SEPTIÈME PRÉCEPTE.
Tu ne tueras point.


 1012. Tous les préceptes du Décalogue, comme toutes les choses de la Parole, enveloppent deux sens internes, outre le sens suprême, qui est le troisième : le premier, qui est le plus près de la lettre, et qu'on appelle sens spirituel moral ; le second qui en est plus éloigné et qu'on appelle sens céleste-spirituel. Le sens le plus près ou le sens spirituel-moral de ce précepte : Tu ne tueras point, c'est que tu ne dois pas avoir de haine contre ton frère ou contre ton prochain, ni par conséquent lui faire des outrages ni le couvrir d'opprobre, car tu blesserais et tuerais ainsi sa réputation et son honneur, qui constituent parmi ses frères sa vie, qu'on nomme vie civile, d'où il résulterait que dans la suite il vivrait dans la société comme s'il était mort, car il serait mis au nombre des hommes vils et criminels, avec lesquels on ne doit pas avoir de commerce ; quand on agit ainsi par inimitié, par haine ou par vengeance, il y a homicide, et même plusieurs personnes dans le Monde regardent et estiment la vie civile à l'égal de la vie du corps et celui qui commet une telle action est pareillement, aux yeux des Anges dans les Cieux, aussi coupable que s'il eut tué son frère quant à la vie du corps ; car l'inimitié, la haine et la vengeance respirent la mort et la veulent, mais elles sont retenues et réprimées par la crainte de la loi, de la résistance et de la mauvaise réputation; ces trois passions sont toujours des intentions de donner la mort, et toute intention est comme l'acte, car elle se change en acte, quand la crainte est éloignée. C'est là ce qu'enseigne le Seigneur dans Matthieu : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et celui qui tuera sera sujet au jugement. Mais Moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère premièrement : sera sujet au jugement ; et celui qui aura dit à son frère : Raka , sera sujet au conseil ; et celui qui lui aura dit : Fou, sera sujet à la géhenne du feu. » - V. 21 à 26. - Voir l'explication, Apoc. EXPL. N° 693,746. Mais le sens plus éloigné ou le sens céleste-spirituel de ce précepte : Tu ne tueras point, c'est que tu ne dois pas enlever à l'homme la foi de Dieu ni l'amour, ni par conséquent la vie spirituelle cela est l'homicide même, car l'homme est homme par cette vie, à laquelle est assujettie la vie du corps comme la cause instrumentale l'est à la cause principale. De cet homicide spirituel dérive aussi l'homicide moral ; c'est pourquoi celui qui est dans l'un est aussi dans l'autre ; en effet, celui qui veut enlever à l'homme la vie spirituelle a de la haine contre lui s'il ne peut la lui enlever, car il hait la foi et l'amour chez lui, par conséquent l'homme lui-même. Ces trois choses, savoir, l'homicide spirituel qui concerne la foi et lamour, l'homicide moral qui concerne la réputation et l'honneur, et l'homicide naturel qui concerne le corps, se suivent en série, l'un procédant de l'autre, comme la cause et l'effet.

    1013. Puisque tous ceux qui sont dans l'enfer ont de la haine contre le Seigneur, et par conséquent de la haine contre le Ciel, car ils sont opposés aux biens et aux vrais, c'est pour cela que l'enfer est lui-même Meurtrier, ou ce dont provient l'homicide même ; que l'homicide même provienne de l'enfer, c'est parce que l'homme est homme par le Seigneur au moyen de la réception du bien et du vrai ; c'est pourquoi détruire le bien et le vrai c'est détruire l'humain même, par conséquent c'est tuer l'homme. Que tels soient ceux qui sont dans l'enfer, cela n'a pas encore été connu ainsi dans le Monde, par la raison que chez ceux qui sont de l'enfer, et qui par cela même viennent après la mort dans l'enfer, il n'apparaît pas de haine contre le bien et le vrai, ni contre le Ciel, ni à plus forte raison contre le Seigneur ; car chacun, pendant qu'il vit dans le Monde, est dans les externes qui sont, dès l'enfance, instruits et habitués à contrefaire les choses appartenant à l'honnête et au décent, au juste et à l'équitable, au bien et au vrai ; mais toujours est-il que la haine est profondément cachée dans leur esprit, et cela au même degré dans lequel est le mal de leur vie, et comme la haine est dans l'esprit, c'est pour cela qu'elle fait irruption quand les externes ont été dépouillés, ce qui arrive après la mort. Cette haine infernale contre tous ceux qui sont dans le bien, par cela qu'elle est contre le Seigneur, est une haine mortelle ; ceci peut être surtout évident par leur plaisir de malfaire, qui est tel, qu'il surpasse en degré tout autre plaisir, car c'est un feu qui est embrasé du désir de perdre les âmes ; il a été aussi reconnu que ce plaisir provient, non de leur haine contre ceux qu'ils cherchent à perdre, mais de leur haine contre le Seigneur Lui-Même. Maintenant, comme l'homme est homme par le Seigneur et que l'humain qu'il tire du Seigneur est le bien et le vrai, et comme ceux qui sont dans l'enfer désirent ardemment, par haine contre le Seigneur, tuer l'humain qui est le bien et le vrai, il s'ensuit que c'est de l'enfer que provient l'homicide même.

    1014. D'après ce qui vient d'être dit, on peut voir que tous ceux qui sont dans les maux quant à la vie, et par suite dans les faux, sont des meurtriers ; ils sont, en effet, ennemis du bien et du vrai et ils les haïsent, car le mal hait le bien et le faux hait le vrai : l'homme méchant ne sait pas qu'il a une telle haine, avant qu'il devienne esprit ; alors la haine est le plaisir même de sa vie : c'est pourquoi de l'enfer, où sont tous les méchants, s'exhale continuellement, le plaisir de mal faire par haine ; au contraire, du Ciel, où sont tous les bons, s'exhale continuellement le plaisir de bien faire par amour; de là deux sphères opposées se rencontrent dans un milieu entre le Ciel et l'Enfer et se combattent mutuellement; dans ce milieu est l'homme, tandis qu'il vit dans le Monde ; s'il est alors dans le mal et dans les faux qui proviennent du mal, il passe dans le parti de l'enfer, et il vient de là dans le plaisir de mal faire par haine ; mais s'il est dans le bien et dans les vrais qui procèdent du bien, il passe dans le parti du Ciel, et il vient de là dans le plaisir de bien faire par amour. Le plaisir de mal faire par haine, plaisir qui s'exhale de l'enfer, est le plaisir de tuer ; mais comme ils ne peuvent tuer le corps, ils veulent tuer l'esprit, et tuer l'esprit, c'est priver de la vie spirituelle, qui est la vie du Ciel. D'après cela il est évident que le précepte : tu ne tueras point, enveloppe aussi celui de ne point avoir de haine contre le prochain, et de ne pas avoir de haine contre le bien de l'Église, ni contre le vrai de l'Église, car si l'on a de la haine contre le bien et le vrai, on a alors de la haine contre le prochain, et avoir de la haine c'est vouloir tuer. De là vient que le diable, par lequel est entendu l'enfer dans tout le complexe, est appelé par le Seigneur : meurtrier dès le commencement.

    1015. Puisque la haine, qui est vouloir tuer, est l'opposé de l'amour envers le Seigneur, et aussi l'opposé de l'amour à l'égard du prochain, et que ces deux amours font le Ciel chez l'homme, il est évident que la haine, par cela même qu'elle est l'opposé, fait l'enfer chez lui ; le feu infernal n'est pas autre chose que la haine ; c'est aussi pour cela que les Enfers apparaissent comme dans un feu d'un rouge sombre selon la qualité et la quantité de la haine, et dans un feu donnant une flamme sombre selon la qualité et la quantité de la vengeance produite par la haine. Comme la haine et l'amour sont diamétralement opposés entre eux, et que par suite la haine fait l'enfer chez l'homme de même que l'amour fait le Ciel chez lui, voilà pourquoi le Seigneur donne cet enseignement : " Si tu présentes ton offrande sur l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant I'autel, et va-t'en, réconcilie-toi premièrement avec ton frère, et alors viens., présente ton offrande. Entre en accommodement avec ton adversaire au plus tôt, tandis que tu es en chemin avec lui, de peur que ton adversaire ne te livre au juge, et que le juge ne le livre au sergent, et que tu ne sois jeté en Prison. En vérité, je le dis : Tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies payé le dernier quadrain. " Matth. V. 23 à 26. -Ces expressions, être livré au juge et par le juge au sergent, et être par celui-ci jeté en prison, contiennent la description de l'état de l'homme qui est dans la haine après la mort, pour avoir eu de la haine contre son frère dans le Monde ; par la prison est entendu l'enfer, et par payer le dernier quadrain est signifiée la peine, qui est appelée feu éternel.

    1016. La haine étant le feu infernal, il est évident qu'elle doit être éloignée avant que l'amour, qui est le feu céleste, puisse influer, et, par la lumière qui procède de lui, vivifier l'homme ; et ce feu infernal ne peut être éloigné en aucune manière, si l'homme ne sait pas d'où vient la haine, ni ce que c'est que la haine, et si dans la suite il ne l'a pas en aversion et ne la fuit pas. Chaque homme par hérédité a de la haine contre le prochain, car tout homme naît dans l'amour de soi et dans lamour du monde ; c'est pourquoi la haine s'empare de lui, et le met en feu contre tous ceux qui ne font pas un avec lui et ne lui sont pas favorables, surtout contre ceux qui s'opposent à ses convoitises ; personne, en effet, ne peut s'aimer au-dessus de toutes choses et aimer en même temps le Seigneur, et personne ne peut aimer le monde par-dessus toutes choses et aimer en même temps le prochain, parce que personne ne peut servir en même temps deux maîtres, sans mépriser ni haîr l'un, tandis qu'il honore et aime l'autre. Il y a principalement haine chez ceux qui sont dans l'amour de dominer sur tous ; chez les autres il y a inimitié. Il va être dit ce que c'est que la haine : la haine porte en elle un feu, qui est un effort pour tuer l'homme ; ce feu est manifesté par la colère. Il y a chez les bons comme de la haine et par suite comme de la colère contre le mal ; mais ce n'est pas de la haine, c'est de l'aversion pour le mal ; ce n'est pas non plus de la colère, c'est du zèle pour le bien ; le feu céleste est caché intérieurement dans cette aversion et dans ce zèle, car on a de l'aversion pour le mal, et l'on se met presqu'en colère contre le prochain, afin d'éloigner le mal, et ainsi afin de pourvoir au bien du prochain.

    1017. Lorsque l'homme s'abstient de la haine et qu'il l'a en aversion et la fuit comme diabolique, l'amour, la charité, la miséricorde et la clémence influent du Seigneur par le Ciel, et alors seulement les oeuvres qu'il fait sont des oeuvres de l'amour et de la charité ; les oeuvres qu'il avait faites auparavant, quelque bonnes qu'elles aient paru dans la forme externe, étaient toutes des oeuvres de l'amour de soi et du monde, dans lesquelles était cachée la haine s'il n'en eût pas été récompensé. Aussi longtemps que la haine n'a pas été éloignée, aussi longtemps l'homme est entièrement naturel ; et l'homme entièrement naturel reste dans tous les maux qu'il a eus par hérédité ; et il ne peut devenir spirituel, avant que la haine ait été éloignée avec sa racine, qui est l'amour de dominer sur tous les autres ; car le, feu du Ciel, qui est l'amour spirituel, ne peut influer, tant que le feu de l'enfer, qui est la haine, fait obstacle et ferme le passage.