XII

 

CES BIENS QUE NOUS DÉSIRONS FONT PEU DE BIEN AU CORPS ET GRAND TORT À L'ÂME

 

 

Nous avons vu quels maigres avantages les vaniteux retirent de ces « dons de la fortune » ; si, maintenant, nous considérons le tort que font ces dons à l'âme qui les reçoit nous verrons qu'il est préférable d'en être privé.

Ce sont des choses qui par leur nature ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais peuvent servir au bien ou au mal. Ne doutons pas cependant que ceux qui n'y voient que matière à plaisir humain, terrestre, ceux qui ne poursuivent aucun but élevé, spirituel, ceux qui ne voient pas dans leur autorité un moyen de servir Dieu, pour ceux-là, le démon transformera ces choses indifférentes en choses mauvaises, car si, par leur nature, elles sont indifférentes, l'usage qu'on en fait ne l'est pas. Celui qui recherche les honneurs seulement pour le plaisir humain et non pour en faire un instrument du bien n'a guère de chance d'atteindre un but meilleur que celui qu'il poursuit ; il usera donc de ses dons non pour le bien mais pour le mal.

 

Examinons, par exemple, l'effet que produisent les richesses sur celui qui les recherche comme un bien temporel et non en vue de servir Dieu. Saint Paul le dit dans sa lettre à Timothée : « Ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, dans le piège du démon, dans une foule de désirs insensés et nuisibles qui font sombrer les hommes dans la mort et la perdition » (1 Tm., 6, 9). Et l'Écriture sainte dit dans le chapitre 24 des Proverbes : « Celui qui amasse des trésors sera précipité dans les pièges de la mort. »

Ainsi le Seigneur dit par la bouche de saint Paul, que ces gens cupides tombent dans le piège du démon ; il dit ailleurs qu'ils y seront précipités avec violence, et en vérité quand un homme désire les richesses non à des fins spirituelles mais à des fins humaines, il a nécessairement peu de scrupules sur la façon de les obtenir, il y arrivera par n'importe quel moyen, même mauvais, soit qu'il amasse sou par sou, comme un avare, ce qui est vous le savez condamnable, soit qu'il se répande en folles dépenses, par orgueil ou gourmandise, ce qui est pis encore.

Quant à la gloire, et à la renommée, recherchées pour le plaisir qu'elles procurent, elles font à l'âme un tort immense ; à cause d'elles les hommes ne connaissent plus de mesure et, poussés par des flatteurs, ils se gonflent d'orgueil au point d'en oublier complètement qu'ils sont faits d'un peu de terre et qu'ils retourneront à la terre ; ils se prennent pour des dieux et s'imaginent qu'ils vont gouverner le monde entier. C'est ce qui cause, entre les princes, ces guerres qui font tant de mal à tant de gens, c'est cela qui répand tant de sang, qui fait qu'un roi, incapable de gouverner son propre royaume, ambitionne d'en régenter cinq. Pensez à tous ceux que détient dès maintenant le Grand Turc, eh bien ! il désire en avoir plus encore, il les gouverne bien mal, mais c'est sa propre personne qu'il gouverne encore le plus mal.

 

Voyons maintenant quels effets produisent sur l'âme les positions qui donnent de l'autorité. Ceux qui ne les désirent que pour satisfaire leur caprice, ne peuvent pas ne pas abuser de cette autorité, car ils ne prendront pas leur tâche au sérieux et soutiendront des requêtes absurdes pour plaire à leurs amis ; ils voudront caser tous ceux qui dépendent d'eux au détriment de gens faibles qui ne leur ont fait aucun tort et qu'ils transforment ainsi en innocentes victimes. S'ils font des lois contre les malfaiteurs, ils les feront, comme dit un vieux philosophe, comme des toiles d'araignées qui attrapent les petits moucherons mais laissent passer les gros bourdons. Ainsi ces lois qui devraient être le bouclier des innocents seront en réalité le glaive qui les transpercera, et l'âme du législateur en portera la responsabilité.

 

Ainsi vous le voyez, mon cher neveu, si on recherche ces biens de la fortune non dans un but spirituel mais pour un bénéfice terrestre, pas un seul n'apporte grand profit au corps et tous sont pernicieux pour l'âme.