III

 

ÉPROUVER LE DÉSIR D'ÊTRE SOUTENU PAR DIEU

NOUS EST DÉJÀ UN SOUTIEN

 

 

Je prierai pour obtenir le premier réconfort, savoir : le désir d'être soutenu par Dieu. Car le désir d'être réconforté est aussi indispensable à un affligé que la volonté de guérir à un malade.

 

On peut diviser en deux groupes les gens qui sont dans le chagrin : ceux qui luttent et ceux qui s'abandonnent.

Cette dernière catégorie peut également se diviser en deux. Il y a d'abord ceux qui sont tellement plongés dans le désespoir qu'ils se refusent à toute pensée et tombent dans une sorte de léthargie. Ils commettent le plus grave des péchés mortels en se laissant choir ainsi dans l'inertie. Il y a ensuite ceux à qui le malheur a fait perdre toute patience et rendus si susceptibles qu'il est inutile de leur parler. L'irritation les fait déraisonner. Ceux-là commettent le grave péché de colère.

 

Parmi ceux qui acceptent d'être réconfortés, on peut également distinguer deux espèces de gens. Il y a ceux qui, dans leur chagrin, se raccrochent aux satisfactions de ce monde. Je vous en parlerai peu maintenant, car nous aurons l'occasion d'y revenir. Je vous dirai toutefois ce que j'ai appris chez saint Bernard : celui qui dans le malheur, se tourne vers les vanités de ce monde pour y chercher aide et consolation se conduit comme un homme qui, sur le point de se noyer, se cramponne à tout ce qui lui passe à portée de main, fût-ce un simple fétu de paille. Mais cela ne lui sera d'aucun secours : le fétu le suivra au fond de l'eau. Et ainsi de nous : si nous prenons l'habitude de chercher notre soutien dans les vains plaisirs du monde, Dieu permettra à notre chagrin de s'accroître à tel point qu'il nous submergera, nous et ce qui nous soutenait.

 

Voyons maintenant ceux qui ont le désir et l'espoir d'être réconfortés par Dieu. Comme je vous l'ai déjà dit, ce désir même est source de réconfort et ceci pour deux raisons :

D'abord, ils cherchent un appui là où ils ne peuvent manquer de le trouver. Car Dieu peut leur apporter le réconfort, puisqu'il est tout-puissant, et il veut le leur accorder, puisqu'il est infiniment bon, et qu'il a dit : « Demandez et vous recevrez » (Jn., 16, 24). Celui qui croit ne peut douter que Dieu tiendra sa promesse. C'est pourquoi le seul fait de désirer être réconforté par Dieu est déjà en soi un réconfort.

Dieu peut soulager nos maux de deux façons, soit en diminuant ou en supprimant la cause de notre douleur, soit en nous donnant le courage et la force morale de supporter notre épreuve. Mais un homme qui demande à Dieu d'éloigner de lui le motif de son chagrin ne sera, je le crains, jamais soulagé. En effet, une telle prière ne s'accorde pas avec un désir de perfection, et elle peut être contraire au salut de celui qui la formule. Nous y reviendrons. Mais celui qui s'en remet entièrement à Dieu, lui plaît si fort qu'il ne peut manquer d'obtenir satisfaction.

 

Le simple désir de chercher refuge auprès de Dieu est signe que celui qui l'éprouve n'est pas un être abject, privé de la grâce divine, puisque Dieu lui a mis au cœur un tel appétit de vertu. En effet, toute mauvaise pensée nous vient du monde, de nous-mêmes ou du démon, et toute bonne pensée nous vient de notre bon ange ou encore directement de Dieu. Et quel merveilleux réconfort nous éprouvons alors à sentir en ce désir même le signe que Dieu s'attache à nous sauver !