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CERTAINES ÉPREUVES NOUS SONT ENVOYÉES

EN VUE D'EXERCER NOTRE PATIENCE

 

 

VINCENT : Il vous reste à parler, maintenant, cher oncle, de la troisième sorte d'adversités, celles que Dieu envoie à l'homme, non pour l'expiation de ses fautes passées ou futures, mais en vue d'exercer sa patience et d'accroître ses mérites. Cette troisième sorte d'épreuves lui vaudra certainement, dans l'autre monde, une plus grande récompense que les deux premières, mais je ne vois pas comment, dans ce monde-ci, l'homme y pourra trouver un plus grand soulagement, car il ne peut savoir si ces maux passagers lui sont envoyés pour un péché déjà commis, pour l'empêcher d'en commettre un autre ou pour augmenter ses mérites et lui valoir dans l'au-delà de plus grandes récompenses. En fait, chacun d'entre nous a suffisamment de motifs d'estimer que telle épreuve qu'il subit est la juste punition de ses fautes antérieures. Penser autrement serait présomptueux.

 

ANTOINE : Ce que vous dites, neveu, est vrai pour la plupart des hommes. C'est pourquoi ils ne doivent ressentir ni envie ni dépit si un autre, plus méritant, obtient dans l'adversité plus de soulagement qu'eux : ils peuvent eux-mêmes trouver dans leur épreuve leur part de consolation. Je vous ai dit, neveu, que le meilleur d'entre nous doit se reconnaître pécheur. Pourtant, certains fidèles – à vrai dire peu nombreux en regard de la multitude – peuvent espérer, à cause de la pureté de leur conscience, que Dieu leur envoie telle grande épreuve pour exercer leur patience et accroître leurs mérites. Saint Paul n'en est pas le seul exemple : nous en trouvons un autre en la personne du saint homme Job, qui ne craignait pas de dire à ses amis empressés à lui prodiguer leurs vains conseils : « Ma conscience m'assure que je n'ai pas mérité mon terrible abaissement. » Je vous ai déjà dit que je ne conseille à personne de se conforter par une pensée aussi audacieuse. Pourtant, je connais des hommes à qui j'oserais faire espérer que Dieu leur a envoyé la peine qui les afflige non tant pour les punir que pour exercer leur patience. Il y a même certaines peines, en face desquelles je n'hésiterais pas non plus à donner ce conseil, quelle que soit par ailleurs la valeur morale de celui que je réconforterais ainsi.

 

VINCENT : De quelles peines parlez-vous, mon cher oncle ?

 

ANTOINE : Pardi, neveu, de celles dont souffrent les gens qui défendent la justice ou la cause de Dieu. S'il m'arrivait de rencontrer un homme qui, après une longue vie de vertu, serait finalement tombé aux mains des Turcs et qui, malgré des tortures endurées, serait resté fidèle à sa foi et témoignerait toujours en faveur de la vérité, me contenterais-je, s'il m'était possible de lui apporter un réconfort spirituel, de lui dire qu'il doit prendre son mal en patience, que Dieu le lui envoie pour ses péchés, qu'il l'a bien mérité, qu'il aurait mérité pire encore ? Il pourrait me traiter d'intolérable donneur de conseils, et d'insupportable distributeur de consolations, comme Job, ses amis (Job, 16, 2). Non pas ! Je lui dirais hardiment d'envoyer au diable le péché, l'enfer, le purgatoire et le reste. Je lui dirais de ne pas relâcher son effort, car il en perdrait tout le bénéfice, tandis que s'il persévère, sa peine se changera en gloire.

J'irai plus loin. Supposez qu'un chrétien ait commis au milieu de ces infidèles un acte méritant la mort, non pas seulement selon leurs lois, à eux, mais aussi selon la loi du Christ (tel un meurtre ou un adultère), supposez qu'il soit arrêté, et qu'on lui offre la vie à condition qu'il renie la foi du Christ. Si cet homme préfère la mort, vais-je le moraliser comme on moralise un malfaiteur ? Non, certes ! Cet homme qui serait mort pour sa faute meurt maintenant pour le Christ, puisqu'il aurait pu avoir la vie sauve en le reniant. Le seul fait d'avoir choisi la mort le lave de son péché, grâce aux mérites de Jésus-Christ sans l'aide de qui tous nos efforts seraient vains. Puisqu'il a renoncé à la vie pour sauver sa foi, le Christ lui pardonnera entièrement sa faute ; il ne lui infligera aucune peine dans le purgatoire, mais le couvrira de gloire en son paradis. Cet homme qui fut un démon peut être considéré maintenant comme un martyr.

 

VINCENT : Ceci est merveilleusement dit, mon oncle, et me réconforte grandement, dans la terreur que m'inspire l'invasion turque.

 

ANTOINE : Nous parlerons de cette terreur en dernier lieu. Je n'avais pas l'intention d'y faire allusion ici, mais la véhémence de votre ton m'y a obligé. J'aurais voulu vous parler de ceux qui préfèrent souffrir plutôt que d'offenser le droit et la justice. Car si un homme accusé à tort d'un crime quelconque, accablé par de faux témoignages, condamné et montré du doigt, peut trouver grand réconfort dans son innocence, que dire du soutien que trouvera en son cœur celui qui lutte pour la vérité et la justice et qui souffre persécution pour elles ?

 

VINCENT : Dites-moi, si on veut me déposséder de mon bien, trouverai-je un grand réconfort dans la pensée que Dieu me récompensera au cas où j'aurai bien défendu ce qui m'appartenait ?

 

ANTOINE : Non, non, cher neveu, ici vous vous égarez, car vous parlez de la défense des biens temporels. Saint Paul nous dit : « Ne vous défendez pas, mes très chers amis » (Rom., 12, 19) ; et Notre-Seigneur : « Si quelqu'un te poursuit en justice et veut s'emparer de ton manteau, laisse-lui aussi ta robe » (Mt., 5, 40). Vous voyez que la défense de nos propres intérêts ne mérite nulle récompense.

Mais si vous agissez selon la parole de saint Paul, « Ne cherche pas ton profit, mais celui des autres » (Phil., 2, 4), si vous défendez la veuve et l'orphelin et préférez souffrir vous-même plutôt que de les voir souffrir ; ou encore si, étant juge, vous préférez encourir la vengeance de quelque puissant de ce monde plutôt que de rendre en sa faveur un jugement inique, les tribulations qui en résulteront pour vous seront en vérité plus et mieux que des remèdes. Quiconque les subit peut, dans sa profonde détresse, se répéter les paroles du Christ : « Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Bienheureux, ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux » (Mt., 5, 7 et 10).

 

Oui, ces sentences sont pour eux d'un immense réconfort. Il se peut même qu'il en découle pour eux une joie qui gonfle leur cœur, et qui atténue leurs souffrances temporelles. Toutefois, notre confiance en Dieu doit nous soutenir et nous encourager encore bien davantage. Ce point-là, je l'ai dit, je l'aborderai en dernier lieu. En attendant, nous avons assez longuement traité des épreuves de la troisième sorte.