V
CONCERNANT CEUX QUI NE SE TOURNENT VERS DIEU QU'AU DERNIER MOMENT
VINCENT : En vérité, mon oncle, il y a là une grande consolation, si grande que bien des gens peuvent persévérer dans le péché, sûrs d'être sauvés à la fin comme le fut le larron repentant.
ANTOINE : C'est vrai, mon neveu, certains hommes sont assez pervertis pour abuser de la grande bonté de Dieu. Plus il se montre généreux, plus on s'enfonce dans le péché. Mais, s'il est vrai qu' « il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se repent... » à cause de la crainte que Dieu et les saints éprouvaient à voir un homme en danger de perdition, sa place au ciel n'est pas la même que s'il avait toujours marché dans le droit chemin, à moins toutefois qu'après sa conversion il ne rejoigne et ne dépasse les gens de bien. C'est ce qui arriva à saint Paul qui, de persécuteur, devint apôtre et travailla plus que tout autre à semer la parole du Christ. Il ne craignait pas de proclamer lui-même : « J'ai travaillé plus qu'eux tous » (I Cor., 15, 10).
Je ne doute pas, cher neveu, que Dieu soit clément envers tous ceux qui se tournent vers lui, à quelque moment de leur vie qu'ils le fassent, fût-ce à la dernière extrémité. Il admet au ciel même ceux qui viennent travailler à sa vigne quand les autres ont fini (Mt., 20). Pourtant, il serait bien imprudent de se fier à cette parabole pour persévérer dans le péché. Personne ne se rend à la vigne sans y être appelé. Celui qui, dans l'espoir qu'il sera tout de même appelé le soir, dort toute la matinée et boit le reste du temps risque fort de n'être pas convoqué, et d'être envoyé « au lit sans souper ».
Il y avait une fois un homme qui se flattait de vivre toute sa vie selon son bon plaisir, car trois mots prononcés juste avant de mourir lui assureraient, disait-il, une éternité bienheureuse. Il n'atteignit jamais la vieillesse, car un jour, son cheval fit un écart sur un pont en ruines. Quand il vit qu'il ne pouvait se dégager et qu'il allait tomber dans l'eau mon bonhomme s'écria dans son désespoir : « Enfer et damnation ! » Et ce furent ses dernières paroles. C'est là-dessus qu'il avait fondé tout son espoir pendant sa misérable vie.
Inutile pour le pécheur de se répéter : la grâce viendra plus tard. La grâce ne vient que par la volonté de Dieu, et un tel état d'esprit peut être un obstacle à tout bienfaisant repentir. Le pécheur risque de traîner sa négligence toute sa vie ou alors de se faire de vains et tardifs soucis, sans jamais parvenir à la grâce et, finalement, de sombrer dans le désespoir.