordée, bien quà des degrés différents, à tous les hommes, ou du moins à presque tous. « Il en est beaucoup qui se rassurent en disant : « Dieu est Amour. Dune façon ou dune autre, Il nous sauvera et nous rachètera au dernier moment. » Mais au dernier moment, ceux qui parlent ainsi seront déçus. « Un jour, je soulevai une grosse pierre, sous laquelle je trouvai dinnombrables insectes. Dès quils aperçurent la lumière, terrifiés, ils se mirent à courir dans tous les sens, en proie à une vive agitation. Je remis la pierre à sa place et les insectes retrouvèrent leur tranquillité. Lorsque se lèvera le Soleil de Justice, cette scène se reproduira. Ceux qui vivent dans les ténèbres, dans le péché, contempleront, dévoilées, les fautes quils ont commises en secret : « Car il ny a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. » (Matthieu X, 26.) À la lumière de ce Soleil, les péchés cachés dans les coeurs et dans les vies seront révélés ; ces hommes-là seront remplis de crainte et ils, trembleront. « Observez le cobra. Quel que soit le nombre de fois quil dépouille sa peau, il demeure un cobra. Ainsi fait le pécheur ; il peut quitter son corps, mais dans lautre monde, il demeure un pécheur. Le caractère ne change pas avec la mort. « Tout pécheur est traître envers Dieu. Un homme qui a trahi peut séchapper et se réfugier dans un autre pays. Mais y a-t-il un royaume où lon puisse se réfugier après avoir trahi le royaume de Dieu ? Le péché semparera de lui, alors quil senfuit loin de Dieu, à cause de son péché. La mort surprendra celui qui fuit Dieu pour échapper à la mort. « Au Tibet, un homme commit un meurtre. Le gouvernement condamna lassassin à être pendu. Celui-ci perça le mur de la prison avec un clou et se sauva dans la forêt. Mais, incapable de supporter la rigueur du froid, il mourut. La mort rattrapa celui qui avait tenté déchapper à la mort. « La prière et la méditation nous aident à nous purifier du péché. « Alors que je voyageais dans lHimalaya avec des amis, je vis un homme qui arrivait dun pays chaud. Nous lavertîmes du danger : « Un homme était assis à lombre dun arbre. Sadressant à lombre, il dit : ********** (1) Les documents de ce chapitre proviennent pour la prupart de la collection des discours en tamil. |