IX

 

DU PEU D'AGRÉMENT QU'APPORTENT LA BONNE RÉPUTATION, L'ESTIME ET L'HONORABILITÉ

 

 

ANTOINE : Examinons maintenant la bonne réputation, l'estime, et l'honorabilité. Ces trois choses n'en font qu'une et ne se distinguent entre elles que par des nuances et des degrés. On peut avoir bonne réputation sans être riche ; l'honorabilité, dans l'esprit des gens, ne s'applique qu'à celui qui a des biens, et jouit de l'estime générale. Dans le mot honorabilité, les gens voient l'idée de haute condition, réputation qui s'étend au loin, appuyée sur des actions louables.

Tout cet appareil, employé comme une chose plaisante et commode pour cette vie peut avoir de l'attrait pour celui qui s'y attache. Mais de par sa nature je ne vois pas ce que la chose apporte, je dis bien : de par sa nature, car il se peut qu'elle soit la cause de quelque avantage. Il se peut qu'en raison de l'estime dont ils jouissent, le pauvre et le riche s'appliquent à répandre le bien autour d'eux, de la même façon qu'un homme qui se sent haï s'applique à nuire.

Mais, qu'est-ce que l'honorabilité sinon un souffle aussitôt évanoui que proféré ? Celui qui s'y complaît se nourrit de vent. Il sera souvent déçu. Il s'imagine que beaucoup de gens le louent qui en vérité ne parlent jamais de lui, et ceux qui parlent de lui ne le font pas aussi souvent qu'il le pense. Ils ne passent pas toute leur journée à ne faire que cela. Ceux qui le louent le plus sont bien obligés de temps à autre de l'oublier ! De plus, si on en dit du bien ici, on en médit par là. Enfin ce sont ceux qui le flattent le plus quand il est là qui s'en gausseront le plus derrière son dos et parfois même, sournoisement, jusqu'en sa présence. Pourtant, il y a des gens si intoxiqués par cette idée de renommée qu'ils se réjouissent et se glorifient à la pensée que le monde ne fait rien d'autre nuit et jour que les encenser en chantant leur louange comme les anges célèbrent le Très-Haut.