DOCTRINE DE LA CHARITÉ

(Texte long, patientez S.V.P)

AVERTISSEMENT DE LA DEUXIEME EDITION

  Ce traité a été donné par Fragments dans les Arcana Cœlestia ; ces Fragments se trouvant épars dans les six derniers volumes de la traduction française de ce grand Ouvrage; nous avons pensé qu'il convenait de les réunir, et de les présenter en un seul corps, afin qu'un Traité si précieux put être plus facilement à la disposition des Lecteurs.

  La Doctrine de la Charité ne commençant qu'au second Fragment, nous présentons le premier Fragment comme Préface de l'Auteur. Nous avons jugé inutile de conserver les n° qui sont au commencement de chaque Alinéa, attendu qu'il sera toujours facile de se reporter au texte latin, les Fragments étant tous placés au commencement des Chapitres du Livre de l'Exode. De plus, nous avons donné à chaque Fragment un Titre, et le n° d'ordre placé au dessus du titre indique le Chapitre de l'Exode d'où le Fragment est extrait.
 

 I

PREFACE DE L'AUTEUR

  Devant les Chapitres du livre de l'Exode, il convient de placer d'avance les Doctrinaux, d'abord les Doctrinaux de la charité, et ensuite les Doctrinaux de la foi, afin que ceux qui ont été donnés çà et là dans les Explications soient exposés en série, et qu'ainsi l'on voie dans son ordre la Doctrine, telle qu'elle est et doit être pour l'église, afin qu'elle concorde avec le bien et le vrai dans le Ciel.
  Dans les Explications qui précèdent, il a été montré çà et là, que la Doctrine de la Charité a été la Doctrine des Anciennes églises, et que cette Doctrine conjoignait toutes les églises, et ainsi de plusieurs n'en faisait qu'une seule ; en effet, on reconnaissait pour hommes de l'église tous ceux qui vivaient dans le bien de la Charité, et on les appelait frères, de quelque manière qu'ils différassent d'ailleurs quant aux vrais qui aujourd'hui sont appelés vrais de la foi ; on s'instruisait l'un l'autre dans ces vrais, ce qui était au nombre des œuvres de la Charité, et même on n'était pas indigné si l'un n'accédait pas à l'avis de l'autre ; on savait que chacun ne reçoit du vrai qu'à proportion qu'il est dans le bien.
  Comme telles ont été les Anciennes églises, par cela même les hommes de ces églises étaient hommes intérieurs, et parce
qu'ils étaient intérieurs, ils avaient plus de sagesse ; car ceux qui sont dans le bien de l'amour et de la charité sont, quant à l'homme Interne, dans le Ciel, et là dans la Société Angélique qui est dans un bien semblable ; de là l'élévation de leur mental vers les intérieurs, et conséquemment leur sagesse ; en effet la sagesse ne peut venir d'autre part que du Ciel, c'est-à-dire, du Seigneur par le Ciel ; et la Sagesse est dans le Ciel, parce que, là on est dans le bien.
  Mais cette sagesse ancienne a diminué par la succession du temps car autant le genre humain s'est éloigné du bien de l'amour envers le Seigneur et de la charité à l'égard du prochain, autant aussi il s'est éloigné de la sagesse, parce qu'autant il s'est éloigné du ciel : de là vient que d'homme Interne l'homme est devenu homme Externe, et cela successivement.
  Et lorsque l'homme fut devenu Externe, il devint aussi mondain et corporel ; et quand il est tel, il ne s'inquiète plus en rien des choses qui sont du ciel ; en effet, elles sont tellement éloignées, qu'il ne croit point qu'elles existent, car alors les plaisirs des amours terrestres, et en même temps tous les maux qui d'après ces amours sont pour lui des plaisirs, s'emparent de tout son être ; et alors ce qu'il entend dire de la vie après la mort, du ciel et de l'enfer, est comme une paille qui, emportée par le vent, disparaît aussitÙt à la vue.
  De là vient aussi que la Doctrine de la Charité, qui avait été d'un si grand prix chez les Anciens, est aujourd'hui au nombre des choses entièrement perdues ; car aujourd'hui qui sait ce que c'est que la Charité dans le sens réel, et ce que c'est que le Prochain dans le sens réel ? Et cependant cette Doctrine a en abondance tant et de si grands arcanes, qu'elle ne peut être décrite quant à la millième partie. Toute l' Ecriture Sainte n'est autre chose que la Doctrine de l'amour et de la charité : c'est même ce que le Seigneur enseigne en disant : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme et de toute ta pensée ;  c'est là le  premier et le grand commandement ; le second lui est semblable : Tu aimeras ton Prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent la Loi et les Prophètes. " - Matth. XXII. 35, 36, 37, 38. - La loi et les Prophètes sont la Parole dans toutes et dans chacune des choses qu'elle contient.
  Comme la doctrine de la Charité est aujourd'hui au nombre des choses entièrement perdues, et que par suite la Doctrine de la foi à été beaucoup détournée du vrai, il m'est permis par la Divine Miséricorde du Seigneur, de placer cette Doctrine devant chacun des Chapitres du Livre de l'Exode, et de la restituer ainsi à l'église.
 


II.

Du Prochain.

  Puisqu'il a été résolu que la Doctrine de la Charité serait placée devant les Chapitres du Livre de l'Exode, il faut d'abord dire ce que c'est que le Prochain, car c'est à son égard que la Charité doit être exercée ; en effet, si l'on ne sait pas quels sont ceux qui sont le Prochain, la Charité peut être exercée, sans distinction, de la même manière à l'égard des méchants qu'à l'égard des bons ; de là, la Charité n'est point la Charité, car les méchants, d'après le bien qu'on leur fait, font du mai au prochain, mais les bons lui font du bien.
  La commune opinion, aujourd'hui, c'est que tout homme est également le prochain, et qu'on doit faire du bien à quiconque a besoin de secours ; mais il est de la prudence Chrétienne de bien examiner quelle est la vie de l'homme, et d'exercer la charité selon cette vie ; l'homme de l'église interne fait cela avec distinction, par conséquent avec intelligence ; au contraire, l'homme de
l 'église externe, ne pouvant pas discerner les choses de cette manière, le fait sans discernement.
  Les Anciens ont réduit en Classes le Prochain, et nommé chaque Classe suivant les noms de ceux qui paraissent dans le inonde devoir être secourus de préférence aux autres ; ils ont enseigné aussi de quelle manière la Charité devait être exercée à l'égard de ceux qui sont dans une Classe, et à l'égard de ceux qui sont dans une autre ; et ils ont ainsi réduit en ordre la Doctrine, et selon cette doctrine la vie ; de là, la Doctrine de leur église contenait les Lois de la vie ; et par là ils voyaient quel était tel on tel homme de l'église, qu'ils nommaient frère, mais avec une distinction dans le sens interne selon les exercices de la charité d'après la Doctrine réelle de l'église, ou d'après la Doctrine altérée car chacun, parce qu'il veut paraître exempt de tout reproche, défend sa propre vie, et par conséquent ou il explique ou il change en sa propre faveur les Lois de la Doctrine.
 
Les distinctions du Prochain, que l'homme de l'église doit absolument connaître pour qu'il connaisse la qualité de la charité, sont en rapport avec le bien qui est chez chacun ; et comme tout Bien procède du Seigneur, le Seigneur est, dans le sens suprême et au degré le plus éminent, le Prochain de Qui procède l'origine ; de là résulte que chacun est le Prochain en proportion de ce qu'il a du Seigneur chez lui, et comme nul ne reçoit de la même manière le Seigneur, c'est-à-dire, le bien qui procède du Seigneur, c'est pour cela que l'un n'est pas le Prochain de la même manière que l'autre ; en effet, tous ceux qui sont dans les cieux diffèrent quant au bien, et de même tous ceux qui sont dans les terres : il n'y a jamais chez deux personnes un bien absolument un et le même ; il faut qu'il soit différent, afin que chacun subsiste par soi. Mais tous ces biens différents, par conséquent toutes les distinctions du Prochain, qui sont en rapport avec la réception du Seigneur, c'est-à-dire, avec la réception du Bien qui procède du Seigneur, jamais aucun homme, ni même aucun Ange, ne peut les connaître ; on peut seulement les connaître dans le commun, par conséquent connaître les genres et quelques-unes de leurs espèces ; et le Seigneur ne requiert de l'homme de l'église pas d'avantage que de vivre selon ce qu'il sait.
 
D'après cela, il est maintenant évident que la qualité du Bien Chrétien détermine à quel degré chacun est le Prochain ; en effet, le Seigneur est présent dans le Bien, parce que le Bien Lui appartient, et il est présent selon la qualité du Bien ; et comme l'origine du Prochain doit être tirée du Seigneur, c'est pour cela que les distinctions du Prochain sont en rapport avec la présence du Seigneur dans le Bien, ainsi avec la qualité du Bien.
 
Que le Prochain soit selon la qualité du Bien, c'est ce qu'on voit clairement par la parabole du Seigneur sur l'homme qui tomba entre les mains des voleurs, et fut laissé par eux à demi mort ; un Prêtre passa outre, et un Lévite aussi ; mais un Samaritain, après avoir bandé ses plaies et y avoir versé de l'huile et du vin, le plaça sur sa propre monture, le conduisit dans une hÙtellerie, et prit, soin de lui ; celui-ci, ayant exercé le bien de la Charité, est appelé le Prochain, Lue, X.29 à 37 par là, on peut savoir que ceux qui sont dans le bien sont le Prochain : ceux qui sont dans le mal) sont il est vrai le Prochain, mais sous un rapport tout autre ; et parce qu'il en est ainsi, on doit leur faire du bien d'une autre manière : mais quant à ceux-ci, d'après la Divine Miséricorde du Seigneur, il en sera parlé dans la suite.
 
Puisque la qualité du Bien est ce qui détermine de quelle manière chacun est le Prochain, c'est l'amour qui le détermine ; car il n'y a aucun Bien qui n'appartienne à l'amour, de là procède tout Bien, et de là existe la qualité du Bien.
 
Que ce soit l'Amour qui fasse qu'il y a Prochain, et que chacun soit le Prochain selon la qualité de son amour, c'est ce que l'on voit clairement par ceux qui sont dans l'amour de soi ; ceux-là reconnaissent pour le Prochain ceux qui les aiment le plus, c'est-à-dire, en tant qu'ils sont des leurs, ainsi, en tant qu'ils sont en eux ; ils les embrassent, leur donnent des baisers, leur font du bien et les appellent frères ; bien plus même, comme ils sont méchants, ils disent que ceux-ci sont le, Prochain de préférence aux autres ; et ils considèrent les autres comme Prochain, selon que les autres les aiment ; ainsi, selon la qualité et la quantité de l'amour : de tels hommes tirent d'eux-mêmes l'origine du prochain, par cette raison que c'est l'amour qui détermine.
 
Ceux, au contraire, qui ne s'aiment pas de préférence aux autres, comme sont tous ceux qui appartiennent au Royaume du Seigneur, tireront l'origine du Prochain de Celui qu'ils doivent aimer par-dessus toutes choses, par conséquent du Seigneur ; et ils auront chacun pour Prochain selon la qualité de l'amour envers le Seigneur. Ceux donc qui aiment les autres comme eux-mêmes, et il plus forte raison ceux qui, comme les Anges, aiment les autres plus qu'eux mêmes tirent tous du Seigneur l'origine du Prochain ; car, dans le Bien est le Seigneur lui-même puisque le Bien procède de Lui : par là aussi l'on petit voir que la qualité de l'amour doit déterminer qui est le Prochain. Que le Seigneur soit dans le Bien, c'est ce que le Seigneur enseigne lui-même dans Matthieu, car ´ Il dit à ceux qui ont été dans le Bien, qu'ils Lui ont donné à manger qu'ils Lui ont donné à boire, qu'ils L'ont recueilli, qu'ils L'ont vêtu, qu'ils L'ont visité, et qu'ils sont venus en prison vers Lui; et ensuite, qu'en tant qu'ils ont fait cela à l'un de ces plus petits de ses frères, ils le Lui ont fait à lui-même ªXXV. 34 à 40.
 
D'après ce qui vient d'être dit, on voit maintenant d'o l'homme de l'église doit tirer l'origine du Prochain ; et que chacun est le Prochain dans le même degré où il est plus proche du Seigneur, et que, comme le Seigneur est dans le, Bien de la charité, le Prochain est selon la qualité du Bien, par conséquent selon la qualité de la Charité.
 
 

III

Des degrés du Prochain.

  Il faut encore parler du Prochain ; car, sans la connaissance du Prochain, on ne peut pas savoir comment la Charité doit être exercée. Dans l'article qui précède, il a été dit que chaque homme est le Prochain mais l'un autrement que l'autre ; et que celui qui est dans le bien est le Prochain de préférence aux autres, qu'ainsi le bien qui est chez l'homme est ce qu'on doit aimer ; en effet, quand on aime le bien, on aime le Seigneur, car c'est du Seigneur que provient le Bien, c'est Lui qui est dans le Bien et c'est Lui qui est le Bien même.
 
Le Prochain est non seulement l'homme dans le singulier, mais c'est aussi l'homme dans le pluriel.; en effet, c'est une Société, petite et grande, c'est la Patrie, c'est l'église, c'est le Royaume du Seigneur, et, au-dessus de tout, C'est le Seigneur ; voilà le Prochain, auquel on doit faire du bien d'après la charité. Ce sont là aussi les degrés ascendants du Prochain ; car une Société de plusieurs personnes est à un degré plus élevé que l'homme pris séparément ; la Patrie est à un degré plus élevé qu'une société ; dans un degré encore plus élevé est l'église ; et dans un degré plus élevé encore est le Royaume du Seigneur ; enfin dans le degré suprême est le Seigneur. Ces degrés ascendants sont comme les degrés d'une échelle, au sommet de laquelle est le Seigneur.
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ne Société est le Prochain de préférence à un homme seul, parce qu'elle se compose de plusieurs hommes ; la charité doit être exercée envers elle de la même manière qu'envers l'homme dans le singulier, savoir, selon la qualité du bien qui est chez elle : ainsi tout autrement envers une société d'hommes probes, qu'envers une société d'hommes non probes.
 
La Patrie est le Prochain de préférence à une société, parce qu'elle est comme une mère ; car l'homme y est né, elle le nourrit, et elle le tient à l'abri des injures. On doit par amour faire du bien à la Patrie selon ses nécessités, qui concernent principalement son entretien, sa vie civile et sa vie spirituelle. Celui qui aime la Patrie, et qui lui fait du bien d'après le bien vouloir, aime dans l'autre vie le Royaume du Seigneur, car là le Royaume du Seigneur est pour lui la Patrie ; et celui qui aime le Royaume du Seigneur aime le Seigneur, parce que le Seigneur est tout dans toutes les choses de son Royaume ; car ce qui est proprement appelé le Royaume du Seigneur, c'est le bien et le vrai, qui sont par le Seigneur chez les habitants de son Royaume.
  L'église est le Prochain de préférence à la patrie, car celui qui pourvoit à l'église, pourvoit aux âmes et à la vie éternelle des hommes qui sont dans la patrie : et l'on pourvoit à l'église, quand on conduit l'homme au bien ; et celui qui fait cela d'après la charité aime le Prochain, car il désire et veut pour autrui le ciel et la félicité de la vie pour l'éternité. Le Bien peut être insinué à autrui par tout homme dans la Patrie, niais le Vrai ne Petit l'être que par ceux qui sont ministres instruisants ; si c'est par d'autres, il s'élève des hérésies, et l'église est troublée et déchirée. La Charité sera exercée, si le Prochain est conduit au bien par le Vrai qui appartient à l'église; si dans l'église on appelle Vrai quelque chose qui détourne du bien, on ne doit pas en faire mention, car ce n'est pas un vrai. Chacun doit s'acquérir le Vrai, d'abord d'après la doctrine de l'église, et ensuite d'après la Parole du Seigneur ; ce vrai sera le vrai de sa foi.
 
Le Royaume du Seigneur est le Prochain dans un plus haut degré que l'église où l'homme est né ; car le Royaume du Seigneur se compose de tous ceux qui sont dans le bien, tant de ceux qui sont dans les terres que de ceux qui sont dans les cieux ; ainsi le Royaume du Seigneur est le Bien avec toute sa qualité dans le complexe : quand on aime ce Bien, on aime chacun de ceux qui sont dans le bien. Par conséquent la totalité, qui est tout Bien dans le complexe, est le Prochain au premier degré, et c'est ce Très-Grand Homme, dont il a été question à la fin de plusieurs Chapitres (1), homme qui est l'Image représentative du Seigneur Lui-Même mais cet Homme, c'est-à-dire, le Royaume du Seigneur, est aimé, quand d'après une affection intime on fait du bien à ceux qui sont hommes par cet Homme procédant du Seigneur, par conséquent chez lesquels est le Royaume du Seigneur.
 
Ce Sont là les degrés du Prochain, et la charité s'élèvera selon ces degrés ; mais ces degrés, sont des degrés dans l'ordre successif, dans lequel le degré antérieur ou supérieur est toujours préféré au degré postérieur ou inférieur, et comme le Seigneur est dans le degré suprême, et qu'il doit être considéré Lui-Même dans chaque degré comme la fin vers Laquelle l'homme doit tendre, il doit par conséquent être aimé Lui-Même par-dessus tous et pardessus toutes choses.

(1) Les chapitres XXVII à XLVI de la Genèse, dans les Arcanes Célestes.
 
 

IV.

Comment on doit entendre que chacun est pour soi le Prochain.

  On dit communément, dans la conversation, que chacun est pour soi-même le prochain, c'est-à-dire, que chacun doit d'abord s'occuper de soi ; la Doctrine de la Charité enseigne ce qu'il en est à cet égard - Chacun est pour soi le prochain, non au premier rang mais au dernier ; il y a, à un rang antérieur, les autres qui sont dans le bien ; à un rang encore antérieur, la société de plusieurs ; à un rang encore antérieur, la patrie ; à un rang encore antérieur l'église ; et à un rang encore antérieur, le Royaume du Seigneur ; enfin, par-dessus tous et par-dessus toutes choses, il y a le Seigneur.
 
Cet adage, que chacun est pour soi le prochain et doit d'abord s'occuper de soi, doit être entendu ainsi : Chacun doit d'abord songer pour soi à avoir les nécessités de la vie, c'est-à-dire, là nourriture, le vêtement, le logement, et plusieurs autres choses qui sont absolument nécessaires dans la vie civile où l'on est ; et cela, non seulement pour soi, mais aussi pour les siens ; et non seulement pour le temps présent, mais aussi pour l'avenir: si l'homme ne pourvoit pas pour lui aux nécessités de la vie, il ne peut être en état d'exercer la charité à l'égard du prochain ; car il manque de tout.
  La fin fait connaître comment chacun sera pour soi le prochain, et s'occupera d'abord de soi ; si la fin est d'être plus riche que les autres, seulement pour les richesses, ou pour la volupté, ou pour la prééminence, et autres choses semblables, Il fin est mauvaise ; celui donc qui croit, d'après une celle fin, qu'il est pour soi le prochain, se nuit pour l'éternité ; mais si la, fil) est d'acquérir des richesses à cause des nécessités de la vie, pour soi-même et pour les siens, afin d'être en état de faire le bien selon les préceptes de la doctrine de la charité, on veille à soi-même pour l'éternité. La fin elle-même fait J'homme, parce que la fin est l'amour de l'homme, car chacun a pour fin ce qu'il âme.
  On peut encore voir ce qu'il en est par ceci, qui est semblable : Chacun doit s'occuper de son corps pour la nourriture et le vêtement, c'est d'abord ce qu'on doit faire, mais pour celte fin, qu'on ait un mental sain dans un corps sain ; et chacun doit s'occuper de son mental pour la nourriture, c'est-à-dire, pour les choses qui appartiennent à l'intelligence et à la sagesse, polir cette fin, que le mental soit par suite en état de servir le Seigneur ; celui qui agit ainsi veille bien à ses intérêts éternels ; au contraire, celui qui s'occupe de son corps seulement pour le corps, et sans penser à la santé du mental, et celui qui s'occupe de son mental pour des choses qui n'appartiennent ni à l'intelligence ni à la sagesse, mais qui y sont opposées, ceux-là veillent
mal à leurs -intérêts éternels. D'après cela, on voit clairement comment chacun doit être pour soi le prochain, c'est-à-dire qu'il doit l'être non au premier rang mais au dernier, car la fin doit être non pour lui mais 'pour les autres ; et où est la fin, là est le premier rang.
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l en est encore de cela, comme de celui qui construit une maison ; il doit d'abord poser le fondement, mais le fondement sera pour la maison et la maison sera pour l'habitation : de même chacun doit d'abord s'occuper de soi, non pour soi mais pour être en état de servir le prochain, par conséquent la Patrie, l'église, et par-dessus toutes choses le Seigneur: celui qui croit qu'il est pour lui même le prochain, au premier rang, est semblable à celui qui regarde comme fin le fondement et non la maison et l'habitation, tandis que cependant l'habitation est la fin même première et dernière, et que la maison avec le fondement est seulement un moyen pour la fin.
 
Ce qui vient d'être dit des richesses s'applique aussi aux honneurs dans le monde ; chacun peut avoir aussi en vue les honneurs, toutefois non à cause de soi, mais à cause du prochain ; celui qui les a en vue à cause de soi-même veille mal à ses intérêts, mais celui qui les a en vue à cause du prochain y veille bien . en effet, celui qui tourne les fins vers soi-même se tourne vers l'enfer, mais celui qui tourne les fins de soi vers le prochain se tourne vers le ciel.
 

V.

De la Charité ou de l'Amour qu'on doit avoir pour le prochain.

  Dans ce qui précède il a été dit ce que c'est que le Prochain, maintenant il faut dire ce que c'est que la Charité ou l'Amour qu'on doit avoir pour le Prochain.
 
La vie même de l'homme est son amour, et tel est son amour, telle est sa vie, bien plus tel est l'homme tout entier. Toutefois, ce qui constitue l'homme, c'est l'amour dominant ou régnant, c'est-à-dire, l'amour de la chose qu'il a pour fin : cet amour a pour subordonnés plusieurs amours particuliers et singuliers, qui en sont les dérivations et qui se montrent sous une autre apparence; mais néanmoins l'amour dominant est dans chacun de ces amours et les dirige, et par eux, comme par des fins moyennes- , il regarde et poursuit sa fin, qui est la principale et la dernière de toutes ; et cela, tant directement qu'indirectement.
 
Il y a, dans le monde naturel, deux choses qui y constituent la vie, à savoir, la Chaleur et la Lumière ; et il y a, dans le monde spirituel, deux choses qui y constituent la vie, à savoir, l'Amour et la Foi : la Chaleur dans le monde naturel correspond à l'Amour dans le monde spirituel, et la Lumière dans le monde naturel correspond à  la Foi dans la monde spirituel : de là vient que quand on dit la Chaleur ou le Feu spirituel, on entend l'Amour, et que quand on dit la Lumière spirituelle on entend la Foi : et même l'Amour est réellement la Chaleur vitale de l'homme, car on sait que l'homme est échauffé par l'amour; et la Foi est réellement la Lumière de l'homme, car on peut savoir que l'homme est éclairé par la foi.
 
Dans le monde naturel la Chaleur et la Lumière existent par le soleil du monde; mais la Chaleur spirituelle et la Lumière spirituelle, ou l'Amour et la Foi, existent par le Soleil du Ciel : le Soleil du Ciel est le Seigneur ; la Chaleur qui vient de Lui comme Soleil est l'Amour, et la Lumière qui vient de Lui comme Soleil est la Foi: que le Seigneur soit la Lumière, on le voit dans Jean : ´ Jésus dit : Moi, je suis la Lumière du  monde, celui qui Me suit ne marchera point dans les  ténèbres, mais il aura la Lumière de la vie. VIII. 12 ; et que le Seigneur soit le Soleil ( du Ciel), on le voit dans Matthieu: ´ Quand Jésus fut transfiguré, sa  face resplendit comme le Soleil, et ses vêtements  devinrent comme la Lumière. - XVII. 2.
 
D'après cette correspondance on peut aussi savoir ce qu'il en est de la Foi et de l'Amour : La Foi sans l'Amour est comme la Lumière sans la Chaleur, telle qu'est la lumière de l'hiver ; et la Foi avec l'Amour est comme la Lumière avec la Chaleur, telle qu'est la Lumière du printemps ; on sait que dans la Lumière du printemps tout croit et fleurit, et l'on sait aussi que dans la lumière de l'hiver tout languit et est dans un état de mort ; il en est de même de la Foi et de l'Amour.
 
Maintenant, puisque c'est de l'amour que vient la vie de l'homme, et que l'homme est tout entier tel qu'est son amour, et puisque l'Amour est la Conjonction spirituelle, ´Il en résulte que tous, dans l'autre vie, sont consociés selon les amours ; car la vie, c'est-à-dire, l'amour de chacun, le suit : ceux qui sont dans l'amour à l'égard du prochain et dans l'amour envers Dieu sont consociés dans le Ciel ; ceux, au contraire, qui sont dans l'Amour de soi et dans l'Amour du monde sont consociés dans
l'Enfer : en effet, l'Amour de soi est opposé à l'Amour envers Dieu, et l'Amour du monde est opposé à l'Amour à l'égard du prochain.
 
Il est dit l'Amour envers Dieu, et il est entendu l'Amour envers le Seigneur, parce qu'en Lui il y a la Trinité, et qu'Il est le Seigneur du Ciel, car ´ Lui est tout pouvoir dans le Ciel et sur Terre. - Matth. XXVIII. 18.
 
 

VI.

De l'Amour envers Dieu et de l'Amour à l'égard du prochain.

  Personne ne peut savoir ce que c'est que le bien compris dans le sens spirituel, à moins qu'il ne sache ce que  c'est que l'Amour à l'égard du prochain et l'Amour envers Dieu ; et personne ne peut savoir ce que c'est que le mal, à moins qu'il ne sache ce que c'est que l'amour de soi et l'amour du monde. Nul non plus ne peut savoir, d'après une reconnaissance intérieure, ce que c'est que le vrai qui appartient à la foi, à moins qu'il ne sache ce que c'est que le bien,  et à moins qu'il ne soit dans le bien ; et nul ne peut savoir ce que c'est que le faux, à moins qu'il ne sache ce que c'est que le mal. Personne donc ne peut se scruter, à moins qu'il ne sache ce que c'est que le bien procédant de ces deux amours et le vrai procédant du bien, et à moins qu'il ne sache ce que c'est que le mal provenant de ces deux amours et le faux provenant du mal.
 
Il y a deux facultés chez l'homme, l'une est appelée l'entendement, et l'autre la Volonté ; la volonté a été donnée à l'homme pour le bien qui appartient à l'amour, et l'entendement pour le vrai qui appartient à la foi ; car le bien qui appartient à l'amour se réfère à la volonté, et le vrai qui appartient à la foi se réfère à l'entendement : l'une de ces facultés communique admirablement avec l'autre. Elles se consignent chez ceux qui sont dans le bien et par suite dans le vrai ; et elles se consignent aussi chez ceux qui sont dans le mal et par suite dans le faux: chez ceux-là et chez ceux-ci ces deux facultés font un seul mental : il en est autrement chez ceux qui sont dans le vrai quant à la foi et dans le mal quant à la vie, et chez ceux qui sont dans le faux quant à
la foi et dans le bien apparent quant à la vie.
  Il n'est pas permis à l'homme de diviser son mental, ni de séparer mutuellement l'une de l'autre ces deux facultés, c'est-à-dire, de comprendre et prononcer le vrai, et de vouloir. et faire le mal ; car alors l'une de ces facultés regarderait en haut ou vers le ciel, et l'autre regarderait en bas ou vers l'enfer, et ainsi l'homme serait suspendu entre l'un et l'autre : mais qu'il sache que c'est la volonté qui entraîne, et l'entendement qui seconde. D'après cela on voit clairement ce qu'il en est de la foi et de l'amour, et ce qu'il en est de l'état de l'homme, si la foi et l'amour sont séparés.
 
Rien n'est plus nécessaire à l'homme, que de savoir s'il a en lui le ciel, ou s'il a l'enfer, car il doit vivre éternellement dans l'un ou dans l'autre : pour le savoir, il est indispensable qu'il sache ce que c'est que le bien et ce que c'est que le mal, car le bien constitue le ciel, et le mal constitue l'enfer': la doctrine de la charité enseigne l'un et l'autre.
 
Il est dit l'amour envers Dieu et il est entendu l'amour envers le Seigneur, car il n'y a point d'autre Dieu ; le Père est en Lui - Jean, XIV. 9, 10, 11, - et le saint de l'esprit  procède de Lui, - Jean, XVI. 13, 14, 15.
 
 

VII.

Du bien et, du mal.

  Puisque le Bien fait le ciel chez l'homme, et que le Mal fait l'enfer, il faut absolument qu'on sache ce que c'est que le bien et ce que c'est que le mal ; précédemment il a été dit que le bien est ce -qui appartient à l'amour envers le Seigneur et à la charité à l'égard du prochain, et que le mal est ce qui appartient à l'amour de, soi et à l'amour du monde ; il suit de là que ce n'est que d'après les amours que l'on sait ce que c'est que le bien et ce que c'est que le mal.
 
Toutes les choses qui, dans l'univers, sont conformes à l'ordre Divin se réfèrent au Bien et au Vrai ; et toutes les choses qui, dans l'univers, sont contraires à l'ordre Divin se réfèrent an mal et au faux: cela vient de ce que le Bien et le Vrai, qui procèdent du Divin, constituent l'ordre, au point qu'ils sont l'ordre.
 
Le Bien qui appartient à l'Amour envers le Seigneur est appelé Bien céleste, et le Bien qui appartient à la charité à l'égard du prochain est appelé Bien spirituel : quelle est la différence entre le Bien céleste qui appartient à l'Amour envers le Seigneur et le Bien spirituel qui appartient à la Charité à l'égard du prochain, et combien est grande cette différence, c'est ce qui sera dit dans la suite.
 
La doctrine du Bien céleste, qui appartient à J'amour envers le Seigneur, est la plus vaste, et en même temps la plus inconnue; la Doctrine du Bien spirituel, qui appartient à la charité à l'égard du prochain, est vaste aussi et inconnue aussi, mais moins que la Doctrine du Bien céleste, qui appartient à l'amour envers le Seigneur. Que la Doctrine de la Charité soit vaste, c'est ce qu'on peut voir en ce que la charité chez l'un n'est pas la même que chez l'autre, et en ce que l'un n'est pas le prochain de la même manière que l'autre.
 
Comme la Doctrine de la Charité était si vaste, les Anciens, citez qui la doctrine de la Charité était la Doctrine même de l'église, distinguaient la Charité à l'égard du prochain en plusieurs Classes, qu'ils subdivisaient encore ; ils donnaient un nom à chaque Classe, et ils enseignaient comment la charité devait être exercée à l'égard de ceux qui étaient dans une classe, et comment elle, devait l'être à l'égard de ceux qui étaient dans une autre et de cette manière ils rédigeaient en ordre la Doctrine de la Charité et les exercices de la charité, afin de les mettre distinctement à la portée de l'entendement.
 
Les Noms qu'ils donnaient à ceux envers lesquels ils devaient exercer la charité étaient en grand nombre; ils en appelaient quelques-uns aveugles, d'autres boiteux,, d'autres manchots, d'autres pauvres, puis misérables et affligés, d'autres orphelins, d'autres veuves : mais en général ils les nommaient des Affamés auxquels ils devaient donner à manger, des Altérés auxquels ils devaient donner à boire, des Voyageurs qu'ils devaient recueillir, des Nus qu'ils devaient vêtir, des Malades qu'ils devaient visiter, et des Prisonniers qu'ils devaient aller voir sur ce sujet, voir A. C. Ni 4954 à 4959
 
Ces noms avaient été donnés du Ciel aux Anciens qui étaient de l'église, et par ceux qui étaient ainsi nommés ils entendaient ceux qui étaient tels spirituellement ; leur Doctrine de la charité enseignait qui ils étaient, et quelle étai! la Charité à l'égard de chacun.
 
De là vient que ces mêmes Noms sont dans la Parole, et signifient ceux qui sont tels dans le sens spirituel. La Parole en elle-même n'est que la Doctrine de l'amour envers le Seigneur et de la charité à l'égard du prochain, comme aussi le Seigneur l'enseigne ´ Tu aimeras le  Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute La pensée, c'est là le premier et le  grand commandement, le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; de ces  deux commandements dépendent là Loi et les  Prophètes. - Math. XXII. 35, 36, 37, 38.  La Loi et les Prophètes, c'est toute la Parole.
  Si ces
mêmes Noms sont dans la Parole, c'est parce que ceux qui étaient dans le culte externe devaient exercer la charité à l'égard des hommes qui étaient ainsi nommés ; et ceux qui étaient dans le culte interne, à l'égard des hommes désignés spirituellement par ces noms ; ainsi C'était pour que les simples entendissent et pratiquassent la Parole avec simplicité, et les sages avec sagesse ; puis aussi, afin que les simples par les externes de la charité fussent initiés dans les internes de la charité.
 
 

VIII.

De l'Amour de soi et de l'Amour du monde

   Il a été dit ci-dessus que les Amours de soi et du monde chez l'homme constituent l'Enfer ; il sera dit maintenant quels sont ces amours, et cela, afin que l'homme sache s'il est en eux, et par conséquent s'il a en lui l'Enfer ou s'il a le Ciel ; car dans l'homme même il y a ou l'Enfer ou le Ciel : que le Royaume de Dieu soit au dedans de l'homme, c'est ce que le Seigneur enseigne  dans Luc Chap. XVII, 21 ; il en est de même par Conséquent de l'Enfer.
 
L'amour de soi règne chez l'homme, c'est-à-dire l'homme est dans l'amour de soi, lorsque dans les choses' qu'il pense et fait il ne, considère pas le prochain, ni par conséquent le publie, ni encore moins le Seigneur mais qu'il 'le considère que lui et les siens, ainsi lorsqu'il fait toutes choses pour lui et pour les siens, et que quand il agit pour le publie et le prochain, c'est seulement afin d'être vu.
  Il est dit pour lui et pour les siens, parce que lui-même fait un avec les siens, et que les siens font un avec lui ; ainsi, quand quelqu'un fait quelque chose pour son épouse, ses enfants, ses petits-enfants, ses gendres, ses brus, il le fait pour lui-même, parce que ceux-ci sont les siens ; pareillement si c'est pour des alliés et pour des amis qui sont favorables à son amour, et qui par là se conjoignent à lui ; car par une telle conjonction ceux-ci font un avec lui, c'est-à-dire, se regardent en lui et lui en eux.
 
Autant l'homme est dans l'amour de soi, autant il s'éloigne de l'amour du prochain ; par conséquent autant l'homme est dans l'amour de soi, autant il s'éloigne du ciel, car dans le ciel est l'amour du prochain ; de là aussi résulte qu'autant l'homme est dans l'amour de soi, autant il est dans l'enfer, cardans l'enfer est l'amour de soi.
 
Dans l'amour de soi est l'homme qui méprise le prochain en le comparant à soi-même, et qui le regarde comme un ennemi s'il ne lui est pas favorable, et s'il ne l'honore pas ; encore plus dans l'amour de soi est l'homme qui, pour cette raison, a de la haine pour le prochain et le persécute ; et encore plus celui qui, pour cette raison, brûle d'en tirer vengeance et en désire la ruine: de tels hommes enfin aiment à sévir contre le prochain ; et si ces mêmes hommes sont aussi adultères, ils deviennent féroces.
 
Le plaisir qu'ils perçoivent dans de telles actions est le plaisir de l'amour de soi ; Ce Plaisir chez l'homme est le plaisir infernal : tout ce qui se fait conformément à J'amour est un plaisir; on peut donc aussi, d'après le plaisir, savoir quel est l'amour.
 
Par les choses qui viennent d'être rapportées, comme indices, on connaît qui sont ceux qui sont dans l'amour de soi : peu importe de quelle manière ils se présentent dans la forme externe, et qu'ils soient altiers ou humbles ; car de telles choses sont dans l'homme intérieur ; or l'homme intérieur aujourd'hui est caché par la plupart des hommes, et l'extérieur est instruit à feindre des choses qui concernent l'amour du publie et du prochain, par conséquent des choses opposées ; et cela aussi pour soi-même et pour le monde.
 
L'amour du monde règne chez l'homme, c'est-à-dire, l'homme est dans l'amour du monde lorsque dans les choses qu'il pense et fait il ne considère et n'a en vue que le lucre, sans s'inquiéter si ce qu'il fait est préjudiciable au prochain et au public.
 
Dans l'amour du monde sont ceux qui désirent attirer à eux les biens des autres par des ruses méditées, et plus encore ceux qui emploient l'astuce et la fraude. Ceux qui sont dans cet amour envient les biens des autres et les convoitent ; et en tant qu'ils ne craignent point les lois, ils les en privent et même les en dépouillent.
 
Ces deux amours croissent autant qu'on leur l‚che les freins, et que l'homme s'y laisse emporter ; et enfin, ils croissent au delà des bornes, au point de vouloir dominer non-seulement sur tout ce qui est dans le royaume, mais encore sur ce qui est au-delà, jusqu'aux bouts de la terre ; bien plus, quand les freins sont l‚chés, ces amours s'élèvent jusqu'au Dieu de l'univers, c'est-à-dire, à un tel point que ceux qui sont dans ces amours veulent monter sur le trÙne de Dieu, et être adorés à la place de Dieu lui-même, selon ces paroles, dans Esaie, au sujet de, Lucifer, par lequel sont entendus ceux qui sont dans ces amours et sont appelés Babel : Toi, tu as dit dans ton cœur : Je monterai aux Cieux ; par-dessus les étoiles de Dieu j'élèverai mon trÙne, je m'assiérai sur la montagne de la convention, aux cÙtés du Septentrion : je monterai au-dessus des hauts lieux de la nuée, el je deviens vraisemblable au Très Haut; mais tu as été précis. pilé dans l'enfer. XIV. 13, 14,.15.
 
Maintenant, d'après ce qui vient d'être dit, on peut voir que ces deux amours sont les origines de tous les maux, car ils sont diamétralement opposés à l'amour à l'égard du prochain et à l'amour envers le Seigneur, par conséquent diamétralement opposés au Ciel, où règne l'amour envers le Seigneur et l'amour à l'égard du prochain ; ce sont en conséquence ces deux amours, savoir, l'amour de soi et l'amour du monde, qui font l'enfer chez l'homme, car ces deux amours règnent dans l'enfer.
 
Toutefois, dans ces amours ne sont pas ceux qui aspirent aux honneurs non pour eux-mêmes mais pour la patrie, et qui aspirent aux richesses non pour les richesses mais pour les nécessités de leur propre vie et de celle des leurs, puis pour un usage bon, en vue duquel l'opulence leur plaît ; chez ceux-ci les honneurs et les richesses sont les moyens de bien faire.
 
 

IX.

De l'Influx du bien de l'amour et du vrai de la Foi.

  D'après ce qui a été dit des amours de soi et du monde, il est évident que c'est par eux qu'existent tous les maux ; et parce que tous les maux en proviennent, c'est de là qu'existent, tous les faux : au contraire, c'est par amour envers le Seigneur et par l'amour à l'égard du prochain qu'existent tous les biens, et parce que tous les biens en proviennent, c'est de là qu'existent tous les vrais.
 
Puisqu'il en est ainsi, il est évident qu'autant l'homme est dans les amours de soi et du monde, autant il n'est pas dans l'amour à l'égard du prochain, ni à plus forte raison dans l'amour envers le Seigneur ; car ces amours sont opposés.
  Il est encore évident qu'autant l'homme est dans les amours de soi et du monde, autant il ignore ce que c'est que la Charité, jusqu'à ne pas savoir enfin qu'elle existe; que de plus, autant l'homme ignore ce que c'est que la foi, jusqu'à ne pas savoir enfin que c'est quelque chose ; qu'en Outre, autant l'homme ignore ce que c'est que la Conscience jusqu'à ne pas savoir - enfin qu'elle existe et que même, autant l'homme ignore ce que c'est que le spirituel, et par conséquent ce que c'est que la vie du Ciel ; et qu'enfin il ne croit pas qu'il y ait un ciel ni qu'il y ait un enfer, ni par conséquent qu'il y ait une vie après la mort. voilà ce que font les amours de soi et du monde quand ils règnent.
 
Le bien de l'amour céleste et le vrai de la foi influent continuellement dit Seigneur, mais ils ne sont point reçus là où règnent les amours de soi et du monde ; chez ceux chez qui ces amours règnent, c'est-à-dire, chez qui continuellement ces amours sont dans la pensée, sont pour fin, sont dans la volonté et constituent la vie, le bien et le vrai qui influent du Seigneur sont ou rejetés, ou étouffés, ou pervertis.
 
Chez ceux chez qui ils sont rejetés, le bien qui appartient à l'amour et le vrai qui appartient à la foi sont en mépris et aussi en aversion. Chez ceux chez qui ils sont étouffés, le bien qui appartient à l'amour et le vrai qui appartient à la foi sont niés, et les maux et les faux qui sont l'opposé sont affirmés. Chez ceux chez qui ils sont pervertis, le bien qui appartient à l'amour et le vrai qui appartient à la foi sont interprétés dans un mauvais sens, et sont appliqués pour favoriser le mal et le faux qui provient du mal.
 
Les amours de soi et du monde commencent à régner chez l'homme, quand celui-ci est maître de son jugement et de sa personne ; car l'homme commence alors à penser d'après lui-même ou d'après de qui est à lui, et alors il commence à s'approprier ces amours ; et cela, d'autant plus qu'il se confirme quant à la vie dans le mal. Autant l'homme s'approprie les maux, autant le Seigneur met à part le bien de l'innocence et le bien de la charité, que l'homme a reçus dans le premier et dans le second. ‚ge de l'enfance, et qu'il reçoit ensuite de temps en temps; et il les serre dans les intérieurs de l 'homme; car le bien de l'innocence et le bien de la charité ne peuvent en aucune manière être avec les maux de ces amours et le Seigneur ne veut pas que ces biens périssent.
 
Ceux donc qui chez eux pervertissent ou étouffent ou rejettent le bien qui appartient à l'amour, et le vrai qui appartient à la foi, ne peuvent pas avoir la vie en eux ; car la vie, qui procède du Divin, est de vouloir le bien et de croire le vrai ; or, ceux qui veulent mon le bien niais le mal, et qui croient non le vrai niais le faux, ont l'opposé de la vie ; cet opposé de la vie est l'enfer, et il est nommé la mort, et ceux-là sont appelés morts. Que la vie de l'amour et de la foi soit nommée la vie et aussi la vie éternelle, et que ceux qui ont cette vie en eux soient appelés hommes vivants ; et que l'opposé de la vie soit nommé la mort et aussi la mort éternelle, et que ceux qui ont cet opposé en eux soient appelés hommes morts, c'est ce qu'on voit par un grand nombre de passages dans la Parole, comme dans Matthieu, Chap. IV. 16 ; VIII. 21, 22 ; XVIII. 8, 9 ; XIX. 16, 17, 29 Jean, III. 15, 16, 36; V. 24, -25 ; VI. 33, 35, 47, 48, 50, 51, 51, 57, 58, 63 ; VIII. 21, 24, 51 X. .10 ; XI.26 ; XIV. 6, 19 ; XVII. 2, 3 ; XX. 31 et ailleurs.
 
 

X.

De l'union du bien de la charité et du vrai
de la Foi.

   Il y a deux choses qui procèdent du Seigneur et qui par conséquent dans leur origine sont Divines, l'une est le BIEN, l'autre est le VRAI ; ce sont ces deux choses qui règnent dans le ciel, et qui même font le Ciel : dans l'église ces deux Choses sont nommées Charité et Foi.
 
Le Bien et le Vrai, quand ils procèdent du Seigneur, sont absolument unis, et tellement unis qu'ils sont non pas deux niais un ; de là aussi ces deux sont un dans le ciel ; et parce qu'ils sont un dans le Ciel, le Ciel est l'image du Seigneur : il en serait de même dans l'église si la charité et la foi y étaient un.
 
D'après le soleil et sa lumière on peut se former une idée du bien qui appartient à la Charité et du vrai qui appartient 'a la Foi ; quand la Lumière qui procède du soleil est conjointe à la Chaleur, ce qui arrive dans la saison du Printemps et de l'Eté, tous les végétaux poussent et ont de la vie ; niais quand dans la lumière il n'y a point de chaleur, comme dans la saison de l'hiver, tous les végétaux languissent et sont dans un état de mort. Dans la Parole le Seigneur est même comparé au Soleil; et le Vrai conjoint au Bien, qui procède du Seigneur, est comparé à la lumière - et aussi dans la Parole le vrai de la foi est appelé Lumière, et le Bien de l'amour est appelé Feu : l'Amour aussi est le feu de la vie, et la Foi la lumière de la vie.
 
D'après cela aussi l'on peut se, former une idée de l'homme de l'église, tel qu'il est quand chez lui la foi a été conjointe à la charité, c'est-à-dire qu'il est comme un jardin et comme un paradis ; et tel qu'il est quand chez lui la foi n'a pas été conjointe à la charité, c'est-à-dire qu'il est comme un désert et comme une terre couverte de neige.
 
Chaque homme, par la seule lumière de son homme naturel, peut voir que le Vrai et le Bien sont en concordance, et aussi qu'ils peuvent être conjoints -, et que le vrai et le mal sont en discordance et qu'ils ne peuvent être conjoints : il en est de même de la foi et de la charité . L'expérience ce -elle- même l'atteste ; celui qui est dans le mal quand à la vie est dans le faux quant à la foi, ou il n'a aucune foi, ou il est absolument contre la foi. Et, ce, qui est un arcane, celui qui est dans le mal quant à la vie est dans le faux de son mal, quoiqu'il croit être dans le vrai ; s'il croit être dans le vrai, c'est parce qu'il est dans la foi Persuasive, dont il sera parlé dans la suite.
 
 

XI.

comment se fait la Conjonction du bien de la
charité avec le vrai de la foi.

  C'est au Vrai et au Bien que se rapportent toutes choses dans l'univers, celles qui ne s'y rapportent pas ne sont pas dans l'ordre Divin ; et celles qui ne se rapportent pas à l'un et à l'autre en même temps ne produisent rien; le bien est ce qui produit et le vrai est ce par quoi la chose est produite.
 
Que ceci serve d'illustration pour ce qui a lieu à l'égard du bien et du vrai spirituels qu'on nomme charité et foi, à savoir, que toutes les choses qui appartiennent à l'église se rapportent à ce bien et à ce vrai, et que celles qui ne s'y rapportent pas n'ont en elles rien de l'église ; et ensuite que celles qui ne contiennent pas en elles l'un et l'autre ne produisent aucun fruit, c'est-à-dire, aucun bien de la charité ou de la foi.
 
En effet, pour que quelque chose soit produit, il faut qu'il y ait deux forces, l'une appelée active et l'autre appelée passive ;
l'une n'enfante rien sans l'autre : la charité et la foi dans l'homme de l'église sont de telles forces ou de telles vies.
 
La première chose de l'église est le Bien, la seconde est le Vrai ; ou, la première chose de l'église est la charité, et la seconde est la foi ; car le vrai de la doctrine de la foi est pour le bien de la vie ; ce qui est la fin propter quem [pour laquelle on agit] est le premier.
 
¿ l'égard de la conjonction du bien qui appartient à la charité et du vrai qui appartient à la foi, chez l'homme, voici ce qui se passe : Le Bien qui appartient à la charité entre par l'âme chez l'homme, mais le vrai qui appartient à la foi entre par l'ouÔe; celui là influe du Seigneur immédiatement, et celui-ci médiatement par la Parole ; de là le chemin par lequel entre le bien de la charité est appelé chemin interne, et le chemin par lequel entre le vrai de la foi est appelé chemin externe ; ce qui entre par un chemin interne n'est point perçu, parce que cela ne tombe, pas manifestement dans le sens ; mais ce qui entre par un chemin externe est perçu, parce que cela tombe manifestement dans le sens ; de la vient que le tout de l'église est attribué à la foi. Il en est autrement chez ceux qui ont été régénérés ; chez ceux-ci le bien qui appartient à la charité est manifestement perçu.
 
La conjonction du bien de la charité avec le vrai de la foi se fait dans les intérieurs de l'homme; le bien même qui influe du Seigneur y adopte le vrai et se l'approprie, et ainsi il fait que chez l'homme le bien est le bien et que le vrai est le vrai, ou que la charité est la charité et que la foi est la foi ; sans cette conjonction la charité n'est pas la charité, mais c'est seulement la bonté naturelle ; et la foi n'est pas la foi, mais c'est seulement la science des choses qui appartiennent à la foi, et souvent la persuasion que telle chose est ainsi, afin d'obtenir avec usure du profit ou de l'honneur.
 
Quand le vrai a été conjoint au bien, il n'est plus appelé vrai, mais bien ; de même quand la foi a été conjointe à la charité, elle n'est plus appelée foi, mais charité ; cela 'vient de ce qu'alors l'homme vent et fait le vrai, et ce qu'il veut et fait est appelé bien.
 
Voici ce qui se passe ensuite à l'égard de la conjonction du bien de la charité avec le vrai de la foi ; ce bien acquiert sa qualité par le vrai, et le vrai a son essence par le bien ; il s'ensuit que la qualité du bien est selon les vrais avec lesquels il est conjoint ; en conséquence le bien devient réel, si les vrais avec lesquels il est conjoint Sont réels; les vrais réels de la foi peuvent être donné au dedans de l'église, ils ne peuvent pas l'être hors de l'église, car au dedans de l'église il y a la Parole.
  O
utre cela, le bien de la Charité reçoit encore sa qualité de l'abondance des vrais de la foi puis aussi de l'enchaînement d'un vrai avec un autre c'est ainsi qu'est formé le bien spirituel chez l'homme.
 
Il y a une grande distinction à faire entre le bien spirituel et le bien naturel. Le bien spirituel tire sa qualité des vrais de la foi, de leur abondance, et de l'enchaînement, ainsi qu'il a été dit; mais le bien naturel naît avec l'homme, et en outre il existe accidentellement, ainsi, par des infortunes, des maladies et autres événements semblables : le bien naturel ne sauve personne, mais le bien spirituel sauve tous ceux qui l'acquièrent ; et cela, parce que le bien, qui est formé par les vrais de la foi, est un plan dans lequel le ciel, c'est-à-dire, le Seigneur par le ciel, peut influer, et conduire l'homme, et le détourner du mal, et ensuite l'élever dans le ciel ; mais il n'en est pas de même du bien naturel ; c'est pourquoi ceux qui sont dans le bien naturel peuvent être entraînés par le faux aussi facilement que par le vrai, pourvu que le faux se montre dans la forme du vrai, et peuvent être conduits par le mal aussi facilement que par le bien, pourvu que le mal se présente comme bien ils sont semblables à des plumes exposées au vent.
 
La confiance ou l'assurance, qui se dit de la foi et est appelée foi, est une confiance ou assurance naturelle, mais non pas spirituelle ; la confiance ou assurance spirituelle a son essence et sa vie par le bien de l'amour, mais non par le vrai de la foi séparé de, ce bien ; la confiance de la foi séparée est morte ; c'est pour cela que la vraie confiance ne petit pas exister chez ceux qui ont mené une vie mauvaise. La confiance même qu'il y a salivation par la mérite du Seigneur, quelle qu'ait été la vie, n'existe pas non plus d'après le vrai.
 


XII.

Ce que c'est que Regarder au-dessus de soi, et ce que
c'est que Regarder au-dessous de soi.

  L'homme a été créé de manière à ce qu'il puisse regarder en haut ou au-dessus de lui, et aussi regarder en bas ou au-dessous de lui. Regarder au-dessus de soi, c'est tourner ses regards vers le prochain, vers la patrie, vers l'église, vers le Ciel, principalement vers le Seigneur ; mais regarder au-dessous de soi, c'est tourner ses regards vers la terre, vers le inonde, et principalement vers soi.
 
Si tourner ses regards vers le prochain, vers la patrie et, vers l'église, c'est regarder au-dessus de soi, c'est parce que c'est regarder vers le Seigneur, car le Seigneur est dans la charité, et il est de la charité de regarder vers le prochain, la patrie et l'église, c'est-à-dire, de leur vouloir du bien : au contraire, ils regardent au-dessous d'eux-mêmes, ceux qui se détournent du prochain, de la patrie et de l'église, et ne veulent du bien qu'à eux-mêmes.
 
Regarder au-dessus de soi, c'est être élevé par le Seigneur, car personne ne peut regarder au-dessus de soi, à moins d'être élevé par Celui qui est au-dessus : au contraire, regarder au-dessous de soi, cela vient de l' homme, parce qu'alors l'homme ne se laisse pas élever.
 
Ceux qui sont dans le bien de la charité et de la foi regardent au-dessus d'eux, parce qu'ils sont élevés par le Seigneur ; mais ceux qui ne sont pas dans le bien de la charité et de la foi regardent au-dessous d'eux, parce qu'ils ne sont pas élevés par le Seigneur : l'homme regarde au-dessous de lui, alors qu'il tourne vers lui l'influx du vrai et du bien procédant du Seigneur ; celui qui tourne vers soi le bien et le vrai influant du Seigneur se voit et voit le monde devant soi, et ne voit ni le Seigneur, ni le bien et le vrai du Seigneur, parce qu'ils sont pour lui par derrière ; de là ils sont pou r lui dans une telle obscurité, qu'il ne s'en inquiète pas, et qu'enfin il les nie.
 
Par regarder au-dessus de soi et regarder au-dessous de soi il est entendu avoir pour fin ou aimer par-dessus toutes choses ; ainsi, par regarder au-dessus de soi, il est entendu avoir pour fin ou aimer par-dessus toutes choses celles qui appartiennent au Seigneur et au Ciel ; et par regarder au-dessous de soi il est entendu avoir pour fin et aimer par-dessus toutes choses celles qui appartiennent à soi-même et au monde ; les intérieurs de l'homme se tournent même réellement où se tourne l'amour.
 
L'homme qui est dans le bien de la charité et de la foi s'aime aussi lui-même et aime le monde, mais non autrement que comme on aime les moyens pour la fin ; chez lui l'amour de soi regarde l'amour du Seigneur,, Par il s'aime comme moyen pour la fin de pouvoir servir, le Seigneur; et chez lui l'amour du monde regarde l'amour du prochain, car il aime le monde comme moyen pour la fin de pouvoir servir le prochain : lors donc que le moyen est aimé pour la fin, ce n'est pas le moyen qui est aimé, mais c'est la fin.
 
De là on peut voir que ceux qui sont dans la gloire du monde, c'est-à-dire, dans la prééminence et dans l'opulence plus que les autres, peuvent regarder au-dessus d'eux vers le Seigneur, de même que ceux quine sont ni dans la prééminence ni dans l'opulence ; car ils regardent au-dessus d'eux alors qu'ils ont la prééminence et l'opulence pour moyen et non pour fin.
 
Regarder au-dessus de soi est propre à l'homme, mais regarder au-dessous de soi est propre aux bêtes: il suit de là qu'autant l'homme regarde au-dessous de lui on en bas, autant il est bête, et autant aussi il est l'image de l'enfer, et qu'autant il regarde au-dessus de lui ou en haut, autant il est homme et autant aussi il est l'image du Seigneur.
 

XIII.

Ce que c'est que la Charité, et ce que c'est que la Foi chez l'homme.

  Il faut dire maintenant ce que c'est que la Charité et ce que c'est que la Foi chez l'homme. La Charité est une affection interne, qui consiste en ce que l'homme veut de Cœur faire du bien au prochain, et que c'est là le plaisir de sa vie ; et cela sans rémunération.
  La Foi est une affection interne, qui consiste en ce qu'on veut de cœur savoir ce que c'est que le vrai et ce que c'est que le bien, et cela non pour la doctrine comme fin, mais pour la vie : cette affection se conjoint avec l'affection de la charité par cela qu'on veut faire selon le Vrai, par conséquent faire le Vrai lui-même.
 
Ceux qui sont dans l'affection réelle de la charité et de la foi croient que par eux-mêmes ils ne veulent rie du bien, et que par eux-mêmes ils ne comprennent rie dis vrai, mais que la volonté du bien et l'entendement du vrai viennent du Seigneur.
 
Voilà donc la charité, et voilà la foi ; ceux qui sont dans la charité et dans la foi ont en eux le Royaume du Seigneur et le Ciel ; et en eux est l'église ; et ce sont ceux qui ont été régénérés par le Seigneur, et ont reçu de Lui une nouvelle volonté et un nouvel entendement.
 
Ceux qui ont pour fin l'amour de soi et l'amour du monde ne peuvent nullement être dans la charité et la foi ; ceux qui sont dans ces amours ne savent pas même ce que c'est que la foi, et ne comprennent nullement que vouloir du bien au prochain sans rémunération, ce soi le ciel dans l'homme, et qu'il y ait dans cette affection une aussi grande félicité que celle des Anges, qui est ineffable ; car ils croient que, s'ils étaient privés de joie qu'ils tirent de la gloire des honneurs et des richesses, il n'y aurait plus rien de la joie, et cependant c'est seulement alors que commence la joie céleste, qui surpasse infiniment toute autre joie.
 

XIV.

En quoi consiste la Charité à l'égard du prochain.

  On croit que la Charité envers le prochain consiste à donner aux pauvres, à secourir l'indigent, et à faire du bien à chacun; mais toujours est-il que la charité réelle consiste à agir avec prudence, afin qu'il en résulte du bien ; celui qui secourt quelque pauvre ou quelque indigent malfaisant fait par lui du mal au prochain, car par le secours qu'il lui donne il le confirme dans le mal, et lui fournit la faculté de faire du mal aux autres ; il en est autrement de celui qui vient au secours des bons.
 
Mais la Charité à l'égard du prochain s'étend beaucoup plus loin qu'aux pauvres et aux indigents : la Charité à l'égard du prochain consiste à agir avec droiture dans tout ouvrage, et à faire son devoir dans toute fonction. Si le juge fait justice pour la justice, il exerce la charité à l'égard du prochain ; s'il punit le coupable et absout l'innocent, il exerce la charité à l'égard du prochain, car ainsi il pourvoit aux intérêts du concitoyen, aux intérêts de la patrie et aussi à ceux du royaume du Seigneur : aux intérêts du Royaume du Seigneur, en faisant justice pour la justice ; à  ceux du concitoyen, en absolvant l'innocent; et à ceux de la patrie  en punissant le coupable. Le prêtre qui enseigne le Vrai , et conduit au bien, pour le vrai et le bien, exerce la charité ; mais celui qui agit ainsi pour lui-même et pour le monde, n'exerce pas la charité, parce qu'il n'aime pas le prochain, mais il s'aime lui-même.
 
Il en est de même de tous les autres, soit qu'ils remplissent quelque fonction, soit qu'ils n'en remplissent point ; par exemple, des enfants à l'égard des parents, et des parents à l'égard des enfants ; des serviteurs à l'égard des maîtres, et des maîtres à l'égard des serviteurs; des sujets à l'égard du roi, et du roi à l'égard des sujets; celui d'entre eux qui remplit le devoir d'après le devoir, et exécute le juste d'après le juste, exerce la charité.
 
Que ce soit là ce qui constitue la Charité à l'égard du prochain, c'est parce que chaque homme est le prochain, mais d'une manière différente ( Article III ) et qu'une société, petite et grande, est davantage le prochain, la patrie encore davantage, l'église encore davantage, le Royaume du Seigneur encore davantage, et le Seigneur par-dessus tous (même Article) ; et que dans le sens universel le bien qui procède du Seigneur est le prochain ( Article II ), conséquemment aussi le Juste et la Droit. Celui donc qui fait un bien quelconque pour le bien, et le juste pour le juste, aime le prochain et exerce la charité, car il agit d'après l'amour du juste, et ainsi par amour pour ceux dans lesquels il y a le bien et le juste : au contraire celui qui, pour un profit quelconque, fait l'injuste, hait le prochain.
 
Chez celui qui est dans la charité à l'égard du prochain par affection interne, il y a la charité à l'égard du prochain dans chacune des choses qu'il pense et prononce, et qu'il vent et fait ; on peut dire qu'un homme Ou un ange, quant à ses intérieurs, est la charité, lors que le bien est pour lui le prochain. C'est d'une telle manière large que s'étend la Charité à l'égard du pro-
-chain.
 
 

XV.

De la Vie de la Charité et de la Vie de la Piété.

  Chez l'homme de l'église il doit y avoir la vie de la Piété et la vie de la Charité ; elles doivent être conjointes: la vie de la Piété sans la vie de la Charité De conduit à rien; mais, avec elle, elle conduit à tout.
  La vie de la Piété est de penser pieusement, et de parler pieusement, de s'adonner beaucoup à la prière, de se comporter alors avec humilité, de fréquenter les temples et d'y entendre les prédications avec attachement, d'assister souvent chaque année au sacrement de la cène, et pareillement aux autres cérémonies du culte selon les statuts de l'église. Mais la vie de la Charité, c'est de vouloir du bien et de faire du bien au prochain, d'agir dans tout ouvrage d'après le juste et l'équitable et d'après le bien et le vrai, d'agir pareillement dans toute fonction ; en un mot, la vie de la charité consiste à faire des usages.
 
Le culte même du Seigneur consiste dans la vie de la charité, mais non dans la vie de la piété sans la vie de la charité ; la vie de la piété sans la vie de la charité est de vouloir s'occuper seulement de soi et non du prochain ; mais la vie de la piété avec la vie de la charité est devouloir s'occuper de soi pour leprochain ; la première vient de l'amour à l'égard de soi mais la seconde vient de l'amour à l'égard du prochain.
 
Que faire le bien, ce soit rendre un culte au Seigneur c'est ce que prouvent ces paroles du Seigneur dans Matthieu :
´ Quiconque entend mes paroles et les fait, je le comparerai à un homme prudent, mais quiconque entend mes paroles, et ne les fait point est comparé à un homme insensé. - VII. 24, 26.
 
L'homme, en outre, est tel qu'est sa vie de la charité mais non tel qu'est sa vie de la piété sans la vie de charité : de là, la vie de la charité reste pour l'éternité chez l'homme, mais non la vie de la piété, si ce n'est qu'autant que celle-ci concorde avec celle-là : que la de la Charité reste pour l'éternité chez l'homme, c'est aussi ce qu'on voit par les paroles du Seigneur dans Matthieu : ´ Le filsde l'homme doit venir dans gloire de son Père avec ses Anges, et alors il rend à chacun selon ses œuvres.  XVI.27 ; et dans Jean : ´ Ceuxqui auront fait de bonnes œuvres seront pour une résurrection de vie, mais ceux qui  en auront  fait de mauvaises, pour une résurrection de jugement. - V. 29 puis par les paroles qui, sont dans Matthieu, - Chap. XXV. 31 à 46.
 
Par la Vie, d'après laquelle il est principalement rendu un culte au Seigneur, il est entendu la vie selon ses préceptes dans la Parole, car par ces préceptes l'homme connaît ce que c'est que la foi et ce que c'est que la charité ; cette vie est la vie Chrétienne et est appelée spirituelle: la vie selon les lois du juste et de l'honnête sans cette vie, est la vie civile et morale ; celle-ci fait que l'homme est citoyen du monde, mais celle-là fait qu'il est citoyen du ciel.
 

XVI.

De la Confession des péchés et de la Repentance.

  Celui qui veut être sauvé doit confesser ses péchés et se repentir.
  Confesser des péchés, c'est connaître des maux, les voir chez soi, les reconnaître, se déclarer coupable, et à cause de ses maux se condamner ; quand cela se fait devant Dieu, c'est confesser des péchés.
  Se repentir, c'est, après avoir ainsi confessé les Péchés et en avoir demandé d'un cœur humble la rémission, y renoncer et mener une vie nouvelle selon les Préceptes de la foi.
 
Celui qui seulement d'une manière générale reconnaît qu'il est un pécheur, et se déclare coupable de tous les maux sans s'examiner, c'est-à-dire, sans voir ses péchés, fait une confession, mais non la confession de la repentance, car il vit ensuite comme auparavant.
 
Celui qui mène la vie de la foi fait chaque jour acte de repentance car il réfléchit sur les maux qui sont chez lui, il les reconnaît,  il s'en garde, il supplie le Seigneur de lui donner du secours: en effet, l'homme tombe continuellement par lui-même, mais il est continuellement relevé par le Seigneur ; il tombe par lui-même quand il pense vouloir le mal, et il est relevé par le Seigneur quand il résiste au mal, et que par suite il ne le fait pas.: tel, l'état de tous ceux qui sont dans le bien ; ceux, au contraire, qui sont dans le mal, tombent continuellement et sont aussi relevés continuellement par le Seigneur mais afin qu'ils ne tombent point dans l'enfer le plus terrible de tous, où ils tendent par eux-mêmes de tous leurs efforts, et que ce ne soit que dans un enfer plus doux.
 
La repentance qui se fait dans un état libre a de l' efficacité, mais celle qui se fait dans un état contraint n'en a pas : l'état contraint est l'état de maladie, l'état d'abattement par suite d'infortune, l'état d'une mort imminente, en un mot, tout état de crainte qui prive de l'usage d'une raison saine : celui qui est méchant, et qui dans l'état contraint promet de se repentir, et même fait le bien, celui-là, quand il vient dans l'état libre, retourne dans sa précédente vie du mal : il en est autrement de l'homme bon, ces états sont pour lui des états d'une tentation, dans laquelle il est victorieux
 
La repentance de la bouche sans celle de la vie n'est point la repentance : par la repentance de la bouche, péchés ne sont point remis, mais ils le sont par la repentance de la vie. Les péchés sont continuellement remis à l'homme par le Seigneur, car il est la miséricorde même ; mais les péchés s'attachent à l'homme, qui pense qu'ils ont été remis, et ils ne sont éloignés de lui que par une vie selon les préceptes de la foi ; autant il vit selon ces préceptes, autant les péchés sont éloignés, et autant ils sont éloignés, autant ils sont remis; en effet, l'homme est détourné du mal par le seigneur et tenu dans le bien ; et il peut être détourné du mal dans l'autre vie autant qu'il a résisté au mal dans la vie du corps, et il peut alors être tenu dans le bien autant qu'il a fait le bien par affection dans la vie du corps : par là on peut voir ce que c'est que la rémission des péchés, et d'o elle vient : celui qui croit que les péchés sont remis autrement est dans une grande erreur.
 
Après que l'homme s'est examiné, a reconnu ses péchés et s'est repenti, il doit rester constamment dans le bien jusqu'à la fin de la vie : si, au contraire, il retombe ensuite dans sa précédente vie du mal et s'y attache, alors il profane, car alors le mal est conjoint au bien ; de là son dernier état est pire que le premier, selon les paroles du Seigneur : ´ Quand l'esprit immonde sort de l'homme, il parcourt des lieux arides, cherchant du repos, mais il n'en trouve point ; alors il dit : Je retournerai dans ma maison, d'o je suis sorti ; et, étant venu, il la trouve vide, et balayée et ornée pour lui ; alors il s'en va, et il s'adjoint sept autres esprits pires que lui ; et, étant entrés, ils habitent là: et le dernier ( état ) de cet homme devient pire que le premier. -Matt. XII. 43, 44, 45.
 
 

XVII.

De la Régénération.

  Celui qui ne reçoit pas la vie spirituelle, c'est-à-dire, qui 'n'est pas engendré de nouveau par le Seigneur, ne peut venir dans le ciel  ; le Seigneur l'enseigne dans Jean : "  En vérité, en vérité, je te dis : Si quelqu'un n'est engendré de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu."-III.3.
  L'homme par ses parents ne naît pas dans la vie spirituelle, mais il naît dans la vie naturelle : la vie spirituelle c'est aimer Dieu par-dessus toutes choses, aimer le prochain comme soi-même ; et cela, selon les préceptes de la loi que le Seigneur a enseigné, dans sa  Parole ; mais la vie naturelle, c'est s'aimer et aimer le monde plus que le prochain, et même plus que Dieu.
 
Chaque homme par ses parents nait dans les maux de l'amour de soi et du monde : tout mal qui par habitude a contracté une sorte de nature est dérivé dans les enfants, ainsi successivement du père et de la mère, aÔeuls et des aÔeux, en remontant dans une longue série ; de là, la dérivation du mal devient enfin si grande que le tout de la vie propre de l'homme n'est absolument que le mal. Ce dérivé continu n'est brisé et changé que par la vie de la foi et de la charité procédant du Seigneur.
  Ce que l'homme tire de l'héréditaire penche continuellement, vers cet héréditaire et y tombe ; par suite il confirme lui-même ce mal chez lui, et il ajoute aussi de lui-même, plusieurs maux.
 
Ces maux sont absolument opposés à la vie spirituelle, ils la détruisent ; si donc, quant à la vie spirituelle, l'homme n'est pas par le Seigneur conçu de nouveau, s'il ne naît pas de nouveau et n'est pas de nouveau élevé, c'est-à-dire, s'il n'est pas créé de nouveau, il est damné, car il ne veut rien autre chose, et par suite ne pense rien autre chose, que ce qui est de l'enfer.
  Quand l'homme
esttel, l'ordre de la vie est chez lui renversé ; ce qui doit dominer sert, et ce qui doit servir, domine ; cet ordre chez l'homme doit être complètement retourné pour qu'il puisse être sauvé : cela est fait par le Seigneur au moyen de la régénération.
 

XVIII.

De la Vie du régénéré.

  Personne ne peut être régénéré, à moins de savoir les choses qui appartiennent à la vie nouvelle, c'est-à-dire, à la vie spirituelle ; car l'homme est introduit dans celle vie par la régénération : les choses qui appartiennent à la vie nouvelle, ou à la vie spirituelle, sont les vrais qu'il faut croire, et les biens qu'il faut faire ; ceux-là appartiennent à la foi, et ceux-ci à la charité.
 
Personne ne peut les savoir par soi-même, car l'homme ne saisit que ce qui est venu au devant de ses sens ; c'est par là qu'il s'acquiert la lumière, qu'on appelle lumière naturelle; par cette lumière il voit seulement les choses qui appartiennent au monde et celles qui lui appartiennent, mais non celles qui appartiennent au ciel ni celles qui appartiennent à Dieu ; celles-ci, il doit les apprendre d'après la révélation.
  Ai
nsi, il doit apprendre que le Seigneur, qui de toute éternité est Dieu, est venu dans le monde pour sauver le genre humain ; qu'à Lui appartient tout pouvoir dans le ciel et sur terre ; que tout ce qui est de la foi et tout ce qui est de la charité, et par conséquent tout vrai et tout bien viennent de Lui ; qu'il y a un ciel et qu'il y a un enfer ; que l'homme doit vivre éternellement ; dans le ciel s'il a bien agi ; dans l'enfer, s'il a mal agi.
  Ces vérités et plusieurs autres sont des vrais de la foi, que l'homme, qui doit être régénéré, doit savoir : car celui qui les sait peut les penser, ensuite les vouloir et enfin les faire, et ainsi avoir une vie nouvelle.
  Par exemple, celui qui ne sait pas que le Seigneur est le Sauveur du genre humain, ne peut avoir la foi en lui, ni l'adorer, ni l'aimer, ni par conséquent faire le bien, à cause de Lui : celui qui ne sait pas que tout bien vient de Lui ne peut pas penser que sa justice et son salut viennent de Lui ni à plus forte raison vouloir que cela soit ainsi, par conséquent il ne peut pas vivre par
Lui : celui qui ne sait pas qu'il y a un enfer, qu'il y a un ciel, qu'il y a une vie éternelle, ne peut pas même penser à  la vie du ciel, ni s'appliquer à la recevoir ; de même pour le reste.
  D'après cela on peut voir quelle est la vie du régénéré, et que c'est la vie de la foi : puis on peut voir qu'elle ne peut exister chez l'homme, avant qu'il soit dans un état à pouvoir reconnaître les vrais de la foi, et, en tant qu'il les reconnait, les vouloir.
 
 

XIX.

De la Régénération de l'homme interne et de l'homme externe.

  Il y a chez chacun un homme interne et un homme externe ; l'Interne est celui qui est appelé homme spirituel, et l'Externe celui qui est appelé homme naturel : l'un et l'autre doit être régénéré, afin que l'homme soit régénéré.
  Chez l'homme qui n'a pas été régénéré, l'homme externe ou naturel commande, et l'homme interne ou spirituel sert ; mais chez l'homme qui a été régénéré, l'homme interne ou spirituel commande, et l'homme externe ou naturel sert. Ce renversement ne peut jamais exister que par la régénération opérée par le Seigneur.
 
Lorsque l'homme externe n'a pas été régénéré, il place tout bien dans ce qui lui est agréable, dans le lucre, dans le faste, et il brûle de haine et de vengeance contre ceux qui s'opposent à lui ; et alors l'homme interne non seulement consent, mais encore fournit des raisons qui confirment et poussent en avant ; ainsi l'homme interne sert, et l'homme externe commande.
  Mais lorsque l'homme externe a été régénéré, l'homme interne place tout bien à penser avantageusement du prochain et à lui vouloir du bien, et l'homme externe place tout bien à parler avantageusement du prochain et à bien agir à son égard ; et enfin l'un et l'autre a pour fin d'aimer le prochain et d'aimer le Seigneur, et non comme auparavant de s'aimer soi-même et d'aimer le monde; alors l'homme externe ou naturel sert, et l'homme interne ou spirituel commande.
 
L'homme interne est d'abord régénéré parle Seigneur, et ensuite l'homme externe, et celui-ci est régénéré au moyen de celui-là; l'homme interne est régénéré par penser les choses qui appartiennent à la foi, et les vouloir, et l'homme externe est régénéré par la vie selon ces choses : la Vie de la foi est la Charité.
 
L'homme qui a été régénéré est, quant à son homme interne, dans le ciel; et il y est Ange avec les anges parmi lesquels aussi il vient après la mort; alors il peutvivre de la vie du ciel, aimer le Seigneur, aimer le prochain, comprendre le vrai, savourer le bien, et percevoir la béatitude qui en procède. C'est là cequi constitue la félicité de la vie éternelle.
 
 

XX.

Du propre de l'homme.

  Chaque homme a un propre qu'il aime par-dessus toutes choses ; cela est nommé le dominant, ou, si l'on veut, l'universel-
 -lement régnant chez lui : ce propre est présent dans sa pensée, et aussi dans sa volonté continuellement, et fait sa vie même (ipsissimam).
 
Par exemple, celui qui aime par-dessus toutes choses les richesses, soit en argent, soit en possessions, est continuellement occupé de la manière dont il les amassera ; il est intimement réjoui quand il en acquiert, il est intimement dans la douleur quand il en perd, son cœur est en elles. celui qui s'aime par-dessus tout a le souvenir de soi dans chaque chose ; il pense à soi, il parle de soi, il agit pour soi ; car la vie de cet homme est la vie de soi.
  L'homme a pour fin ce qu'il aime par-dessus toutes choses ; il le regarde dans toutes choses en général et en particulier ; cela est dans sa volonté comme la veine Cachée d'un fleuve qui entraîne et qui emporte, même quand il fait autre chose, car c'est ce qui l'anime. C'est là ce qu'un homme examine chez un autre, et qu'il voit aussi; et c'est suivant cela qu'il le conduit, ou qu'il agit avec lui.
 
Quand l'homme est régénéré, la Charité est implantée par la foi, jusqu'à ce qu'elle devienne dominante, et quand la charité est devenue dominante, il y a pour l'homme une vie nouvelle ; car alors elle est présente continuellement dans sa pensée, et continuellement dans sa volonté, et même dans chaque chose de sa pensée et de sa volonté, lors même qu'il inédite sur d'autres choses et lorsqu'il est occupé d'affaires.
  Il en est de même de l'amour envers le Seigneur; quand cet amour est dominant, il est présent dans chaque chose de la vie ; c'est comme celui qui aime son roi, ou son père, son amour en leur présence brille sur chaque partie de son visage, est entendu dans chacune de ses paroles, et se montre dans chacun de ses gestes. C'est là ce qui est entendu par avoir continuellement Dieu devant les yeux, et par L'aimer par-dessus toutes choses, de toute son âme et de tout son cœur.
 
L'homme est absolument tel qu'est le dominant de sa vie, c'est par là qu'il est distingué des autres ; selon ce dominant se forme son ciel s'il est bon, et se forme son enfer s'il est méchant, car c'est là sa volonté même, et ainsi l'être même de sa vie, qui ne peut être changé après la mort. D'après cela, on voit clairement quelle est la qualité de la vie du régénéré, et quelle est la qualité de la vie du non-régénéré.
 

XXI.

Des Tentations.

  Ceux qui sont régénérés subissent des Tentations.
 
Les Tentations sont des combats spirituels chez l'homme ; car ce sont des combats entre le mal qui en lui vient de l'enfer, et le bien qui en lui vient du Seigneur.
 
L'homme est induit en tentation par les mauvais esprits, qui habitent chez lui dans ses maux et dans ses faux ; ces esprits excitent ses maux et l'accusent ; mais par le Seigneur les Anges, qui habitent dans les biens et dans les vrais de l'homme, font apparaître les vrais de la foi qui sont chez lui, et le défendent.
 
Dans les Tentations il s'agit de la domination entre le mal qui est chez l'homme par l'enfer, et le bien qui est chez lui parle Seigneur : le mal qui veut dominer est dans l'homme naturel ou externe, mais le bien est dans l'homme spirituel ou interne : de là vient que dans les tentations il s'agit aussi de la domination de l'un de ces hommes sur l'autre : si le mal est victorieux, l'homme naturel domine sur l'homme spirituel ; si le bien est victorieux, l'homme spirituel domine sur l'homme naturel.
 
Ces combats se font par les vrais de la foi qui sont tirés de la Parole; l'homme doit combattre par ces vrais contre les maux et les faux ; s'il combat par d'autres que par eux, il n'obtient pas la victoire, parce que dans les autres D'est pas le Seigneur.
 
Comme le combat se fait par les vrais de la foi qui sont tirés de la Parole, c'est pour cela que l'homme n'est pas admis au combat, avant d'être dans les connaissances du vrai et du bien, et d'avoir acquis par là quelque vie spirituelle: voilà pourquoi ces combats n'existent pas chez l'homme avant qu'il soit dans l'‚ge adulte.
 
Celui qui n'a pas chez lui les vrais de la foi tirés de la Parole, par lesquels il doit combattre, qui par conséquent n'a en lui aucune vie spirituelle, procédant de ces vrais, n'est admis dans aucun combat, parce qu'il succomberait : et si l'homme succombe, son état après la tentation devient pire que son état avant la tentation : en effet, le mal s'est alors acquis la puissance sur le bien, et le faux la puissance sur le vrai.
 
Comme aujourd'hui la foi est rare, car l'église est à sa fin, c'est pour cela qu'aujourd'hui il y a peu d'hommes qui subissent quelques tentations spirituelles ; de là vient qu'on sait à peine ce qu'elles sont, et à quoi elles conduisent.
 
Les tentations conduisent à confirmer les vrais de la foi, puis à les implanter et à les insinuer dans la volonté afin qu'ils deviennent des biens de la charité : en effet ainsi qu'il Vient d'être dit, l'homme combat par les vrais de la foi contre les maux et les faux, et parce qu'alors son mental est dans les vrais, il se confirme en eux, quand il est vainqueur, et il lés implante, et en outre il tient pour ennemis et rejette loin de lui les maux et les faux qui l'ont assailli. Par les tentations aussi les convoitises, qui appartiennent aux amours de soi et du inonde, sont domptées, et l'homme est humilié ; ainsi il est rendu apte à recevoir. la vie du ciel procédant du Seigneur ; cette vie est la vie nouvelle telle qu'elle est chez le régénéré.
 
Puisque par les tentations les vrais de la foi sont confirmés, et que les biens de la charité sont implantés, et qu'en outre les convoitises du mal sont domptées, il s'ensuit que par les tentations la domination est acquise à l'homme spirituel ou interne sur l'homme naturel ou externe, par conséquent au bien qui appartient à la charité et à la foi sur le mal qui appartient à l'amour de soi et du monde. Cela fait, il y a pour l'homme illustration et perception de ce que c'est que le vrai et de ce que c'est que le bien, et aussi de ce que c'est que le mal et le faux ; et par là il y a l'intelligence et la sagesse, qui croissent ensuite de jour en jour.
 
Quand l'homme, par les vrais de la foi, est introduit vers le bien de la charité, il subit des tentations ; mais lorsqu'il est dans le bien de la charité, les tentations cessent ; car alors il est dans le ciel.
 
Dans les tentations l'homme doit combattre contre les maux et les faux comme par lui-même, mais néanmoins il doit croire que c'est par le Seigneur; s'il ne le croit pas dans la tentation même, parcequ'alors cela est obscur pour lui, il doit néanmoins le croire après la tentation. Si l'homme après la tentation n'a pas cru que le Seigneur seul a combattu pour lui et a vaincu pour lui, il n'a subi qu'une tentation externe; cette tentation ne pénètre pas profondément, et elle n'enracine rien de la foi ni rien de la charité.
 

XXII.

De la Conscience.

  Il faut dire maintenant ce que c'est que la Conscience : la Conscience est formée chez l'homme d'après la religiosité, dans laquelle il est, selon sa réception intérieurement en lui.
 
La Conscience chez l'homme de l'église est formée par les vrais de la foi d'après la Parole, ou d'après une doctrine tirée de la Parole, selon la réception de ces vrais dans le cœur -. en effet, quand l'homme sait les vrais de la foi et les comprend à sa manière, et qu'ensuite il les veut et les fait, il se forme alors en lui une conscience : la réception dans le cœur, c'est dans la volonté, car ,c'est la volonté de l'homme qui est appelée cœur.
 
De là vient que ceux qui ont la Conscience disent de cœur ce qu'ils disent, et font de cœur ce qu'ils font.
 
Ceux-là ont aussi un mental non-divisé, car ils agissent selon ce qu'ils croient être vrai et bien, et aussi selon ce qu'ils comprennent: de là chez ceux qui ont été plus que les autres illustrés dans les vrais de la foi, et qui sont plus que les autres dans une perception claire, il peut y avoir une conscience plus parfaite que chez ceux qui ont été moins illustrés, et qui sont dans une perception obscure.
 
Ceux-là ont la conscience, qui ont reçu du Seigneur une nouvelle volonté ; cette volonté est elle-même la conscience ; c'est pourquoi agir contre la conscience,, c'est agir contre cette volonté. Et comme le bien de la charité fait la nouvelle volonté, le bien de la charité fait aussi la conscience.
 
Puisque la conscience, ainsi qu'il vient d'être dit, est formée par les vrais de la foi, comme aussi la nouvelle volonté et la charité, ilen résulte encore qu'agir contre les vrais de la foi, c'est agir contre la conscience.
  Puisque la foi et la charité, qui procèdent du Seigneur, font la vie spirituelle de Lhomme, il en résulte aussi qu'agir contre la Conscience, c'est agir contre cette vie.
 
Maintenant, puisqu'agir contre la Conscience, c'est agir contre la nouvelle volonté, contre la charité, et contre les vrais de la foi, par conséquent contre la vie que l'homme reçoit du Seigneur, il est bien évident que l'homme est dans la tranquillité de la paix et dans la béatitude interne, quand il agit selon la Conscience, et qu'il est dans l'inquiétude et aussi dans la douleur quand
il agit contre elle : c'est cette douleur qui est appelée remords de conscience. il y a chez l'homme la conscience du bien et la conscience du juste ; la conscience du bien est la conscience de l'homme interne, et la conscience du juste est la conscience de l'homme externe : la conscience du bien consiste à agir selon les préceptes de la foi d'après l'affection interne ; la conscience du juste consiste à agir selon les lois civiles et morales d'après l'affection externe. Ceux qui ont la conscience du bien ont aussi la conscience du juste ; ceux qui ont seulement la conscience du juste sont dans la faculté de recevoir la conscience du bien, et même ils la reçoivent quand ils ont. été instruits.
 
Des exemples aussi vont montrer clairement ce que c'est que la Conscience : Quelqu'un a chez lu i les biens d'un autre, sans que cet autre le sache, et ainsi il peut en tirer profit sans craindre la loi et sans craindre de perdre l'honneur et la réputation ; si cependant il les rend à l'autre parce qu'ils ne lui appartiennent pas, il a de la conscience, car il fait le bien à cause du bien et le juste à cause du juste. Soit un autre exemple: Quelqu'un peut obtenir une dignité, mais il voit qu'un autre, qui la recherche aussi, est plus utile à la patrie; s'il lui cède la place pour le bien de la patrie, il a de la conscience. De même pour les autres cas.
 
D'après ces exemples, on peut conclure quels sont ceux qui n'ont pas la conscience ; ils sont connus d'après l'opposé: Ceux qui pour le gain font tout afin que l'injuste paraisse comme juste et que le mal paraisse comme bien, et vice versa, n'ont pas de conscience. Ceux d'entre eux qui savent, quand ils agissent ainsi, que c'est l'injuste et le mal, et qui cependant le font, ne savent pas ce que c'est que la conscience, et si on leur enseigne ce que c'est, ils ne veulent pas le savoir : tels sont ceux qui font toutes choses pour eux-mêmes et pour le monde.
 
Ceux qui n'ont pas reçu la conscience dans le monde ne peuvent pas recevoir la conscience dans l'autre vie ; ainsi ils ne peuvent pas ètre sauvés, parce qu'ils n'ont pas le plan dans lequel influe et par lequel opère le ciel, c'est-à-dire, le Seigneur par le ciel, et par lequel le Seigneur les amène à Lui ; car la conscience est le plan et le réceptacle de l'influx du ciel - c'est pourquoi de tels hommes sont consociés dans l'autre vie à ceux qui s'aiment et aiment le monde par-dessus toutes choses ; ceux-là sont dans l'enfer.