Arnaud DUMOUCH
11 11 2002
Lheure de la mort
Nihil Obstat Archevêché de Paris
Paris, le 7 juillet 1996 (n°37), M. Dupuy,
Imprimatur Archevêché de Paris
Paris, le 5 novembre 2002 (n° 50-91), Mgr M. Vidal,
En hommage à Geneviève Esquier
Qui sest engagé personnellement dans la publication de ce livre.
Pour Nathalie B. qui sest donné la mort en 1991.
Le vocabulaire marqué de * est traité à la fin de louvrage.
ISBN : 2-403-0923-6
La plupart du temps, lorsquun chrétien demande au prêtre (donc au spécialiste en théologie) un enseignement précis concernant ce qui se passe après la mort, il sentend répondre: «Nous ne savons pas trop. Nous navons aucune certitude. Mieux vaut ne pas poser ces questions. Lessentiel est de faire du bien autour de soi. Dieu nous a préparé en reconnaissance des merveilles. » Rien nest faux dans cette réponse. Elle mérite cependant un reproche grave, celui de ne pas raconter la nature des merveilles préparées par Dieu.
Le silence des prêtres et des théologiens est compréhensible. Tant de récits effrayants ont été donnés sur lautre monde, jetant la peur, que ce genre de thème prête plus à la suspicion quà lintérêt. De fait, la peur nest pas évangélique. Une autre raison, moins pastorale et plus intellectuelle peut expliquer cette circonspection. Au nom dune forme moderne de la lecture de la foi appelée exégèse historico-critique, la plupart des théologiens actuels rejettent comme surajoutées toutes les précisions apportées depuis des siècles par lÉglise et les saints. Ils pensent que seule une méthode rationnelle de lecture de lÉcriture peut permettre de connaître la foi. Cette méthode saffirme bien sûr en opposition avec lintervention des papes et des Conciles de lÉglise, trop autoritaires à leurs yeux. Est-ce légitime? La vie du monde doù vient Jésus est-elle vraiment mieux comprise si lon exclut le charisme de confirmation de la vérité présent dans les successeurs des apôtres?
Toujours est-il que le grand silence des hommes de Dieu depuis trente ans a provoqué chez les fidèles une mutation attristante. Lespérance est moribonde. La plupart ont oublié le contenu de la promesse faite par le Christ pour ce qui suit la mort. Or la nature a horreur du vide. Labsence despérance laisse un vide dans le christianisme qui se remplit très vite dautres formes despoirs humains. Beaucoup en ont été réduits à mettre leur attente dans la construction sociale du monde dici-bas. Pour les plus religieux, un hypothétique retour sur terre par la réincarnation constitue un espoir, le Ciel ne paraissant pas assez désirable.
Il est donc nécessaire, plus que jamais, de raconter lespérance chrétienne. Lorsquon découvre quil ne sagit pas dun traité théorique mais dune vie, dune espérance qui, de plus, se raconte comme une histoire, on ne peut quêtre enthousiasmé.
Cet ouvrage porte en lui une autre intention, à ladresse des théologiens actuels. Il veut montrer que la théologie, même lorsquelle fait le pari de la foi, est Parole de vie. Il est rare de nos jours, dans les Universités Catholiques, quon se mette entièrement à lécoute de lÉcriture Sainte, des saints, du Magistère de lÉglise et, dautre part, de la raison philosophique sans en rien rejeter. Or cette voie intellectuelle peut conduire à une profonde approche de la vérité, capable de répondre aux aspirations de chacun. La théologie ainsi comprise reste un trésor et le rationalisme des professeurs de Théologie qui ne veulent plus croire quen leur raison peut être dépassé.
Trois parties vont se succéder:
I- Un rappel de ce qui fonde tout : Dieu est amour. Il nous a créés pour que nous le voyions face à face
Il nest pas possible de comprendre quoi que ce soit au plan chrétien sur les événements que nous vivrons à lheure de notre mort ou à la fin du monde, sans connaître la raison et lorigine de tout. Comment comprendre lOméga si lon ne connaît pas lAlpha? Tout dans cette espérance sexplique par un principe simple. Il sagit dun projet de Dieu. Il veut se montrer à nous, face à face, pour nous combler de bonheur. Rien, dans lhistoire de lhomme, ne se comprend sans cette lumière. Mais tout peut être compris avec elle. Pour manifester cela, nous ne cesserons au cours de tout ce livre de nous pencher sur le mystère le plus difficile de tous: la souffrance.
II- Notre mort et ce qui la suivra
Dans cette lumière, une deuxième partie sefforcera de rapporter en termes simples ce que nous vivrons à lheure de notre mort. Comment Dieu agit-il pour sauver les hommes à lheure de leur mort? Lenfer existe-t-il?
Il se passera des événements concrets, aptes à être racontés, comme on le fait pour un récit daventure. Rien de cela nest inventé. Tout est suggéré et parfois explicitement décrit dans lÉvangile. Les saints et lÉglise en ont approfondi le mystère au cours des siècles. Les théologiens nont eu quà se servir et compléter par leur réflexion les aspects manquants.
III. Une explication plus théorique sur la manière dont tout cela nous est connu
Elle est destinée aux esprits curieux de mes sources, croyants ou incroyants.
1- A chaque fois que je lai pu, je nai fait que rapporter ce qui constitue avec certitude la foi de lÉglise: « 1. Quand lÉcriture Sainte raconte explicitement quelque-chose; 2. Quand, en plus, de grands saints dont la canonisation engage lÉglise[1] ont enseigné cette même chose; 3. Et quand, pour couronner le tout, une Parole de Pierre[2] en a confirmé la vérité, cest que cet enseignement est vrai.
Un catholique peut y mettre sa foi. Il vivra après sa mort ce qui est raconté sous la pauvreté des mots dici-bas. Un esprit non croyant mais curieux peut dire: « Voici lenseignement du christianisme catholique. » Chaque fois que cela sera possible, tout au long du texte, je préciserai en note ou par la mention « Chose certaine » quand nous avons affaire à de telles vérités.
2- Mais tout dans cet ouvrage nest pas directement la foi de lÉglise tout en ayant un statut particulier de certitude. Ce sont principalement les apports de saints canonisés qui ne cessent de se répéter au cours des siècles, au point de constituer la Tradition la plus profonde de lÉglise. Ce sont les « choses probables » indiquées dans ce livre.
3- Il existe deux points selon moi essentiels qui ne constituent pourtant que des déductions théologiques ou philosophiques. Jai été amené à enseigner, dans mon désir dêtre fidèle à tout lenseignement de lÉglise, deux choses nouvelles.
Le retour du Christ dans sa gloire accompagné des nuées du Ciel, « comme léclair de lorient à lOccident »[3], ne concerne pas uniquement la fin du monde. Il est vécu par chaque homme au moment qui constitue la fin de son monde à lui, cest-à-dire à lheure de la mort. A chacun de se faire une opinion personnelle sur ce point. Il nest pas contradictoire avec la foi[4]. Mais il ne fait pas partie de cette foi confirmée par la parole de Pierre. Il est enseigné par une sainte authentique, Faustine[5]. Selon moi, il sagit de la clef de voûte, celle dont Dieu conservait lexplicitation pour la fin des temps « afin de conduire lÉglise à la découverte de la vérité tout entière »[6]. Dans la troisième partie, jindique avec précision pourquoi je ne peux dire autre chose.
Les morts ne sont pas simplement des esprits semblables aux anges (cest-à-dire des intelligences séparées de tout lien avec le corps et des volontés dénuées des passions sensibles). Les morts emmènent avec eux les facultés de leur psychisme (ils voient, ils entendent, leurs souvenirs sensibles demeurent, ils éprouvent des sentiments et pourtant leur cerveau, qui est le siège des sentiments a bien disparu!) Formé à lécole de saint Thomas dAquin, jai essayé pendant des années de trouver des failles dans les récits de ceux qui avaient approché la mort suite à un arrêt du cur[7]. Il me paraissait impossible quils conservent leurs sensations alors que leur cerveau était en état de mort clinique. Mais jai dû céder, encore un fois à cause de saint Thomas dAquin: « Lorsque lexpérience et les faits enseignent une vérité philosophique contraire à un raisonnement rationnel, cest à lexpérience de simposer et au raisonnement de se réformer. » Devant ce fait nouveau, rien nest changé dessentiel dans ce qui constitue la description du Ciel. Mais tout devient sensible, physiquement lumineux, fait pour nous.
Ces deux aspects sont arqués de lamention : « Chose, selon moi, certaine. Au lecteur de juger ».
3- Je peux assurer que cet ouvrage ne contient rien qui soit contre la foi (contra fidem). Mais il contient nécessairement quelques précisions qui sont en marge de la foi (praeter fidem) (exemple : la nature du monde nouveau, la présence danimaux dans le monde nouveau ). Je peux assurer que ce livre ne contient rien qui soit contre la foi (Contra Fidem). LImprimatur ecclésiastique ne veut rien signifier dautre. Quand de telles opinions seront rapportées, elles seront marquées de la mention « chose indécise. Au lecteur de juger »
« Nous sommes à la veille dune autre vie,
Dun autre esprit,
Dun autre langage,
Dun plus grand amour pour Dieu[8]. »
Cette première partie ne fait que résumer ce qui est habituellement enseigné à tous les chrétiens. Elle napporte rien dessentiellement nouveau pour celui qui est instruit de la Trinité et de son projet, des origines du monde, de la conduite de Dieu sur les hommes pour les sauver par le moyen de la souffrance depuis Adam à aujourdhui, en passant par lincarnation du Christ. Pourtant, il est indispensable de la lire puisquelle est le fondement qui explique les événements de lheure de la mort.
Que se passera-t-il à lheure de la mort ? Les événements sont en fait assez simples à comprendre si on en connaît les bases, à savoir lÉvangile. Ils ne peuvent en aucun cas être compris sans connaître leur fondement évangélique car tout, en théologie catholique, est conséquence dune foi concernant Dieu et le sens de la vie. LÉvangile peut être résumé ainsi.
(La vérité la plus certaine de la foi !)
« Avant que le monde nexiste, depuis toute éternité, il existe un Être unique, « quelquun » dinfini. Il vit totalement heureux, comblé par sa propre nature. Il est mystérieux puisque, tout en étant un seul être, trois personnes (comprendre sous le mot personnes trois jaillissements de lumière et damour) saiment et se contemplent en lui, le Père, le Fils et lEsprit Saint[9]. Il sagit dune inimaginable vie intime, faite de tendresse et de lumière inaccessibles.
Le lecteur doit être ici particulièrement attentif. Il sagit de lAlpha (le fondement) du christianisme. Il explique aussi tout ce que nous dirons par la suite.
Dieu est Tout-puissant. Il est la Lumière infinie. Mais son cur peut être résumé dans deux qualités, lhumilité[10] et lamour. Sans cesse, le Père, le Fils et le Saint Esprit se donnent à lautre. Chacune des personnes de la Trinité met lautre en avant, sefface devant la contemplation et lamour de sa grandeur. Cette vie trinitaire, ce don mutuel total, rayonne au point de constituer lÊtre même de Dieu. Dieu est ainsi et nul ne peut le changer. On comprend que celui qui désire voir Dieu face à face doit garder bien en tête le nom de ces deux qualités.
(Chose certaine)
Dans son éternité, Dieu conçut le projet suivant. Pourquoi ne pas faire partager son bonheur à dautres êtres? Pourquoi ne pas créer de nombreuses personnes, dotées dintelligence et de liberté ? Elles seraient introduites au cur des trois personnes. Bien sûr, il ne sagirait pas de les introduire de force, mais selon le mode de leur nature, cest-à-dire librement, dans un acte damour réciproque.
Dieu agit. Il créa dabord les anges, de purs esprits sans corps[11]. Puis il créa les hommes et les femmes, êtres spirituels et physiques. Anges et hommes étaient faits pour voir Dieu face à face.
(Chose certaine)
Un problème se posait pourtant. Pour entrer auprès de Dieu, pour vivre du bonheur infini qui consiste à le comprendre et à laimer face à face, il était absolument nécessaire de devenir semblable à lui, à savoir tout humble et tout donné à lamour. Ici se trouve la clef de tout. Nul ne peut voir Dieu sans mourir à lui-même[13] , enseigne lAncien Testament. A cause de la pureté et de la délicatesse de Dieu, nimporte quel amour, nimporte quelle humilité ne suffisait pas mais seulement un amour total, dépouillé de toute recherche intéressée. Le moindre orgueil, le moindre égoïsme, et lentrée face à Dieu devenait impossible, comparable à un viol alors quelle devrait être un mariage. Toute la vie de Jésus en est la révélation.
Il convient de faire ici une remarque importante. Dieu ne désirait pas créer un paradis où chaque personne, perdue dans sa contemplation, serait uniquement tourner face à lui. Son idée était de créer une Église, cest-à-dire une communauté immense vivant en Lui dans une totale communion dhumilité et damour. Cest pourquoi, lorsque Jésus vint sur terre annoncer la Bonne Nouvelle, il ne donna pas un seul commandement mais deux qui, selon lui, ne faisaient quun: Tu aimeras ton Dieu de tout ton cur, de toute ton âme et de toute ta force. Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Mais qui est comme cela? Qui peut se targuer dêtre humble et aimant au point dêtre capable de donner sa vie pour autrui, de donner sa vie pour un ennemi? Limage de lamour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui lont mis à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point quil les accueille à lheure de leur mort et leur propose la vie éternelle. Ces personnes ont sans doute été tellement surpris par une telle preuve damour quelles ont demandé pardon pour leur faute.
Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle. Les conditions exigées sont impossibles à lhomme. Il est impossible de devenir humble et aimant à ce niveau là. Il suffit de considérer avec réalisme la petitesse de notre condition humaine. Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème[14], ce nest pas impossible à Dieu.
Pour résumer, il peut être plus simple de comprendre les choses ainsi:
Parce que Dieu est infinie délicatesse de lhumilité et de lamour, nul ne peut le voir et être heureux de son bonheur que sil lépouse. Cest un mariage damour où il est exigé de la fiancée (nous-mêmes) dêtre comme Dieu[15]: tout humble et tout amour[16]. Sans ces qualités du cur, nul ne peut épouser Dieu car nul ne peut alors comprendre quoique ce soit de Dieu.
Le Golgotha, cest le monde. Les trois crucifiés représentent tous les hommes et Dieu qui les sauve par la souffrance. Quils soient pervers, justes ou saints, tous les hommes sont crucifiés sur la terre, tôt ou tard, afin de mourir à eux-mêmes et dêtre sauvés.
(Chose certaine)
Au commencement de lhumanité, il ny avait ni souffrance ni mort. Tout était utile pour préparer chacun à devenir humble, sauf la croix. Le projet de Dieu consistait à faire mûrir le cur des hommes et des femmes à travers une vie terrestre sans souffrance. La seule épreuve devait être celle de la fidélité au cours dun temps passé ici-bas. Dieu créa Adam et Ève, le premier couple et leur donna ce seul commandement: «Aimez-moi, aimez-vous et aimez vos enfants. Faites tout ce que vous voulez mais placez lamour comme source de tous vos actes. » Au bout dun certain temps, Dieu avait prévu de venir les happer, les assompter dans la Vision. Il le fera plus tard à la Vierge Marie, celle qui ne trahit jamais son amour. Mais Adam et Ève trouvèrent cette fidélité bien peu excitante. Elle ne leur permettait pas la seule chose qui finalement rend la vie piquante: « décider soi-même ce qui est bien et mal; vivre sans directives, être son propre maître. » Adam et Ève préférèrent vivre dans une totale liberté, quitte à ne plus se soucier de lamour. Ils se détachèrent de leur Créateur. Cest le péché originel, celui qui tua lhumilité et lamour.
Lorgueil dAdam et Ève était orienté vers lamour égoïste. Il avait le pouvoir, sils sobstinaient à le garder, de les conduire à la solitude éternelle. Dautre part, leur péché était encore si peu obstiné quils pouvaient être amenés à y renoncer. Alors Dieu agit pour les sauver. Il en prit les moyens. Pour cela il leur fit expérimenter leur petitesse, en les livrant à eux-mêmes. Il seffaça. Il demanda aux anges de rendre leur protection discrète.
Toute lhistoire de lhumanité dans son rapport avec Dieu peut finalement se résumer en trois phases, trois jours , dirait la Bible ou encore trois croix , comme lillustre le Golgotha. Elles se retrouvent dans chacune des vies humaines, même aujourdhui, car Dieu ne cesse dagir pour sauver. Mais elles constituent aussi dune manière grandiose, lHistoire Sainte que rapporte la Bible.
(Chose certaine)
Le plan de Dieu consistait à sauver lhomme à travers lexpérience de la souffrance.
Lorsque lhomme se mit à pécher, la souffrance elle-même devint utile: quon le veuille ou non, elle peut conduire les hommes à découvrir leur petitesse. Et la petitesse est une disposition à lamour...[17] Dieu ne changea pas après le péché de lhomme. Tout passe, les royaumes seffondrent, mais Dieu est. Il était toujours là, présent dans le silence et tout ce quil voulait, comme toujours, cétait conduire chaque homme à la gloire et quaucun ne se perde. Rappelons-le, il ny a pas dautre motif qui puisse expliquer le monde. Cest là la clef qui permet douvrir les mystères scellés du sens de la vie. Tout ce que subissaient les hommes, tous ces maux que lApocalypse décrit sous limage des sept mystères scellés[18], tout cela était permis et voulu par Dieu pour que tous soient sauvés. Mais personne, depuis le premier péché, ne le savait plus: les sages, les savants, nul sur la terre ne pouvait expliquer cette misère. Il fallut que Dieu lui-même vienne lenseigner de nouveau sur terre pour que les hommes comprennent.
1- Dans un premier temps, Dieu laissa lhomme devenu égoïste vivre comme il le désirait, goûter jusquau bout les fruits séduisants de larbre de lorgueil. Il le laissa en récolter la solitude, les souffrances, la vie insensée et la mort. Lui-même se cacha et nexpliqua plus son but aux hommes au point quils oublièrent le sens de la vie. Ils tendirent les bras vers le ciel vide. Ils se créèrent de multiples dieux imaginaires plutôt que de rester seuls. Ayant touché le fond de la misère, humilié, lhomme se mit à désirer de tout son être un Sauveur. Ainsi, à travers cette souffrance, les plus orgueilleux parmi les hommes furent disposés à comprendre un début dhumilité et un besoin damour...
Cette première phase est la plus terrible car elle conduit, du fait du silence de Dieu, au désespoir devant la mort. Elle est décrite par la Bible jusquà lheure de la vocation dAbraham. Elle est symbolisée dans lÉvangile par le mauvais larron crucifié avec Jésus. Elle est la phase du silence de Dieu, silence efficace contre lorgueil de lhomme qui meurt.
2- Lhomme appela à laide. Mais la souffrance sous toutes ses formes ne sarrêta pas. Il supplia quon vienne le sauver. « Y-a-t-il quelquun là-haut, qui entend nos prières?[19]» Alors, bien des générations plus tard, Dieu répondit. Il promit un Sauveur à quelques-uns. Mais il ne lenvoya pas tout de suite pour que la soif des hommes sapprofondisse. Orgueilleux, ils devinrent plus humbles et leur âme se mit à désirer la révélation du Dieu dont ils ne connaissaient pas le cur. Ainsi, insensiblement, à travers ces souffrances, le cur de lhumanité mûrit vers une humilité plus grande et un plus grand désir damour.
Cette deuxième phase fut en particulier vécue par les juifs jusquà la venue du Messie Jésus, à partir du jour où leur ancêtre Abraham reçut la promesse dun salut. Elle est symbolisée dans lÉvangile par le bon larron. En effet, les justes subissent les mêmes souffrances au cours de leur vie que les « mauvais». Mais elle provoque un effet plus profond. Le bon larron crucifié à la droite de Jésus lui disait[20]: « souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. Elle est la phase de la foi et de lespérance.
3- Enfin Dieu les sauva. Il le fit lui-même, par un moyen merveilleux, tel que chacun peut sécrier: « Vraiment, Dieu nous aimait ! » Lune des personnes de la Trinité se fit homme en Jésus-Christ. Le Messie-Dieu enseigna et voulut mourir de la main de ceux quil sauvait, afin que les plus orgueilleux parmi les hommes ne puissent plus douter de son amour. Cest la phase de lamour de nouveau révélé, celle qui a commencé depuis deux mille ans. Mais Dieu ne supprima pas pour autant les souffrances de la vie, ni son silence. Le chrétien meurt comme le païen. Cest que, à travers ses souffrances, il lui fut possible de transformer sa croix en plus dhumilité et damour, en une humilité et un amour conscients de ce qui les finalise. Le croyant chrétien peut le faire avec plus dintensité car il sait où il va et ce quil fait sur terre.
Cette partie de lhumanité (et de notre cur) est symbolisée au Golgotha par le Christ lui-même. LÉglise terrestre, qui est sensée le suivre dans la même lumière, est comme son corps resté sur la terre.
Bien des hommes contemporains vivent des première et deuxième phases, selon la profondeur de la révélation religieuse reçue. En effet, tant quil demeure en nous de lorgueil, Dieu agit avec nous selon lordre de la première phase. Il laisse la vie nous humilier pour que nous devenions humbles. Lorsque nous devenons conscients de notre état de misère, déjà éprouvés par la souffrance, il ne supprime pas la croix et la laisse même nous atteindre jusquà la mort. Dieu agit alors avec nous selon lordre de la seconde phase. Déjà humble, il veut que nous espérions être sauvés. Désirer être sauvé est déjà contradictoire avec lorgueil. Il arrive alors quil révèle son amour à certains et leur donne, avec la charité, lexplication du sens de leur croix. Mais il ne nous emmène jamais tout de suite avec lui dans le paradis céleste. Il nous laisse achever notre vie terrestre avec nos compagnons pour que, souffrant avec eux, nous puissions aimer jusque dans cette souffrance. Cest la troisième phase, celle de lAlliance damour réalisée par Jésus-Christ, celle où la mort sert à mieux aimer Dieu et ses frères. Dans chacun des cas, celui qui sait regarder avec le regard de Dieu, comprend que tout cela est en vue de la vie éternelle, du bonheur qui na pas de fin, la rencontre face à face avec Dieu.
Le fait que lhumilité et lamour[22] soient les qualités essentielles de Dieu permet de comprendre beaucoup dactions scandaleuses de Dieu, en particulier son apparent abandon des hommes sur la terre. En théologie chrétienne, il est même possible de dire que, aujourdhui et là où ils sont, les enfants tués, les vies humaines détruites ne regrettent pas dêtre passées par une telle souffrance. Le prophète Isaïe dit[23]: « On oubliera les angoisses anciennes, elles auront disparu de mes yeux. Car voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle, on ne se souviendra plus du passé, il ne reviendra plus à lesprit. » Lapocalypse ajoute quon se réjouira de laction de Dieu « car il aura lavé nos vêtements dans le sang de Jésus »[24]. Autant ils avaient souffert, autant ils se sont jetés avec force dans les bras de Dieu, obtenant en retour la Vision béatifique à la mesure de tous leurs désirs.
La souffrance est donc un mal mais son effet peut être un bien, affirme Jean-Paul II[25]. La souffrance, même quand elle nest pas acceptée, creuse le cur dans le sens de lhumilité (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) dun amour qui sauve.
Après avoir rappelé ces prémisses, il est possible daborder comment se produit la deuxième phase de la purification du cur, lheure de la mort.
Que se passe-t-il au moment de notre mort? Les évangiles nous donnent la réponse, mais de manière elliptique et discrète. Il faudra tout un travail des théologiens et de lhistoire de lÉglise pour remettre tout en clair[27] Le texte suivant semble à première vue parler du retour définitif du Christ à la fin du monde.
Comme les jours de Noé, ainsi sera lavènement du Fils de lHomme. En ces jours-là qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusquau jour où Noé entra dans larche, et les gens ne se doutèrent de rien jusquà larrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi lavènement du Fils de lHomme. Alors deux hommes seront aux champs: lun est pris, lautre laissé; deux femmes en train de moudre: lune est prise, lautre laissée.[28]
Pourtant, il se conclut dune manière étrange. Si un homme est pris et lautre laissé aux champs en ce jour-là, nest-ce pas parce quil sagit dautre chose? En effet, le jour de la fin du monde, si deux hommes sont dans un champ, ils seront pris tous deux dans lautre monde [29]
Quand Jésus parle de lavènement du Fils de lhomme, il semble mêler volontairement plusieurs réalités, comme si pour lui elles représentaient le même mystère. Il parle en particulier ici de lheure de la mort individuelle.
Tout au long de cette partie, pour rendre les choses plus vivantes, je vais mappuyer sur le récit de la mort dune personne dont le destin ma frappé. Son existence a été révélée lors de la publication de lettres retenues par la censure allemande au cours de la seconde guerre mondiale.
Johann était fils de pasteur. Il est né au printemps 1920. Il a vécu ses premières années comme un enfant sans problème dans une Allemagne travaillée par les séquelles de la défaite de 1918. Lorsque Hitler arrive au pouvoir, il est adolescent. Il est idéaliste et généreux. Il assiste à une belle cérémonie présidée par le parti nazi. Il est ému par la procession aux flambeaux qui clôture la journée. Les chants patriotiques sortant de milliers de poitrines enthousiastes lébranlent. Il sengage dans les jeunesses hitlériennes, non par idéologie, mais parce que ses amis en sont aussi enthousiasmés. Il y reçoit un uniforme dont il est fier. Outre les activités ludiques, on y reçoit une formation patriotique et politique. La religion de son père ne lintéresse pas beaucoup: la paroisse est triste. Il se laisse influencer.
Une chanson écrite par un juif commentera 40 ans plus tard le destin des jeunes de cette génération[31]: «Si jétais né en 1917 à Leidenstadt, nourri de haine et de rÉvanche, aurais-je été autre chose?»
Dix ans plus tard, en 1943, Johann est à Stalingrad. Il est caché dans une cave défoncée. Devant lui, la carcasse dun cheval achève de se décomposer. Il a faim. Un avion doit senvoler demain vers lAllemagne, le dernier avion sans doute car les armées soviétiques sont sur le point de prendre laéroport. Il écrit alors une lettre pour son père, sa dernière lettre: Papa, si ton Dieu existe, ton Dieu nest pas à Stalingrad. Jamais sa lettre narrivera: jugée trop pessimiste, elle est détournée par la censure allemande. On ne retrouvera jamais le corps de Johann.
On pourrait multiplier le récit des vies humaines. Chaque destin est unique et sachève sur cette terre par la mort. Entre Johann et sainte Thérèse de lEnfant-Jésus[32], rien ou presque nest commun, sauf cette nécessité de mourir. Comment comparer la charité de sainte Thérèse qui brûle sa courte vie au service de Dieu et de ses frères, et le choix naïf de Johann pour une philosophie qui la plutôt séduit par sa liturgie que par son contenu? Que serait devenu Johann sil avait eu la chance de naître en France dans la famille de Thérèse Martin? Il serait certainement devenu un disciple de Jésus.
Or Dieu aime ces deux êtres. Pour chacun deux, explicitement, il est mort sur la croix. Sil ny avait eu que Johann sur la terre et quil eut été bon de le conduire à la vie éternelle en se faisant homme alors, sans hésiter, le Verbe de Dieu laurait fait pour lui. Cest une certitude. Tout ce que nous connaissons de Jésus dans lÉvangile proclame cette vérité de foi. Or Johann par négligence ou par ignorance, est arrivé à lheure de sa mort sans aimer Dieu. Comment donc le sauver puisque nul ne peut entrer dans la vie éternelle sil naime Dieu? Comment, surtout, Dieu le sauvera-t-il avec justice puisque la charité de sainte Thérèse est, au moins en ce quen a permis sa naissance, le fruit dévénements fortuits? Si sainte Thérèse était née dans une famille adonnée au péché, naurait-elle pas été capable du pire? Elle le reconnaît elle-même.
Pour cela, Dieu utilise un moyen simple: à lheure de la mort, il apparaît sous la forme de son humanité, accompagné des saints et des anges. LÉvangile en parle lorsque Jésus prophétise: «Cette bonne nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier à la face des nations. Et alors viendra la fin[33] ». LÉglise la mis dans son Credo et, chaque dimanche, sans en comprendre le sens, les chrétiens récitent: «Il reviendra dans sa gloire pour juger les vivants et les morts ». Par son apparition à la mort de chacun, cette prophétie se réalise alors[34].
Il faut essayer de regarder dune manière concrète ces événements que nous aurons nous-mêmes à vivre:
Du trou où il se cachait, Johann entendit larrivée dun petit groupe de soldats soviétiques. Il navait plus ni munitions pour défendre laccès de son retranchement ni courage pour lutter davantage. Il vit distinctement rouler à ses pieds une grenade. Il la regarda passivement. Il entendit le sifflement de sa mèche à retardement. Cela dura une seconde. Devant ses yeux, il vit apparaître en un éclair le visage de sa mère, jeune et souriante, telle quelle était lorsquil était enfant. Il revit des scènes de sa vie, comme si cette seconde durait de longues minutes[35]. Puis ce fut le trou noir. Dans sa mort, il néprouva ni révolte, ni haine. Il navait même plus le courage de tels sentiments tant il avait faim. Il navait pensé ni à lau-delà dont parlait son père, ni à Dieu. Il nen avait pas eu le temps. Il était simplement mort, comme une machine usée par la guerre.
Et voici quil se découvrait bien vivant. Son corps gisait à terre, broyé par la grenade. Mais lui vivait.
(Aspect philosophique. Au lecteur den juger)
Dans sa constitution pastorale sur lÉglise[36], le Concile Vatican II écrit : « Puisque le Christ est mort pour tous, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. » Cette phrase elliptique tranchait de manière définitive une question qui depuis deux mille ans agitait les saints et les apôtres : « Que deviennent les pauvres pécheurs ? Ceux qui meurent sans connaître le Christ sont-ils sauvés ? »[37]
Ils peuvent donc être sauvés. Il semble quil est aujourdhui possible de savoir comment et ce de deux manières. Pour la première fois, des saints comme sur Faustine en ont reçu la révélation. Mais, pour savoir ce qui se passe dans ces premiers instants de la mort, il ne semble plus nécessaire de se servir de manière exclusive de la révélation chrétienne. En effet, depuis une trentaine dannées, grâce aux progrès de la médecine de réanimation, lexpérience humaine semble y avoir directement accès[38].
Quand le docteur Moody, psychologue américain, publia son livre La vie après la vie[39], il eut un tel succès que des traductions furent faites un peu partout dans le monde. Il devint un best-seller et ce nest pas étonnant. Lexpérience et les sciences humaines semblent y rejoindre la religion pour proclamer lexistence dune vie après la mort. Il sagit dune étude faite dune manière très sérieuse auprès des américains ayant connu, à un moment, un état darrêt cardiaque ou même de mort clinique. Le résultat de lenquête est bouleversant et dun grand intérêt scientifique, philosophique et théologique.
En dépit des différences présentes pour chaque cas, écrit le docteur Moody, tant par les circonstances qui entraînent les approches de la mort que les différents types humains qui les subissent, il nen reste pas moins que de frappantes similitudes se manifestent entre les témoignages qui relatent lexpérience elle-même. En fait, ces similitudes sont telles quil devient possible den dégager des traits communs, sans cesse répétés dans la mesure des documents quil a pu rassembler. En se fondant sur ces ressemblances, le docteur Moody sefforce de reconstituer brièvement un modèle théorique idéal ou complet, de lexpérience en question en y introduisant tous les éléments communs dans lordre où il est typique de les voir apparaître.
« Voici donc un homme qui meurt et, tandis quil atteint le paroxysme de la détresse physique, il entend le médecin constater son décès. Il commence alors à percevoir un bruit désagréable, comme un fort timbre de sonnerie ou un bourdonnement et, dans le même temps, il se sent emporté avec une grande rapidité à travers un obscur et long tunnel. Après quoi il se retrouve hors de son corps physique immédiat. Il aperçoit son propre corps physique à distance, comme en spectateur. Il observe de ce point de vue privilégié les tentatives de réanimation dont son corps fait lobjet. Il se trouve dans un état de forte tension émotionnelle.
Au bout de quelques instants, il se reprend et saccoutume peu à peu à létrangeté de sa nouvelle condition. Il saperçoit quil continue à posséder un corps mais ce corps est dune nature très particulière et jouit de facultés très différentes de celles dont faisait preuve la dépouille quil vient dabandonner. Bientôt, dautres événements se produisent, dautres êtres savancent à sa rencontre, paraissant vouloir lui venir en aide. Il entrevoit les esprits de parents et damis décédés avant lui. Et soudain, une entité spirituelle dune espèce inconnue, un esprit de chaude tendresse, tout vibrant damour (un être de lumière) se montre à lui. Cet être fait surgir en lui une interrogation, qui nest pas verbalement prononcée, et qui le porte à effectuer le bilan de sa vie passée. Lentité le seconde dans cette tâche en lui donnant une vision panoramique, instantanée, de tous les événements qui ont marqué son destin.
Le moment vient ensuite où le défunt semble rencontrer devant lui une sorte de barrière ou de frontière, symbolisant apparemment lultime limite entre la vie terrestre et la vie à venir. Mais il constate alors quil faut revenir en arrière, que le temps de mourir nest pas encore venu pour lui. A cet instant, il résiste car il est désormais subjugué par le flux des événements de laprès vie, et ne souhaite pas ce retour. Il est envahi dintenses sentiments de joie, damour et de paix. En dépit de quoi il se retrouve uni à son corps physique: Il renaît à la vie.
Par la suite, lorsquil tente dexpliquer à son entourage ce quil a éprouvé entre temps, il se heurte à différents obstacles. En premier lieu, il ne parvient pas à trouver des paroles humaines capables de décrire de façon adéquate cet épisode supraterrestre. De plus, il voit bien que ceux qui lécoutent ne le prennent pas au sérieux, si bien quil renonce à se confier à dautres. Pourtant, cette expérience marque profondément sa vie et bouleverse notamment toutes les idées quil sétait faites jusque-là à propos de la mort et de ses rapports avec la vie.»
On peut résumer ce tableau idéal en cinq grandes étapes[40]:
1. Décorporation: la personne se trouve comme suspendue au-dessus de son corps.
2. Tunnel noir.
3. Vision de lêtre de lumière.
4. Vision de proches décédés précédemment.
5. Le retour et ses conséquences psychologiques.
Lordre des étapes peut varier puisque certaines personnes affirment avoir vu lêtre de lumière[41] avant le passage dans le tunnel noir. Dautre part, certains témoignages sarrêtent à la première ou deuxième étape, la mort clinique nayant apparemment pas assez duré.
Lintérêt scientifique fut très vif aux USA et lon sefforça de vérifier la véracité des récits. Seule la décorporation peut être objet dune enquête rigoureuse. Pour les autres phases, le témoignage des patients ne peut être confronté à aucun moyen de mesure.
Cette expérience de décorporation présente un intérêt unique. On ne peut quêtre frappé par le récit des victimes qui semble concorder en tous points avec la réalité. Or la victime, il ne faut pas loublier, est en état de mort clinique. Elle est allongée sur une table et ne peut, théoriquement, rien voir de ce qui lentoure. Parfois, on mesure un Electroencéphalogramme plat. Pourtant, on est obligé dadmettre quelle voit de ses yeux ce qui se passe et quelle le voit dun point situé en dehors de son propre corps.
Dans une salle de réanimation, un médecin eut lidée de pousser les vérifications en fixant sur la face supérieure des armoires de petits autocollants représentant des grenouilles, de telle façon quon ne puisse les voir que du plafond. On eut la surprise de recueillir, dans le témoignage de ceux qui prétendaient avoir connu une expérience proche de la mort, la mention de ces autocollants.
A cause du perfectionnement des méthodes de réanimation, cette expérience se multiplie et met la philosophie devant un nouveau phénomène paranormal. On est obligé daffirmer, à moins de faire mentir les multiples vérifications effectuées, quil existe une décorporation. Ce phénomène reste inexpliqué mais on peut en décrire les conditions.
Les propriétés du corps double ont pu être décrites dune manière assez précise. Il sagit tout dabord dun corps matériel, même sil nest pas composé de matière palpable. Il sagit plutôt de matière sous forme dénergie, de flux ondulatoire. Cest une sorte de champ magnétique, organisé sur lui-même, un corps psychique. Sa matière est actuellement totalement inconnue et non visualisable en physique. On a affaire à autre chose. Certains parlent déjà dun « état psychique de la matière. »
Il sagit malgré tout dun véritable corps humain, double du corps physique, ayant toute une vie psychologique et spirituelle. Il possède trois sens. Le toucher et le goût ont disparu. Limagination est entièrement présente, avec la mémoire et leur exercice cérébral. Des souvenirs disparus peuvent réapparaître intacts. Les émotions passionnelles sont présentent mais elles sont beaucoup plus paisibles. La joie, la paix, la peur et la tristesse sexercent sans excès, comme si labsence du corps physique les rendait plus contrôlables.
La vie spirituelle est, quant à elle, intensément présente. Lintelligence commence à comprendre ce qui arrive, la volonté se porte vers tel ou tel choix. Mais le plus étonnant demeure sans doute lapparition de propriétés parapsychologiques nouvelles.
Ce corps est fluide. Il peut passer à travers les murs les plus épais, obéissant aux désirs de la volonté. Une femme raconte que, sétant aperçu quelle mourait, elle eut une pensée pour son mari et son fils présents dans la salle dattente. Elle se retrouva aussitôt auprès deux, ayant traversé plusieurs pièces de lhôpital à travers les murs. Elle décrivit après son réveil des détails sur cette salle dattente qui ne laissent aucun doute de sa bonne foi.
Ce corps est agile. Il peut se déplacer à volonté avec une vitesse incroyable. Un homme se voyant quitter son corps physique pensa intensément à son épouse quil avait laissée à létranger. Il se retrouva auprès delle, ayant franchi en quelques instants des milliers de kilomètres.
Ce corps est léger. Il ne présente aucun des inconvénients du corps physique, fatigue, poids, inertie. Étant entièrement soumis à la volonté, il peut être appelé en ce sens « corps spirituel ».
Ce corps est parfait. Il ne présente aucun des handicaps du corps physique. Une jeune fille, aveugle de naissance, put décrire avec force détails la couleur de ce quelle avait vu dans la pièce lors de son expérience. Un ancien combattant, amputé des deux jambes, eut la surprise de se voir tel quil était avant son accident.
Enfin, ce corps est doué de perceptions extrasensorielles nouvelles et qui lui apparaissent comme naturelles. Les témoins prétendent non seulement entendre les paroles proférées autours deux mais lire directement les sentiments et les pensées de chacun. Cest une sorte de télépathie à sens unique puisquils sont, quant à eux, incapables dattirer lattention de qui que ce soit. Chaque personne, chaque objet, leur apparaît nimbé dans une auréole de lumière aux couleurs vivantes ce qui rend leur perception de lunivers presque féérique. Selon les pensées et les sentiments de ceux qui sont dans la pièce ces couleurs prennent des nuances différentes.
Devant de telles propriétés, qui paraissent irréelles, on serait tenté de rejeter tout cela dans le domaine imaginatif. Lhypothèse dun effet psychique subjectif dû à la mort clinique a été émise. Elle ne résiste pas à une analyse sérieuse. Les récits liés à la décorporation ont une objectivité vérifiable. Une hallucination due à des endomorphines pourrait expliquer des apparitions dimages subjectives (éléphants roses, images du passé etc.). Mais comment expliquer la vision physique, précise et vérifiable du réel ? Le problème nest donc pas daffirmer que ce nest pas possible. Le problème est que cela est.
Certains philosophes américains ont donc essayé de se pencher sur la question. Il leur est apparu dabord que le phénomène de la décorporation nest pas nouveau. La psychologie le décrit comme propriété, distincte de lhallucination, de certains psychotropes puissants. Dautre part, de longs traités pluriséculaires, écrits dans les traditions philosophiques égyptiennes (le ka et le ba), chinoises, hindoues et tibétaines (corps astral), animistes (esprits) en parlent. Cest dailleurs là quon trouve les plus profondes explications philosophiques du phénomène. Selon ces traditions, on peut discerner dans lêtre humain trois degrés de vie auxquels correspondent trois corps parfaitement adaptés lun à lautre pour former une seule personne: le corps physique, le corps psychique et lesprit[42].
Dans lhindouisme, le corps physique est le siège des facultés végétatives comme la nutrition, la reproduction, la croissance. Il est aussi le siège dun autre corps, appelé le corps astral. Cest le corps physique qui est source du développement du corps astral. Mais, selon cette tradition, la survie de ce dernier est indépendante de la mort du premier. Une simple comparaison permet de comprendre son point de vue. Le corps astral peut être comparé et différencié, dans son rapport avec le corps physique, à un champ magnétique créé par un électro-aimant. Si lon coupe lélectricité, le champ magnétique sarrête à son tours. Au contraire, si lon tue le corps physique, son double subsiste. Après la mort du corps physique, le corps astral sen sépare et subsiste en se nourrissant de sa propre énergie. Cette propriété explique lexpérience de la décorporation, aussi bien chez lhomme que chez lanimal. Le corps astral est, avec le corps physique, siège des facultés psychiques comme les sensations, les passions, limagination et la mémoire.
Le corps mental nest autre que ce que nous appelons lesprit, siège de lintelligence et de la volonté. Il est propre à lhomme. Les animaux en sont dénués. Les philosophes orientaux ne lui donnent le nom de corps que par métaphore car selon eux, il dépasse cette notion pour être entièrement spirituel. Le corps mental est immortel et indestructible[43].
Cette explication orientale traditionnelle, loin de sopposer à la philosophie occidentale, semble au contraire lui donner chair. Elle le fait cependant en permettant une importante correction[44]: lOccident chrétien croyait, depuis 2000 ans, à la suite de Platon et dAristote, de saint Augustin et saint Thomas dAquin, quun mort était dénué de toute sa sensibilité!
Aristote, père de notre philosophie, distingue comme les orientaux trois degrés de vie. Mais son analyse sattache moins au trois « corps » de la vie. Selon lui, certaines opérations vitales sont communes avec les plantes. Ce sont des opérations de la vie végétative; dautres sont communes avec les animaux. Ce sont les opérations de la vie sensible. Dautres, enfin sont spécifiques aux hommes. Cest la vie spirituelle. Elle sépanouit en deux facultés: lintelligence et la volonté. Les deux facultés de lesprit humain ont un objet immatériel[45], cest donc quelles-mêmes dépassent la matière. Elles ne peuvent avoir dorgane matériel. Aristote prouve ainsi leur survie après la mort. Par contre, toute faculté liée à un organe matériel lui paraissait devoir disparaître avec la mort du corps matériel. Parce que lil est fait de matière, il peut capter la lumière matérielle. En conséquence, le sens de la vision disparaissait nécessairement pour lui avec la destruction de lil.
Saint Thomas dAquin suivit Aristote dans cette logique. Selon lui, après la mort, les hommes devenaient comme les anges, cest-à-dire de purs esprits, dénués de toute sensibilité. Le souvenir des visages, des sons et des paysages seffaçaient avec le cerveau. Ne subsistait de la personne que le tréfonds spirituel de ses connaissances et de ses choix. Visiblement, Aristote et saint Thomas dAquin se sont trompés, sans aucune faute de leur part. Le psychisme ne disparaît aucunement avec la mort. La raison philosophique est contredite par lexpérience. Apparemment, Dieu veut que lhomme, quil a créé par nature pour connaître et aimer avec sa sensibilité, ne la perde jamais. Il ne la condamné, pour le changer, quà perdre sa chair, et cest déjà une effrayante épreuve. Ainsi, ceux qui ont approché la mort témoignent avoir vu avec leur oeil sensible, de la même manière quils voyaient les infirmières sagiter dans la pièce, un Être de lumière et leurs proches déjà décédés. Il ne sagit pas dune simple vision intérieure, de lintuition intellectuelle dune présence. Il y a des couleurs, des formes. Cette beauté sensible, qui leur révèle une beauté spirituelle leur semble tellement puissante quils narrivent pas à la décrire. Nous semblons être, tout en restant dans le monde sensible, dans une dimension spirituelle[46].
En toute rigueur, la vérité des phases 3 et 4 de lexpérience de la mort approchée (vision de lÊtre de lumière et de proches décédés) est indémontrable au plan philosophique. En effet, si on analyse avec précision le témoignage de ceux qui ont frôlé la mort, ces expériences sont souvent adaptées à leur sensibilité. Certains auteurs ont donc pu affirmer quils rêvaient. Comment démontrer linverse? Cest difficile. Si la philosophie et la psychologie nont pas de preuves, elles ont par contre un signe de lobjectivité de ces témoignages. Le docteur Moody sans se prononcer définitivement, affirme son sentiment dêtre en présence dun phénomène réel. Selon lui, les maladies psychiques de type hallucinatoire ou hystérique, si elles produisent laudition de voix et la vision de fantômes imaginaires, ont après coup un effet destructeur sur la personnalité. Les personnes senfoncent dans leurs névroses (angoisses, obsession, désespoir) et parfois sombrent définitivement dans leurs psychoses (paranoïa, schizophrénie).
Bien au contraire, la N.D.E (Near Death Experience) donne comme un souffle puissant de renouveau à leur vie. Pour nombre dentre eux, la valeur première devient lamour, selon deux formes significatives: lamour de lÊtre de lumière, quils savent devoir rejoindre un jour (certains lappellent Dieu, dautres Jésus ou Bouddha ou Mahomet, selon leur culture), et lamour de leurs frères. En vue de ces deux amours, ils sefforcent de progresser, déliminer leurs défauts, de développer leur intelligence.
Selon le docteur Moody, de tels effets ne peuvent venir dun état malade dhallucination mais dune véritable expérience mystique. Je suis pour ma part assez daccord avec lui, tout en maintenant que ce raisonnement ne prouve pas mais suggère. Il mapparaît comme un simple signe de la vérité du phénomène car dun mauvais arbre ne sortent pas de bons fruits .
LÉglise, par la voix de son Magistère, ne sest jamais prononcée à propos de lexpérience proche de la mort. En général, lÉglise catholique recherche trois critères avant de se prononcer sur la vérité dun phénomène mystique:
1. Une vision peut être considérée comme valide si lorsque, entre autres choses, les effets quelle produit sur le comportement humain sont profondément positifs: par exemple, si elle les porte à se rapprocher de Dieu (humilité, sens de limportance de lamour) ou encore à approfondir la connaissance de la religion.
2. Il est indispensable quune vision soit cohérente avec le message de la Bible, selon linterprétation authentique du Magistère romain.
3. Ces deux critères ne suffisent pas à prouver aux yeux de lÉglise quil y a bien eu vision. Nimporte quel faussaire pourrait singer une apparente conversion et une grande orthodoxie. LÉglise demande en outre, avant de reconnaître une apparition, quelques miracles dont lorigine divine est manifeste.
Les deux premiers critères sont parfaitement vérifiés[47]. Mais le troisième manque. LÉglise ne se prononce donc pas sur la N.D.E. Elle laisse aux théologiens le soin dapprofondir, de rechercher si les critères 1 et 2 sont valables pour la N.D.E.
Quon me permette de donner ici mon opinion personnelle. Je suis intimement persuadé que la N.D.E., telle que le docteur Moody la fait découvrir au monde, est un bienfait pour lhumanité. En ces temps où la foi est rejetée comme une attitude indigne dun adulte doué desprit critique, Dieu, encore une fois, me semble avoir accepté de se mettre à notre niveau. Pour se révéler à nous, il parle pour la première fois un langage pourtant ancien de sa part. Il sadapte à la mentalité de son publique. Le monde actuel a besoin de rationalité et se méfie de la foi aimante. Dieu se fait donc philosophe. Jadis, aux astrologues chaldéens, qui ne comprenaient que lastrologie, il révéla sa naissance en faisant apparaître une étoile. Il se fit astrologue. Aux bergers, prêts à croire le moindre miracle, il envoya un ange lumineux.
Une telle condescendance de la part de Dieu est habituelle. Je souhaite quelle soit pour beaucoup le chemin qui conduit à lespérance. Ce fut le cas pour saint Paul, apôtre des païens, qui vécut lui-même une expérience proche de celle-ci: Je connais quelquun, confie-t-il à propos de lui-même, qui, voici quatorze ans -étais ce avec son corps? Je ne sais; étais-ce hors de son corps? Je ne sais; Dieu le sait-, cet homme là fut ravis jusquau troisième ciel. Et cet homme là -était ce en son corps? Je ne sais. Dieu le sait-. Je sais quil fut ravi jusquau paradis et quil entendit des paroles ineffables, quil nest pas permis à un homme de redire [48].
Lhistoire du SS Johann Saint se poursuivait. Déjà sévanouissait la vision de la ville en ruine où il était mort, ces dépouilles sanglantes de Stalingrad. Il se sentait étonnamment bien. Ses impressions de faim et de fatigue chronique avaient disparues. Il ressentait une grande paix intérieure, comme si Stalingrad était à mille lieux. Il se sentait physiquement en pleine possession de ses moyens. Cétait indescriptible.
(Chose certaine)
Lheure de la mort est la deuxième étape de toute vie humaine. La vie terrestre visait à établir lhomme dans lexpérience de sa petitesse. Ici, autre chose se profile, un choix libre et décisif va devoir être fait. Mais le mourant lignore encore. Certaines propriétés nécessaires au choix commencent à lui être données. La première condition requise consiste dans la parfaite maîtrise de soi et labsence de toute violence ou faiblesse.
Depuis le péché originel, nous sommes tous conditionnés par la faiblesse. Notre liberté existe mais est contrainte, dévoyée par une autre force. Saint Paul la décrivait ainsi [49]: «il ma été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter, pour que je ne menorgueillisse pas! A ce sujet, par trois fois, jai prié le Seigneur pour quil séloigne de moi. Mais il ma déclaré: «Ma grâce te suffit car la puissance se déploie dans la faiblesse. »
Depuis le début de lhumanité, beaucoup dhommes se sont détournés de Dieu, sont morts à la vie de la grâce, sans quil y ait une totale responsabilité de leur part, mais parce quils se laissaient entraîner par les pulsions de leur corps. Notre sensibilité est ainsi faite quelle ne désire, pour sa part, que ce qui peut lui procurer du bien-être. Le bonheur, pour lanimal qui sommeille en nous, consiste dans léquilibre psychologique. Pour beaucoup, le moyen le plus évident pour être heureux semble se trouver dans la recherche conjointe des honneurs (source de valorisation), des plaisirs (car celui qui sait jouir du présent na plus besoin de personne) et de largent (qui permet de prévoir en toute sécurité pour le lendemain). Saint Jean affirme dans sa première lettre[50] que tout ce quil y a dans le monde se ramène à la convoitise de la chair (les plaisirs), la convoitise des yeux (les honneurs) et lorgueil de la richesse (que donne largent). Ces instincts sont tellement présents dans notre chair que, même si nous connaissons Jésus, et au-delà de notre amour pour lui, nous ne cessons de retomber dans la recherche excessive de ces biens. Nous sommes parfois capables de mettre de côté ce que nous savons de lui, de cacher pour quelques instants sa présence dans un tiroir de notre conscience pour quelque plaisir égoïste ou pour quelque malhonnêteté trop tentante. Celui qui, par exemple, trompe sa femme ne peut au même moment penser à elle ou à son Dieu en toute tranquillité. Il commet un acte capable de tuer ces deux amours[51]. Cest souvent plus fort que lui. Bien des péchés graves (mortels à lamour) sont ainsi commis par faiblesse.
Un célèbre archevêque de Paris, se sachant condamné à brève échéance, ne cessait de parcourir les bas-quartiers de la ville, dans une voiture aux vitres relevées. Il disait: «je pense à tous ces gens à qui jai omis dannoncer le Christ. Les saints eux-mêmes ont connu cette agonie à la fin de leur vie. Ils prenaient souvent conscience dune manière terrible de tout le temps perdu par leur faiblesse au cours de leur vie alors quil y aurait eu tant à aimer. Saint François de Sales disait jai préféré annoncer Jésus aux femmes jeunes et belles, jai délaissé trop souvent les autres.
Tant que nous sommes sur la terre, Dieu nous maintient dans cet état de faiblesse. Lorgueil qui conduit en enfer est bien plus dangereux. Ces échardes laissées dans notre chair nous rappellent sans cesse à la réalité de notre petitesse. Mais il serait aberrant quau moment de la mort, un homme séloigne de Dieu pour léternité entraîné par un désir dune chair quil arrive mal à contrôler. Cest la raison pour laquelle, durant ce temps où lâme se sépare progressivement de son corps, apparaît un moment où la personne se sent bien. Dans le moment de la mort, le corps et la sensibilité sont rendus par Dieu légers pour lâme. Les passions sapaisent. Une grande paix psychologique apparaît. La personne est encore liée à son corps charnel ou à une partie de son corps charnel mais le poids de sa vie sensible ne peut plus entraîner la volonté dans une direction quelle ne désire pas. A cet instant, elle expérimente un état semblable à celui que connaissaient en permanence Adam et Ève au jardin dEden ; le foyer qui, au cur de sa chair, lentraînait inexorablement vers le péché séteint, toute passion devient contrôlable. Langoisse desserre son étau: les névroses qui emprisonnaient trop souvent la vie terrestre sévanouissent. Cest un état incroyable dont limpression est dautant plus remarquable quelle succède souvent à la souffrance qui accompagne le début du processus de la mort. Sans le savoir, les personnes voient se réaliser dans leur sensibilité cette parole de la Bible : Dieu a essuyé les pleurs sur tous les visages, il a ôté lopprobre de son peuple sur toute la terre car Dieu a parlé.[52]
La souffrance de la vie terrestre, langoisse de la mort avaient pour but, rappelons-le, de rendre humbles et désireux du salut les orgueilleux, et de permettre à ceux qui aiment déjà daimer jusquà des absolus incroyables. Par ce chemin de croix, Dieu prépare le cur en le purifiant au feu comme lor. La paix psychologique retrouvée au moment de la mort est létape suivante. Elle donne à la personne devenue consciente de sa petitesse, grâce à la souffrance[53], la capacité de poser un choix véritablement libre, plus fort que ses pulsions instinctives. Alors, pour que le choix puisse avoir lieu, il ne lui manque plus quune chose: la connaissance plénière de ce qui est à choisir.
(Chose certaine)
Devant Johann se tenait un Être. Il nexiste pas de mots pour rendre compte de ce quil voyait. Il sagissait dune personne, avec une forme dhomme comme un fils dhomme[55], dit saint Jean. Il était debout et le regardait. Il émanait de sa présence lumière et bonté. Il y avait une lumière physique qui était en même temps « de la vérité ». La bonté spirituelle, laccueil était en même temps « de la chaleur corporelle. » Lune était lautre et on ne pouvait distinguer ce qui était spirituel du corporel. Johann était pétrifié. Il se sentait aimé tout au fond de son être. Il se sentait compris et pardonné.
Il voyait défiler, dans le regard de cet homme, chaque événement de sa vie. Il se revoyait jeune SS fringant et rempli de morgue avant que la souffrance ne lait brisé. Il se rendait compte de lénormité de sa bêtise et de son orgueil de cette époque. Pourtant rien dans les yeux de lHomme ne le condamnait. Tout nétait, dans la vérité de son regard sur son péché, que miséricorde et pardon offert.
Qui est cet Homme de lumière? Cet exemple est significatif de ce que chacun de nous va connaître à lheure de sa mort. A la différence de sainte Thérèse de lEnfant Jésus, ce jeune soldat allemand est arrivé au seuil de lautre monde sans connaître Dieu. Certes, il en avait entendu parler par son père pasteur mais il navait jamais établi une véritable relation damour avec lui. A la suite de Jésus[56], on peut dire quil nétait pas né den haut. Son âme était comme morte. Il était dans le même état que des millions dautres êtres humains qui se présentent en état de mort spirituelle, soit parce quils nont pas reçu lannonce de cette vie, soit parce quils lont refusée ou laissée mourir.
Au contraire, sainte Thérèse de lEnfant-Jésus aimait Dieu et sut garder, malgré les souffrances, une relation de confiance avec lui. Son amour fut si grand quelle le maintint sans faille à travers son agonie. Sainte Thérèse est arrivée vivante à lheure de sa mort car la grâce et la charité vivifiaient son âme. Cependant, et en cela elle peut être rapprochée de Johann, sainte Thérèse ne pouvait que soupçonner lintensité de lamour de Dieu pour elle. Il lui était impossible den comprendre toute la portée car cet amour est infini. En contrepoint, elle navait aucune idée de la misère de son âme, oui, même elle, car « devant la pureté infini de Dieu, le juste lui-même est impur. » Johann arrivait devant Dieu avec une montagne de péchés ; sainte Thérèse avec une poussière. La montagne est plus grande que le grain de poussière. Mais, en comparaison de linfinie pureté, un péché quel quil soit nous met dans la confusion.
Tout chrétien fervent est comparable à sainte Thérèse. Il sait que Dieu est amour, nayant cessé den avoir la preuve par un simple regard vers le crucifix. Il laime et na cessé de sentretenir dans la prière avec sa présence silencieuse, mais il ne fait que soupçonner limpensable. Sa confiance est admirable puisquil est capable de croire sans avoir vu. Il est comparable à une fiancée qui aimerait son futur époux alors quelle ne possède de lui quune photographie et quelques lettres. Or, au moment de la mort, Johann comme Thérèse ont eu à poser un choix qui engage toute la durée de leur vie, leur éternité. Ils ont eu à dire oui ou non à un mariage damour qui leur était proposé. Johann en a été tout surpris; Thérèse avait déjà dit oui depuis toujours.
Cet engagement à lheure de la mort est si important quil nécessite dêtre posé dans des conditions très précises. Comment une épouse peut-elle véritablement choisir celui avec qui elle va partager toute sa vie si elle est poussée par la violence de ses parents ou, encore pire, si elle ne connaît pas un tant soit peu le cur de son futur mari? A plus forte raison, lorsquil sagit de léternité, la qualité du choix doit être parfaite. Aux yeux de Dieu et des saints Anges, aux yeux des démons eux-mêmes, lheure de la mort est le moment le plus important de la vie humaine. Lentrée dans la vie éternelle avec Dieu ou dans lenfer éternel se joue là. Voilà pourquoi Dieu dispose lhomme à ce moment de telle façon que son choix soit véritablement lucide, volontaire et libre.
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
LÉvangile est si simple quil nous est impossible den soupçonner toute la portée sur cette terre. En se faisant homme et en mourant sur la croix, le Verbe de Dieu criait: jai soif , tant son désir de nous faire comprendre cela était brûlant. Mais il ne trouva que chez Marie la capacité à saisir pleinement lamour. Chez tous les autres chrétiens et les saints eux-mêmes, il existe des obscurités invincibles à ce mystère. Le conditionnement de notre culture, de notre éducation, de nos a priori, de notre psychologie, ne disparaît jamais totalement et rend compliquée notre saisie de lamour de Dieu.
Cest la raison pour laquelle tout homme et toute femme, quelle que soit sa religion, quel que soit létat de son âme, entend au moment de sa mort, alors quil est encore lié à son corps, la prédication de la Bonne Nouvelle. Cela ne se fait pas avec des mots; les mots sont trompeurs et incapables de signifier un tel poids damour. Cela ne se fait pas par la rencontre dun apôtre, comme sur la terre. Les apôtres ne sont que des hommes et, même transfigurés par lamour, ils ne donnent quune image lointaine de Dieu; cela ne se fait pas par la rencontre avec un ange de Dieu. Ces créatures spirituelles pourraient suffire puisquelles voient Dieu. Elles furent dailleurs suffisantes pour nos Pères, avant la Rédemption réalisée par le Christ[58]. Mais elles ne suffisent pas compte tenu de lamour de Dieu.
Il veut prêcher lui-même, sans intermédiaire. Il sest fait homme pour cela en Jésus. Cela ne se fait pas par la rencontre avec Jésus tel quil était sur la terre, dans sa condition douloureuse et méprisable de crucifié. Tant de gens lont vu ainsi et nont rien compris. Dieu ne peut se contenter dapparaître aux hommes sous cette forme puisquil désire tout tenter pour les sauver. Alors, afin que tous comprennent, une fois pour toutes, lÉvangile, Dieu a décidé de venir le prêcher lui-même, au moment de notre mort, sous une forme nouvelle. Jésus, le Verbe de Dieu fait homme, apparaît non dans sa condition desclave mais avec son corps ressuscité et revêtu de gloire. Chacun le verra et sera contraint de sécrier, frappé par la clarté de son apparition: Vraiment, Dieu nous aime!.
LÉcriture tout entière ne cesse de rappeler ce mystère: Cette génération ne passera pas avant que tout cela ne soit accompli[59]. De même, lApocalypse[60] annonce cela pour bientôt. Sans cesse, au cours de lhistoire, de saints apôtres envoyés par Dieu annoncèrent le retour glorieux de Jésus comme imminent. Ils pavèrent leur dire par des miracles. Saint Vincent Ferrier, par exemple, alla jusquà ressusciter une femme pour confirmer devant ses auditeurs stupéfaits la vérité de sa prophétie. Or il mourut comme les premiers disciples de Jésus et il se trouva des gens pour dire: «Où est la promesse de son avènement? Depuis que les Pères sont morts tout demeure comme au début de la création[61]. Pourtant, les paroles de Jésus et de ses apôtres sétaient accomplies avec force et puissance. A lheure dite, au moment de la mort de chacun, après que se soient achevées les années données par Dieu pour se convertir, le jour du Seigneur arrive. En ce jour, par la mort, notre horizon habituel se dissipe avec fracas, notre corps se dissout avec toutes les oeuvres matérielles de notre vie terrestre. Alors se manifeste le Seigneur, avec puissance et grande gloire[62]. Ainsi, en quelques années, cent ans au maximum après sa naissance, toute une génération voit le retour du Christ saccomplir. La grande erreur de bien des chrétiens est de croire que les textes de lÉcriture ne parlent que de la fin définitive du monde, celle que vivra la dernière génération de lhumanité lorsque Jésus reviendra pour tous à la fois. Ils sinterrogent passionnément sur la fin du monde alors que la fin de leur monde à eux est imminente.
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
Comment décrire le Christ tel que nous le verrons à son apparition? Les mots sont trop pauvres pour exprimer cette expérience. Saint Jean qui le vit et nous en rapporta la description raconte quà sa vue il est tombé « comme mort [64]». Il ny a rien détonnant à cela. En voyant Jésus dans sa gloire, il a simplement saisi dun seul regard lÉvangile lui-même. Cest un amour inimaginable dont la révélation brutale ébranle lesprit.
Mais laissons Jean raconter lui-même: «Je me retournai pour regarder la voix qui me parlait, et, métant retourné, je vis au milieu de la lumière comme un Fils dHomme[65]. Comme Johann dont nous décrivions lexpérience, Jean a vu apparaître devant lui un être bien visible. Ses yeux ne lont pas trompé. Il avait une forme humaine. Ils ne virent pas Jésus-Christ directement dans sa divinité mais à travers son humanité[66]. La raison en est simple. Cette apparition a pour objet de permettre à lhomme de choisir Dieu, non de lui donner déjà la Vision Béatifique. Johann, à lheure de sa mort, devait recevoir la possibilité de rejeter librement le bonheur proposé par le Créateur, car Dieu ne veut se donner quà celui qui le désire. Il ne veut pas épouser de force lâme qui, pour des raisons personnelles, refuse de se mettre dans sa dépendance. Or si Dieu se montrait dans son Essence dès le premier instant de la mort, lhomme serait happé en lui. Nul naurait plus aucune possibilité de sen détourner. Dieu est le Bonheur. Lhomme, cest plus fort que lui, cest inscrit dans sa nature, ne peut faire autre chose que se tourner vers le bonheur. Linsecte est fasciné par la lumière. Cette attraction est si forte quil perd jusquà son instinct de survie quand il la voit. Il se brûle les ailes et le corps en voulant sunir à la flamme de la bougie. De même lhomme et lange, une fois dans la Vision de Dieu, ne peuvent plus jamais se détourner de lui. Ils possèdent le bonheur et nul ne se détache du bonheur! Pour permettre à lhomme de le choisir librement, Dieu ne révèle donc quune image de lui. Il sagit dune image parfaite, celle quil a façonnée lui-même en se faisant homme. Il sagit dune image complètement adaptée à la manière dont lhomme comprend les choses. Jésus-Christ a un vrai visage, un sourire, des mains accueillantes, un regard. Peut-il y avoir, pour nous, un langage plus adapté? Mais cette fois, à la différence de sa première venue sur la terre, son visage, son sourire, ses mains, ses yeux sont glorieux. Celui qui le voit ne distingue pas seulement leur forme. Celui qui le touche ne sent pas seulement sa chair; il voit et il touche lâme du Christ. Il distingue, comme dans une intuition limpide, ce quest le cur de cette personne de lumière qui le regarde. La chair du corps glorieux est ainsi faite quelle laisse transparaître la totalité des pensées du cur. Celui qui voit Jésus voit donc, en un instant, tout lÉvangile.
Saint Jean ne sait quels mots employer pour nous rapporter ce quil a saisi en cet instant[67]. Il parle donc avec des images[68]: il est vêtu dune longue robe serrée à la taille par une ceinture dor. Sa longue robe est comme la plénitude de la perfection qui émane de toute la personne de Jésus. Toutes ces richesses sont comme tenues par une ceinture dor qui symbolise la plus grande de toute, la charité. Cest justement cet amour de charité, cette bonté qui frappe en premier lieu celui qui voit Jésus. A lexemple de Johann, nous nous sentirons aimés et compris totalement.
Sa tête, avec ses cheveux blancs, est comme la laine blanche, comme la neige.» Il est difficile de décrire la maturité qui rayonne de Jésus. Il a la sagesse dun vieillard. Quant à son incomparable douceur, elle peut être comparée à celle de lagneau; sa pureté brille.
Ses yeux sont comme une flamme ardente. Voici une image pour illustrer cette force de lapparition du Christ. On raconte que saint Maximilien Kolbe, alors quil mourait dans une cellule au camp de concentration dAuschwitz, regardait ses gardiens avec une telle bonté que ceux-ci ne pouvaient soutenir sa présence. Notre rencontre avec Jésus glorieux sera autrement insoutenable. Le saint Curé dArs était effrayé à lidée de cette rencontre: «Comment pourrais-je paraître devant lui avec mon impureté?
Saint Jean continue sa description ainsi: «Ses pieds sont comme lairain précieux que lon aurait purifié au creuset.» Il veut sans doute signifier par là que nous découvrirons en voyant Jésus quil na réellement commis aucun péché. Ses pieds qui ont touché la terre et ont été cloués sur la croix sont restés purs. Il ne sest pas trouvé de fourberie dans sa bouche. Lui, qui insulté ne rendait pas linsulte, souffrant, ne menaçait pas mais sen remettait à celui qui juge avec justice.
Cette pureté totale de Jésus vis-à-vis du péché sera comme un miroir limpide où nous verrons le véritable état de notre âme. Tous nous sommes pécheurs. Seule la Vierge Marie na jamais eu la moindre parcelle dégoïsme. Nous comprendrons en voyant Jésus ce quest le péché, ce quest notre péché. Cest ce que veut signifier saint Jean en disant que sa langue est comme une épée à deux tranchants . En voyant Jésus, nous nous verrons nous-mêmes jusquau fond de notre conscience. Aucun de nos actes, aucune de nos intentions ne seront cachés. La vérité, tel un glaive tranchant sera en un instant établie sur nous-mêmes.
Pour résumer toute lintensité de cette vision saint Jean sexclame: Cest comme le soleil qui brille de tout son éclat.» Un seul regard sur Jésus et nous comprendrons tout le contenu des sermons des prêtres, tout ce qui est dit dans lÉvangile, la valeur de notre propre vie. Nous comprendrons lamour de Dieu, la proposition quil nous fait de la Vision béatifique, les conditions requises pour y entrer: conversion, repentir, humilité, amour absolu.
Certains disciples de Jésus se demandaient si, lors du retour du Christ, ils ne risqueraient pas de le confondre avec un autre. Après avoir décrit la manière dont il se montrera, il parait évident que nous ne pourrions en aucune façon nous tromper: comme léclair jaillissant dun point du ciel, resplendit jusquà lautre, ainsi en sera-t-il du Fils de lhomme lors de son Jour[69].
La Bible laffirme avec force toute chair se prosternera devant ta face et devant la face de lAgneau. Lâme, plongée dans la tendresse de Jésus découvre en pleine lumière la vanité de tout ce qui nest pas lamour aux yeux de Dieu. Sa vie entière sen trouve comme éclairée et le moindre péché, la moindre note dégoïsme qui lui revient à la mémoire, prend à ses yeux toute lhorreur quelle aurait dû avoir depuis toujours.
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
A cette étape du jugement dernier, les âmes quelles quelles soient, ont la foi[70]. Elles savent que Dieu existe et quil est amour. Lathéisme nexiste plus dans lau-delà.
La première révélation faite par Jésus à celui quil rencontre, tient en une parole Voici le cur qui ta tant aimé». Elle ne se fait pas avec des mots mais avec du feu, cest-à-dire un amour et une tendresse presque palpables. Cest comme une vision de jaspe vert et de cornaline, commente lApocalypse[71], manifestant ainsi la pureté bouleversante du regard de Jésus. Tout ce que lÉglise appelle le jugement dernier est contenu dans cette parole unique; le reste nest quun effet, une conséquence logique.
Jésus peut alors, dans son extrême délicatesse, leur adresser une deuxième parole, la même qui fut donnée aux anges au jour de leur création, la même quAdam et Ève reçurent, la même qui est au cur de lÉvangile : Tu me verras face à face, si tu redeviens comme un enfant». Dieu, dans son amour pour lâme, sait la prendre avec toute la délicatesse nécessaire. Il sait en effet, la rude épreuve que représente pour chaque être spirituel le fait de redevenir comme un enfant. Lhumilité est dure pour celui qui a toujours vécu dorgueil. Lamour de Dieu est une chose nouvelle pour celui qui na fait que saimer lui-même. Il fait alors appel à tout ce qui peut aider lâme à entrer dans le bonheur éternel. Ses proches déjà décédés sont présents. Toutes ces révélations, toutes ces découvertes ne sont pour lâme que des prémisses au choix définitif qui la fixera dans lune de ces deux voies, lamour de soi-même jusquà la haine de Dieu ou, au contraire, lamour de Dieu jusquà la haine de soi[72].
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
« Et alors on verra le Fils de lhomme venant dans des nuées avec grande puissance et gloire. [73] »
Johann se revit en train de commettre une injustice terrible, lorsquil avait abattu froidement un soldat russe qui se rendait. Le soldat se tenait là, devant lui, à côté de lêtre de lumière, il lui tendait la main en souriant. Lui aussi nétait que pardon. Il semblait rempli de la même lumière que lHomme. Johann pleurait[74]. Tant de tendresse, tant daccueil étaient incroyables! A Stalingrad, il nespérait plus être aimé. Il sétait blindé à tout sentiment tant il pensait ne jamais devoir retrouver lamour. Pourtant, il sen rendait compte aujourdhui, il avait besoin dêtre aimé et sauvé par un amour. Et il découvrait aujourdhui cet amour dont il nosait même plus rêver. Par les yeux de ce Fils dhomme, Johann voyait en ce moment la réalisation dun passage de lÉcriture Sainte: Ils regarderont celui quils ont transpercé[75] et il comprenait combien chacun de ses péchés avait transpercé lâme de cet être de lumière. Cette conscience quil avait de lavoir blessé suscitait en lui le désir de réparer. Il demandait pardon de tout son être et en même temps se sentait prêt à tout accepter pour ne plus voir personne souffrir à cause de lui. Autour de lui, il voyait maintenant apparaître dautres êtres. Il en reconnaissait certains, il se souvenait quils étaient décédés avant lui. Il y avait là sa grand-mère, son frère aîné mort au combat. Il reconnaissait aussi son ange gardien. Il ne lavait jamais vu mais il comprenait intérieurement que cétait lui. Tous étaient baignés de paix et de calme. Ils semblaient intérieurement joyeux de laccueillir. Ainsi se réalisait pour Johann cette autre parole de lÉcriture qui annonce lavènement de Notre-Seigneur Jésus avec tous les saints[76]. Tout cela se passait en un instant. Aucune parole nétait échangée mais tout se comprenait intérieurement. Johann était capable de lire dans lâme de ceux qui se trouvaient là.
Jésus ne vient pas seul. Il vient accompagné de tous les saints[77]. La finalité de la Révélation qui accompagne la mort est damener lhomme à se tourner vers Dieu, sil ne la fait et à le faire davantage sil laime déjà. Cest le but de toute prédication de lÉvangile.
Au moment de la mort, lapparition de la gloire de Jésus est amplement suffisante. Pourtant, il se fait accompagner par les personnes que le mourant a chéries durant sa vie terrestre. Ces personnes peuvent se rendre visibles sensiblement puisquelles possèdent leur corps psychique. En voyant sa mère, son père, tel saint quil a aimé durant sa vie, celui qui meurt est touché jusquau fond de lâme.
La finalité de la présence des saints et des proches décédés étant daccueillir le mourant et de lui manifester avec délicatesse lamour de Dieu. Le Ciel adapte ces présences en fonction de la sensibilité de chacun. Il est donc probable que certains hommes reçoivent à lheure de leur mort la visite de Jésus seul. Si cest un catholique ou un orthodoxe qui aimait la Vierge Marie, la Vierge Marie est présente. Dans de nombreuses apparitions, elle promet dêtre explicitement présente auprès de ceux qui len prient. Mais elle sefface lorsque quelquun ne le désire pas. Elle laisse passer devant la mère, la grand-mère du défunt.
Si cest un protestant, méfiant par rapport à la mère de Jésus et à tous les saints, la Vierge Marie sefface[78]. Elle respecte leur pensée qui croit en lunique médiation de son fils et refusent la communion des saints. Peu importe pour le moment leur erreur. Elle est déjà balayée par la simple présence de Jésus.
Aux musulmans, qui croient dans le retour glorieux de Jésus et le connaissent par lintermédiaire de Mohamed, Jésus se fait accompagner par le fondateur de leur religion. Tout cela est respectueux de chacun et lamour sen trouve manifesté avec grandeur, car il se montre efficacement par des actes de délicatesse.
Cest pour la même raison quil peut arriver que Jésus rende visibles des personnes encore vivantes sur la terre. Cela arrive principalement quand ceux qui sont sur la terre prient avec ferveur pour le salut de celui qui vient de mourir. Marthe Robin (qui nest pas encore une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits sont cités à titre de témoignage), la stigmatisée de Châteauneuf-de-Galaure disait souvent: « Il faut prier pour ceux qui viennent de mourir. Ils sont en train de jouer leur avenir éternel. » Ces prières ont une très grande valeur car, données depuis la terre qui est un véritable exil, loin de la présence sensible de Jésus, elles impliquent toujours un grand mérite. Celui qui prie et se sacrifie pour ceux qui sont en train de mourir agit bien. Cest un acte encore plus important que prier pour les âmes saintes du purgatoire qui sont sauvées avec certitude. A lheure de la mort au contraire chacun peut encore se damner. La tentation de choisir cette voie est intense. Tout amour manifesté, par quelque personne que ce soit, est comme un poids qui bouleverse le mourant et lattire à se porter avec tous ces gens qui laiment, vers la vie éternelle.
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
Face à Johann cependant, conjointement aux êtres rencontrés jusquici, dautres personnes dun type bien différent, se manifestaient depuis le début. Elles étaient tout aussi réelles que lêtre de lumière mais il émanait delles une présence différente. La lumière qui sortait delles navait rien à voir avec lintelligence du cur jusquici contemplée. Il sagissait dune intelligence plus raisonnante, faite de précision et de logique. Il nen sortait pas de lamour mais une vérité nue, extrêmement précise. Johann se sentait pris par la séduction et ne pouvait faire autrement que de prêter loreille à leur langage. Chacun des actes de sa vie était passé en revue, mais interprété différemment. Chacun de ses crimes passés devenait dans la bouche de ces êtres des manifestations décisives et nobles de sa liberté. En abattant ce soldat russe, il avait pu montrer à quel point il était maître de toute chose. Les voix tournaient autour de Johann: Vas-tu renoncer aujourdhui à ta grandeur, à ta dignité dhomme libre? Es-tu donc un enfant pour te jeter ainsi dans les bras de celui peut te réconforter ? Debout, lève-toi! Assume ton passé et redresse la tête avec nous! Il y avait dans ces paroles une réelle séduction. Elles raisonnaient en lui et trouvaient un certain écho dans son passé adonné à lorgueil. Lhomme de lumière le regardait toujours ne disant rien dautre que ce qui émanait de sa présence. Johann hésitait entre deux choix si contradictoires: aimer tous ceux qui lattendaient pour lemmener ou, au contraire, jouir de lindépendance, être libre de tout lien.
Johann considéra un instant ces deux voies, la première, celle de lamour, attirait toute son âme. La seconde, celle que lui proposait le démon, vibrait en lui à la manière des discours dHitler entendus à Nuremberg. A lépoque, cela gonflait sa poitrine tant ils portaient en eux un poids de gloire, de grandeur et de puissance. Lorgueil de lAllemagne devenait son orgueil. Le mépris de tout ce qui nétait pas la force devenait sa philosophie. Johann se souvenait de cela. Mais il voyait aussi où lavait mené cet orgueil exalté en absolu. Il se revoyait à Stalingrad, obsédé par une seule idée, celle de manger. Dans les trous où il se cachait, il se revoyait rêvant, comme lenfant prodigue de la parabole, de pouvoir manger ce que lon donne aux cochons.
Cette vision de sa lamentable petitesse acheva de faire disparaître toute hésitation en lui. Il nécouta plus les discours séducteurs. Il se tourna tout entier vers lhomme de lumière. Il choisit la vie éternelle.
Alors la voix des démons se fit plus forte. Elle changea de ton pour devenir accusatrice. Tout autour de lui, les voix emplissaient lespace et Johann était comme submergé par leurs cris : Durant ta vie terrestre, tu ne pensais quà toi. Tu nas cessé de vivre dans la fausseté et le mensonge au nom dun idéal auquel tu ne croyais même pas. Ce que tu cherchais, tu le sais bien, cétait ta propre gloire. Et, maintenant, regarde-toi. As-tu changé? Pas du tout. Tu ne te tournes vers Dieu que parce que tu as besoin de lui. Tu nagis encore une fois que par égoïsme, à la recherche de ton petit bonheur. Décidément, tu es méprisable. Tu vivras toujours dans le péché, tu es impardonnable. Tu mérites lenfer éternel! La vérité de ces accusations du démon était telle que Johann était ébranlé. Une certaine volonté de ne plus espérer lenvahissait. Son âme apparue à nu devant lEtre de lumière était réellement impure et incapable dun amour réellement gratuit. Il se demandait sil ne ferait pas mieux de choisir la voie proposée par le démon puisquil nétait et ne serait jamais digne de vivre avec Dieu. Mais, dans un dernier sursaut, il se tourna vers lhomme de lumière en criant: «Pitié pour moi! Aussitôt, la voix des démons se tut. Leur présence, elle-même, sembla disparaître. Ils étaient bien là mais Johann ne quitta plus le regard de lhomme où se lisait maintenant une grande joie.
Ainsi, le démon a lui aussi le droit dintervenir en ce dernier combat. Il nous faut nous pencher sur le mystère de sa présence, tel que nous lavons décrite dans lexpérience de Johann. Au cours de notre vie terrestre, nous lavons montré[79], Lucifer et ses anges ne cessent dêtre présents autour de nous. Depuis leur péché, depuis que lhomme est apparu sur la terre, ils ne cessent de nous tenter. Ils agissent toujours dans le sens de nos travers, se cachant derrière eux et sefforçant de nous faire tomber dans nos défauts les plus courants. Son but est radical et théologique. Il veut nous habituer à agir dans le sens de légoïsme, de lorgueil afin quau moment de notre mort, lamour gratuit nous soit complètement étranger. Il espère ainsi nous voir rejeter avec mépris la proposition de Dieu et nous séparer définitivement de lui. En tenant les hommes et en les faisant tomber dans les défauts de leur faiblesse[80], Lucifer sefforce de disposer lhomme à ce qui soppose à lamour et à lhumilité.
Il agit de sa propre initiative et Dieu le laisse faire. Ces tentations sont finalement utiles à lhomme comme toutes les autres souffrances qui laccablent. De même, au moment de la mort, alors que le destin individuel de chacun se prépare, Dieu permet au démon dapprocher. Car lhomme est appelé à opter librement entre deux royaumes, le règne de lamour de Dieu jusquau mépris de soi ou le règne de lamour de soi jusquau mépris de Dieu[81]. Il convient, pour que le choix soit vraiment libre, que les avantages de ce royaume de lamour de soi dont Lucifer est le roi, soient présentés à lâme. Cest son rôle. Il le fait en toute vérité, sans chercher à cacher les inconvénients de lenfer.
Il approche dabord de lhomme comme un séducteur, selon lÉcriture[82]: le séducteur du monde entier fut jeté sur la terre... frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés. Lucifer et ses anges sefforcent de manifester à lhomme le bien (relatif mais réel) qui peut être présent dans lenfer[83], devenir maître de son destin, connaître et définir soi-même ce qui est bien et mal, devenir en un mot comme un dieu[84]. Le démon agit avec une réelle efficacité. il nous prouve à quel point il peut être génial dêtre son propre dieu. Il nous rappelle les bienfaits de notre égoïsme passé. Il nous montre la liberté que donne lorgueil. Il rappelle chacun de nos péchés, même les plus secrets, les plus oubliés et nous montre le bien que nous avons pu en tirer. Toute notre vie passée dégoïsme agit à cet instant comme un poids dans notre âme qui nous fait désirer la noblesse solitaire proposée par Satan.
Vraiment, lenfer est désirable. Les représentations passées et enfantines dune marmite de feu sont bien loin. Pour lâme égoïste, convertie au dernier moment par la peur de lenfer, tout motif de crainte disparaît. Il lui est donné de choisir en toute lucidité le jardin de la liberté. Heureusement, cette force de conviction du démon est constamment rééquilibrée dans le sens de la vérité par la présence du Christ et des saints. Certes lenfer est la liberté, mais ce sont aussi le malheur, la solitude et la haine éternelles puisque personne ny aime. Cest le monde froid de dieux solitaires et rongés par leurs propres vices.
Lorsque le démon a achevé sa séduction, sil voit que nous ne nous laissons pas prendre mais ne cessons de regarder vers lAgneau, il tente une dernière attaque. Il y met toutes ses forces sachant quil naura plus jamais la parole après. En effet, celui qui choisit Dieu au-delà des propositions de Satan ne reviendra jamais en arrière. Plus rien ne pourra le détourner de son choix car il aura résisté à tout. Satan se fait donc accusateur[85]. Il rappelle chacun des péchés passés. Il montre dans toute sa lumière la misère présente et réelle de notre âme. Il décortique sous tous les angles la gravité de notre mesquinerie, de notre égoïsme toujours présent quelque part dans nos actions. Nous ne pouvons, dit-il, entrer dans le paradis de Dieu car il faut être dune pureté telle quelle nous dépassera toujours. Il montre avec vertige la hauteur des exigences de Dieu sur notre âme (une humilité totale, une dépendance absolue, un amour radical). Il les compare avec notre état actuel au point de nous faire sombrer dans la désespérance: Si Dieu réclame ce qui te dépasse, à quoi bon le chercher davantage. Autant baisser les bras et choisir lautre voie, celle de la liberté.
Toutes ces paroles du démon ne sont bien sûr que mensonges. Il suffit que lhomme regarde vers le Seigneur présent devant lui pour comprendre la simplicité des exigences de Dieu. La pureté que réclame Dieu peut être atteinte par tous. Il suffit dun temps de purification par la croix. Il est vrai que seule la souffrance est vraiment capable de montrer à lhomme sa vraie petitesse et sa vraie grandeur. Lâme au purgatoire est tellement amoureuse de Dieu, tellement désireuse de lui plaire, quelle voit son cur saffiner. Le désir qui la brûle la libère de tout reste dégoïsme. Sachant cela, le démon produit son attaque avec dautant plus de violence.
Lâme est appelée à choisir librement mais le poids de sa vie passée loriente dans lun ou lautre sens. Celui qui durant toute sa vie, na vécu que pour lui, trouve en lui des échos puissants à lappel de Satan. Cette voie lattire. Elle lui convient. La voie proposée par Dieu lui est dautant plus étrangère quil a vécu davantage dans lorgueil. Deux voies se présentent à lui. Il en connaît parfaitement les avantages et les inconvénients. Il sait ce quexige le paradis. Il sait ce quil perd en choisissant lenfer. Lorsque toutes les données sont présentes, lorsque toute ignorance a disparu, lhomme, librement, choisit. Nulle faiblesse ne le motive, aucune ignorance ne laveugle. Aussi ne reviendra-t-il jamais en arrière. A cet instant, le destin de son éternité vient dêtre fixé.
(Chose certaine)
La foi de lÉglise est nette pour affirmer que tout cela se passe au moment de la mort[87]. Mais elle na jamais précisé ce quelle entendait par « le moment de la mort ». Certaines écoles théologiques pensent quil sagit de linstant précis où lâme se sépare du corps. Dans cette hypothèse, la mort serait instantanée et tous les événements décrits seraient vécus dans un instant. Cest une hypothèse soutenable.
Une autre paraît plus probable. On peut penser quil sagit plutôt de cet espace entre les deux mondes. Normalement, un homme vit ici-bas ou dans lau-delà. Entre les deux, il ne fait que passer. Pourtant, il existe entre les deux mondes tout un espace et tout un temps. Les témoins dune Expérience de Mort Approchée (N.D.E.) en témoignent. Ils décrivent, aux portes de lau-delà, une sorte de limite, souvent symbolisée par un fleuve ou une clôture, au-delà de laquelle on ne revient pas sur terre. Cette limite est la mort au sens théologique du terme. Elle est lirréversibilité dun nouvel état. Ainsi, entre le départ du corps, ils témoignent dun temps sur terre, du passage par une porte en forme de tunnel noir et même un bref séjour aux portes dun autre monde, magnifique et verdoyant. Tout cela constitue le moment de la mort, tant que la limite ultime nest pas franchie. Il est donc probable que le moment puisse durer plusieurs jours, selon la lenteur de lâme[88]. Il peut être vécu dans des lieux très vastes, selon le désir du mourant. Son corps double voyage en obéissant aux désirs de sa volonté.
La liturgie chrétienne semble pencher pour cette deuxième opinion, doù la coutume de veiller trois jours le corps des défunts. Marthe Robin (qui nest pas encore une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits sont cités à titre de témoignage) pensait quil fallait prier pour les morts longtemps et que le jugement pouvait durer plusieurs jours.
Johann avait choisi. Son choix était définitif, total et libre. La joie semblait emplir tout lespace. Johann était sauvé. Il venait de réaliser la parole de lÉcriture Sainte: Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix neuf justes qui nont pas besoin de se repentir[89]. Comme le chante le livre de lapocalypse[90], Johann venait de vaincre lAccusateur, celui qui laccusait devant Dieu, grâce au regard quil avait porté sur le Fils dHomme, sur lAgneau.
Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à lheure de notre mort.»
Après avoir vu limportance des instants qui achèvent notre vie terrestre et préparent notre destin éternel, il est aisé de comprendre le sens de cette prière. Prier pour les mourants est lun des apostolats les plus grands. Il sauve les indécis. Il les fait se livrer de toute leur âme à lamour de Dieu. Il en sera ainsi pour nous. Lorsque à lheure de notre mort nous comprendrons à quel point Marie na cessé de prier Dieu pour notre salut, lorsque nous verrons de nos yeux langoisse de ceux qui sur la terre prient pour nous, nous comprendrons mieux à quel point les propositions du démon, pourtant séduisantes, ne sont que fumées. Tant de personnes espèrent nous voir dans le bonheur du ciel. Quest, devant cela, la fausse liberté solitaire proposée par Satan?
Il nous faut maintenant continuer notre voyage à travers la mort, sans cesser de nous appuyer sur lenseignement de lÉglise, des saints et des théologiens. Nous avions suivi le chemin de Johann. Nous lavions laissé au moment où il choisit de se convertir vers la vie proposée par Jésus. Rappelons quil fit son choix en toute liberté et lucidité, connaissant parfaitement la voie proposée par le démon.
De la même façon, nous aurions pu raconter ce quavait vécu sainte Thérèse de lEnfant-Jésus. La phase visible de sa mort nous est rapportée par ses surs. Elle connut des angoisses terribles. Le démon lapprocha dans ses moments ultimes, sefforçant de la plonger dans le désespoir puisque cétait là une des faiblesses où il savait pouvoir lébranler. Mais Thérèse, dans la nuit totale, rongée par la souffrance physique, ne cessa de prier Jésus, auquel elle navait même plus limpression de croire[91].
Puis son visage sillumina. Elle rencontra Jésus et elle fut surprise. Elle, la plus grande sainte des Temps modernes, elle, qui navait jamais cessé de vivre dans son intimité, navait pas compris à quel point elle était aimée! Marie était présente avec Jésus car elle avait désiré sa présence. Il y avait aussi sa maman, son papa, tous ceux quelle avait aimés. Comme Johann, délivrée de la souffrance, elle connut cette phase intermédiaire que nous appelons lheure de la mort et qui précède la séparation totale davec le corps charnel et ce monde. Elle vit Pranzini, le criminel pour qui elle avait prié durant son enfance. Il émanait de lui reconnaissance et gratitude. Vous mavez sauvé! Le démon approcha Thérèse. Il lui tint son discours. Il utilisa toute la puissance de sa rhétorique. Mais que pouvait le prince des démons devant lhumilité dune sainte? Elle était inaccessible car elle ne cessait de regarder Jésus: Tant de temps, je tai attendu, lui disait-elle. Le démon était humilié. Si un pur esprit pouvait éprouver des sentiments, il faudrait dire quil étouffait de rage et dimpuissance. Une fois de plus une simple enfant ne lui faisait même pas lhonneur de lécouter. Sil avait trouvé quelque prise en Johann, le jeune soldat allemand, cest que celui-ci avait aimé le péché durant sa vie terrestre. Ayant vécu dans lorgueil, il en avait pris le goût. Mais Thérèse était humble et elle aimait son Dieu. Elle lavait aimé jusquà la mort, une mort terrible. Le démon dut se taire et sen aller. Thérèse était du monde de Dieu. Son choix était fait, plus rien ne la retenait à la terre.
(Chose selon moi, plus que probable. Au lecteur den juger)
La mort physique pouvait donc achever son oeuvre. Quest ce que la mort sinon une séparation de la personne davec son corps charnel, sans possibilité de retour? Johann était face au visage de Jésus et de Marie. Ils linvitèrent à savancer, à pénétrer sans crainte dans lautre monde. Il entendait le son de leur voix. Johann vivait doucement le dernier moment de sa mort. Il lui fallait simplement franchir une sorte de porte, un passage dont il comprenait intimement quil le séparerait à jamais de tout retour charnel sur terre, du moins jusquà la fin du monde et la résurrection. Il ne quittait pas des yeux les habitants du Ciel. Il voyait de ses yeux leurs yeux, il entendait de ses oreilles leurs invitations à savancer. Il franchit le passage. Il était entré dans lAutre monde. Il était mort.
Depuis quelques années, la recherche théologique sur lheure de la mort a été confrontée à une nouvelle expérience, devenue de plus en plus fréquente grâce à la médecine. Des personnes, ayant approché la mort à la suite dun arrêt cardiaque, ont pu être réanimées. Leur témoignage permet de rectifier certaines conclusions qui ne paraissent plus aussi sûres que jadis. En effet, les conclusions des théologiens anciens consistaient à décrire la mort comme la séparation de lesprit du mourant avec tout ce qui est corporel en lui. « Il perd donc non seulement son corps physique mais aussi les facultés de son psychisme, celles qui sont liées à lorgane du cerveau (sensations, imagination, mémoire des images, passions sensibles) », dit saint Thomas dAquin. Il ne subsiste donc selon lui quun pur esprit (intelligence et lamour dans ce quil a de volontaire). Dans cette hypothèse, un mort oubliait la forme du visage de sa mère, mais se souvient de sa personnalité.
Or le témoignage des rescapés est unanime et leur expérience ne semble pas devoir être mise en doute. Lorsque des proches décédés depuis longtemps les rejoignent dans leur approche de la mort, ils possèdent tous une sorte de corps psychique visible et doté de sensations. Il sagit dun véritable corps, quoique non palpable car séparé de toute chair. Il est visible du moins pour les habitants de lau-delà et est le siège dune vie sensible. Il est à limage du corps astral des bouddhistes.
Quest-ce donc que la mort? On doit semble-t-il en changer la définition théologique. Elle nest pas la séparation de lesprit et de tout le corps. Elle implique seulement la perte dune partie du corps, la chair, siège des facultés végétatives. Les morts ne sont donc pas des esprits purs à limage des anges mais des personnes humaines dotées dun visage sensible reconnaissable dans lautre monde.[93]
Dautre part, la mort est un phénomène définitif. On ne revient jamais de lau-delà, sauf par miracle, cest-à-dire par une volonté de Dieu qui contredit ponctuellement les lois de la biologie (la résurrection de Lazare en est un exemple). Au plan du corps qui reste sur la terre, la mort se caractérise par sa destruction définitive (après une dizaine de minutes sans oxygène, le cerveau ne sera jamais réutilisable. La mort est clinique.) Au même moment, la personne séparée de sa chair, « lâme spirituelle et psychique » passe symboliquement une sorte de porte. A linvitation des anges, elle entre dans lautre monde. Elle comprend quelle quitte le pèlerinage terrestre. Abraham montre que la séparation davec le monde dici-bas est définitive[94]. «Ce nest pas tout. Entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer dici chez vous ne le puissent, et quon ne traverse pas non plus de là-bas chez nous.[95] »
Ceci ne veut pas dire quun mort ne revient jamais sur terre. Au contraire, des saints du paradis ne cessent dy apparaître. Mais ils ny reviennent pas avec leur corps de chair, avant que Dieu ne le leur rende.
(Chose certaine)
La sur Thérèse de lEnfant-Jésus entendit Jésus lui parler. Les mots étaient accompagnés de toute leur signification intérieure: Thérèse, tu es bénie entre toutes les femmes. Tu aimes Dieu et tes frères plus que ta propre vie. Entre dans la Vision de ton Dieu, ton époux. Cette parole reçue par Thérèse est ce que lÉglise a appelé son jugement dernier. Pour Johann, en qui subsistait malgré son grand amour pour Jésus, quelques restes du péché à purifier, ce fut un peu différent. Johann, tu es béni entre tous les hommes. Parce que tu as été beaucoup pardonné, tu as beaucoup aimé. Tu es digne de la vie éternelle. Lorsque ton âme aura achevé sa purification, tu verras Dieu face à face. Ce jugement est le dernier car Johann comme Thérèse ne peuvent plus se détourner de Dieu. Leur choix est tellement lucide quils ne reviennent pas en arrière. Nous verrons, en temps voulu, quil en est de même pour les âmes qui choisissent lenfer.
Le jugement dernier de lâme a donc lieu après la mort. Tout ce que nous avons décrit à propos de lheure de la mort nest que la préparation à ce jugement venant du Christ. Lhomme est conduit dans sa mort à dire oui ou non à la vie de la grâce. Le Christ ratifie après sa mort son choix[96].
Nul ne peut échapper à la nécessité de choisir. Chacun arrive donc dans lautre monde, quil ait été bouddhiste, athée, musulman ou chrétien, avec une volonté explicitement tournée ou détournée de lamour de Dieu. Chacun est devenu librement disciple du Christ ou disciple de lAntéchrist. Alors, ratifiant ce choix de lâme, Jésus prononce la sentence éternelle, le jugement ultime. Si lâme a choisi lamour, il lui révèle quelle recevra ce quelle désire. Il y a une telle force dans cette parole que la joie de celui qui la reçoit est immense. Il croit quil verra Dieu. Il sait quil vivra pour léternité au paradis. Cela se réalisera en temps voulu parce que Jésus a parlé. On nose imaginer lallégresse de celui qui, se sachant pourtant indigne, reçoit une telle promesse.
De même, celui qui entend prononcer la sentence de la damnation sait que cest une parole définitive, comme lest son choix égoïste. Nous verrons au chapitre suivant que cest à cause de la pleine lucidité et liberté du choix des damnés.
Tous les hommes sans exception passent en jugement. Chacun reçoit de Jésus la sentence qui lui convient. Ceux qui aiment Dieu ne se jugent pas eux-mêmes dignes de la vie éternelle, tant ils ont conscience de leur imperfection. Marie elle-même, la sainte Immaculée, se voyait plus que toute autre misérable et poussière devant Dieu. Elle navait jamais péché mais toute sa vie, elle se reconnaissait misérable devant Dieu[97]. Elle reçut donc de son Fils la révélation de ce quelle méritait.
Quant aux âmes obstinées par orgueil, elles voudraient bien voir Dieu. Elles sestiment dignes de ce bonheur. Elles le désirent même puisquelles savent que cela seul peut les rendre heureuses. Mais elles préfèrent tout perdre plutôt que de sabaisser à lhumilité. Devant un tel orgueil, devant leur présomption à vouloir entrer de force dans la vision de la Trinité, Jésus est obligé de leur manifester quelles ne méritent pas de voir Dieu: Allez-vous en loin de moi, maudits. Je ne vous connais pas[98]. Chacun est donc jugé par Jésus. Nul nest capable de se juger lui-même en bien ou en mal. Cependant, ce jugement est vrai car il correspond au fond de lâme.
(Chose certaine)
Tout ce que nous avons décrit jusquici sharmonise parfaitement avec ce que nous connaissons de Dieu par Jésus-Christ. Il veut sauver tous les hommes et il en prend les moyens. Admiratifs devant tant de bonté, nous aurions envie de dire: Il ne peut y avoir personne en enfer. Il est absolument impossible dy aller car, en voyant Jésus à lheure de la mort, aucun homme ne pourra résister à son attraction. Il est vrai que nous ne savons pas avec certitude sil y a des hommes en enfer, mais nous savons par contre que de nombreux anges se sont damnés. On pourrait alors rétorquer: Quun ange se sépare de Dieu, cela se comprend, il est tellement parfait que lorgueil, même à travers la solitude, lattire. Mais les humains sont faibles et mortels. Si la souffrance de la vie terrestre ne suffit pas à leur montrer combien ils ont besoin du Sauveur, son apparition achève de le leur prouver. De tels arguments ont de quoi convaincre. Pourtant, à travers tout lÉvangile, Jésus ne semble pas aussi sûr du salut de tous les hommes. Certaines de ses paroles, où transparaît une réelle angoisse pour nous, sont significatives: Je vous le dis mes amis. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer ce que vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué le corps, a le pouvoir de jeter lâme dans la géhenne. Oui, je vous le dis, celui-là craignez-le[100]. Par ce texte, il voulait nous garder du démon qui ne cesse dagir pour nous entraîner en enfer. Lenfer ne semble donc pas être une simple théorie mais un risque réel pour chacun de nous.
A la lecture du chapitre sur lheure de la mort, certains lecteurs se sont sans doute dits: « Inutile de se fatiguer à faire trop le bien sur terre. Pour se damner, il faut vraiment le chercher. » Ce chapitre vise à les détromper. Ceux qui ont pensé ainsi ont sans doute en tête les anciennes théologies où lenfer était une marmite de feu dans laquelle un Dieu vengeur précipitait les âmes pécheresses. Il est vrai que cet enfer de crainte nétait quune image. Il suscitait la peur mais navait de valeur que métaphorique. Lenfer que je vais décrire ici est pire: il est attirant. Il intéresse les égoïstes car on y est égoïste.
Afin de mieux comprendre ce risque, voici une histoire. Elle vise à montrer que ce ne sont pas les critères habituels de nos jugements humains extérieurs qui peuvent conduire en enfer mais la seule perversité de légoïsme et de lorgueil.
« Cela se passait au Moyen-Age. Tout le monde en France avait foi en une vie après la mort et la réalité de Jésus-Christ nétait même plus une question pour la grande majorité du peuple. Nous étions en plein XIIIème siècle et lÉglise semblait avoir atteint son âge dor. Partout des prêtres prêchaient lamour de Dieu. Un jeune homme, fréquentant lÉglise depuis son enfance, tint en lui-même le raisonnement suivant: Je suis baptisé. Jésus-Christ est mort pour moi. Il est prêt à me pardonner tous mes péchés, autant de fois quil le faut; il suffit que je lui en demande pardon. Il me promet en échange le paradis éternel! Alors heureux de connaître cette bonne nouvelle, il linterpréta ainsi: Je vais vivre pour moi-même. Je vais profiter au maximum des biens de cette terre et, juste avant ma mort, je me convertirai. Une bonne confession et jirai au paradis. Dieu me pardonnera certainement puisquil est bon.
Ce jeune homme nétait pas mauvais. Il était simplement tiède et lamour de Dieu ne lui donnait pas un grand zèle pour changer sa vie. Il se maria. Il eut des enfants. Il prit aussi une maîtresse, sans doute parce que la vie lavait doté dune forte nature. Mais tout cela coûtait cher. Il pratiqua donc quelques affaires malhonnêtes pour se procurer largent qui lui était nécessaire. Les années passant, il acquit intelligence et habileté dans le maniement de la richesse. Il lui arrivait encore de prier surtout quand lui venaient des pensées sur lenfer. Les prêtres en parlaient beaucoup à cette époque et le décrivaient avec des expressions effrayantes, des diables grimaçants, des marmites brûlantes, une souffrance physique intense et tout cela pour léternité. Alors, après une journée où il sétait comporté dune manière particulièrement odieuse avec ses proches, il lui arrivait de demander à Jésus de le délivrer de lenfer. Les années passèrent et notre homme vieillit. Il fut pris un jour dun malaise. Une douleur lavait saisi dans la poitrine et lempêchait de respirer normalement. Comprenant quil allait mourir, il fit appeler un prêtre. Terrorisé par la pensée de lenfer, il confessa tous ses péchés. Il lui raconta ses maîtresses, ses fautes, et toutes les mauvaises actions dont il se rappelait. Il omit cependant le plus grand de ses péchés, sans doute parce quil nen était pas conscient et que les siens, tenus en soumission, ne le lui avaient jamais fait remarquer: toute sa vie, il navait agi que pour lui, égoïstement.
Notre homme mourut. Il vit Jésus qui laccueillit. LÉvangile lui fut prêché et il saperçut quil ne lavait pas bien compris sur terre. Le paradis ne consistait pas en un simple lieu de bonheur où chacun peut jouir de la vie selon ses goûts. Lenfer, tel que le présentaient les démons nétait pas un lieu où ils peuvent pour léternité torturer les hommes. Tout cela nétait quun langage symbolique signifiant des choses bien plus profondes. Au paradis, la joie et le plaisir sont réels mais trouvent leur source dans le don de soi. En enfer règnent la souffrance et la solitude mais tout cela est la conséquence dune divine liberté. Cela changeait tout. Ce que comprenait notre homme en ce jour, par lenseignement de Satan, cest quil navait jamais réellement aimé Dieu. Il ne lavait aimé quà cause des avantages quil espérait en recevoir. Mais depuis quil pouvait voir les conditions requises pour recevoir ces bienfaits, le paradis ne lui paraissait plus beaucoup attrayant. Maintenant quil comprenait ce quétait une véritable conversion, tout lui paraissait bien différent. Jusquici, il pensait quil suffisait de demander pardon, juste avant de mourir, pour chacune de ses mauvaises actions. Il ne soupçonnait pas que lentrée au Ciel impliquât aussi un total retournement du cur, un rejet de légoïsme et un don, jusquà loubli de soi, à Dieu et aux autres. Parallèlement, le démon lui suggérait de dire avec lui un non ferme à Jésus et à ses exigences aberrantes. Il linvitait à hausser les épaules devant une telle folie.
Notre homme pesa le pour et le contre et, après avoir tout considéré, opta pour la voie qui correspondait le mieux à son être: égoïste il était, égoïste il resterait. Il tourna alors le dos à Jésus, ne pouvant supporter plus longtemps son regard.
Comment est-il possible que cet homme, apparemment semblable aux autres, se soit séparé de Dieu?
La première réponse à cette question est que lenfer est lumière. Il y a un véritable bien en enfer, quelque chose dattirant. Cette lumière sappelle liberté et puissance. On y est comme un dieu, on y fait ce quon veut. On mange à satiété de « larbre de la connaissance du bien et du mal »[101], selon la promesse de Lucifer à Adam et Ève. Ce bien nest quapparent. Mais cest parce que les damnés sont près à brûler de solitude plutôt que de le penser quils choisissent lenfer.
La seconde réponse se trouve dans le cur de lhomme. Cet homme, apparemment semblable aux autres, était pourtant chrétien et avait reçu les derniers sacrements. La raison est à rechercher dans la racine qui fut durant sa vie à lorigine de ses actes. vie à lorigine de ses actes. Comme tout homme, il portait en lui, un désir du bonheur. Comme tout homme, il saimait et naturellement cherchait à se rendre heureux. Il ny a rien de plus naturel à cela. Lamour de soi fait partie de notre être. Cependant, sappuyant sur une conversion fausse de la foi chrétienne, il crut pouvoir chercher le bonheur dune manière égoïste. Il espérait bien être sauvé tout de même puisque Dieu est amour. Cet homme avait raison de penser que Dieu ne peut jamais le premier rejeter quelquun. Mais il oubliait que lui-même était capable de rejeter Dieu. Il vécut dans légoïsme, ne discernant pas à quel point il prenait goût à cette vie. Car une vie donnée au péché engendre lamour du péché. Il fit de sa femme un moyen de service de ses désirs. Il ne laima que pour ce quelle lui apportait. Cest sans doute là le plus grave de ses torts. Il agit de même pour ses amis et ne se tourna vers Dieu, au terme de sa vie, que pour obtenir une fois de plus un bien à son profit. Légoïsme devint de plus en plus sa raison de vivre. Evidement, caché dans les méandres de son psychisme, celui qui patiemment tissait les fils du péché sappelait Satan. Arrivé devant Jésus, libéré de toute peur et de toute erreur théologique, confronté à la vérité de lÉvangile et à celle de son cur, il ne fit quagir comme dhabitude. Il sexalta, se révolta et senorgueillit devant lui, lui criant face à face: Ton paradis, je le veux bien mais jamais sous de telles conditions. Je préfère encore être loin de toi à cela. Il agit logiquement. Cet homme se damna librement. Il se damna pour léternité. Au moment de la mort, ayant tout compris, sachant ce quétait lenfer et sa peine, il préféra cela à la conversion. Éternellement, cet homme répète donc avec les démons: Jai raison, jai raison, plutôt lenfer que le paradis sous ces conditions.
Nous avons pris lexemple dun chrétien semblable à beaucoup dentre nous afin de manifester à quel point il est dangereux, sous prétexte de lamour de Dieu, de jouer avec le péché. Une telle attitude est immature car elle méconnaît la réalité du mal. Le péché ressemble à un arbre dont on ne voit que les multiples feuilles. Chacune des feuilles porte un nom: luxure, vanité, avarice, mensonge etc. Elles sont vertes et séduisantes car, en sen nourrissant, lhomme reçoit un plaisir immédiat qui comble ses désirs. Mais toutes ces feuilles cachent sous leur ombre un tronc rugueux et dur qui ne cesse de les nourrir et grossit en les nourrissant, lorgueil. En effet, lhomme qui vit dans le péché est son propre maître. Il na besoin des conseils de personne puisquil choisit lui-même ce qui est bien ou mal. Souvent, lorsquil se trouve devant une personne qui vit autrement que lui, il sirrite contre elle. Il la qualifie de moraliste car, sans même le vouloir, cette personne semble lui conseiller de vivre autrement. Lorgueil refuse tout conseil, (surtout ceux de lÉglise).
Ce tronc est lui-même fondé sur des racines qui simmiscent jusquau fond du cur. Elles sont cachées et sallongent insidieusement. Elles sagrippent partout au point de devenir une seconde nature. La racine première de larbre de la connaissance du bien et du mal[102] sappelle légoïsme. En effet, nul ne pèche que parce quil saime lui-même au point de faire de tout (Dieu et le prochain compris) linstrument de son bonheur individuel. Cet arbre puissant se nourrit du péché. La mort vient en arracher les feuilles puisque lhomme na plus de corps pour pécher. Mais elle laisse le tronc et les racines, qui agrippées, peuvent entraîner lhomme en enfer. Ainsi, celui qui vit dans le péché nourrit en lui un tronc et des racines mauvaises (égoïsme et orgueil) qui peuvent lui faire mépriser le pardon offert au moment de la mort. Larbre tombe toujours du côté où il penche, commente un proverbe.
(Chose certaine)
Or, refuser le pardon à cette heure constitue toujours un blasphème contre lEsprit, péché sans rémission selon le Christ:
Je vous le dis, tout péché et blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre lEsprit Saint ne sera pas pardonné. Quiconque aura dit une parole contre le Fils de lhomme, cela lui sera pardonné, mais quiconque aura parlé contre lEsprit Saint, cela ne lui sera jamais pardonné, ni dans ce monde ni dans lautre.[103]
Le blasphème contre lEsprit Saint est donc le seul péché à nous conduire en enfer. Il est important de discerner avec précision sa nature.
Dans lÉvangile, Jésus en parle à propos de certains Docteurs de la loi qui désiraient sa perte. Ces théologiens lavaient vu accomplir de grands miracles[104]. Ils savaient, en raison de leur science théologique, que certains faits comme la résurrection dun mort, dépassent la puissance des démons. Ils ne peuvent venir que de Dieu car Dieu seul est infiniment puissant. Ils pouvaient donc en déduire que le prophète Jésus, par qui ces miracles avaient eu lieu, venait de Dieu. Or, ces hommes aimaient leur pouvoir. Ils laimaient tant que, voyant Jésus prendre de linfluence sur le peuple, ils eurent peur dêtre supplantés. Ils décidèrent donc, sachant explicitement quil venait de Dieu, de le faire disparaître[105]. Ils aimaient tant la gloire quils étaient prêts à tuer le Messie, reconnu comme tel, pour la conserver. Le blasphème contre lEsprit Saint consiste en un amour de soi poussé si loin quil est capable de rejeter lucidement, volontairement et librement tout ce qui sy oppose, jusquà Dieu lui-même. On voit quun tel péché est rare sur la terre. En effet, il implique des conditions si sévères que très peu dhommes en sont capables. Les conditions sont, daprès le Concile Vatican II, au nombre de trois: une parfaite connaissance, une totale maîtrise de soi, une liberté calme.
Aucune faiblesse ne doit être à la source de lacte mais un choix posé et réfléchi. Ainsi, toute personne qui agit entraînée par une passion aveuglante ne commet pas un blasphème contre lEsprit. Elle pèche plutôt contre le Père puisquon attribue au Père, dans la Trinité, tout ce qui a rapport à la puissance. De même, ce péché ne peut exister si la moindre ignorance laccompagne. Ceux qui demandèrent la mort du Christ en ignorant sincèrement son origine prophétique ne commirent pas un blasphème contre lEsprit puisque, sils lavaient connu, ils nauraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.[106] De même, tout homme qui ici-bas pèche contre ses frères en ignorant lexistence de Dieu ne peut commettre un véritable blasphème contre lEsprit. Il commet plutôt dans son ignorance un péché contre le Fils puisquon attribue à la deuxième personne de la Trinité tout ce qui touche à la connaissance. Sur la terre, seuls les croyants connaissant quelque peu leur théologie peuvent commettre ce péché irrémissible. Mais, au moment de la mort, nous avons montré que cest tout autre chose. Faiblesse et ignorance disparaissent. Le blasphème contre lEsprit Saint devient possible car, face à Jésus contemplé dans sa gloire, cur à cur, vérité à vérité, nul ne peut agir autrement quen toute liberté.
(Chose certaine, sauf peut-être le nombre six)
A travers quelques récits, nous allons essayer de manifester les six grandes manières dont il est possible, au moment de la mort de commettre le péché qui conduit en enfer. Saint Thomas dAquin donne dans sa Somme théologique la liste de ces six péchés[108]. Cette liste reste valable et correspond parfaitement aux actes dun orgueil devenu indestructible:
Refus de croire à la vérité suffisamment révélée,
Envie des grâces fraternelles,
Présomption,
Désespérance,
Obstination,
Impénitence finale.
Le premier de ces péchés vient dêtre décrit à travers lattitude des Docteurs de la loi dénoncés par Jésus. Il est clair, daprès ce quen dit le Messie, que certains désirèrent sa mort tout en sachant fort bien quil venait de Dieu. Or, quelques années plus tard, ils moururent. Entre temps, il est probable que certains dentre eux avaient eu le temps de participer activement à des persécutions contre la toute jeune Église de Jésus. Cette attitude est logique. Celui qui pousse lamour du pouvoir au point déliminer consciemment un envoyé de Dieu na pas de raison de changer par la suite, jusquà lheure de sa mort, arrivé devant Jésus. Cest ainsi que fonctionne le premier de ces blasphèmes contre lEsprit Saint. La vérité et lamour pleinement manifestes ne produisent aucun effet de conversion. Le pécheur a déjà fait son choix dune manière si définitive et lucide quil ne prend même pas la peine de considérer lautre voie. Il ny croit pas... par choix. Dans leur recherche exclusive du pouvoir, ces hommes sont prêts à nier pour léternité. Il faut pour cela, cest certain, un orgueil démesuré. Sans cet orgueil lucide et fort, il ne peut y avoir denfer. Tout autre péché que celui-là ne résiste pas devant la douceur et lhumilité de Jésus.
Lhistoire donne, semble-t-il, un exemple analogue mais beaucoup plus récent. Il sagit encore dun prêtre. Il sappelle Monseigneur Pierre Cauchon. Il est le juge de Jeanne dArc. Les documents du procès de condamnation sont fiables par lhonnêteté du greffier Manchon qui, au risque de sa vie, refusait de falsifier les textes. Monseigneur Cauchon est Docteur en théologie, formé à la Sorbonne. La guerre de cent ans oppose les Anglais et les Français. Jeanne dArc, jeune fille de 18 ans sans culture, avait réussi à faire sacrer le roi de France Charles VII à Reims. Cauchon avait pris parti pour les Anglais. Une ambition secrète portait son zèle, devenir archevêque. Il le sera effectivement, pendant dix ans, au prix dun péché dont on voit mal les circonstances atténuantes. Lorsque le destin le fit juge de Jeanne, il comprit ce quil lui faudrait faire: la convaincre de sorcellerie, par tous les moyens. Or, au cours du procès, tout lui indique quil a non seulement affaire à une jeune fille vivante et saine, pleine dhumour et de grâce, mais à une envoyée de Dieu. Elle est inspirée de réponses théologiques qui dépassent son niveau de culture. Elle échappe aux pièges de la dialectique subtile. Les prophéties quelle avait faites se sont réalisées à la lettre. Malgré cette évidence, lévêque Cauchon refuse de croire à lévidence. Il lui faut sa vie. Sa promotion en dépend. Pour cela, il utilise les astuces les plus rouées. Il falsifie sa science théologique. Jeanne na pu être convaincue de sorcellerie ou dimpiété[109]. Elle nest attaquable quau plan de la lettre dun texte sacré qui condamne le travestissement. Elle ne shabille pas en homme par vice mais parce quelle est entourée de soldats. Profitant dune faiblesse due à une intoxication alimentaire quil a provoqué, lévêque lui promet une prison gardée par des femmes à condition « quelle se soumette à son autorité et shabille en femme.» Les termes sont volontairement vagues. Fatiguée, elle accepte. Trahissant sa parole, lévêque la remet aussitôt dans sa prison tenue par des hommes, ses vêtements dhomme bien en vue. Le lendemain, il naura quà constater sa rechute et à la faire brûler vive comme « relaps ».
Sagit-il dun péché contre lEsprit Saint? Il est impossible de juger le fond des curs. Ces histoires ne font quillustrer les péchés contre lEsprit Saint et ne se prononcent pas avec certitude sur la réalité de ce péché et le choix définitif des personnes citées. Mais lapparence de cette histoire illustre bien ce quest le refus de croire à lévidence. Ce péché est en fait une volonté de ne pas croire par amour dautre chose: plaisir, pouvoir ou richesse. Cet évêque théologien est nécessairement lucide. Il manifeste une grande maîtrise de lui. Il est averti de nombreuses fois par son entourage. Son greffier est comme une voix de Dieu, droite et discrète. Si tout cela est vrai, si aucune faiblesse cachée ne motive le comportement de lévêque, on peut légitimement être inquiet pour son salut. A sa mort, Monseigneur Cauchon se contentera de choisir avec la même détermination lenfer où les ambitions du pouvoir sont comblées.
Le deuxième blasphème contre lEsprit est plus facile à comprendre car plus proche de nos comportements habituels. Lenvie des grâces du prochain est un sentiment fréquent qui, fort heureusement, nest la plupart du temps que faiblesse ou bêtise. Nous prendrons lexemple dune personne ayant vécu. Il ne sagit pas, encore une fois, de se prononcer sur le choix éternel de quiconque, mais seulement dêtre illustratif. Lorsque Adolf Hitler sest suicidé, il a quitté ce monde en emportant la responsabilité directe de dizaines de millions de vies humaines détruites dont, en particulier, quelques millions de femmes, denfants coupables dêtre nés accompagnés de son mépris. Formellement, et sans entrer trop rapidement dans sa conscience, Hitler ne semble pas sêtre rendu coupable dun véritable blasphème contre lEsprit Saint avant lheure de sa mort. Rappelons-le, les conditions requises pour commettre ce péché sont vertigineuses. Dieu est juste et la moindre ignorance déterminante par rapport au sens de la vie terrestre est reçue comme une circonstance atténuante. A différence de Monseigneur Cauchon, Hitler ignore bien évidemment la théologie et le cur de Dieu. Il ne soupçonne pas un seul instant à quel point il est aimé par les milliards dêtres humains et angéliques présents auprès de Dieu. Nul ne peut savoir à lavance comment il aurait vécu sil avait connu le Seigneur de la gloire[110].
De toute façon, il est certain quil fut accueilli à lheure de sa mort par le déploiement dun innombrable cortège de saints. Le Ciel entier se mobilisa pour sauver ce grand pécheur. Parmi les âmes présentes brillaient celles de millions de juifs quil avait fait exterminer. Il les vit un à un pendant un de ces regards profonds que peut offrir la puissance de Dieu au moment décisif. Toutes ces âmes réunies proposaient[111] leur pardon à Hitler, sans arrière-pensée. Cest ainsi que lon est au Ciel. Nul ne peut entrer au Ciel sans être dans une telle disposition de lâme. Cest pourquoi il est certain que les juifs accueillirent Hitler de cette façon. Il vit le visage de Jésus rayonnant douceur et humilité. Il vécut de lintérieur cette parole terrible pour lui de lÉvangile: «Tout ce que vous avez fait au plus petit dentre les miens, cest à moi que vous lavez fait. Le silence accueillant de Dieu à linstant de la mort est décrit par lÉcriture comme le Jour de la colère (Dies irae). Car il vaudrait mieux affronter la colère de Dieu que son pardon[112]. Mais le démon aussi, avait droit à la parole, comme il convient en cette occasion. Il nest pas difficile, connaissant les obsessions dHitler durant sa vie terrestre, den reconstituer la teneur. Satan sait comment parler pour toucher une âme dans laxe même de sa perversité: Vois ces juifs, ces tziganes que tu as méprisés avec raison toute ta vie. Regarde leur humiliante attitude de dépendance les uns vis-à-vis des autres. Regarde la royauté quils ont reçue de Dieu. Si tu te convertis maintenant, noublie pas que toi, le Guide de millions dhommes, tu seras plus petit queux pour léternité. De Maître que tu étais, tu deviendras inférieur car chacun se fait serviteur de tous dans leur monde. Ne te convertis pas. Reste fidèle à ton combat, sois Roi avec moi, loin de ces gens.
Là se trouve la puissante tentation de lenvie des grâces fraternelles. Elle concerne tout homme qui a été dominant vis-à-vis de son prochain durant sa vie. Il est difficile de renoncer au pouvoir. Lécho de ces paroles fut, on sen doute, immense dans un cur tel que le sien. Elles correspondaient à toute sa vie. Nous ne saurons quau Ciel quel fut le choix définitif dHitler en ce 30 avril 1945. Implora-t-il le pardon de Dieu et de ses frères[113]? Provoqua-t-il au Ciel la plus grande joie? Céda-t-il au contraire à lenvie, selon linclination acquise par toute une vie nourrie de haine? Lenvie des grâces fraternelles, deuxième péché contre lEsprit Saint, est sans rémission possible car, commis ainsi dans la lucidité de lheure à la mort, il est le fait dune personne qui jamais plus ne reviendra en arrière.
Pour comprendre la présomption, troisième péché contre lEsprit Saint, il faut se souvenir de la chute de lange Lucifer telle que nous lavons rapportée en note dans la première partie. Actuellement, cet ange comme tous les démons ne cesse de réclamer la Vision béatifique à Dieu. Il sestime digne de ce bonheur et le considère comme dû à chacun en mesure de la noblesse de son intelligence. La présomption est ici: vouloir posséder Dieu en refusant les conditions voulues par lui, humilité et charité. Ce péché est typiquement Luciférien car il implique un sens inné de sa propre grandeur. Il est pourtant possible chez lêtre humain, surtout au terme dune vie emplie dhonneurs et de richesses. Supposons quun homme arrive devant Jésus à lheure de sa mort et exige le paradis tout en excluant les conditions de petitesse proposées par le Sauveur; supposons quil maintienne fermement cette attitude, en pleine lucidité, prêt à perdre la vie éternelle plutôt que daimer ce Dieu qui ne se donne quà lamour, alors il se condamne lui-même à lenfer et ce pour léternité puisque, éternellement, il criera à Dieu: Jai raison. Dieu rejette activement cet homme-là car il a laudace de vouloir forcer lentrée dans la vision béatifique. Doù ces textes[114]: «Les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Là seront les pleurs et les grincements de dents.»
La désespérance, en tant que telle est un péché contre le Saint-Esprit, est plus difficile à comprendre. Trop facilement au cours de lhistoire, on la confondue avec le désespoir psychologique qui, quant à lui, est incapable de plonger un homme en enfer. Lhistoire de Judas est significative à cet égard.
Daprès les Évangiles, le défaut majeur de Judas fut son lien avec largent. Non seulement il volait dans la bourse commune des apôtres mais il se rendait malade à la vue du gaspillage apparemment autorisé par Jésus: «Pourquoi ce parfum a-t-il été répandu à terre? Naurait-on pas dû le vendre trois cents deniers quon aurait donnés à des pauvres?[115], reproche Judas à Jésus après le passage dune femme repentie. A cause de son avarice, il ne supportait plus Jésus. Pourtant, il cachait son double jeu en vivant comme les autres disciples. Il avait certes été témoin des miracles de Jésus. Il ne pouvait pas être dupe de sa puissance surnaturelle. Cependant, il ne comprenait pas son message trop spirituel, pas assez réaliste. Jésus tenta tout pour le ramener à lui. Le signe de la bouchée de pain[116] prouve lamitié et la confiance. En acceptant ce pain de communion, sans parler à Jésus de son trouble, il senferra dans lhypocrisie. Le démon neut plus quà lui suggérer de livrer Jésus aux chefs des Juifs, en lui apportant de très bonnes raisons, le danger politique de lÉvangile, la nécessité dun jugement de discernement de la part des Docteurs de la loi, et largent à gagner. Lorsquil eut accompli son geste, il se sentit dabord soulagé. Mais en même temps que disparaissait la tentation, il eut soudain un retour de lucidité: Tous les miracles de Jésus lui revinrent en mémoire ainsi que les prophéties de sa Passion. Il eut une conscience brutale dêtre le traître, celui qui devait livrer le Messie. Il fut saisi dun vertige désespérant devant limmensité de son crime: « Faute impardonnable! Malheur à moi » et il alla se suicider.
Ce suicide est le fruit dun désespoir effrayant devant la conscience dun acte irréparable. Mais il ne constitue pas encore, semble-t-il, un péché contre lEsprit Saint. En effet, leffroi dune condamnation sans rémission possible de la part de Dieu vient submerger la pensée au point dentraver le jugement. Elle est fausse et liée à un manque de connaissance de Dieu. Elle doit donc être rectifiée par une preuve glorieuse de la bonté de Dieu. Quant à sa faiblesse liée à la panique, lattitude de Judas la prouve: il court rendre largent, espérant peut-être dune façon illusoire libérer Jésus. Tout péché, aussi grave soit-il, lorsquil est empreint derreur théologique ou de faiblesse, ne peut constituer un véritable blasphème contre lEsprit Saint. Le suicide de Judas révèle dautre part en lui une capacité à regretter la faute commise tout en nimaginant pas le pardon possible.
Aurions-nous agi de façon différente à sa place? Un tel désespoir dans une telle situation est naturel. Qui peut espérer être pardonné après une trahison aussi grave? Quand lami trahi est un Messie de Dieu, qui ne penserait à lenfer?
Judas se pendit. A cet instant même, Jésus (ou un ange délégué par Jésus selon lheure à laquelle il fit son geste) se montra à lui. Sans erreur possible, la clarté de cette apparition manifesta à Judas linimaginable: son péché pouvait être pardonné. Il lui suffisait de demander pardon et de se jeter dans les bras du Messie mort pour lui. Mais le démon toujours présent à lheure de la mort criait: Faute impardonnable! Malheur à toi, tu es perdu. Par cette parole, il le tentait non plus de désespoir mais de désespérance. Il ne sagissait plus pour lui de le pousser à un désespoir psychologique en lui faisant croire faussement à limpossibilité du pardon de Dieu. Lexistence de ce pardon ne pouvait être ignorée à cette heure par Judas devant lévidence de lapparition glorieuse de lEnvoyé de Dieu. Non, le démon essayait de convaincre un homme calme, en pleine possession de ses facultés de jugement, connaissant parfaitement la Bonne Nouvelle, de refuser le pardon offert: Garde ta dignité. Ta faute est trop grave, assumes-en les conséquences en refusant le pardon. Il sagit dune désespérance voulue et maintenue fermement malgré le pardon évident de Dieu.
Cet acte curieux est en fait une subtile manifestation dun orgueil qui se camoufle en dignité: «Jai trop péché, je men vais.» Quel fut le choix définitif de Judas? Désespérance volontaire ou abandon de son âme blessée dans les bras de Dieu? Il existe une parole terrible de Jésus à son égard: Malheur à cet homme-là par qui le Fils de lhomme est livré. Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître.[117] Ninterprétons pas trop vite cette prophétie comme la preuve de la damnation éternelle de Judas. Il faut se souvenir que, par le péché, nous avons un jour livré le Fils de lhomme. Jésus ne prend dailleurs ce nom de Fils dhomme que pour signifier que tout péché contre un fils dhomme est contre lui. Il faut ajouter comme sous-entendu à ce texte: «sauf sil implore le pardon. »
La désespérance, comme blasphème contre lEsprit Saint, est concrètement un choix de lintelligence et non une pulsion de la sensibilité. La distinction peut paraître subtile. Elle est fondamentale si lon veut comprendre le sort de ceux qui se suicident par désespoir. Loin dêtre damnés pour léternité, il faut affirmer que la souffrance de ces pauvres enfants de Dieu les dispose au contraire à se précipiter avec amour dans ses bras dès quils entendent parler de son existence[118].
Le cinquième blasphème contre lEsprit Saint, lobstination, est aisé à comprendre. Tout homme qui, face à face avec Jésus, sobstine à maintenir son choix définitif et lucide dans le sens de son égoïsme, se met librement en enfer. Et son enfer est éternel car, dans la lumière de Jésus, le choix est arrêté pour toujours. Il ny a pas de fin à lenfer car la personne obstinée veut demeurer sans fin dans son péché.
Quant à limpénitence finale, elle a été décrite au début de ce chapitre. Arrivé de lautre côté, lhomme du Moyen-Age ne se repent pas car, tout à coup, son péché lui paraît bon. Le seul motif qui le tenait dans linquiétude disparaît. Il na plus peur de lenfer.
Il ne faut pas confondre le péché contre lEsprit Saint dimpénitence finale avec limpénitence que lon observe parfois chez des mourants. Dans les années 1910, mourait un homme politique, adhérant du parti Radical socialiste, bon époux dune femme catholique. Il avait toute sa vie professé des idées opposées au christianisme. Il avait même adhéré à un groupe philosophique de type franc-maçon, sefforçant de construire un monde empreint des idées humanistes, liberté, justice sociale, solidarité. Ces trois idées ne sont pas en elles-mêmes opposées au christianisme mais elles saccompagnent dun athéisme pratique qui pourrait se traduire ainsi: «Vivons libres et respectons-nous les uns les autres afin de vivre heureux sur la terre avant que la mort ne nous détruise. Il en résulte à long terme une tolérance et un respect dautrui finalisés par... lamour de soi, afin de mieux trouver son bonheur individuel. La religion chrétienne, on le voit, implique une philosophie inverse.
Pour cet homme, la religion chrétienne comme toutes les religions lui paraissait conduire au fanatisme et à lobscurantisme et il savait à loccasion le prouver par des exemples bien documentés tirés de lhistoire. Puis il tomba malade et la maladie savéra sans guérison possible. Son épouse, angoissée par son salut, crut bien faire en appelant à son chevet un prêtre. Celui-ci vint et, sans le brusquer, avec toute la délicatesse voulue, lui parla de Jésus, du pardon, de la vie éternelle. Mais lhomme eut un geste terrible. Saisissant le crucifix, il le jeta à terre. Il se détourna et mourut quelques heures après. Ses frères Franc-maçons vinrent trouver sa femme et lui remirent une lettre-testament refusant les funérailles à léglise.
Devant les signes de son impénitence finale, son épouse crut en sa damnation éternelle. Elle en fut désespérée comme on peut lêtre pour un mari tendrement aimé. Elle écrivit à Monseigneur dHulst, qui était à lépoque très connu pour la qualité de sa direction spirituelle. Il la rassura en lui écrivant une lettre qui mérite dêtre citée car elle constitue historiquement la première allusion dun théologien à la possibilité dune révélation à lheure de la mort.
Dans ce dernier combat de lagonie, quand la pensée est lucide et la voix muette, quand le monde extérieur séteint autour du moribond et le laisse seul avec son monde intérieur, quand son oreille nentend plus ses paroles trompeuses destinées à le rassurer et que son âme entend la réponse de mort, qui lui dit la prochaine et terrible vérité, à cette heure dangoisse et de clairvoyance, il y a certainement une sollicitation suprême de la miséricorde. Il y a une apparition (je prends ce mot dans le sens métaphysique et le plus large), une apparition de Jésus. Il y a le souvenir, tout dun coup ranimé, de ces fragments épars dinstruction religieuse oubliés depuis lenfance, didées religieuses répandues çà et là dans la société et que lon rencontrait autrefois sur son chemin dindifférence. Tout cela sassemble, tout cela revit comme les ossements dEzéchiel, tout cela recompose une figure de la vérité qui soffre à lâme dans les traits bénis du Rédempteur.
Selon Monseigneur dHulst, cette grâce finale qui précède la mort est si certaine quon ne doit jamais désespérer du salut de personne.
De fait, que devint lhomme dont nous racontions la mort? Il fut sauvé et non seulement il le fut mais il devint grand dans le Ciel comme le deviennent ceux qui aiment beaucoup. Cest que le geste vis-à-vis du crucifix nétait pas celui dun homme pervers et obstiné dans son impénitence. Cétait celui dun incroyant sincère: Ne jugez pas, affirme Jésus, vous ne serez pas jugés. Selon notre homme, après mûre réflexion, Dieu ne pouvait pas exister. Le monde avec ses malheurs, la nature elle-même avec ses contradictions lui paraissaient avec évidence le fruit dun hasard. De Dieu, point! Lhomme, dans ce monde désespérant, lui paraissait plus malheureux que les animaux puisquil était conscient de tout cela. Quand il avait vu entrer ce prêtre dans sa chambre de mourant, il lavait rejeté avec pitié comme on rejette un marchand despérance. Puis il était mort, regrettant seulement de ne pas avoir menti extérieurement pour rassurer sa femme. Mais, arrivé devant lAu-delà, voyant dun seul regard la Vérité, il y avait adhéré immédiatement. Un homme au cur droit ne rejette pas lévidence, surtout quand elle donne sens aux scandales les plus obscurs de la vie terrestre. Allégresse devant lexistence du salut et larmes pour ses erreurs passées, telles furent les réactions de cet homme juste. Il neut même pas à passer par un temps de purgatoire car, ayant aimé toute sa vie son épouse de tout son cur, il sut immédiatement aimer Dieu.
Tout autre est limpénitence finale. Elle est le fait dun homme durci volontairement dans son péché, qui préfère froidement vivre en enfer éternel plutôt que de changer, et ceci face à la douceur de Dieu. Tous les blasphèmes contre lEsprit Saint sont dailleurs de la même espèce. Tous sont un refus réfléchi dun mariage damour éternel proposé par Dieu. Face à ce refus, Dieu ne se révolte pas. Il nimpose aucune punition et respecte la liberté de celui qui la rejeté. Il ne tente plus rien pour le sauver car il sait quil nexiste plus aucune action capable de le changer.
(Chose probable)
LÉcriture Sainte ne cesse de parler des tourments de lenfer, du feu, du ver rongeur, des pleurs et des grincements de dents... Lorsque nous disons que Dieu nimpose aucune punition au damné, nous entendons par là quil najoute rien de plus à ce quil souffre. Au contraire, les damnés sont vraiment laissés libres. Ils peuvent aller et venir comme ils lentendent dans lunivers, sauf sil sagit de nuire aux habitants de la terre. LÉcriture en témoigne à propos de Satan[120]: «Le jour où les Fils de Dieu venaient se présenter devant Yahvé, le Satan aussi savançait parmi eux. Yahvé dit alors au Satan: «Doù viens-tu » « De rôder sur la terre, répondit-il, et dy flâner. »
Jadis, des théologiens prenant dans un sens matériel les textes de lÉvangile imaginèrent un feu, des chaudrons, de la lave incandescente en enfer. Comment purent-ils penser Dieu à limage dun bourreau, déléguant pour sa vengeance les démons, tel un chef de camp de concentration? Une telle théologie, quand on la relit, constitue un véritable blasphème. De fait, en enfer, rien de tout cela nexiste, du moins pas comme on lentendait. Dieu respecte la liberté de sa créature et ne fait que seffacer humblement devant celui qui le rejette.
Cest le péché qui constitue la source de toutes les douleurs de lenfer. Il est possible de les décrire une à une, comme une série de cascades qui procèdent dun point unique : la privation de Dieu
Le feu de lenfer existe réellement. LÉcriture Sainte en parle avec netteté. Sa nature peut être précisément décrite, à travers des lois de psychologie spirituelle. Il nest pas dabord un feu matériel. Il sagit dune souffrance spirituelle liée à labsence de Dieu. Chaque âme, comme chaque ange ressemble à un vase dont louverture béante aspire à être emplie deau pure. Chaque âme est créée par Dieu pour être emplie de Dieu[122]. Il faut aller très loin pour comprendre. Notre âme dans son être même est trinitaire cest-à-dire quelle est faite pour que vienne sy loger le Père engendrant le Fils dans lEsprit Saint. Éloignée de ce pour quoi elle est faite, lâme souffre comme une terre asséchée en attente deau. Nous sommes faits ainsi.
Les conséquences de cette propriété de lâme se répercutent de manière consciente dans lesprit. Notre cur cherche un amour infini et cet amour nest autre que Dieu, même si nous lignorons. Notre intelligence cherche à connaître ce qui est vrai et cette lumière sans limite nest autre que Dieu. Sur la terre, nous ne ressentons que peu cette soif, ce feu. En effet, par de multiples occupations extérieures, il nous est possible de nous distraire et de penser à autre chose. Bien des hommes passent dailleurs leur vie à fuir ce feu quils sentent confusément prêt à apparaître[123].
Le feu que nous portons en nous quand nous sommes loin de Dieu est source des plus belles oeuvres poétiques car les artistes ont la capacité de sentir cette tension vers... quelque chose dignoré et dabsent : amour, beauté, éternité, toutes ces choses sacrées qui ne sont autre que Dieu[124].
Ceux qui se suicident sont bien souvent poussés par ce feu rendu si conscient quil se transforme en désespoir: lamour nexiste pas. Il ny a pas à en vouloir à Dieu pour cette souffrance qui ronge nos vies. Il ne nous a pas créés pour souffrir mais pour donner gratuitement la Vision béatifique. Après la mort, lorsque le corps a disparu, il nexiste plus aucun moyen détouffer ce feu. Toute absence de Dieu est ressentie comme une douleur, un malaise, un vide, un feu et un océan de glace incroyablement plus douloureux que tout ce quon peut imaginer sur terre. Cest ce feu, nous le verrons, qui purifie lâme au purgatoire.
En enfer, cest aussi ce feu de lâme lié à labsence de Dieu qui torture les damnés. Mais la situation est toute différente au purgatoire où lon aime Dieu. Toute la nature (la racine de leur être) des damnés désire Dieu. Ils restent hommes, donc faits par nature pour lAmour et la Lumière. Ils en brûlent dangoisse et de solitude.
Mais le choix libre de leur conscience et leur volonté est ainsi posé quils préfèrent subir cette torture de leur être éternellement plutôt que de se repentir. Ils ont décidé de manière définitive et lucide que jamais ils naccepteront les conditions de la Vision de Dieu, à savoir lhumilité et lamour. Ils ne cèdent pas et tournent en rond sur le vide de leur vie. Leur souffrance sexplique par ce manque naturel conjoint à ce refus volontaire, libre de Dieu.
Ces deux orientations sont contraires. Leur liberté soppose à leur être. Le frottement de ces deux orientations contraires les met en feu.
Ce feu est profondément spirituel. Il est la pire douleur quon puisse imaginer car il est une absence de sens à la vie. Le feu nest quen second lieu sensible. Les morts gardent leur psychisme, avons-nous dit. Le feu de lâme se répand dans les sentiments, bien avant la résurrection, à travers toutes sortes de passions, dangoisses, de fureurs.
La première conséquence du feu est quil obsède sans cesse la pensée des damnés. Imaginons la scène suivante, digne de Dante. Voici un damné. Il a choisi de rejeter Dieu et sa demande dhumilité et damour. Il sest tourné vers lenfer par obstination, décidé à ne jamais céder sur le point suivant. « Jopte pour une vie déternels plaisirs. Jy ai droit puisque je suis créé libre. Mais jamais, parce que suis quelquun de digne, je ne mabaisserai au repentir, à lamour pour lobtenir au paradis. » Son choix lucide a été ratifié. Il sait ce quil lattend en enfer.
Chaque jour, il court donc après son unique volonté, les plaisirs. Il rencontre un autre damné, aussi égoïste que lui. Ils se proposent mutuellement un acte de luxure. Ils sy essayent. Mais le plaisir ne vient jamais. Sa source est comme tarie. Leur colère perpétuelle, leur obsédante recherche deux-mêmes rend la chair ridée et triste. Tout est répugnant et se transforme en souffrance.
Alors apparaît le ver rongeur du remords. Le remords est tout à fait autre chose que le repentir. Juste avant son exécution, un prêtre demandait à un criminel sil regrettait lassassinat sauvage dune fillette. Il répondit oui. Le prêtre crut à un premier geste de repentir. Il avait tort. Le condamné ajouta: «Je me suis fait prendre. Si javais été plus prudent, je nen serais pas là. ». De même, les damnés regrettent amèrement de souffrir (le remords) mais ne cessent de blasphémer contre lEsprit Saint: Plutôt retourner au néant que daimer de cette manière si humble! (refus du repentir). Pour ne pas confondre repentir et remords, il suffit de se représenter les damnés comme des criminels qui regrettent davoir été mis en prison mais préfèrent y rester plutôt que de se repentir de leur crime.
Lorsquil sagit de réalités spirituelles, lÉcriture a lhabitude de sexprimer par mode de métaphore. Elle rend plus accessible aux hommes des réalités qui par nature les dépassent. Cest ainsi que «le bras de Dieu» ne signifie pas que Dieu ait un bras comme nous mais quil a la puissance dagir dans le monde. Il en est de même pour les pleurs ou les grincements de dents. Ils expriment avant tout sous un mode sensible un état permanent de lesprit et du psychisme des damnés, même si, après la résurrection des corps, ils prendront une vérité propre puisque les pensées et la sensibilité des passions se répercuteront jusque dans les actes extérieurs du corps.
Auparavant, on peut dire que les damnés pleurent et grincent des dents dune manière passionnelle. Par les pleurs, lÉcriture veut exprimer la souffrance extrême provoquée par le feu de lenfer et par le remords car cest par les pleurs que sexprime habituellement la souffrance. Par les grincements de dents, elle veut exprimer létat permanent de révolte et de rancur contre tout ce qui soppose à leur volonté perverse. Ils se révoltent en particulier contre la peine du lieu matériel de lenfer qui, en les empêchant de nuire aux vivants, les empêche dagir à leur guise dans le monde. Ils se révoltent aussi contre les volontés de Dieu quils savent être cause première de leur emprisonnement.
Comme tout ce que dit lÉcriture à propos de lenfer, les ténèbres extérieures signifient avant tout une peine spirituelle, même si elles prennent, après la résurrection de la chair, une signification corporelle.
Ainsi la lumière et les ténèbres se rapportent à un bien de lintelligence, à savoir à la connaissance qui est une lumière pour le jugement. On doit donc dire que les damnés, après leur jugement, connaîtront certaines choses et en ignoreront dautres.
Ils connaîtront tout ce qui est nécessaire à la justice de leur sentence éternelle. Ainsi, un condamné doit savoir pourquoi il est condamné et à quelle peine il est condamné. Une telle science, les damnés la reçoivent avant même le jugement dernier, et ils la reçoivent en plénitude par apparition de lhumanité Sainte du Christ. Ils savent donc et noublient jamais que Dieu existe, puisquil propose aux humbles la vision de son essence, quil réprouve les orgueilleux et les punit avec les peines éternelles de lenfer. Ils expérimentent dailleurs ces peines dans leur âme à chaque instant. Sous ce rapport, les damnés ne sont pas dans les ténèbres.
Cependant, après avoir été plongés dans la séparation davec Dieu, les damnés ne peuvent plus rien connaître du monde extérieur à lenfer, sauf si une disposition particulière de la miséricorde ou de la justice divine en décide provisoirement autrement. Même dans ce cas, on peut dire quils sont dans les ténèbres extérieures puisque, sils voient le bonheur des élus, ils sont incapables den connaître la cause qui est Dieu. Cette vision est plutôt source pour eux dun surcroît de souffrance à cause de lenvie qui les dévore. Cest pourquoi elle nest donnée à tous sans exception quune fois, lors du jugement général qui manifestera aux yeux de lunivers entier les secrets les plus cachés, le bien et le mal du cur de chacun. Cest donc par miséricorde que permet que les damnés fuient librement la vision du festin éternel des élus, pour ne pas multiplier inutilement les pleurs et les grincements de dents.
Pourtant, les damnés ne souhaitent pas fuir dans des lieux déserts. Ils veulent soccuper, agir, pour échapper à la considération éternelle de leurs obsessions. Cest cette absence de Dieu et le feu qui en résulte qui poussa jadis les démons à supplier Jésus de les envoyer dans un troupeau de porcs plutôt quen enfer[127]. Toute activité extérieure, même le fait de faire du mal, soulage les damnés de la perpétuelle obsession de leur angoisse; lenfer nest en fait que leur propre cur vide que ne parvient pas à combler la présence égoïste des autres damnés.
La plus grande crainte dun damné, cest de rencontrer un saint du Ciel. Lhumilité et le bonheur qui rayonnent des compagnons de Dieu le rendent malade. La simple évocation de cette pensée le déchire. Il y a peu de chance pour que cela arrive. La place est immense dans la maison de Dieu. Avant comme après la résurrection de la chair, le lieu de lau-delà sera lunivers dans son ensemble. Mais, aussi gigantesque soit cette immensité, les saints ne cesseront de parcourir, tels des flammes rapides, sextasiant des merveilles inventées par Dieu, y ajoutant leurs propres constructions.
Pour éviter toute rencontre malencontreuse, où pourront se réfugier les damnés ? Quels recoins secrets chercheront-ils pour ne jamais être confrontés à ce qui les met en rage ? Certains théologiens de jadis pensaient au cur enflammé et ténébreux des astres. Ce nest pas du tout absurde.
Si la psychologie des damnés les amène à cette extrémité, alors cest la lettre même des Évangiles, au sens le plus matériel, qui sera réalisée. « La Bête fut capturée, avec le faux prophète - celui qui accomplit au service de la Bête des prodiges par lesquels il fourvoyait les gens ayant reçu la marque de la Bête et les adorateurs de son image, - on les jeta tous deux, vivants, dans létang de feu, de soufre embrasé. » Ils vivront dans un étang matériel de feu. « Car je vous le dis, en vérité: avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur li, ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. »[129]
Y a-t-il beaucoup dâmes en enfer? Toutes les opinions ont été soutenues. Certains affirment sans ambiguïté que ceux qui se damnent sont la majorité, selon cette parole de Jésus: «Il est large le chemin qui mène à la perdition et ils sont nombreux à sy engager. Mais il est étroit le chemin qui mène au salut et bien peu lempruntent[131].» Il est vrai que lexpérience de tous les jours semble la confirmer: parmi les chrétiens eux-mêmes, combien ont réellement découvert lexistence de la prière, condition impérative à lexistence dune véritable Vie divine? Mais il est excessif daffirmer que tous ceux qui ne sont pas encore nés à cette vie ou lont oubliée sont damnés pour léternité. Une chose est de sengager sur la voie de la perdition, autre chose est dy demeurer obstinément à lheure de sa mort. Dautres au contraire affirment que nul ne va en enfer, que les démons eux-mêmes seront sauvés un jour car Dieu est amour. Cette opinion se trompe de perspective. Ce nest pas Dieu qui veut lenfer mais cest lhomme et le démon qui le créent et sy enferment. Quand bien même Dieu sobstinerait à proposer aux damnés son pardon en les poursuivant jusquau fond de leur égoïsme, il nobtiendrait que du mépris. Cette poursuite serait inutile et source pour eux de souffrance supplémentaire car cest justement le fait que Dieu est amour qui les ronge.
Il semblerait que la vérité soit plutôt ici. Si lon observe les hommes, on saperçoit que parmi les chrétiens comme parmi les autres, très peu ont choisi de vivre de la recherche exclusive du bonheur des autres (que cet autre soit Dieu ou le prochain). Les êtres dotés dune telle bonté et humilité sont rares. De même, très peu dhommes sont capables dune recherche exclusive de ce que leur suggère légoïsme. Il existe sans doute parmi les croyants comme parmi les athées des êtres au cur définitivement durci mais la majorité, limmense majorité ne vit dans légoïsme que par ignorance des projets de Dieu selon cette parole de saint Paul[132]: «Mangeons et buvons car demain, nous mourrons. Dautres sont entraînés par la faiblesse de leur nature et deviennent esclaves de ce quils croient être nécessaire au bonheur, plaisirs, honneurs, pouvoir. Chaque âme humaine se réalise autour dintentions sans cesse modifiées par la vie. La plupart dentre nous passe dun égoïsme attentif aux autres à une attention aux autres mêlée de recherche de soi. En définitive, nous sommes tièdes.
En conclusion, on peut dire que bien peu dhommes vont en enfer car le blasphème contre lEsprit Saint implique un orgueil bien difficile à conserver au terme dune vie terrestre et devant lapparition glorieuse de Jésus. Bien peu dhommes vont directement au paradis, car la toute petitesse est rare. Curieusement pourtant, elle est plus fréquente chez les pécheurs écrasés par la vie que chez les croyants trop sûrs de leur perfection: Les prostituées et les pécheurs nous devancent dans le Royaume des Cieux. En effet, lhumilité, même si elle trouve son origine dans lhumiliation et non dans la fréquentation de Jésus, dispose au salut. Il en est de même de toutes les formes de bonté, quelle soit purement philanthropique, bouddhique, musulmane ou marxiste, car selon la parole de Jésus[133]: «Ce que vous avez fait au plus petit dentre les miens, cest à moi que vous lavez fait. Au paradis, nous verrons des prostituées comblées dune gloire immense et des théologiens de lÉglise devenus tout petits pour sêtre trop préoccupés de bavardages. Jésus seul peut nous sauver mais il nélève que les humbles.
Quant à la grande majorité des hommes, elle est sauvée mais après un temps de purification. La plupart dentre nous apprendra au purgatoire à aimer avec limpidité, sans retour sur soi. Toutes nos oeuvres qui nauront pas été bâties avec lor de la charité mais par le bois et la paille du péché seront purifiées.
(Chose certaine)
Lexistence du purgatoire déchaîne des passions. Dans lÉglise catholique, depuis les années 1950, des théologiens se sont plu à enseigner quil sagissait dune invention du Moyen Age. Il est clair que cest au XIVème siècle que les papes successifs le définissent solennellement. Le pape Clément VI écrit[135]: «Nous croyons que cest au purgatoire que descendent les âmes de ceux qui meurent en état de grâce et qui nont pas encore satisfait pour leurs péchés par une entière pénitence. De même, nous croyons quelles y sont tourmentées par un feu pour un temps et que, dès leur purification, avant même le jour du jugement, elles parviennent à la véritable et éternelle béatitude qui consiste à voir Dieu face à face et à laimer.»
Martin Luther fit de la négation du purgatoire lun de ses chevaux de bataille. Mais il ne le fit que tardivement, pour une raison quil prétendit liée à sa fidélité à la Bible. De fait, ce fut pour une toute autre raison, théologique et non scripturaire.
LÉcriture Sainte suggère en effet à plusieurs endroits lexistence dune purification possible après la mort. Le livre des Macchabées nest pas reconnu par la Réforme. Pourtant, il en parle explicitement[136]: «Cest une sainte et salutaire pensée que de prier pour les défunts, afin quils soient délivrés de leurs péchés.» Saint Paul, dans lépître aux Corinthiens[137], a un langage plus imagé pour le décrire: «Quant à lhomme qui aura bâti sa maison avec du bois, du foin, de la paille, il sera sauvé, mais comme à travers un feu.»
Luther était moine. Depuis sa jeunesse, il avait vécu des années dangoisse. Il était obsédé par son incapacité à détruire ses péchés dominants. Or il croyait sincèrement, appuyé sur la parole de ses maîtres, quon ne pouvait être sauvé sans être moralement parfait. Cétait une théologie « pharisienne». Lexpérience de la confession, pratiquée dans son couvent augustin, ne lui apportait rien. Loin de lui faire découvrir la miséricorde patiente de Dieu, elle le remettait face à son imperfection. Il confessait toujours les mêmes péchés et, devant son peu de progrès, il se croyait damné. Or il tomba sur une parole de saint Paul: «Car en lui la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit: Le juste vivra de la foi.» Ce fut léclair de sa vie. Il fonda tout son rapport à Dieu sur lintuition suivante: « Pour être sauvé, il suffit à lhomme de mettre sa confiance (sa foi) en Dieu. Rien dautre ne lui est demandé car lhomme ne peut absolument rien faire pour lui-même.» La découverte lavait libéré de toutes ses tortures morales. Il y avait enfin trouvé la paix. « Peu importe mon péché, se dit-il, je suis sauvé parce que Dieu me sauve. Il me suffit den avoir la pleine confiance.»
Il développa par la suite toute la logique de la théologie réformée. Il rejeta le purgatoire, avant comme après la mort, à cause de la logique de sa position. Si lhomme ne peut plus rien faire pour lui-même, à cause du péché qui a détruit totalement sa capacité à agir pour son salut, alors il ne peut y avoir aucune purification. Lhomme a été réduit à létat dun enfant et sa seule participation au salut consiste à se laisser emmener au ciel en abandonnant le poids mort de son âme, avec confiance, dans les mains de Dieu qui le prend.
(Chose certaine)
Pour les catholiques et les orthodoxes, le salut vient certes de Dieu. Cest lui qui vient en premier chercher lhomme. Mais, en lui communiquant sa grâce, il le remet debout. Il lui permet une véritable amitié. Elle doit être réciproque, avec toutes les qualités surprenantes de lamitié humaine. Cela se fait étape par étape, exactement comme dans un couple, lamour ne cesse dévoluer et, normalement, de sapprofondir. Le jeune homme plein de délicatesse qui nagit que porté par le plaisir sensible que fait éclater la présence de son amie aime moins que le vieil homme fidèle et indifférent aux plaisirs lorsquil est au chevet de sa femme devenue malade. De même, au terme de la purification, lhomme devient égal de Dieu en ce sens que Dieu écoute son ami, comme lami écoute Dieu.
Cette théologie frappa les Pères de lÉglise au point quils virent les étapes successives qui conduisent à lamitié parfaite pour Dieu sous limage de léchelle de Jacob. Le livre de la Genèse raconte que le petit-fils dAbraham, Jacob eut un songe[138]: «Voilà quune échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit: «Je suis Yahvé, le Dieu dAbraham ton ancêtre et le Dieu dIsaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donne à toi et à ta descendance.» Il sagissait là, selon eux, de vie humaine dans sa progression, pas après pas, vers la vision de Dieu
(Chose probable)
En piochant à travers la tradition la plus lointaine de lÉglise, on arrive à discerner lexistence de six demeures du purgatoire. Il sagit de six étapes successives. Lhomme nest pas obligé de passer par toutes. Lessentiel est, quau terme, lamitié (Agapé) pour Dieu et le prochain soit devenue tout humble.
Les deux premiers purgatoires sont caractérisés par le fait que le Ciel et ses habitants se cachent. Ce sont les purgatoires du « silence de Dieu »[139], les purgatoires de lombre.
1. La première demeure est la vie terrestre. Elle est la plus terrible en ce sens que lhomme nest même pas sûr de sa simple survie après la mort. Il est dans lignorance totale sauf sil accepte de croire: «Heureux celui qui croit sans avoir vu »[140].
2. La deuxième est le domaine des âmes errantes. Cest un lieu que la Bible appelle « le territoire des ombres [141]» ou ailleurs le « shéol [142]». Lhomme constate que la mort ne conduit pas au néant. En ce sens, il na plus peur. Mais Le shéol est le plus douloureux des purgatoires en ce sens quil erre sans but dans une solitude qui paraît ne jamais devoir sarrêter. Il est inquiet et tremble à lidée que Dieu ou les dieux sont des forces hostiles dont il ignore la nature.
Les quatre derniers purgatoires sont caractérisés par le fait quune connaissance totale de la Révélation est donnée. Ce sont les purgatoires de lumière. Les âmes qui y séjournent sont amoureuses de Dieu. Elles sont conscientes de limmensité de leur indignité. Elles souffrent dun immense repentir, à cause de leur grand amour. En ce sens, ces quatre purgatoires sont les plus terribles de tous. Pourtant, leur humilité pose problème.
3. Le premier est vécu à lheure de la mort. Il sagit de lApparition du Christ, accompagné des saints et des anges. Nous lavons longuement décrite. La puissance de sa vision provoque un tremblement apocalyptique dans lâme, plus puissant que tout.
4-5-6. Dans les trois derniers, nous entrons dans les trois purgatoires mystiques décrits par sainte Catherine de Gênes[143].
(Chose certaine)
Il est à noter que ces six purgatoires sont marqués par le sceau de la croix, de la souffrance. Peu de religions donnent une explication de la souffrance. LIslam appelle à la confiance et promet lexplication pour lau-delà. Le bouddhisme donne plutôt une explication philosophique et panthéiste. Quant au catholicisme, à la différence des Églises protestantes, il propose au niveau de son magistère une théologie unifiée (souvent critiquée par les fidèles eux-mêmes). LÉvangile éternel de Dieu donne sens à tout en théologie chrétienne[145].
Concrètement, personne ne peut entrer dans la vie éternelle à de telles conditions. Lhumilité et lamour exigées sont impossibles à lhomme. Il est possible de devenir un peu humble et aimant par soi-même. Il suffit de considérer avec réalisme la petitesse de notre condition humaine. Mais il est impossible de devenir tout humble et tout amour, dans la mesure voulue par Dieu. Cette mesure est expliquée par Jésus à la croix où il meurt pour des gens qui ricanent de lui. Il les sauve alors même quils le défient « de descendre de sa croix puisquil en a sauvé dautres. [146]» Qui est capable dun tel amour? Mais, explique Jésus après une question de ses disciples sur ce thème, ce nest pas impossible à Dieu.
La première étape utilisée par Dieu consiste à faire passer lhomme par la vie terrestre[147]. Cette vie est, on le constate, obligatoirement marquée par la souffrance puisquelle est fragile, dépendante des aléas du hasard et quelle sachève par la mort. De plus, lexistence de Dieu et dune survie après la mort peuvent y être mises en doute. Le silence de Dieu et du Ciel sont une des épreuves les plus étonnantes de la terre. Beaucoup dailleurs en concluent non sans un certain bon sens: «Dieu ne peut exister et être amour. Le monde ne serait pas ainsi».
Pourtant, si lon étudie avec attention les écrits de la plupart des théologiens canonisés par lÉglise, la vie terrestre et ses souffrances sexpliquent justement par le mystère de la Trinité.
Lhumanité entière peut être comparée au Golgotha, cest-à-dire à la colline du calvaire où fut crucifié Jésus avec deux bandits. Une partie de nous (la partie orgueilleuse et égoïste) est représentée par le mauvais larron. Il blasphème et insulte pour sa souffrance. Il meurt comme les autres et, en mourant, il touche du doigt la misère de ce quil est vraiment. Cette humiliation a des chances de créer en lui un peu dhumilité, ce qui est déjà un premier pas vers le salut, tel que nous lavons exposé plus haut. Ainsi, en étant écrasé, malgré sa révolte, lorgueilleux qui sommeille en nous peut être un peu humilié. Nest-ce pas une disposition à lhumilité?
Le bon larron représente ce qui est droit en nous. En effet, il est déjà juste: «Je paye pour ce que jai fait. Cest justice.» Dans sa souffrance, il se tourne vers Dieu et appelle un salut, malgré son péché. Il est humble. Il désire la vie. Sa souffrance fait augmenter son désir dun salut. Il laura certainement juste après sa mort, lui promet Jésus. La souffrance provoque chez le juste un appel de lespérance. Cest mieux quune simple humiliation. A lheure où le Christ lui apparaît, lhomme assoiffé se précipite vers lui puisque, sans le savoir, cest lui quil appelait.
Quant à Jésus, il représente les chrétiens, cest-à-dire ceux qui savent quil ny a quun seul commandement: «aimer Dieu et le prochain » et qui sefforcent den vivre. Être chrétien présente en fin de compte un seul avantage certain. Nous savons où nous allons et nous le vivons déjà. Peu en tirent les conséquences. Faire de sa vie un acte doffrande pour cet amour. Mais cela sappelle la sainteté.
La souffrance est donc un mal mais son effet peut être un bien, affirme Jean-Paul II[148]. La souffrance, même quand elle nest pas acceptée, creuse le cur dans le sens de lhumilité (je ne suis rien) et du désir (désespéré parfois) dun amour qui sauve.
Cette analyse permet de comprendre beaucoup denseignements curieux de Jésus:
Les premiers seront les derniers pour la même raison. Il est difficile, quand on reçoit la gloire ici-bas, de comprendre quon nest pas grand chose (humilité).
Il est plus difficile à un riche dentrer dans le Royaume de Dieu quà un chameau de passer dans le trou dune aiguille». Aux yeux de Jésus, un riche se comprend comme un riche au point de vue du cur. La richesse matérielle, le pouvoir, dans la mesure où ils rendent arrogants, sont un danger pour la vie éternelle. En fin de compte, un enfant mort du Sida au Rwanda serait mieux disposé à lhumilité quun riche homme daffaire occidental (au XIXème siècle, au nom de cette théologie, certains patrons se servaient de ce genre de propos pour justifier la mise en esclavage des ouvriers.). On voit à quel point le message évangélique porte en lui du scandale pour la sagesse naturelle des habitants de ce monde.
Si vous ne devenez pas comme ces petits enfants que voici, vous nentrerez pas dans le Royaume de Dieu». Interprétation évidente au plan du symbolisme de lenfant.
Attention, cette théologie est un scandale, dit saint Paul [149]: « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, cest le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.»
En théologie chrétienne, cela paraît logique. Mais dès quon applique au concret du destin de chacun, cela devient insupportable au point que saint Paul parlait du « scandale de la croix » et que sainte Thérèse dAvila disait: «Pas étonnant que Dieu ait si peu damis». Voici, à travers lexemple du martyre des enfants tuées par Marc Dutroux[150], ce que cela devient: «Il est possible de dire que, aujourdhui que là où elles sont, les enfants ne regrettent pas dêtre passées par une telle souffrance, non à cause de la souffrance elle-même, qui est un mal, mais à cause des effets de maturation du cur quelle a produite. LApocalypse de saint Jean dit On ne se souviendra plus des larmes dici-bas. On se réjouira de laction de Dieu car il aura lavé nos vêtements dans le sang de Jésus». Pourtant, elles ont été totalement écrasées par la souffrance. Elles sont mortes dans la misère, sans avoir de réponse de Dieu à la supplication de leur prière. On peut dire que leur mort ressemble à celle de Jésus, puisquelles ont été totalement détruites aux plans physique, psychologique et spirituel. Mais juste au moment de leur mort, le Ciel tout entier est venu les chercher. Elles ont vu Jésus, accompagné des anges et des saints, de leurs proches déjà décédés. Cétait un accueil dune beauté et dune tendresse inouïe. Elles ont compris son projet, la raison de leur mort et la raison de son silence. Un tel amour, quelles nespéraient même plus, a enflammé leur cur. Autant elles avaient subi labandon, autant elles se sont jetées avec force dans les bras de Dieu. Leur amour est devenu intense comme celui de nul autre car leur humilité et leur désir, provoqués par leur souffrance, sétait considérablement creusé. Or, on voit Dieu à la mesure de son désir de le voir (donc de son amour). Plus notre cur est grand (attiré par lamour), plus il peut être rempli de Dieu. Ces petites filles sont devenues certainement de grandes saintes du Ciel auprès de Dieu.»
Face à cette explication, on comprend que certains chrétiens fervents aient pu se révolter, rejeter par moment cette « paternité de Dieu », tout en en comprenant intellectuellement les raisons. Leur attitude est juste. Il est au contraire peu intelligent, disait saint Paul, de cacher ce scandale de la croix.
Prenons garde, cette théologie est facilement déviée de son sens. Cette théologie, quand elle devient concrète, est si verticale et scandaleuse que peu de théologiens osent encore lenseigner aujourdhui. Seul le pape Jean-Paul II, face aux souffrances terribles après lattentat de 1981, sestima en droit den parler. Dautre part, comme elle constitue le sommet de la théologie chrétienne, elle est très facilement déviée de son sens. On peut la comparer à une crête entre les deux versants dune montagne verticale: dun côté se trouve le sadisme, de lautre le masochisme.
Exemple: Certains chrétiens ont mal compris cette propriété des souffrances. Pour devenir saints, ils se sont imposés des souffrances et de multiples pénitences. Sainte Marguerite-Marie se torturait volontairement pour devenir plus humble et pour offrir. Elle fut reprise par son confesseur: «Ceci ne produira que de lorgueil et de la dureté». En effet, loin de produire de lhumilité, un tel comportement produit une impression (inconsciente dabord) quon est un saint, quon se comporte bien. Ceci sappelle lorgueil.
Exemple 2: Le XIXème siècle vit une partie du clergé prêcher aux ouvriers esclaves ou aux femmes battues lacceptation de leur sort en vue de la récompense qui viendrait un jour. Ce fut une erreur grave qui produisit le marxisme et sa condamnation de la religion « opium du peuple.» Cela produisit au XXème siècle la ruine du mariage source de lesclavage féminin. Ces prêtres commettaient une erreur théologique car la vie ne consiste pas seulement à aimer Dieu dans son paradis mais à aimer son prochain et la justice ici-bas. Les ouvriers navaient pas à accepter lesclavage, et ceci en tant que chrétiens (voir lencyclique du pape Léon XIII). Les femmes navaient pas à se faire servantes soumises mais épouses complémentaires, ceci par amour même de leur mari.
A la lumière de cette présentation de la vie terrestre, il est possible de comprendre à quel point lavortement volontaire provoque dans le magistère de lÉglise une véritable douleur. En privant volontairement un enfant de la vie terrestre, les chrétiens croient parfois bien agir. Ne sont-ils pas dispensés dune vie de souffrance? Les conséquences pour les enfants sont pourtant en partie irrécupérables. Si lÉglise catholique dans son Magistère soppose avec tant de force à lavortement, cest quelle croit de toutes ses forces que cet être quon fait disparaître, bien que doté en apparence dune seule vie biologique, a déjà certainement reçu son âme spirituelle. Cette âme, siège de lintelligence et de lamour, nest autre que ce qui survit à la mort. Abraham, Adam et Ève existent actuellement, pensent et aiment parce quils sont « âme ». Son existence ne peut être mise en doute au plan de la révélation. Le Christ en a parlé explicitement plusieurs fois, en particulier en disant à lhomme crucifié à sa droite «aujourdhui, avec moi, tu seras dans le paradis » (sous-entendu: sans ton corps).
Un doute subsiste cependant dans lenseignement de lÉglise: quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à lenfant? Au XIIéme siècle, saint Thomas dAquin penchait pur le sixième mois après la conception. Nétait-ce pas le moment où Jean Baptiste visité par Marie avait tressailli dans le ventre de sa mère? Sil en était ainsi, lavortement jusquau sixième mois ne serait pas « un crime abominable.» Il ne serait pas un crime au sens strict, un homicide, mais un simple péché contre la vie à venir et non encore venue. Saint Thomas navait pas à son époque tous les instruments de la foi dont nous disposons aujourdhui. En 1854, le pape Pie IX proclamait comme une certitude venant den-haut lImmaculée conception de la Vierge Marie. Cette révélation semble être sans rapport avec lavortement. Il nen est rien. Le fait que Marie est immaculée dans sa conception signifie quelle vivait, dès sa conception, de la présence de Dieu, de la même manière que Ève en vivait au jardin dÉden. Si Dieu était là, cest donc que Marie le recevait dans son âme. Le fait, dautre part, que la conception de Marie est fêtée le 8 décembre, soit neuf mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce quil faut entendre par conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à naître. Tout indique donc que, pour elle comme pour eux, âme est donné par Dieu dès le moment de la conception.
Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère, lavortement quel quil soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une dimension vertigineuse. Ce nest pas quun morceau de chair qui disparaît mais un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il ny a aucune différence de fait entre les saints innocents de lévangile (tués par Hérode) et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas ce quil advient de lenfant, de fait, il sagit dun homicide. Il ny a pas de péché chez la mère si elle ignore ce quelle fait, mais il va de la mise à mort dun homme.
Que deviennent ces enfants? Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison: « Un petit enfant, cela ne se damne pas [151]». Elle montrait que lhypothèse des limbes éternels émise par saint Augustin se méprend sur Dieu. Dieu na pas besoin quun enfant soit baptisé avec de leau pour lui donner le baptême de su présence. Mais tout homme, quel quil soit (même un embryon), entre dans le royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de Dieu. Plus le cur de lhomme aune Dieu et désire le voir, plus il le voit. Or, il existe une voie dont lutilité est de creuser le désir du cur de lhomme, cest celle de la vie terrestre. La vie terrestre est donc utile aux hommes. Si la vie terrestre est voulue par Dieu, cest quelle est utile. Quant au petit enfant mort avant davoir vécu, lorsquil est accueilli par le monde des saints, il ne le rejette certes pas. Mais il sy porte avec un petit désir dinnocent, avec un cur qui na pas eu le temps dêtre préparé. Son éternité sen trouve directement modifiée. Il reste pour toujours, en un certain sens un handicapé du cur. Doù la gravité, pour un croyant de lacte davortement volontaire.
Il en est de même pour le suicide[152] ou leuthanasie. Lorsquun croyant sincère arrive aux portes de la mort, que la souffrance physique et morale latteint, il va sefforcer de la soulager (il ne sagit pas dêtre masochiste, le masochisme ainsi vécu étant très présomptueux...) Mais quel motif peut exister en lui pour continuer à vivre?
Comme pour tout homme, il peut parfois ne plus exister de motif naturel: Amour de la vie, présence des proches etc. Mais il peut subsister un motif surnaturel. La mort est école dhumilité. Nul napprend ce quil est vraiment sil na jamais souffert. Le temps qui précède la mort semble même être ressenti par certains saints comme la chance ultime dêtre sauvés de leur orgueil incontrôlable. Lexemple du cardinal de Lubac est significatif. Ce grand prédicateur du XXème siècle fut atteint vers la fin, dhandicaps humiliants tel lincontinence. Il écrivit à son confesseur jésuite: «Mes handicaps sont ma dernière planche de salut. Grâce à eux, je comprends maintenant à quel point mon âme était en danger.» Il était conscient quil aurait pu, tant sa fierté dêtre connu lavait nourri, être parmi ces hommes dont parle Jésus [153]: «Beaucoup me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, nest-ce pas en ton nom que nous avons prêché? En ton nom que nous avons chassé les démons? En ton nom que nous avons fait bien des miracles? Alors je leur dirai en face: Jamais je ne vous ai connus; écartez-vous de moi, vous qui commettez liniquité.»
Est-ce à dire que le chrétien ne peut être tenté de se suicider dans ce cas? Il est évident que non. Le chrétien est homme. Il na quune chose de plus que le non-chrétien: il sait Qui il aime. Sainte Thérèse de lEnfant-Jésus fut atteinte de tuberculose étouffante, séparée de toute consolation venant de Dieu et de ses surs, cette petite religieuse eut envie de se suicider. Elle ne le fit pas par seule fidélité à sa foi. Elle est patronne des désespérés.
(Chose indécise)
Les religions les plus primitives, de lOrient à lOccident, étaient animistes. Elles enseignaient que lâme des morts, loin de partir dans un autre monde, restaient sur la terre où elles erraient sous forme dombres. Effrayés par ces présences, les vivants confiaient à leurs prêtres (les chamans) la charge déloigner les morts. Ils utilisaient une série de rites afin quils installent leur errance sans fin dans les lieux déserts, dans les forêts et les vallées séparées. Job témoigne de cette croyance dans plusieurs textes[155]: «Comme la nuée se dissipe et passe, qui descend au shéol nen remonte pas. Il ne revient pas habiter sa maison et sa demeure ne le connaît plus.» Les anciens européens gardaient cette croyance. Lorsquils étaient témoins de quelque phénomène de maison hantée, ils émettaient lhypothèse de la présence dune âme en peine .
LÉglise catholique nignore pas cette tradition. Elle ne lenseigne pas explicitement par la voix de son Magistère. Elle reconnaît quil sagit de cas réels puisquelle prévoit dans le rituel loffrande de messes et de prières spéciales dans des cas semblables. Elle possède une procédure spécifique face aux phénomènes de revenants. Lenquête précède la prière, qui délivre les âmes de leur errance. Selon certains théologiens, un revenant nest autre quune âme soumise au purgatoire, sur le lieu même où elle a péché. « Certains morts ne passent pas dans lautre monde mais restent sur le lieu même où ils ont péché. Ceci ne concerne pas nimporte qui mais uniquement un certain nombre dhommes particulièrement épais au plan moral.» Que ce soit un milicien criminel ou un moine infidèle, Dieu peut, par la puissance de ses anges, le maintenir un certain temps en lien avec notre monde.
Le phénomène du shéol est objet de révélations privées chez les saints. On en trouve des traces jusquà une époque reculée de lhistoire de lÉglise. Saint Bernard, dans la vie de saint Malachie, en cite un. Ce saint raconte quil vit un jour sa sur. Or elle était trépassée depuis quelque temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière. A cause de ses vanités, des soins quelle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la messe pendant trente jours. Ce terme expiré, il revit de nouveau sa sur. Cette fois, elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de léglise, sans doute à cause de ses irrévérences dans le lieu saint, peut-être parce quelle avait détourné les fidèles de lattention des mystères sacrés, pour attirer sur elle la considération et les regards. Elle était profondément triste, voilée de deuil, dans une angoisse extrême. Le saint célébra de nouveau le sacrifice pour elle durant trente jours, et une dernière fois elle lui apparut dans le sanctuaire, le front serein, rayonnante, vêtue dune robe blanche. Lévêque reconnut à ce signe que sa sur avait obtenu sa délivrance.
Que peut-il arriver à un mort pour quil erre ainsi sur terre? Lexplication est simple. Certaines personnes sont surprises par la mort alors quelles sont totalement attachées à la terre. Une parabole de Jésus illustre leur mentalité[156]. « Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Et il se demandait en lui-même. Que vais-je faire? Car je nai pas où recueillir ma récolte. Puis il se dit. Voici ce que je vais faire. jabattrai mes greniers, jen construirai de plus grands, jy recueillerai tout mon blé et mes biens, je dirai à mon âme. Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu lui dit. Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui laura? » Lorsquun tel homme meurt, il lui arrive la chose suivante. Il se réveille bien vivant. Il possède toujours un corps, il a des mains, des yeux pour voir. Nous avons montré que le psychisme et le corps double qui en est le siège nest pas détruit à la mort[157]. Mais lorsquil essaye de saisir ses richesses, elles lui échappent. Son or nest plus palpable. Les plaisirs de la chair le fuient aussi car il a perdu le sens du toucher. Les honneurs lui deviennent inaccessibles. On ne le voit plus. A ce moment, le ciel souvre pour lui. La lumière du Christ apparaît et se met à exercer son attraction. Tout homme sensé comprendrait. Abandonnant ses biens, il se tournerait vers le passage et quitterait ce monde pour lautre. Dans le cas qui nous occupe, il nen est rien. Lattachement à la terre est si grand quil semble ne pas voir la Lumière. Au contraire, paniquée à lidée de tout perdre, lâme de cet homme se met à tourner et retourner dans les lieux de sa vie. Alors le Christ, respectant son aveuglement, sefface. Sa Lumière disparaît provisoirement et le mort se retrouve entre deux mondes.
On le voit une telle attitude nest pas le fait de nimporte qui. Seules des personnes extrêmement mondaines ou matérialistes peuvent se trouver piégées de la sorte. Il faut même une mondanité névrotique, cest-à-dire maladive. Il faut un tel attachement à la terre quon en oublie de considérer lapparition visible du Ciel. Toute personne un peu sensibilisée aux choses spirituelles échappe à cette étape du purgatoire[158]. Toute personne qui trouve un motif psychologique ou moral pour fuir la rencontre avec lAmour, peut se retrouver dans cet état. Il ne faut pas confondre létat de ces morts avec celui des damnés. Ce sont des personnes psychologiquement esclaves de leurs vices alors que les damnés se lient dans une parfaite liberté à un choix de leur volonté. Les âmes errantes sont névrosées alors que les damnés rayonnent dune liberté mauvaise.
Dans les temps anciens, alors que lhumanité se débattait dans son enfance[159], le phénomène du shéol était beaucoup plus fréquent. Pourtant, il nétait pas universel. Certains morts entraient déjà dans un certain paradis, non encore complet, que la Bible appelle « le sein dAbraham »[160]. La religion de lÉgypte antique témoigne quà cette époque reculée, lhomme juste ne restait pas en perpétuelle errance sur la terre. Au contraire, il était accueilli par un dieu mystérieux, appelé Anubis, et qui ressemble fort à lange de la mort. Il le conduisait devant le tribunal où Osiris. Ce dieu mort et ressuscité pesait son cur. Osiris et son épouse aimante Isis étaient une préfiguration évidente du Christ à venir. Si le cur était trouvé plus léger que la plume de Maât (la droiture), lhomme était introduit au paradis[161]. De nos jours, le phénomène na pas disparu. Il semble même en recrudescence tant le monde se matérialise. Une religieuse dotée de dons de voyance prophétique, Clémence Ledoux[162], visitait dans les années 1960 le château de Versailles. Elle fut saisit à la vision de nombreuses âmes, en costume du grand siècle. Elles emplissaient tristement ces lieux. Une telle vision na rien détonnant. Louis XIV prit conscience trop tard, à la fin de sa vie, à quel point son amour des apparences avait plongé les courtisans dans une mondanité servile.
Pour ces âmes commence alors un temps de purification. Dieu respecte leur volonté de rester sur terre jusquà ce quelles veuillent bien comprendre leur erreur. Le cheminement spirituel est en général très rapide. Exceptionnellement, il peut durer des siècles. Il leur faut affronter brutalement leur incapacité à posséder le bien sensible qui faisait toute leur vie. «Là où est votre trésor, là aussi sera votre cur.[163] » disait Jésus. Sil sagissait dhonneurs, ces âmes se précipitent pour en recevoir encore. Elles sont vite informées! Elles assistent à leurs funérailles. Elles lisent dans la pensée des assistants à quel point tout cela nétait que du vent. Quelques semaines plus tard, elles se découvrent déjà oubliées. Cette expérience suffit à la plupart. Bouleversées par la conscience de la vanité de ce quelles adoraient, elles se tournent vers le Sauveur quelles ont entraperçu et lappellent. Aussitôt, sa lumière paraît et les entraînent dans lautre monde.
Certains morts sont beaucoup plus difficiles à convaincre. Ils nont parfois aucune idée de ce quest la vie spirituelle. Totalement matérialistes, ils sinstallent dans leur errance. Ils tournent et retournent autour du lieu où était leur trésor. Ne pouvant être vu par les hommes vivants (sauf cas exceptionnel), étant obsédés par leurs anciennes possessions, leur solitude est totale.
Dieu permet ceci non pour punir, mais dans un but pédagogique et pour sauver. Il a le temps. Les siècles lui appartiennent. Il sait quaucune âme ne peut vivre un tel arrachement sans, petit à petit, saffiner. Dans sa solitude terrible, lesprit du pécheur apprend peu à peu la vanité des biens de la terre. Il comprend que lunique bien est lamour.
Pour hâter la purification, Dieu dispose de plusieurs moyens. Le plus grand dentre eux est la communion des saints. En effet, parmi les morts comme parmi les vivants, il existe des personnes au cur affiné dont il va se servir, quelquefois à leur insu. Au cours de leur errance dans le lieu où elles ont vécu, les âmes en peine sont sans cesse confrontées à la présence des vivants. Leur maison passe de main en main. Elles observent leur vie. Elles rencontrent beaucoup de gens matérialistes et aussi perdus quelles. Mais il arrive quelles rencontrent des âmes pures, aimantes et priantes. Elles voient très bien ce que pensent les habitants de la terre. Cela les intrigue de plus en plus, au fur et à mesure que la solitude et la tristesse les minent.
Par exception, il arrive que les âmes de ce purgatoire apparaissent ou se fassent entendre des vivants. Le phénomène est rare car il semble être dû à un long effort pour influencer la matière. Il est tout aussi difficile à un mort de produire un bruit quelconque dans une maison quà un vivant de déplacer un objet par la force de sa pensée. La manifestation des âmes errantes est bonne pour les vivants car, en constatant leurs souffrances, ils se sentent invités à la conversion[164]. Elle est malheureusement pour beaucoup cause de terreur plutôt que damour. Quon se rappelle la réaction des disciples de Jésus, quand ils le virent sapprocher deux en marchant sur les eaux: «Ils crurent que cétait un fantôme, et poussèrent des cris[165]. Le phénomène des revenants, quand il se produit, ne devrait jamais effrayer. Comment avoir peur de ces âmes, qui crient leur détresse? La réponse immédiate devrait être, au contraire, lassistance à personne en danger. « Jétais en prison et vous mavez visité[166]». La réponse la meilleure consiste dans linstruction et la prière[167].
Linstruction, lexplication patiente du sens de la vie et de lerreur où se trouvent ces âmes peut provoquer une véritable conversion de leur intelligence. Elle accélère une prise de conscience que leur expérience est trop longue à provoquer.
Concrètement, quand un tel phénomène se produit, il convient de sasseoir, sans crainte et de dire à peu près ceci: «Vous êtes restés bloqués entre deux mondes. Cest une erreur. Elle ne vous conduira à rien de bon. Ce qui vous tourmente est peu de chose. Nattendez pas inutilement pour le comprendre. Le Christ, la Vierge Marie, tous ceux qui vous ont aimés vous attendent. Il suffit que vous les appeliez. Ils vont venir vous chercher.[168] »
La prière obtient leur évolution par lamour quelle manifeste. Ces âmes solitaires sont touchées par le fait quon se soucie delles. Certains saints, canonisés par lÉglise, passèrent leur vie entière à soffrir pour elles. De telles prières ou sacrifices ont une efficacité étonnante: lâme en peine en est bouleversée, comme le serait un prisonnier, qui, pour la première fois, recevrait une lettre. Ce geste est efficace. Il est dautant plus remarquable quil vient dune personne qui vit dans un purgatoire en un certain sens plus difficile[169]. Elle peut, devant sa beauté, comprendre en un instant la grandeur de lamour, et appeler le Christ à son aide. Aussitôt, elle se trouve délivrée[170].
Toutes les histoires de fantômes ne doivent pas être prises à la lettre, sans une enquête approfondie de la part des autorités religieuses. Une imagination débridée peut inventer bien des fantasmes. Nos ancêtres superstitieux inventaient dans leur frayeur des monstres comme lAnkou avec son char (la Mort en Bretagne), le vampire assoiffé de sang (Roumanie), les Trolls et les lutins (Scandinavie). Chaque peuple a ses croyances denfant. Cest pourquoi, avant de se lancer dans ce genre dapostolat, il convient dêtre sûr de son fait. Une enquête préalable est très utile. Le Père Emmanuel de Solis, dans son ermitage alpin, fut le premier homme dÉglise dont je reçus un enseignement théologique sur le phénomène des revenants. Javoue quavant découter son témoignage, je rangeais cette question parmi les mythes superstitieux dont regorgent nos campagnes. Je fus extrêmement surpris dapprendre que lÉglise prenait cela très au sérieux.
Nous étions donc réunis autour de lui, et nous écoutions. Il nous raconta alors quau début de sa vie érémitique, il avait reçu de la part des villageois une vieille ferme abandonnée, appelée lAdoux dOule. Il laménagea un peu, et sy installa. Dès la première nuit, il perçut, venant du sol, une sorte de gémissement. Le lendemain, les gémissements se firent plus forts, prenant, dans le silence de la nuit une intensité encore plus poignante. Cela ne ressemblait, ni au cri dun animal, ni au hululement du vent. Le gémissement semblait humain. Extrêmement intrigué, le Père Emmanuel décida donc de mener son enquête. LÉglise demande dagir ainsi avant de se prononcer sur le caractère paranormal dun phénomène. Il descendit donc au village, pour y interroger les gens. Il apprit deux que lAdoux dOule était une ancienne ferme. Pendant la seconde guerre mondiale, elle avait été le théâtre dévénements tragiques, puisque les miliciens y avaient torturé, puis exécuté des résistants (avant dêtre à leur tour supprimés à la libération). Tout cela bouleversa le Père Emmanuel, étant convaincu de lorigine paranormale des gémissements, il décida doffrir trois messes à linttention des âmes du purgatoire. Dès lors, il nentendit plus jamais de bruits anormaux dans son ermitage.
Les paysans du secteur eurent vent de cette histoire. Lun deux vint donc trouver le père Emmanuel, pour lui raconter une histoire autrement plus mystérieuse. Il possédait une grange en pleine montagne. Depuis des siècles, une tradition affirmait quon y voyait, certaines nuits, des défilés dombres ressemblant à une procession de moines en habits religieux. Or, le paysan affirmait avoir été lui-même témoin du phénomène, certains soirs où il soccupait de ses bêtes. Le père Emmanuel prit au sérieux cette histoire, à partir du jour où il apprit que cette grange se situait non loin du cite dun ancien prieuré bénédictin. Le prieuré avait été fermé au XIIème siècle, par son Abbaye-mère, à cause de la décadence notoire de sa vie monastique. Le père Emmanuel se rendit donc trois fois sur le lieu, pour y célébrer la messe. Fallait-il admettre que, depuis huit siècles, les âmes de ces moines erraient en ce lieu?
(Chose certaine)
Nous avons montré que cette Parousie se produit normalement à lheure de la mort. Exceptionnellement, elle est différée à cause de la nécessité de ce temps derrance. Lapparition du Christ est le plus puissant des purgatoires. Le jour du Seigneur fait progresser les hommes plus que tout le reste. La lumière et lamour qui rayonnent de sa gloire provoquent un tremblement apocalyptique dans lâme. Pour ceux qui ne le rejettent pas, il en ressort des effets uniques dans lintelligence et le cur.
En un instant, quatre trésors sont donnés à lintelligence.
- La personne comprend tout lÉvangile, tout le poids de Lumière et damour quil contient.
- Elle découvre pourquoi elle a souffert sur la terre: «Heureux les assoiffés de justice, ils seront rassasiés »[171].
- Elle a la vision, comme par comparaison, de la vérité sur son âme (la grandeur de son péché en particulier, mais aussi ce qui est bon).
- Enfin, elle comprend le choix quelle va devoir faire: lamour du prochain jusquau mépris de soi ou, au contraire, lamour de soi jusquau mépris des autres.
Au plan du cur, si cette personne est juste, elle senflamme dun coup tout entière pour lamour de Dieu. Lorsquon voit le Ciel, on laime de toute sa capacité ou on le rejette à jamais. Il ny a plus de place pour la tiédeur. Cest pourquoi, tout au long de la vie éternelle, il ne pourra plus jamais y avoir de progrès dans lamour[172]. Aimer de tout son cur ne permet pas un amour plus grand puisque, justement, on aime de tout son cur[173].
Les quatre derniers purgatoires sont caractérisés par le fait dune connaissance totale de la révélation dun amour plénier. Ce sont les purgatoires de la lumière. Les âmes qui y séjournent sont amoureuses de Dieu. Elles sont conscientes de limmensité de leur indignité. Elles souffrent dun immense repentir, à cause de leur grand amour.
Pourtant, certaines nentrent pas encore dans la vision de Dieu: quelque chose pose encore problème dans leur âme, quelque-chose que lapparition du Christ ne guérit pas toujours. Certains ont du mal à comprendre comment il est possible que la puissance dune telle apparition ne réduise pas à néant dun coup tous les restes dorgueil ou dégoïsme dans une âme. Les trois purgatoires suivants devraient éclairer ce fait.
(Chose probable)
Sainte Catherine de Gênes eut la vision mystique des trois derniers purgatoires. Elle la mit par écrit. Il en ressortit un « traité du purgatoire » dont le contenu est canoniquement mis en valeur par lÉglise.
Nul ne peut entrer dans la vision de Dieu avant de régler deux problèmes: la justice et lhumilité. Converti et changé, celui qui a fait le mal est devenu juste. Durant sa vie terrestre, il a détruit des personnes par son péché. Face au Christ, il sapplique librement cette parole de lÉvangile. Il le fait en toute sincérité, reconnaissant que cest juste: «Hâte-toi de taccorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que ladversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et quon ne te jette en prison. En vérité, je te le dis: tu ne sortiras pas de là, que tu naies rendu jusquau dernier sou[174].»
De plus, lorsque lhomme sest tourné vers Dieu et a choisi la voie de lamour, il ne comprend pas nécessairement ce que signifie être humble. Il aime de tout son cur, de toute son âme et de toute sa force. Il dit à Dieu: «Je taime plus que tout. Un jour, pour toi, je deviendrai digne de toi». Une telle parole nest pas humble. Or nul ne peut voir Dieu sans être totalement mort à soi-même. Cest pourquoi, à cause de ces deux lacunes, il se sépare volontairement des habitants du Ciel[175].
(Chose probable)
Pour sainte Catherine de Gênes, lâme subit les effets lancinants de son amour que rien ne vient distraire. Elle a soif de Dieu, à limage du riche qui sécriait[176]: «: Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans leau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme.»
Pour comprendre ces trois étapes, suivons le chemin du soldat allemand dont nous parlions. La conversion de Johann avait été radicale. Comme louvrier de la dernière heure, il avait aimé Jésus et reçu de lui la promesse dentrer comme les autres dans la vie éternelle[177]. Il était heureux. Il savait quil était sauvé. Il le croyait avec une certitude qui lui venait du Christ. Cest ainsi, toutes les âmes du purgatoire sont sûres de leur salut. Jamais plus elles ne pécheront tant elles se sont tournées vers le bien. Johann aimait Dieu de tout son cur, de toute son âme, de toute sa force. Il aimait aussi de cette manière tous ses frères, hommes et anges. La rencontre du moment de sa mort avait été si violente quelle lavait enflammé dun seul coup. Il avait tout vu, tout compris dun coup. Son cur sétait senflammé proportionnellement à son état. Il lui était impossible daimer autrement que de tout son cur tant lapparition du Ciel avait été puissante. Lextase quelle avait suscité est décrite par sainte Bernadette de Lourdes: «Jaurais voulu rester toujours auprès delle.
... mais il aimait mal.
Cependant, au moment de sa mort, Johann avait compris combien il lui fallait purifier son amour. Avant de voir Dieu, son âme devait se purifier de tout reste du péché. Il voyait subsister en lui des restes des nombreux péchés quil avait commis sur la terre. Cétait plus fort que lui. Il voulait aimer Dieu mais ne cessait de se regarder pour voir sil aimait vraiment. Sa volonté avait trop pris lhabitude de ne penser quà elle. Elle était, quoiquil fasse, centrée sur elle-même. Elle avait aujourdhui du mal à réaliser en toute liberté ce quelle voulait. Quelque chose était inscrit en elle, une sorte de vice qui la retenait. Ce vice nétait autre que le reste de lamour de soi, qui conduit lhomme à se regarder lui-même avant de se soucier des autres. Johann voulait aimer Dieu, mais il ne pouvait penser à autre chose quà lui-même en train daimer. La générosité de Johann nous étonne quand nous considérons le SS quil était quelques instants auparavant.
Une deuxième cause du purgatoire: la pénitence
De plus, Johann ne cessait de penser au mal quil avait commis sur la terre. Le souvenir de ceux quil avait blessés le brûlait. Il voulait payer pour ce mal commis. Il désirait rétablir, en offrant pour eux des prières et en souffrant pour eux. Ainsi, il lui fallait en toute justice, réparer pour le mal commis. Il existe donc deux raisons à lexistence du purgatoire: la purification du cur et la dette à purger pour le mal commis. Cependant, on le comprend bien, si la première raison est indispensable (Dieu est simple, lâme qui le voit doit lêtre), la seconde nest quune convenance de justice. Cest ce quexpérimenta Johann. Il vit devant lui le soldat russe quil avait abattu froidement. Il lui souriait en disant: «Ne tinquiète pas pour moi. Certes tu mas tué mais jai prié pour toi afin que ce péché te soit remis. Ne toccupe plus de cette affaire. De même, le Christ lui dit: Il y a une femme russe qui a trouvé ton corps. Elle la transporté pour lenterrer et elle a prié pour ton âme. Cette femme a perdu tous ses enfants à Stalingrad. A cause de sa charité, toutes tes dettes sont remises. Johann venait de bénéficier de lindulgence pour ses dettes. Tout lui avait été remis à cause de lamour de ceux qui les prenaient sur eux. Toute la théologie de lIndulgence se trouve ici. En priant pour les âmes du purgatoire, en offrant pour elles ce que lamour nous inspire, nous prenons sur nous leurs dettes. Evidement, tout cela nest pas possible à cause de nos propres mérites. Nos pauvres amours sont mélangés dégoïsme. Ce nest possible quà cause dune volonté explicite du Christ à la croix, sa volonté de la communion des saints[178]. Par lindulgence plénière, si lâme est déjà totalement purifiée de tout reste du péché, nous achevons pour elle le purgatoire et lui ouvrons les portes du Ciel. Johann fut bouleversé par tant damour manifesté. Il nen désira que davantage se purifier.
Le temps et le feu au purgatoire
Alors, entièrement soumis à la volonté de Jésus, il commença à vivre son purgatoire. Il se retrouva soudain seul. Toute présence affectueuse venait de disparaître. Aussitôt, un grand feu jaillit en lui: un désir brûlant de Dieu venait de le happer. Cétait douloureux car Johann aimait. Son âme, tout entière faite pour ce Jésus aperçu au moment de sa mort, gémissait de son absence. Il ne cessait en même temps dêtre dans la joie car il savait que cette absence momentanée navait dautre but que de brûler les restes du péché. Le purgatoire est donc par excellence une expérience damour. Il ny a pas dautre cause de souffrance que labsence de Dieu. Lâme est brûlée par le même feu qui règne en enfer: le désir de Dieu. Mais, loin de sopposer à ce désir comme le font les damnés, elle laime et sen sert pour aimer. Comme lâme nest pas liée à son corps charnel, au cycle du temps et des saisons, elle ne vit ce temps de purgatoire que de lintérieur, un peu comme un spéléologue séjournant des mois entiers sans heure au fond dune grotte[179]. Une minute peut paraître des heures et réciproquement. Ainsi, il arrive que le purgatoire ne dure quune minute en temps terrestre mais paraisse à lâme folle damour aussi long que des années de prison. Cest une souffrance inconnue de la terre car rien ne vient tempérer le feu du désir de Dieu. Aucune occupation extérieure ne vient distraire.
Les trois demeures du purgatoire (sainte Catherine de Gènes)
Alors, lentement, sans que lâme ne fasse rien, par la seule puissance de cette souffrance, lamour se purifie. Cest ce quexpérimenta Johann. Au commencement, plongé dans sa solitude, il se comportait comme lhomme de la parabole. Il suppliait que quelquun vienne lui apporter un peu de réconfort que lon trempe son doigt dans leau du paradis pour étancher un peu sa soif[180]. Il ne cessait de scruter le fond de son âme, pourchassant le moindre reste de retour sur soi. Cest ce que sainte Catherine de Gênes appelle la première demeure du purgatoire. Lâme cherche à être sainte. Par désir de Dieu, elle sattache avant tout à fuir le péché. Cest bien. Mais ce nest pas parfait car, sans quelle sen rende compte, elle reste dans cet acte même trop centrée sur elle.
Au bout de quelque temps, laminé par la solitude et le désir de Dieu, Johann se regardait moins. Il regardait de plus en plus vers Dieu. Cest la seconde demeure du purgatoire. Déjà, lamour sexerce plus simplement car Dieu est de plus en plus regardé. Lâme se soucie de moins en moins delle-même. Tel est leffet de la souffrance: elle simplifie le cur de lhomme en le détachant de lui-même.
(Chose certaine)
Enfin, après avoir attendu ce qui lui paraissait être une éternité, Johann avait complètement changé. Son âme était abreuvée de solitude. Le temps qui semblait ne jamais arriver au terme lavait usé. Il ne se souciait plus dêtre digne de Dieu. Il ne se regardait plus. Il ne vivait plus. Il ne se rendait même pas compte de cette pureté absolue quil venait datteindre. Du fond de son être, il se rendait compte que, malgré tous ses efforts, il ne serait jamais digne de Dieu. Souffrir lui était indifférent: Jésus seul, et ses prochains, comptait.
Il avait atteint ce que sainte Catherine de Gènes appelle le parvis du Ciel. Plus rien maintenant ne le retenait dans ce lieu de solitude. Alors il dit[181] au Seigneur: Je ne suis pas digne de te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guéri[182].
Pour comprendre ces trois purgatoires, il nous faut comparer cette parole avec celle que prononçait Johann au moment de son entrée au purgatoire: «Un jour, je serai digne de ton amour». Entre les deux, il ny a aucune différence dans lintensité de lamour. La différence vient dailleurs, de lhumilité. En fin de compte, lentrée au paradis est la chose la plus complexe au monde car elle est la plus simple. Cette analyse permet de comprendre beaucoup denseignements curieux de Jésus: «Les prostituées et les pécheurs devancent les prêtres dans le Royaume de Dieu». Cest ainsi car les prostituées, humiliées dans leur féminité par la vie et par leurs clients, sont plus disposées à développer lhumilité quun prêtre reconnu universellement comme un homme de bien[183]. Après sa mort, a-t-on déjà vu une ancienne prostituée dire à Jésus: « Un jour, je serai digne de toi »?
Alors le Christ lui apparut. Comme au jour de sa mort, il le vit dabord avec son corps glorieux. Son âme humaine lui apparaissait à travers sa lumière physique. Il était entouré dune nuée danges et de saints. Le Christ lui dit: Entre dans la joie de ton Dieu[184].
Il se produisit alors comme un dévoilement, comme « le voile dun temple qui se déchire, de haut en bas »[185]. Le Christ lui apparut tel quen lui-même. Il voyait toujours son humanité; Et il vit sa divinité, face à face. Il vit le Père, le Fils et le Saint Esprit dans un jaillissement dinfini et déternité.
(Chose certaine)
Durant des siècles, suite à lopinion de saint Augustin et de saint Thomas dAquin précédemment citée, les catholiques crurent que les enfants morts sans baptême[187] nallaient jamais au paradis. Cette doctrine na jamais été enseignée par lÉglise. Le dogme sans cesse enseigné ne va pas si loin. Il est résumé par cette phrase du Concile de Florence[188]: «Les âmes de ceux qui meurent en état de péché originel descendent aussitôt en enfer pour y être punies de peines inégales ». Le pape Pie VI[189] précise que cet enfer, communément appelé « limbes des enfants » na rien à voir avec lenfer des damnés. Les enfants nont aucune haine pour Dieu[190]. Ils nont pas de faute personnelle. Il implique une séparation de Dieu (le dam) mais aucune souffrance (pas de peine du feu) car ces enfants sont innocents. Rien dautre na jamais été précisé.
Le raisonnement de saint Thomas est le suivant: un petit enfant, tout innocent soit-il, est séparé de Dieu en conséquence du choix dAdam et Ève, choix lucide fait en notre nom et que Dieu respecte. Il nest coupable daucune faute personnelle. Mais, lorsquil est conçu, il ne possède pas dans son cur la présence aimante de la Trinité. Elle ne vient pas habiter en lui familièrement et lui ne peut répondre par son amour denfant. Les premiers parents de lhumanité, Adam et Ève, sont daprès la foi catholique un vrai homme et une vraie femme, pas un couple symbolique. Voici les quelques points les concernant qui font partie de la foi catholique:
1. Cest Dieu lui-même qui a créé lhomme et la femme et leur a insufflé une âme spirituelle et immortelle;
2. Les noms dAdam et Ève, malgré le sens symbolique, désignent un homme et une femme réels, nos premiers parents.
3. Adam et Ève furent créés parfaits: à cause de leur place de premiers parents de tous les hommes, Dieu leur communiqua des dons naturels et des dons préternaturels. Ils reçurent aussi la grâce surnaturelle qui les rendit tout proches de Dieu. Cette grâce sappelle la grâce originelle.
4. Le démon sapprocha deux et les séduisit. Ils se révoltèrent contre Dieu et perdirent en conséquence la grâce originelle et les dons préternaturels qui laccompagnaient.
5. Etant responsables de lhumanité aux yeux de Dieu, ils séparèrent de Dieu par leur péché toutes les générations qui devaient naître deux. Cest le péché originel.
Le pape Paul VI, dans le Credo quil donna à lÉglise en 1968 écrit ceci: «Nous croyons quen Adam tous ont péché, ce qui signifie que la faute originelle commise par lui a fait tomber la nature humaine, commune à tous les hommes dans un état où elle porte les conséquences de cette faute et qui nest pas celui où elle se trouvait dabord en nos premiers parents, constitués dans la sainteté et la justice et où lhomme ne connaissait ni le mal ni la mort. Cest la nature humaine ainsi tombée, dépouillée de la grâce qui la revêtait, blessée dans ses propres forces naturelles et soumises à lempire de la mort, qui est transmise à tous les hommes et cest en ce sens que chaque homme naît dans le péché ». LÉglise, à la suite de saint Paul enseigne une vérité beaucoup plus difficile à croire: «Adam et Ève en choisissant dêtre libres par rapport à Dieu, en se séparant de lui, se sont engagés POUR NOUS ». Ils nous ont entraînés avec eux, en toute connaissance de cause. Saint Paul lexprime ainsi « Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes du fait que tous ont péché ». Ceci fut permis par Dieu car il savait en faire sortir un plus grand bien pour lhumanité entière. De nos jours, la vie terrestre et sa souffrance, venu du choix dAdam et Ève, permettent une sainteté plus grande que ce quelle aurait été sans le péché originel.
Les enfants sont donc tous conçus séparés de la présence de Dieu. Mais, au moindre désir de ses parents, le choix dAdam et Ève est annulé et, avant même que lenfant soit né, lEsprit vient et habite dans son cur. Nous ne voyons que très rarement un effet extérieur de ce mystère mais il est une réalité. Dhabitude, cette habitation est réalisée par le baptême deau juste après la naissance. Mais si lenfant vient à mourir avant, un simple désir des parents, exprimé dans leur prière suffit. Aussitôt, Dieu les écoute et vient supprimer en eux la faute originelle. Cest une forme de baptême de désir[191]. LÉglise en profite pour rappeler la responsabilité des parents. Même sils perdent leur enfant, il est de leur devoir de demander pour eux le baptême car lEsprit Saint ne vient dans les enfants quen obéissant au désir des parents.
Selon saint Thomas dAquin, si un enfant a été abandonné complètement par ses parents au point que ceux-ci nont pas prié pour lui, il entre dans lautre monde éloigné de Dieu. Il est séparé de lui pour léternité puisque, cest un dogme, tout être mort sans cette grâce est damné pour léternité. Certes, il nest pas coupable. Aussi ne souffre-t-il pas de labsence de Dieu. Il reste simplement ainsi, sans même désirer Dieu tant il est petit, dans un bonheur naturel appelé les limbes.
Cette doctrine est logique. Le raisonnement est parfait. Il ne lui manque quun élément: Dieu est amour et, cest aussi un dogme, il propose à tous son amour. Le concile de Quierzy, le confirme solennellement: Dieu tout-puissant veut que tous les hommes sans exception soient sauvés, bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent, cest le don de celui qui sauve; que certains se perdent, cest le salaire de ceux qui se perdent. Or les enfants ne méritent pas ce salaire. Ils nont aucunement rejeté Dieu. Ils ignorent simplement son mystère.
Cest pourquoi il faut parler autrement. En sappuyant sur la foi de lÉglise, il est possible de décrire ce que vivent les enfants morts sans baptême. Il est impossible quils soient laissés aux limbes pour léternité. Recement, le Catéchisme de lÉglise Catholique est venu donné une confirmation inespérée de cette opinion : « Les paroles de Jésus dans les évangiles nous permettent despérer quil y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. Dautant plus pressant est aussi lappel de lÉglise à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint Baptême. »[192]
(Cette recherche sur la manière dont les enfants entrent au paradis est indécise. Au lecteur den juger)
« Je suis un garçon. Maman ma conçu. Six semaines plus tard, elle a décidé de ne pas me garder. Mon père lavait abandonnée. Elle a pensé quil valait mieux que je nexiste pas. Je dormais. Je ne me suis rendu compte de rien. Jai su mon histoire après. Je me suis réveillé alors que je nétais plus dans son ventre. Jétais déjà loin de la clinique. Je planais au dessus de ce monde. Des personnes lumineuses mentouraient. Elles mont dit quelles madoptaient. Elles ont demandé à Dieu de venir. Aussitôt, jai senti une douce présence en moi. »
Si lÉglise catholique par la voix de Pierre soppose avec tant de force à lavortement, cest quelle croit de toutes ses forces que cet être quon fait disparaître, bien que doté en apparence dune seule vie biologique, a déjà certainement reçu son âme spirituelle. Cette âme, siège de lintelligence et de lamour, nest autre que ce qui survit à la mort. Son existence ne peut être mise en doute au plan de la révélation.
Un doute subsiste cependant dans lenseignement de lÉglise: quand cette âme créée par Dieu est-elle donnée à lenfant? Au XIIème siècle, saint Thomas dAquin penchait pour le sixième mois après la conception. Nétait-ce pas le moment où Jean-Baptiste, visité par Marie, avait tressailli dans le ventre de sa mère? Sil en était ainsi, lavortement jusquau sixième mois ne serait pas «un crime abominable». Il ne serait pas un crime au sens strict, un homicide, mais un simple péché contre la vie à venir et non encore venue. Saint Thomas navait pas à son époque tous les instruments de la foi dont nous disposons aujourdhui.
En 1854, le pape Pie IX proclamait comme une certitude venant den haut lImmaculée conception de la Vierge Marie. Cette révélation semble être sans rapport avec lavortement. Il nen est rien. Le fait que Marie soit immaculée dans sa conception signifie quelle vivait, dès sa conception, de la présence de Dieu, de la même manière quÈve en vivait au jardin dEden. Si Dieu était là, cest donc que Marie le recevait dans son âme. Le fait, dautre part, que la conception de Marie soit fêtée le 8 décembre, soit neuf mois avant sa naissance, ne laisse aucun doute sur ce quil faut entendre par conception. Marie est de la race humaine, comme tout enfant à naître. Tout indique donc que, pour elle comme pour eux, âme est donnée par Dieu dès le moment de la conception.
Que deviennent ces enfants? Sainte Thérèse de Lisieux disait avec raison: «Un petit enfant, cela ne se damne pas». Elle montrait que lhypothèse des limbes éternels émise par saint Augustin se méprend sur Dieu. Dieu na pas besoin quun enfant soit baptisé avec de leau pour lui donner le baptême de sa présence. Pour être introduit dans le salut ou au contraire le rejeter, trois conditions sont nécessaires.
1. La première est de posséder la capacité naturelle de se porter vers lui lorsquil est proposé.
2. La seconde consiste en la proposition même de cette grâce par la prédication de lÉvangile et le don du Saint Esprit.
3. La troisième est la réponse de lâme qui accueille cette grâce et se porte vers Dieu et vers son prochain dans un acte de charité.
(Chose indécise. Au lecteur de juger)
Lorsquun enfant meurt et est abandonné par ses parents ou par lÉglise de la terre, il est aussitôt adopté par des volontaires de lÉglise du Ciel. Il est vrai que Dieu ne donne jamais la grâce du baptême sans que les parents ne le demandent. Fort heureusement, des millions dhommes et danges voient cet enfant qui glisse entre les deux mondes. Il sagit du temps des « limbes ». Il dort et ressemble à lenfant Moïse flottant sur le Nil dans sa corbeille dosier. Son histoire devient alors en tous points semblable à celle de lenfant Moïse[193]: «La fille de Pharaon descendit au Fleuve pour sy baigner, tandis que ses servantes se promenaient sur la rive du Fleuve. Elle aperçut la corbeille parmi les roseaux et envoya sa servante la prendre. Elle louvrit et vit lenfant: cétait un garçon qui pleurait. Touchée de compassion pour lui, elle dit: «Cest un des petits Hébreux.» De même, cet enfant est recueilli. Le péché originel est effacé en lui. Dieu habite son âme.
La grâce de la présence de Dieu se distingue de la gloire par la propriété suivante: Elle peut exister, sans quil soit exigé un acte libre. Elle se comporte à la manière de lamour non volontaire que peut éprouver un homme pour une femme parce que cela simpose à lui. Au contraire, nul nentre dans la gloire sans un acte libre, de même quil est impossible de se marier validement par surprise.
Il en est de même pour les petits enfants morts sans baptême. Après leur adoption, sur la demande de leur nouveaux parents, ils sont lavés du péché originel et reçoivent de manière réelle la grâce de la présence de Dieu. Ils sont sanctifiés de manière passive, sans volonté ni mérite de leur part, grâce au désir de leurs nouveaux parents. Dieu ne proposera que dans un second temps aux enfants la béatitude de la vision de son essence, dès que lobstacle lié à leur personne, cest-à-dire leur incapacité à choisir, disparaît.
Qui adopte les enfants? Les saints du Ciel sont tous volontaires. Pourtant, un père et une mère sont désignés, ainsi quun ange gardien. Lenfant reste un petit dhomme et sa nature exige quil soit élevé par un homme et une femme, par deux amours qui sharmonisent à la façon du Yin et du Yang des taoïstes. Il sagit de lamour « douceur » et lamour « autorité ». Les parents adoptifs ne sont pas nécessairement de manière immédiate Jésus et Marie. Ils le sont de manière première, profonde et spirituelle. Mais, comme sur terre, ils délèguent ce rôle. Dans la Communion des saints, où règne la plus grande délicatesse, des personnes qui nont pu avoir denfants sur terre sont probablement mis en avant. Chacun au Ciel se presse pour adopter lenfant qui arrive et la prière de milliers de pères et de mères du Ciel provoque probablement la venue de lEsprit Saint en lui. Ainsi, sil existe des millions denfants qui meurent sans le baptême sacramentel, on nen a jamais vu un seul mourir sans le baptême de lEsprit Saint.
La durée des limbes des enfants na jamais été définie par le Magistère ordinaire ou solennel de lÉglise. Il est probable que les enfants morts sans baptême ne demeurent pas plus dun instant séparés de la présence de Dieu. Dès leur passage dans lautre monde, ils sont accueillis et baptisés par les habitants du ciel. Ils rejoignent alors les enfants déjà baptisés par leurs parents dans un lieu provisoire dont la finalité est de permettre, à travers une éducation, une croissance suffisante de leur psychisme puis de leur esprit.
On peut donc interpréter les imprécisions de ces textes du Magistère de la manière suivante. Les enfants non baptisés sont dans des limbes, privés de toute présence de Dieu le temps quils soient adoptés, soit un instant. Tous les enfants, quel que soit le mode de leur baptême, sont alors conduits dans un lieu provisoire tout à fait comparable au «sein dAbraham » dont parlaient les anciens juifs[194].
Il ne sagit pas encore de lau-delà. Mais il y règne la grâce de la présence de Dieu, symbolisée par «leau » dont vivait le pauvre Lazare[195]. Il sagit bien dun enfer au sens étymologique de « lieu inférieur » puisquils ne voient pas encore Dieu face à face. Les enfants lui sont unis par tous les biens quils tiennent de lui. Ils voient Jésus et Marie accompagnés des saints et des anges[196]. Il sagit bien dune vision de leurs sens puisquils possèdent leur psychisme. En même temps, la Parousie du Christ leur révèle la nature de leur être, lÉvangile, le mystère de la charité et la gloire qui leur est proposée. Il sagit dune prédication de lÉvangile qui, dans un premier temps, éclaire leur intelligence sans que leur choix libre puisse sy porter. Ils se familiarisent avec cette révélation. Le démon est présent de droit, puisquil se doit de donner ses propositions dorgueil. De plus, ils reçoivent de Dieu des biens surnaturels comme la grâce intime et mystique de sa présence, puis, dès quils en sont capables, la charité active.
Ainsi, les enfants sont dans la joie et dans labsence de la souffrance du feu. Ils vivent cependant du feu en tant quil est un désir puisque leur esprit ne se repose pas dans la fin pour laquelle il a été créé. Dès que lobstacle provisoire de leur nature, à savoir leur incapacité naturelle à choisir, disparaît, ils sont introduits dans la pleine vision[197].
Une forte objection peut être apportée à ce récit. Sil en est ainsi, quelle différence y a-t-il entre les enfants baptisés sur terre par leurs parents et ceux qui ne le sont pas? Dans ce récit, on ne comprendrait plus la raison de linsistance de lÉglise sur le devoir des parents de présenter le plus tôt possible leurs enfants au baptême[198].
Les enfants baptisés avant leur mort reçoivent dès cet instant le pardon du péché originel qui les tenait séparés de la présence attirante de Dieu. Les enfants morts sans baptême reçoivent la même grâce un peu plus tard par la volonté des parents du Ciel, Jésus et Marie, lÉglise des saints tout entière. Mais leurs parents charnels sont privés, à cause de leur ignorance ou de leur insouciance, dune grande grâce: celle de leur autorité parentale. Ils sont déchus de leurs droits et lenfant est adopté par deux autres personnes qui seront auprès deux, pour léternité, leur père et leur mère. Il ne suffit pas en effet pour être parents de donner physiquement la vie. Encore faut-il se montrer digne au plan de léducation.
Nul ne peut rentrer dans la grâce et dans la gloire ou même être conduit en enfer sans un choix pleinement libre de son intelligence. Il existe nécessairement avant lentrée dans le paradis, une forme déducation de la psychologie et de lesprit. Les enfants commencent à recevoir des connaissances qui remplacent ce que léducation et lenseignement auraient dus accomplir durant la vie terrestre.
Il sagit de savoir comment se réalise ce développement. Il est aisé de constater quau départ, lesprit sommeille et nest capable daucun exercice libre. La raison en est labsence de développement du psychisme.
Normalement sur la terre, ce nest que provisoirement au cours de son enfance, en passant par des étapes de progrès que lenfant peut poser son premier acte libre. Auparavant, il aura appris à se servir de sa vie sensible, il touchera puis entendra, avant de séveiller à quelques désirs. Il est naturel à lesprit humain de séveiller par ce genre de cheminement progressif.
A la mort, le psychisme survive à la mort du cerveau[199]. Cela ne signifie pas quil est entré dans la plénitude de son développement. Mais, en sappuyant sur lesprit qui le fait subsister, il est doté dun nouveau mode dexercice plus léger et efficace. Confronté à la présence glorifiée du corps psychique des saints et du corps que les anges se façonnent à destination de lenfant, le psychisme se développe, puis lintelligence et la volonté. Ils sont rendus très vite capables dun choix libre. Dès que les progrès sont réalisés, baignés de la grâce, les enfants posent le choix de leur liberté vers Dieu ou contre Dieu[200].
Certains ont dit que léducation pouvait être réalisée en une seule fois, tant la beauté de la gloire des saints du Ciel a un pouvoir déveil sur les sens et lesprit[201]. Ce nest pas exclus quoique peu probable à cause du devenir et des étapes qui semblent plus convenables à la nature humaine.
Comment les petits enfants accèdent-ils à la vision béatifique? Exactement de la même manière que nous. Ils y entrent à travers un choix libre. Dieu agit pour eux dans ce but. Puisquil manque aux enfants trois choses, à savoir la capacité de choisir (ils sont trop petits), la proposition de choisir Dieu (ils nont pas le baptême), et le choix effectif (la charité comme amour réciproque et actif) il leur fait les deux premiers dons en une fois, en vue du troisième qui est lacte méritoire de la vision béatifique.
A un moment que Dieu connaît, ils deviennent, à cause de la Lumière qui vient de Dieu, capables de choisir le bien ou le mal. Le démon est présent mais impuissant. Il présente la liberté de lenfer. Le choix de lenfant ne doit-il pas être parfaitement libre? Sa tentative est sans effet. Il ny a pas dorgueil ni de recherche de pouvoir dans le cur dun nourrisson.
Ils se portent tout naturellement là où les conduit leur cur à savoir vers le bien et la lumière. Dès cet instant, ils sont introduits dans la vision de Dieu. Dès le premier instant de capacité à poser un acte libre, à cause de leur état séparé du corps charnel, ils se portent tout entiers et sans erreur vers lobjet de leur choix, sans quune nouvelle croissance soit possible. Aucun délai ne leur est donc imposé. Ils voient Dieu face à face.
Les enfants choisissent-ils tous le paradis? Certains ne sont-ils pas tentés par lorgueil? Ils reçoivent à travers léducation du ciel une perfection naturelle et une harmonie psychologique plus grande que les enfants éduqués sur terre. Il leur est donc davantage possible de senorgueillir de leur beauté et de se tourner vers la liberté de lenfer. Donc certains innocents, ne létant plus, seront damnés.
Il est probable que tous les enfants seront introduits dans la gloire à cause du peu de propension quils ont à senorgueillir des dons reçus de Dieu. Cest ce que veut signifier la fête des saints Innocents qui sont ces enfants tués par Hérode dans la ville de Bethléem. De même le pape Innocent IV écrit à propos des enfants morts après le bain du baptême[203]: «Ils ne sont retenus par aucun obstacle et passent immédiatement à la patrie éternelle.»
Le démon est présent de droit, puisquil se doit de susurrer ses propositions dorgueil. Tentative ridicule sil en est car, affirme la petite Thérèse, un petit enfant, ça ne se damne pas![204]. La présence du démon a peu deffet sur les enfants pour trois raisons: La première leur vient de leur nature. Parmi les créatures spirituelles, ils restent les plus faibles en intelligence et en volonté naturelle. Ils constatent leur petitesse avec évidence en se comparant aux êtres spirituels qui les entoure. Ils ont peu de motifs dorgueil. La seconde vient de la présence autour deux des âmes glorifiées et des anges qui rayonnent de paix et de joie. Ils correspondent avec harmonie à leur cur, cest-à-dire à lorientation innée de leur volonté. Ils les suivent tout naturellement. La troisième leur vient du démon lui-même dont le motif de révolte leur paraît, dans leur simplicité, peu attirant. Réclamer à Dieu une hiérarchie des êtres fondée sur lintelligence et la puissance naturelle leur paraît moins bien que celle de lhumilité et de lamour. De tout cela, on peut dire quil ny a pas dinnocent qui choisisse lenfer.
Comme on la vu, le seul péché qui conduit à la damnation éternelle sans que le pardon en soit possible est le blasphème contre lEsprit Saint. Un tel péché vient dun amour de soi et de sa propre excellence poussés jusquau mépris de Dieu. Il est peu probable quils puissent exister chez un petit enfant. En effet, leur imperfection naturelle les rend peu enclin à lorgueil. Cependant, on doit admettre que, du point de vue théorique, la possibilité dun choix conduisant en enfer existe sans quoi il ny aurait pas de choix possible.
Leur choix dun nourrisson est donc vite fait et ils glissent comme des anges dans la vision de Dieu auquel ils sont semblables.
Tout homme, quel quil soit (même un embryon), entre dans le royaume de Dieu à la mesure précise de son désir de Dieu. Plus le cur de lhomme aime Dieu et désire le voir, plus il le voit. Si la vie terrestre est voulue par Dieu, cest quelle est utile. Il existe une voie dont lutilité est de creuser le désir du cur de lhomme, cest celle de la vie terrestre.
La vie terrestre est faite pour les enfants. Nul na le droit de la leur refuser car elle est un cheminement de maturité dans lhumilité et lamour.
La vie terrestre est donc utile. Elle est difficile, source de beaucoup de souffrances mais surtout, à cause de ces souffrances, source de soif daimer et dêtre aimé. Par labsence de Dieu, par son silence, par les diverses épreuves qui lémaillent, le cur de lhomme sapprofondit. La vie est ainsi faite quil est difficile den sortir sans une conscience profonde de sa petitesse. La mort se charge de le rappeler. De plus, lapparition du Christ à lheure de la mort, après un si long temps dexil enflamme le désir de voir Dieu de manière incroyable.
Quant au petit enfant mort avant davoir vécu, lorsquil est accueilli par le monde des saints, il ne le rejette certes pas. Mais il sy porte avec un petit désir dinnocent, avec un cur qui na pas eu le temps être préparé. Son éternité sen trouve directement modifiée. Il reste pour toujours, en un certain sens un handicapé du cur. Mort sans avoir vécu, il parvient certes quasi infailliblement au Ciel. Mais son désir de Dieu nayant pas été approfondi par les diverses souffrances et manques dici-bas, il est éternellement comme sous-développés du point de vue du désir et, en conséquence, de la vision de Dieu. Il nest pourtant pas réellement défavorisé pour léternité[205]. Cest ce quexpliquait la sur de Thérèse Martin, devenue plus tard sainte Thérèse de lEnfant-Jésus. « Un dé à coudre et un vase sont remplis deau. Lequel des deux est le plus plein ? Aucun. Tous deux sont parfaitement pleins. Il en est de même au Ciel. Tous les curs sont comblés à proportion de leur désir. »
Dans cette perspective, on comprend que pour le Magistère, lavortement quel quil soit, même celui de la pilule du lendemain, prend une dimension vertigineuse. Ce nest pas quun morceau de chair qui disparaît mais un véritable être humain qui dormait encore, un petit enfant. Il ny a aucune différence de fait entre les saints Innocents de lévangile (tués par Hérode) et ces enfants-là. Et même si les mères qui pratiquent cet acte ne savent pas ce quil advient de lenfant, de fait, il sagit pour lÉglise dun homicide. Il ny a pas de péché chez la mère si elle ignore ce quelle fait[206], mais il va de la mise à mort dun homme. Lorsque les hommes de ce siècle passeront dans lautre monde, ils seront accueillis par les centaines de millions denfants avortés. Le pardon nous sera proposé. Mais nous pardonnerons-nous à nous-mêmes?
Jadis, la sépulture chrétienne était refusée aux suicidés. Mais il sagissait dune pratique pastorale visant à éviter, surtout dans les périodes de peur, par une autre peur, des épidémies de suicides. Elle était fondée sur une théologie. Pour le croyant en effet, la vie appartient à Dieu. Il la donné en cadeau. La refuser, y mettre volontairement fin est un acte contraire à la logique de la foi.
Même si le fond de vérité théologique reste inchangé, les choix pastoraux de lÉglise se sont radicalement transformés. Les prêtres ne refusent plus les prières liturgiques pour le suicidé et, au contraire, lÉglise, soumise elle-même à des souffrances et à des pauvretés dans un monde de plus en plus déchristianisé, a une meilleure compréhension de ce qui peut mener à un tel acte. Par contre, au-delà de ces deux pratiques, jamais lÉglise dans son Magistère officiel ne sest prononcée sur le salut ou la damnation des suicidés quelle considère comme le domaine du jugement de Dieu.
(Aspect philosophique)
Comme tout acte humain, le suicide peut avoir de multiples causes morales. La plupart[207] de ceux qui se suicident le font à cause dun grand désespoir psychologique. Mais il existe beaucoup dautres causes. De même quil y a des actes méchants, justes ou saints, de même il existe des suicides méchants, justes et même saints.
Le suicide peut être un acte daltruisme et même damour. Lexemple le plus noble est celui dun grand résistant français, profondément chrétien, qui, capturé par la Gestapo en 1941, se défénestra pour ne pas parler sous la torture. La Bible cite des suicides patriotiques et en admire la grandeur[208]: «Comme les troupes ennemies étaient sur le point de semparer de la tour et forçaient le porche, lordre étant donné de mettre le feu et de brûler les portes, Razis, cerné de toutes parts, dirigea son épée contre lui-même; Il choisit noblement de mourir plutôt que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse. Son coup ayant manqué le bon endroit, dans la hâte du combat, et les troupes se ruant à lintérieur des portes, il courut allègrement en haut de la muraille et se précipita avec intrépidité sur la foule.» Il est certain que de tels hommes sont morts par zèle pour leur prochain. « Nul na plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis[209].» Il existe des suicides héroïques. Ils ne constituent pas un péché. Il ny a pas à craindre pour le salut de tels hommes, même si parfois, un travail reste à accomplir du côté de lhumilité. Limperfection dans lhumilité qui est le défaut des hommes forts est comme le foin, la paille et les poutres. Ils seront purifiés au purgatoire.
En lui-même, lacte de suicide est matériel. Sa valeur ou sa culpabilité morale se trouvent hors de lui. Quelles sont les intentions qui le motivent? Ainsi, à linverse du noble Razis qui défendait sa ville injustement attaquée, il peut exister des suicides motivés par le plus obstiné des orgueils. On peut penser à Hitler qui, cerné lui aussi de toutes parts par les troupes soviétiques envoyait encore des adolescents armés de Panzerfaust (armes anti-chars). Cétait une folie suicidaire. Mais disait-il, « lAllemagne na pas été digne de son Führer et ne doit pas lui survivre.» Il les entraînait dans sa mort. Son suicide na rien à voir avec celui de Razis car sa vie na pas le même but. Hitler, visiblement, aime moins sa patrie que sa propre gloire. Certains disciples de Sartre se donnèrent la mort dans une optique dexaltation de soi. Ils y voyaient un rêve de toute puissance au moment même où lon se sent impuissant, le rêve de Prométhée chez les grecs ou dAdam et Ève dans la Bible: Vous serez comme des dieux, avec droit de vie et de mort. Ils ne résistèrent pas au désir de poser de manière ultime leur liberté. Nous avons traité dans le chapitre concernant lenfer dune telle obstination qui, si elle est maintenue face à la Parousie du Christ, conduit certainement en enfer. Mais ces cas sont rares. Pour ces hommes-là, Dieu dispose dune dernière arme pour les sauver. Il sagit du purgatoire de lerrance où lon apprend que lorgueil est une bêtise[210].
La plupart des suicides, surtout à notre époque, sont motivés par le désespoir psychologique et spirituel. Il est essentiel de les comprendre car ils touchent généralement des personnes justes et aimées. Langoisse des familles mérite une réponse.
Dans certains pays Occidentaux, ce genre de suicide est devenu la première cause de mortalité chez les jeunes. Mais il frappe aussi les retraités, de manière terrible. Trois raisons se sont jointes pour provoquer une telle fragilité.
1.La richesse matérielle, qui permet davoir tout très vite, dès lenfance. Un enfant trop gâté perd le goût pour la vie surtout si on lui a présenté pour seule motivation de la vie, ce qui est matériel.
2. Labsence de paternité. Tout enfant a besoin de deux amours complémentaires: un amour doux qui ladmire et le valorise, la plupart du temps symbolisé par la maternité; un amour fort, qui marque les limites et enseigne les valeurs. Lenfant qui manque de paternité développe pour la vie une grande fragilité psychologique. LEcclésiastique, avec sa lourde expérience, enseigne dans la Bible[212]: «As-tu des enfants? Fais leur éducation et dès lenfance fais-leur plier léchine. As-tu des filles? Veille sur leur corps, mais montre-leur un visage sévère.» Parce que le père représentait les valeurs, leffort, le dépassement de soi, il fut dévalorisé et marginalisé après mai 68. On le vanta dans son rôle de deuxième mère.
3. Lathéisme ambiant, devenu la philosophie sûre et démontrée. « Il ny a rien après la mort. Venez donc et jouissons des biens présents, usons des créatures avec lardeur de la jeunesse[213].» Ici naît la plus grande des fragilités: celle qui touche lesprit car « Lhomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».
Un jour, confronté à un malheur, parfois à la simple absurdité dune vie confortable, les plus fragiles estiment que la vie nest plus un cadeau valable. Les limites qui les enserrent leur deviennent insupportables. On a beau dire, écrit une jeune femme avant son suicide, que ce nest pas si grave, que tout ira mieux demain, le bilan est aujourdhui négatif: plus moyen douvrir un crédit à la vie .
De fait, ceux qui se suicident par désespoir sont-ils les plus fragiles ou les plus assoiffés de spirituel? Ne sont-ils pas des justes? Cest la question.
Lorsque la vie na plus de sens, cest que le grand amour qui la motivait a disparu. Ainsi, à lheure de la mort, il est certain que Jésus juge le péché que représente chaque suicide par sa cause. Il suggère au mourant la question suivante: «quel bien aimais-tu? Nest-ce pas sa perte qui fit que ta vie navait plus de sens? »
Parfois nos amours sont matériels (plaisirs, argent et gloire). Pierre Bérégovoy, un premier ministre de la cinquième République Française, se suicida. Il avait toujours été honnête homme. On laccusa de sêtre fait prêter de largent en usant de son prestige. Il prépara son acte et le mit à exécution avec larme professionnelle de son garde du corps. Son bien ultime semble avoir été, plus que son épouse quil laissait seule, son honneur.
Parfois nos amours sont profondément humains. Un agriculteur breton mit en route sa presse à paille. Après quelques minutes de travail, il sinquiéta de ne plus voir ses trois enfants. Il finit par les retrouver, morts. Ils sétaient caché pour jouer dans les logements de la presse. Le père alla se pendre. « Là où est ton trésor, là aussi est ton cur ».
Parfois même, il sagit dun amour chrétien, mais devenu en apparence impossible. Saint Paul écrivait[215]: «Oui, jen ai lassurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de lamour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur.» Mais Paul oubliait dans ce texte une cause possible, une réalité qui peut séparer de Dieu: Dieu lui-même. Il arrive que Dieu, pour achever la formation du cur de ses saints et les conduire à lhumilité la plus totale, les sépare de limpression quils sont aimés par lui. Le Père imposa cette épreuve à son fils Jésus [216]: «Mon Dieu Mon Dieu, pourquoi mas-tu abandonné? ». Il sagit dune souffrance désespérante pour ceux qui nont que Dieu et les mystiques la qualifient de « nuit de lesprit ». Sainte Thérèse de lEnfant-Jésus vécut dans sa souffrance une crise de doute sur lexistence de Dieu. Elle eut la pensée du suicide. Elle ne tint bon quen disant avec la bouche à défaut du cur: «Je crois ». Sincèrement donnée à Dieu, elle affirma par la suite avoir compris ce que vivent les athées, pourquoi certains se donnent la mort.
Lhomme qui perd son trésor peut, dans sa douleur, se donner la mort. Ladolescent à qui on na jamais montré de vrai trésor, peut le faire aussi: «je voudrais seulement dormir, métendre sur lasphalte et me laisser partir », écrit Michel Berger dans une chanson qui illustre le mal de son siècle. Le désespoir peut être brutal lorsque larrachement fond sur la vie comme laigle. Il peut être plus réfléchi et plus calme, lorsque le malheur est simplement constaté, lentement et inexorablement, au cours dune vie sans espérance dau-delà.
Leuthanasie fait partie, de plus en plus dans un monde athée, de ce genre de débat intérieur. On voit des personnes jeunes, en prévision des longues maladies ou de la vieillesse, préparer après mûre réflexion, une demande deuthanasie pour le jour où leur vie sera condamnée.
Dans la pensée humaniste sans Dieu, lorsque arrive la mort et ce qui la précède à savoir, la souffrance, la vieillesse, quelle raison peut pousser un être à prolonger sa vie jusquau bout? La présence de ses proches? Ceux-ci attendent eux-mêmes parfois la mort de celui qui souffre comme une délivrance. Ils ne supportent pas ce témoignage de leur propre destin. Objectivement, il nexiste plus aucun motif. Lattachement à la vie elle-même, prise comme un bien en soi, disparaît quand la souffrance et la solitude lui enlèvent tout sens. En effet, si juste après la mort, lêtre humain rejoint le néant, labsence de conscience, il ne sert à rien de prolonger davantage la vie. Dans la perspective de lhumanisme sans Dieu, rappelons-le, la vie na de sens quà cause de la liberté qui peut sexercer à la recherche dun bonheur sur la terre.
Cest pourquoi, il a semblé devenir légitime et nécessaire dans beaucoup de nations occidentales de légiférer dans le sens dune autorisation de leuthanasie. Le législateur, lui-même soumis aux angoisses de la nature humaine plongée dans lathéisme, na même pas toujours délivré un texte empêchant les abus (comme laide au suicide des jeunes désespérés, lexécution des malades incurables, parfois des handicapés).
Lacte deuthanasie est le plus souvent posé non à cause de la souffrance physique mais parce quil vaut mieux éteindre au plus vite ce qui, de toute façon, sachèvera dans le néant. Cest pourquoi les soins palliatifs (pas seulement des médicaments antidouleur mais aussi la présence de proches ou de soignants rémunérés pour être lami) sont arrivés, même dans un monde athée, à faire disparaître leuthanasie.
Le désespoir de la non-croyance conduit à leuthanasie et cest fort compréhensible: seul le croyant ou lhomme profondément religieux peut imprégner de sens son agonie puisquil croit quil y a un sens à lagonie.
(Au lecteur de juger)
Le suicide et leuthanasie sont un seul et même acte. La circonstance de lapproche de la mort ne change pas radicalement leur nature en théologie chrétienne. De nos jours, nul ne se permet plus daffirmer que ceux qui se sont suicidés ou euthanasiés par désespoir psychologique ou spirituel choisissent nécessairement lenfer. Le suicide se juge comme tout acte humain. Quand Jésus était confronté à un péché, cest-à-dire à un acte qui nest pas directement motivé par lamour de lautre, il jugeait deux choses: lacte et la personne. A la femme adultère, il dit deux choses [217]: «Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »
Jugeons dabord lacte: Devant Dieu, lacte du suicide, motivé par le désespoir, est certainement un péché. Puisque Dieu existe, puisque la vie terrestre est une préparation à la vie éternelle, on doit en toute vérité affirmer que le suicide est un acte qui déplaît à Dieu. Il faut le répéter sans cesse: le temps des larmes est voulu par lui.
Osée parle de Dieu lorsquil sauve une âme endurcie[218]: «1. Je la déshabillerai toute nue et la mettrai comme au jour de sa naissance; je la rendrai pareille au désert, je la réduirai en terre aride, je la ferai mourir de soif. Je la conduirai au désert et je parlerai à son cur. 2. Je vais la séduire. 3. Ensuite, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val dAkor une porte despérance. Là, elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au jour où elle montait du pays dEgypte.» Il sagit dune description de toute la vie humaine dans ses trois étapes principales: 1. le silence et labandon apparent de la vie terrestre, 2. la venue du Christ qui se fait le plus souvent à lheure de la mort, 3. le paradis.
La vie terrestre est utile pour appauvrir le cur. Mais il nest que passagère et prépare le temps où Dieu essuiera toutes les larmes. Les mystères douloureux sont suivis par les mystères glorieux. Lhomme qui supprime sa vie, même pour des motifs bien excusables comme lignorance involontaire du projet de Dieu ou une trop grande souffrance, le regrette dans lautre monde. Il se rend compte objectivement, trop tard hélas, que son cur aurait pu être davantage purifié et appauvri. Au purgatoire du Ciel, il y a certaines choses quon ne peut plus acquérir. Seul le purgatoire de la terre permet, par exemple, dapprofondir la soif daimer et dêtre aimé, « mourir de soif ». Arrivé dans lautre monde, face à lapparition du Christ, lhomme tourne vers Lui tout lamour dont il est capable, doù limpossibilité de grandir dans lamour après la mort. Or cest la mesure de cette soif qui nous vaudra de voir Dieu, et cette soif est liée intimement à ce que lhomme a touché de lui sur la terre.
Mais il faut surtout juger des personnes[219]. Que fait Jésus des personnes qui se présentent à lui après un suicide? Il ne raisonne pas objectivement mais il accueille, simplement, accompagné de la cour céleste. « Moi non plus, je ne te condamne pas.» Il offre la Bonne Nouvelle et son propre cur, le cur dune multitude de frères et la promesse dune vie déternel bonheur. Il demande en échange la confession des péchés, de ce péché en particulier quest le suicide, et lamour.
Dans cette lumière, il est possible de dire avec certitude ce qui suit: Ceux qui se sont suicidés par désespoir spirituel sont morts de soif dans un monde qui leur fit croire que Dieu et lamour nétaient quun mythe. Ceux-là sont sauvés, parfois sans même passer par un feu purificateur autre que le regard de Jésus. En effet, ils ressemblaient à saint Augustin. Cest Dieu quils cherchaient mais on leur avait caché son visage. En voyant limage de Dieu, ils vont infailliblement à lui. Creusés par la croix (lune des deux croix qui accompagnaient le Christ au Golgotha, selon que dans leur souffrance, ils restèrent justes ou se conduisirent durement), ils reconnaissent le Christ comme lobjet ignoré de leur désir de toujours. Parce quils ont beaucoup souffert et, par là, ont touché plus que tout autre leur petitesse, ces désespérés deviennent la plupart du temps de très grands saints au Ciel.
Pour illustrer le destin de ces âmes, voici lhistoire dune jeune fille. Catherine a été reçue dans les Cieux.
« Agée dun peu plus de vingt ans, elle ne sétait jamais bien sentie dans ce monde. Elle croyait pourtant en Dieu et se confiait parfois à lui. Elle avait aussi des amis mais, revenue seule dans son appartement le soir, elle était saisie dangoisses incompréhensibles qui létouffaient. Ses parents sinquiétaient: pourquoi notre fille narrive-t-elle pas à être heureuse? A force de ne pas comprendre, on finit par conclure à une angoisse sans cause
Un soir de février, il faisait un temps très mauvais sur la banlieue où elle résidait. Elle revint fatiguée de son travail. Elle se mit au lit tout de suite, cherchant un peu de sécurité sous les draps, comme lorsquelle était petite. Elle pensa que personne ne lui téléphonerait ce soir et quelle était bien seule. Le cur serré dangoisse, elle se leva et avala le contenu dune boîte de somnifères. Elle pensa: «Pardon » et elle sendormit.
Quelques heures plus tard, Jésus vint la réveiller. Auprès de lui se tenait Marie. Alors la jeune fille se leva et, sans emmener avec elle son corps, elle les suivit. Elle savait mal agi. Elle eut une vision de sa mère et son père, restés sur terre, dans la détresse. Le démon laccusa: Égoïsme! Lâcheté! » Cétait vrai[220]. Mais elle dit simplement à qui voulait lentendre: «Je ne suis pas digne. Faites de moi ce que vous voulez.» On lintroduit dans le paradis. Elle vit Dieu face à face. Satan protestait. « Inutile, lui fut-il répondu, elle est trop petite; elle ne tentend pas. »
Les autres suicidés font leur choix, librement, selon ce quest leur cur. Lorgueilleux obstiné sinstalle en enfer; Le tiède apprend au purgatoire lhumilité. Le juste et le saint entre directement au Ciel. Tout et jugé sur deux choses: lhumilité et lamour. Dieu est Humilité[221] et Amour.
Il faut ici se souvenir du moment de notre vie où nous avons été le plus heureux. Imaginons que cet instant sarrête et, sans jamais suser, revienne vivant et à chaque instant plus nouveau; multiplions ce bonheur par linfini en paix, en joie, en douceur et en force; donnons-lui un visage et un sourire, pensons que cette béatitude est la personne la plus simple et la plus aimable quil soit possible dimaginer et que son cur nous appartienne pour toujours. Au terme de cet exercice, nous pouvons dire que nous navons rien compris à la Vision de Dieu. Ce paradis, personne na pu le décrire, pas même Jésus dans lÉvangile. Lorsque Marie apparaît à des enfants, alors quelle ne cesse de voir Dieu tout en leur parlant, elle ne leur dit jamais rien de sa vision béatifique. Il ny a rien à dire. Cest Dieu et cest tout. Jadis lÉglise pour exprimer cette vision parlait du repos éternel. Cette expression effrayait les enfants qui avaient peur daller au lit pour léternité. Puis on a parlé de Vie éternelle pour signifier quau Ciel quest Dieu, on ne cesse de courir, de danser devant son visage[223]. Cette expression fait référence à lactivité extrême que revêt lexploration amoureuse de la Trinité. Mais là encore lexpression ne convenait pas à certains et surtout aux adultes fatigués. Autant se taire et se souvenir que nous serons tellement comblés que nous naurons plus de désirs[224]. Il faut dire plutôt que nous serons un immense désir sans cesse comblé. La petite Thérèse disait avant sa mort: Il ne pourra me surprendre tant je laime. Elle dit maintenant: Tu mas surprise, mon Dieu. Je ne connaissais rien de toi. La petite Thérèse est la plus grande sainte des temps modernes. Sa surprise a été immense. Quen sera-t-il pour nous?
(Chose certaine)
Dans la vision béatifique, cest la Trinité elle-même Père, Fils et Esprit Saint qui vient, telle une colombe au creux dun rocher, se nicher dans notre intelligence. Elle se fait notre propre pensée et se laisse comprendre par nous dans lexacte mesure où nous le désirons par notre amour. Celui qui aime désire davantage connaître son bien-aimé. Il le connaît et est comblé. Celui qui aime moins connaît moins bien Dieu mais est comblé dans son désir. Sainte Thérèse, pour expliquer ce mystère se souvient dune image enseignée par sa sur: «Dun grand verre et dun petit dé à coudre remplis tous les deux deau à ras bord, lequel est le plus plein? Nous comprenons alors pourquoi il est important daimer et daimer de plus en plus durant notre pèlerinage terrestre. Nous comprenons aussi pourquoi la souffrance (la croix dans notre vie) est utile, capable à elle toute seule de creuser notre cur afin de le rendre immense en désir de Dieu. Celui qui a faim désire davantage la nourriture.
Dans la vision béatifique, le Fils de Dieu se laisse voir sans aucun intermédiaire créé. Alors que sur la terre nous ne pouvons comprendre quelque chose de Dieu que par lhumanité de Jésus, au Ciel nous comprendrons son humanité par sa divinité. En effet, la Trinité deviendra limpide en elle-même et éclairera tout le reste. Notre âme, faite à limage de Dieu, se mettra à vibrer comme lui. Nous deviendrons semblable au Père et, en contemplant comme lui, nous verrons le Fils éternel. Nous deviendrons comme le Père et le Fils, tout en restant nous-mêmes[225] et, en les aimant, nous aimerons lEsprit Saint.
Tout est simple en Dieu. Toujours est-il que grâce à cette vision face à face, nous naurons plus ni la foi ni lespérance: nous naurons plus besoin de croire une quantité de choses sur Dieu puisque nous le verrons de nos propres yeux[226]. Nous naurons plus besoin despérer quoique ce soit par rapport à Dieu puisque nous le posséderons tout entier et pour toujours. Des trois vertus théologales, il ne restera plus que la charité, et cette charité se transformera en joie. Cest ce quenseigne saint Paul [227]: «La charité ne disparaîtra jamais. Les prophéties? Elles disparaîtront. Les langues? Elles se tairont. La science? Elle disparaîtra. Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité. Trois choses demeurent mais la plus grande dentre elles, cest la charité.»
Dieu prend si peu de place dans une âme tout en la comblant quil est possible, sans jamais le perdre du regard de faire une foule dactivités à son service. Il nous laisse toute la place et tout le temps, sans le quitter, de le prier pour nos frères de la terre ou du purgatoire, de parler (cest-à-dire après la mort de voir de lintérieur la pensée ou le cur de lautre âme ou de lange, tout en lui dévoilant sa propre pensée), de nous occuper de ceux qui sont sur terre. Lorsque sainte Thérèse de lEnfant-Jésus disait quelle passerait son Ciel à faire du bien sur la terre, ce nétait pas un vain mot ou une parole plus ou moins mystique. Il sagit dun apostolat aussi réel quefficace qui sera aussi le nôtre au Ciel. Étant unie à Dieu comme une épouse, elle a tous les droits. Il lui est loisible quand elle le veut de mobiliser les puissances angéliques pour faire le miracle quelle veut, pour apparaître à qui elle veut. Si elle semble apparaître bien peu souvent cest quelle agit exactement de la même façon que son époux. Il lui paraît bon de laisser la plupart du temps les hommes dans la foi pour que la pauvreté de leur exil multiplie les désirs de leur cur. Elle ne pense quaux mêmes choses que Dieu: amener ses amis à la charité la plus haute qui soit. Lun des apostolats les plus prenants de la petite Thérèse consiste à accueillir tous les hommes qui un jour ont pensé à elle, à lheure de leur mort. Au bras de Jésus, avec son corps psychique transfiguré par la vision béatifique, elle les entraîne vers le paradis. Elle travaille à elle seule plus que tous les saints exceptés Marie et Joseph car elle est appelée par tous. Nest-elle pas appelée par beaucoup de gens simples la petite sainte Vierge , la plus belle image de Marie?
Nous-mêmes, au Ciel, nous aurons le même pouvoir royal sur Dieu. Il obéira à nos moindres désirs puisquil nous verra faire de même avec lui. Notre apostolat sera sans commune mesure avec celui de la terre.
Mais quadviendra-t-il lorsque nous serons témoins de la damnation dun de nos frères? Existe-t-il quelque sujet de douleur dans le paradis? Si cest le cas, ne doit-on pas remettre en cause tout ce qui était affirmé plus haut sur labsence de désirs, la béatitude parfaite? Il semble même quil existe des preuves de cette douleur du paradis puisque Marie, dans ses apparitions, ne cesse de se montrer en larmes pour les pécheurs et les damnés. Pour répondre à cette question, il convient de se rappeler ce que nous avons sans cesse affirmé sur lenfer. Nul ne peut se damner que par un choix libre et fermement maintenu pour léternité. Durant la vie terrestre, Dieu fait tout ce qui est possible pour préparer lhomme à ne pas faire ce choix au moment de la mort. Mais sil le fait[228], Dieu se réjouit. Il ne se réjouit pas parce que quelquun se sépare de lui mais parce quil le fait librement. Dieu aime les damnés jusque dans leur enfermement et parce quil les aime, il respecte leur liberté. On pourrait comparer son attitude avec celle dun homme qui aime une femme avec tant de gratuité quil se réjouit quelle le quitte non parce quelle sen va mais parce quelle a choisi la voie qui lui plaît[229]. Il en est de même pour le Ciel entier à lheure où les hommes choisissent leur destin éternel. Quel que soit le choix, tout est paix[230].
Dans le paradis, tout est amour simple et paisible car tout est comme Dieu. Mais pour exprimer aux habitants de la terre cette charité éternelle, Dieu et Marie sont obligés dutiliser un langage compréhensible. Ainsi, comprendrions-nous à quel point Marie veut le salut des pécheurs si dans ses apparitions elle restait silencieuse et souriante? Ny verrions nous pas de lindifférence? Alors Marie exprime sa charité brûlante par le symbole des larmes et même des larmes de sang. Pourtant, Marie ne souffre plus. Sa paix et sa joie sont aussi profondes et stables que celles de Dieu. Tout le langage de la Bible est du même ordre. Dieu ne veut pas voir ses enfants égoïstes: il parle de sa colère, de sa fureur et de son bras vengeur. Mais chacun sait aujourdhui que Dieu ne se met pas en colère comme les hommes et na pas de bras. Par contre, il agit et fait tout pour sauver du péché. Parfois son action est forte. Leffet en est pour nous une certaine souffrance, doù lanalogie de la colère de Dieu. Nous expérimentons alors à quel point cela ressemble à de la colère.
(Chose certaine)
Avant la fin du monde, notre corps charnel ne nous sera pas rendu. Seuls Jésus et Marie le possèdent[231]. Nous devrions souffrir de ce manque dune partie de nous même. Nous ne sommes pas seulement notre âme mais notre âme est faite par nature pour donner vie non seulement à notre psychisme mais à notre chair. Cette question a laissé dans lexpectative bien des théologiens. Pourtant, la solution de ce problème semble avoir été trouvée dès les premiers siècles de lÉglise. Saint Augustin dit: Te posséder, Ô Dieu, cest être riche de tous les biens; tout avoir en étant loin de toi, cest ne rien posséder.[232] Il en est ainsi au Ciel, au sens le plus littéral. La vision béatifique nourrit lâme au point de lui faire oublier son appel bien réel pour le corps. Son énergie tout entière est happée par ses noces avec lAgneau, au point quelle na plus autre chose que lui.
Nous avons cependant montré que le psychisme subsiste, cest-à-dire toutes les facultés de la sensibilité qui sont communes aux hommes et aux animaux. Des sens nouveaux apparaissent et se démultiplient après la disparition des conséquences du péché originel. Un mort nest pas un pur esprit comme le pensait saint Thomas dAquin. En plus dune intelligence et dune volonté, il dispose des sens, de limagination, des souvenirs sensibles de son passé. Ainsi, bien avant la résurrection de sa chair, le mort est accueilli dans un monde adapté à son psychisme. Cest un monde dimages magnifiques[233].
Quant à lépoux, il prépare secrètement dautres surprises qui napparaîtront quà lheure de la résurrection de la chair. Lui seul en connaît la date[234].
(Chose certaine)
Le jour du Seigneur, son retour glorieux visible dun bout à lautre de la terre, mettra fin aux naissances et aux morts. La terre telle quelle est naura plus ni sens ni utilité, les hommes ayant tous sans exception fait leur choix pour léternité. Saint Paul raconte ainsi ce qui se produira alors[235]: Je vais vous dire un mystère: nous ne mourrons pas tous, mais nous serons transformés. En un instant, en un clin dil, au son de la trompette finale, car elle sonnera, la trompette, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, les vivants, nous serons transformés. Il faut en effet que cet être corruptible revête lincorruptibilité, que cet être mortel revête limmortalité.[236]
Les paroles de saint Paul sont claires: si nous sommes présents sur la terre au jour du retour du Christ, nous ne mourrons pas. Nous serons tous, sans exception, dispensés de la mort et ce sera le premier cadeau de noces de la part de Dieu. Nous avons montré que les dernières générations de lhumanité seront extrêmement cultivées et spiritualisées, même si elles auront tendance à se donner à un culte antichristique. Leur sensibilité sera affinée, beaucoup plus sensible au vide spirituel. Cest pourquoi la mort naura plus vraiment dutilité. Le règne désespérant de lAntéchrist et le retour glorieux du Christ seront des événements si puissants quils suffiront à rendre tous les genoux chancelants. Les damnés eux-mêmes seront dispensés de mourir, leur choix final étant parfaitement lucide et définitif.
(Chose certaine)
Le monde sera donc peuplé de deux sortes dhumains. Les anciens, ceux qui seront déjà passés par la mort, seront présents. Ils auront accompagné le Christ ou le Démon le jour de la Parousie. Mais ces personnes-là nauront pas leur corps de chair. Ils seront face à la dernière génération de lhumanité, bien en chair.
Avant la résurrection de la chair, lhomme est privé dune partie de son être. Il conserve bien sûr la partie essentielle de son être, son esprit, ses pensées et ses choix profonds. Mais tout semble indiquer quil conserve aussi la partie psychique de son être. Il voit, il entend. Il garde malgré la disparition de lorgane du cerveau, avec une acuité très grande, tous les souvenirs sensibles accumulés durant la vie terrestre et que la vieillesse fait parfois oublier. Cette découverte de la survie de la vie sensible est récente en Occident. On la doit aux études du docteur Raymond Moody sur les personnes victimes dun arrêt cardiaque[237]. Par contre le corps charnel a disparu. Son absence ampute le mort des sens du toucher et du goût qui lui sont liés. Ce manque est très peu gênant. Ceux qui sont déjà au Ciel sont parfaitement heureux. Comment pourrait-il en être autrement puisquils voient Dieu?
Pourtant Dieu ne nous laissera pas éternellement amputés dune partie de nous-mêmes. En cet instant, la trompette sonnera[238], dit saint Paul. Cette trompette symbolise la voix du Christ. Tout pouvoir lui a été remis par Dieu. LEsprit Saint qui repose sur lui est décrit dans la Bible comme une trompette ou un tonnerre à cause de sa force[239]. Cest à lui quappartient, à travers son humanité, de donner un tel commandement.
Il donnera un ordre à ses anges. Eux, utilisant leur puissance naturelle sur cette matière quils façonnent depuis la création du monde, récolteront de la terre et, à partir de ses éléments, reconstitueront le corps complet, parfait et en pleine jeunesse de tous les morts. Ce sera leur corps à eux, reconstitué précisément mais débarrassé de ses défauts. Les handicapés renaîtront en pleine possession de tous leurs moyens, les trisomiques ne porteront les stigmates de leur handicap que comme une gloire de leur âme plus humble. Chaque mort, en un éclair, réintégrera son propre corps dont elle reconnaîtra chacune des fibres.
Nous ne voulons pas signifier par là que ce corps sera fait avec les mêmes éléments matériels qui ont déjà servis durant notre vie terrestre (atomes et molécules).[240] Nous affirmons que notre corps de ressuscités sera notre vrai corps physique, aussi palpable et capable de manger que celui de Jésus après sa résurrection.
La résurrection de la chair fait partie de la foi. A cela, on pourrait semble-t-il objecter le texte de saint Paul dans sa première lettre aux Corinthiens[241]: On est semé ici-bas corps psychique, on ressuscite corps spirituel. Sil y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel... Linterprétation de ce texte pourrait conduire à affirmer lapparition dun corps qui nest plus fait de matière mais qui, de fait, est celui dun pur esprit. Les anges eux-mêmes ne se façonnent-ils pas parfois des apparences de corps que lon peut voir et toucher?[242] Or les Évangiles ne cessent de nous le rappeler, saint Paul na pas voulu dire cela. Jésus prouve à Thomas dans son apparition quil a un vrai corps. Mets ton doigt dans mon côté, ne soit pas incrédule, soit croyant.[243] Avec son autorité infaillible, lÉglise a confirmé quil sagit bien dune résurrection de la chair, cest-à-dire des molécules palpables quun fantôme ne possède pas. Il sagira bien de notre corps physique mais il sera, aussi bien pour les saints du Ciel que pour les damnés, débarrassé de tous ses défauts. Ces défauts ne serviront plus à rien puisque notre choix aura été fait. Les damnés et les saints réintégreront la perfection de leur être, pour que chacun puisse vivre comme il le désire, loin de Dieu ou près de lui. Déjà au temps du prophète Daniel, les juifs savaient que tous les morts sans aucune exception ressusciteraient un jour: Une multitude, ceux qui dorment au pays de la poussière séveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la réprobation et lhorreur éternelle.[244] Dieu rendra à chacun son corps, respectant même chez les damnés la liberté qui les a conduits à choisir lhorreur éternelle dune vie sans amour[245]. Saint Paul, en parlant dun corps spirituel, voulait signifier que les saints comme les damnés réintégreront leur corps parfaitement soumis et adapté à leur esprit.
Notre corps sera spirituel en ce sens quil obéira tout entier à notre esprit. Les damnés eux-mêmes seront dotés de cette liberté à une nuance près: leur esprit sera malade de labsence de Dieu. Il brûlera de lintérieur du feu de ce manque. Ainsi, malgré la présence dun corps doté dincorruptibilité et parfaitement soumis à leur volonté, ils nen profiteront pas. Que sert à lhomme davoir une santé physique parfaite et un contrôle de son psychisme sil nest pas heureux? Cela se répercutera dailleurs dans leur apparence. Leur corps sera doté dune grande vitalité mais leur visage sera sans cesse déformé par les effets de leur égoïsme choisi. Tout leur malheur viendra de leur esprit orienté vers un choix pervers. Ils ne penseront quà eux-mêmes, à leur obsession tendue vers leur propre réalisation, mais ils ne pourront réaliser ce but loin de Dieu qui seul aurait pu les combler. Ils écumeront de colère. Toutes les passions mauvaises seront leur lot quotidien puisquils chercheront le bonheur, cest-à-dire Dieu, tout en refusant la nature et les conditions de ce bonheur. Cest une contradiction interne, choix de leur liberté, que la Bible appelle «lhorreur».
Les humbles, quant à eux, recevront de la part de Dieu ce même corps, doté de la même perfection. Mais, pour eux, tout sera surélevé en gloire. Comment pourrait-il en être autrement puisquils verront Dieu? La Trinité emplira leur esprit, comblant en béatitude tous leurs désirs. En conséquence, leur sensibilité et leur corps seront plus que soumis totalement à leur esprit après le miracle de la résurrection. Ils sen trouveront glorifiées, cest-à-dire dotés de pouvoirs venant de Dieu. Des propriétés nouvelles et inimaginables apparaîtront[246]. Saint Thomas dAquin, regardant la façon dont se comportait Jésus après sa résurrection, les résume en quatre mots: impassibilité, subtilité, agilité et clarté[247].
Elle signifie labsence de toutes les mauvaises passions comme les tristesses, les angoisses et les peurs, les désespoirs. Elles seront impossibles puisque Dieu et nos prochains seront là. On ne souffrira pas de la damnation des méchants puisque, devenus simples comme Dieu, on respectera leur choix et on se réjouira de leur liberté. Mais toutes les passions positives seront données. Comment pourrait-il en être autrement auprès de Dieu? Joies et plaisirs sensibles seront le lot quotidien de la vie au paradis. Cela se fera sans aucun retour sur soi, au service exclusif et simple de notre esprit donné à lamour de Dieu et de notre prochain. A cause de la soumission complète de notre corps à notre esprit, nous naurons jamais à lutter contre la tendance égoïste de cette sensibilité. Avant même lapparition du nouveau monde physique que Dieu construira comme le plus génial des metteurs en scène, il comblera nos sens du spectacle dune profusion infinie de vie et de beauté. Nous ne pouvons pas imaginer les joies sensibles, les émotions que susciteront la vue, à travers nos yeux de chair[248] du Sauveur, de Marie, la mère de tous nos frères ressuscités et vivant avec nous au paradis. Chaque personne sera comme une vision de lumière, un paradis à elle seule, à chaque fois nouveau et différent de lautre.
Elle représente pour saint Thomas la propriété quavait le corps ressuscité de Jésus de passer à travers les obstacles matériels. Il en sera de même pour nous. Transfigurés par la Vision de Dieu, devenue déiforme, notre âme recevra la puissance naturelle de dominer chaque parcelle de notre corps, le rendant subtil et capable de contourner de lintérieur les obstacles des corps composés datomes. Comment cela se fera-t-il? Nous nen savons rien. Mais la science moderne connaît déjà quelques-unes des propriétés immenses de cette matière créée par Dieu. Il ne sagit sans doute que de la partie apparente dun iceberg dont nous découvrirons les potentialités, de lintérieur, par lobéissance totale de notre corps.
Elle est la capacité quaura notre corps à se déplacer, à la vitesse que nous voudrons et au gré des désirs de notre liberté. Pour déplacer un corps physique quel quil soit, même sil est revêtu des propriétés de la lumière, il faut de lénergie. Nous ne disposerons pas seulement comme ceux qui auront choisi de vivre loin de Dieu de la puissante vitalité de notre âme. En effet, en voyant Dieu, en vivant en sa Trinité, nous disposerons à volonté de toute sa puissance. Au moindre de nos désirs, il obéira puisquil sera un avec nous. Nous pourrons donc nous déplacer dans lunivers et en visiter tous les recoins, tous les habitants, sans jamais quitter Dieu, à la vitesse de linstant, de la pensée. La science, à travers Einstein, a démontré les limites de ce qui est propriété naturelle de la lumière. Sa vitesse ne peut en être dépassée mais le temps est une notion relative. Dépasser la vitesse de la lumière, cest aussi raccourcir le temps. En Dieu, tout cela naura plus de sens puisquil est un époux tout puissant et partout présent. Il pourra nous transporter, tel laigle et sa nichée, à une vitesse qui est hors du temps. A quoi pourra servir cette propriété merveilleuse de notre corps? A visiter lunivers. On se demande souvent pourquoi Dieu a été si généreux dans sa création. Pourquoi tant de mondes immenses dont nous apercevons le scintillement la nuit? Le monde nouveau na rien à voir avec le misérable aquarium quétait la terre. Dieu qui est le plus puissant des époux, est capable doffrir à chacun de ses bien-aimés un univers entier. Il y a davantage de galaxies dans le ciel quil ny a eu dêtres humains sur la terre. Chaque galaxie est immense au point quun rayon de lumière met cent mille ans à la traverser. Nous passerons notre éternité à visiter linfini, sans jamais quitter la vision de Dieu et la présence de nos frères. Il nest pas exclu que chacun reçoive, en cadeau de noces, une galaxie entière. Saint Paul écrit [249]: «Nous annonçons ce que lil na pas vu, ce que loreille na pas entendu, ce qui nest pas monté au cur de lhomme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui laiment. »
La plus belle propriété de notre corps sera sans doute sa clarté. Il ne sagit pas seulement dune clarté extérieure comme celle du corps de Moïse après sa rencontre avec Dieu. Il sagit dune clarté qui vient de lintérieur de lâme, rayonne sur les sensibilités et donne au corps la jeunesse de sa sainteté. Ainsi, plus une âme sera unie à Dieu, plus elle nous paraîtra jeune et belle. On se demande souvent quel âge auront les ressuscités. La question est mal posée car elle est liée à une biologie dici-bas. Dans lautre monde, être âgé naura pas le même sens. Tout le monde, saints comme damnés, aura la pleine vitalité de la jeunesse, mais avec ce je ne sais quoi qui peut rendre un vieillard plus jeune quun adolescent. Au sommet de tout, conjointement à Jésus, le corps glorieux de Marie attirera tous les regards. Sa beauté inégalée ne rivalisera pas avec les beautés uniques de ses enfants , dit sainte Thérèse de lEnfant-Jésus. Elle paraîtra à la fois intensément jeune et intensément mûre. Elle paraîtra jeune par la pureté, mûre par sa sagesse. Chacun de nos frères constituera un temple du Dieu unique, mais non bâti de main dhomme où la Trinité séjournera sans jamais sen aller. Un seul élu contemplé ici-bas surpassera tout ce qui a été fait de beau par les artistes depuis que le monde existe. Contemplée une vie entière, la beauté et la gloire du plus petit dans le Royaume de Dieu ne lassera pas.
Les damnés, bénéficieront de la même qualité de leur corps. Leur péché transparaîtra à travers leur corps ressuscité. Leur corps sera donc « luisant » de péché. Il seront vieux. Si un enfant choisit lenfer, ce sera un enfant vieux.
On pourrait multiplier les descriptions imaginatives (donc bien en deçà de la réalité) des corps ressuscités. Tout ce que pourraient en dire les plus grands poètes ne ferait que contrefaire le mystère. Mieux vaut laisser à Dieu le soin de nous surprendre. Il prépare cette fête depuis léternité.
(Chose certaine)
Lorsque le dernier homme aura achevé de purifier son amour à travers un purgatoire de solitude, tout sera consommé. Il ny aura plus que deux « demeures » dans lautre monde, cest-à-dire deux types dhommes. Ils sont symbolisés dans lÉcriture par le bon grain et livraie[250]. Il sagit des habitants du paradis et de lenfer. Ils ne convient pas dimaginer cela comme deux mondes physiquement séparés. Lenfer étant un choix de liberté, respecté par Dieu, son lieu est le même que celui du paradis. Cest lunivers entier et ses merveilles. De fait, Dieu donnera aux damnés obstinés en cadeau tout ce quils désirent. Ils recevront la puissance à laquelle ils aspirent. Ils auront la possession de lunivers. Ils pourront y faire ce quils veulent selon le choix de leur liberté. Une seule chose leur sera refusée: la Vision sublime de Celui qui voulait les épouser. Faut-il donc affirmer que les paroles de lÉcriture qui les décrivent condamner à un étang de feu[251], sont de vaines images? Il sagit au contraire dune triste réalité, pire encore que la lettre du texte laisse imaginer. En effet, à cause de leur méchanceté intérieure, toute cette liberté et puissance se retournera contre eux. Ils ne profiteront de rien. La vue dune fleur ou de toutes les merveilles créées par Dieu sera source dallégresse pour les saints[252]. Pour les damnés, elle sera une pointe de plus dans leur cur envieux. Mais la plus grande souffrance sera pour eux la vue dun élu. Ils ne supporteront pas la vue de lhumilité et de la gloire quelle mérite. Ce sera pour eux un objet de rage qui leur rappellera douloureusement la perte quil auront faite. Ils fuiront donc le plus loin possible, dans les recoins les plus sombres de lunivers. Ils se sépareront à jamais de toute présence vivante et habiteront les lieux déserts. Plutôt que de céder à lamour et de se repentir, ils rumineront la haine pour toujours.
(Chose certaine)
Le chapitre 7 a déjà décrit, autant que faire se peut, ce qui fait lessence même du paradis: «Voir Dieu face à face et ne posséder rien dautre vaut infiniment plus que posséder lunivers entier et avoir perdu Dieu[253].» Pourtant, Dieu se prépare à offrir à ses amis, en plus de lui-même, un univers entier. Il ne sagit pas dune exagération littéraire. Nous lavons dit, «selon quil est écrit, nous annonçons ce que lil na pas vu, ce que loreille na pas entendu, ce qui nest pas monté au cur de lhomme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui laiment[254].» A partir dici, nous abordons les grâces supplémentaires que Dieu a préparées[255]. Cest un travail limité. Dincroyables surprises nous attendent. Parmi elles, quelques-unes sont certaines.
Après la résurrection de la chair, lhomme retrouve la plénitude des facultés physiques, le sens du toucher inclus. En toute logique, la présence de ce corps doit saccompagner de la recréation dun univers physique qui lui corresponde. A lheure dite, immédiatement après le retour du Christ, conjointement à la résurrection des morts, il préparera la réalisation de bienfaits inimaginables jusque dans notre sensibilité et notre corps, jusque dans le monde physique quil transformera, pour que nous puissions admirer éternellement sa richesse et sa beauté.[256]
Nous ne pouvons nous faire une idée de lénergie quil déploiera pour nous combler. Dieu ressemblera à un fiancé enfin réuni à sa bien-aimée. Il ne sait que faire pour elle. Il se donne à elle et cela suffit. Pourtant, il ajoute toutes les folies que lamour peut imaginer: des parures somptueuses, des royaumes, des amis, des fleurs, des animaux... Dieu se comportera de la même façon, comme un prince des contes, à la mesure de sa toute puissance. Il créera un univers grandiose de telle façon que léternité ne nous suffira pas pour le visiter. A vie éternelle de bonheur, Dieu fait correspondre un univers infini de beautés.
(Chose certaine)
Il commencera son oeuvre en détruisant. Saint Pierre nous décrit son action: «Il viendra, le jour du Seigneur, comme un voleur. En ce jour, les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, la terre avec les oeuvres quelle renferme sera consumée[257]. Comme tous les textes apocalyptiques, ce texte parle en premier lieu de notre mort individuelle. Mais il décrit aussi la fin de notre planète. Dieu ne voudra pas la laisser subsister car elle est souillée tout entière des restes de nos péchés. Rien ne devra demeurer des immenses cités où lhomme a si rarement vécu pour son prochain. Personne ne regrettera les cathédrales gothiques, qui furent construites comme toute uvre humaine dans un mélange dorgueil et de sainteté, où lon priait si mal au temps où Dieu se cachait dans son eucharistie. Personne ne voudra garder les immenses bibliothèques puisquon lira les sciences à livre ouvert sur le visage de Dieu et dans la science des anges. Il ne devra rien subsister du monde ancien, pas pierre sur pierre[258], car le monde nouveau le remplacera. Même les oeuvres faites par Dieu pour cette terre disparaîtront. Les textes des Évangiles seront brûlés par le feu dont parle saint Pierre[259]: nous aurons le Christ lui-même, présent devant nos yeux. « Les prophéties ? Elles disparaîtront. Les langues? Elles se tairont. La science? Elle disparaîtra. Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. »[260]
(Chose indécise tant la puissance de Dieu nous dépasse. Au lecteur de juger)
Après la destruction de la terre, Dieu commencera à façonner un nouvel univers. Il sagira dun univers physique, tout autant que notre corps, mais adapté à sa nouvelle vie. Il sera donc comme lui éternel, délivré de toute corruption et génération, dispensé de cette loi de désagrégation (lentropie) qui nous tient actuellement. Cest Dieu lui-même qui, en le soutenant comme il soutiendra notre corps et le dispensera de se nourrir, le rendra incorruptible. Nous comprendrons à cette heure lutilité des milliards de mondes dont nous apercevons la lumière la nuit par temps clair: il existe des milliards détoiles parce que ces mondes sont préparés pour nous après notre résurrection. Nous pourrons les visiter et qui sait ce que Dieu y aura préparé en beauté, nouveauté et féerie? Ces mondes sont-ils habités par des créatures spirituelles? Rien dans la révélation ne nous permet de laffirmer ou de le nier. De grands théologiens ont répondu non à cette question, affirmant que nous étions le centre du monde: la preuve de ce fait leur paraissait sauter aux yeux puisque le Verbe de Dieu sest fait homme « pour nous». La réponse est solide au moins en apparence. Mais elle oublie un détail: si le Verbe sest incarné[261], cest quil est capable de folies damour dont personne ne peut soupçonner la limite. Rien ne la empêché de créer des anges et de les conduire à la vision béatifique en un instant, dès le premier acte de leur amour pour lui. De même qui peut affirmer en son nom quil est certain quil na pas mis, en chacune des milliards de galaxies, des êtres dotés de vie spirituelle quil destine à être nos compagnons de bonheur pour toujours? Nous ne pouvons savoir avec certitude quune chose: sil les a créés, cest quil veut se donner à eux comme à nous et aux anges, dans le bonheur de sa présence. Comme à nous et aux anges, il ne demandera quune condition: humilité et amour offert en retour.
(Chose indécise. Au lecteur de juger)
La création tout entière gémit dans lattente de la révélation des fils de Dieu[263].
Voici que jétablis mon Alliance avec vous et avec vos descendants après vous et avec tous les êtres animés qui sont avec vous: oiseaux, bestiaux, toutes bêtes sauvages avec vous, bref tout ce qui est sorti de larche, tous les animaux de la terre[264].
Nous allons maintenant traiter dune question très importante aux yeux des enfants, malheureusement déclarée comme négligeable par des générations de théologiens, excepté ceux de la grande Ecole franciscaine (saint Bonaventure): que prévoit Dieu pour les animaux?
Ne vivent-ils pas sur la terre avec nous, mis par Dieu pour notre service? Leur rôle est multiple. Le plus important semble être leur témoignage involontaire, mais réel de la richesse du Créateur[265]. Mais, à côté de cela, ils nous nourrissent de leur chair, ils font du bien par leur présence aux personnes seules et angoissées, aux enfants en quête déquilibre. Ils servent de matériel dexpérience et, au moins pour ce qui est des animaux supérieurs, ils font tout cela à travers une vie empreinte de souffrance physique et psychique. Il serait faux de nier la souffrance des animaux, même si elle nest « que » sensible et si le fait quils nont pas desprit capable de réfléchir au sens de leur vie, les dispense des souffrances spirituelles.
Jusque dans les années 1970, la philosophie scolastique occidentale affirmait que les animaux ne pouvaient pas survivre après leur mort, dans lautre monde. « Ils nont pas comme nous une partie deux-mêmes capable de survivre en absence du corps. Ils disparaissent donc.» De même, ils ne sont pas appelés par Dieu à la vision béatifique: ils nen ont aucun désir puisque Dieu est Esprit et queux ne sont faits que de chair[266].
Entre temps, la découverte de la N.D.E.[267], modifia considérablement les données. On saperçut que, au delà de la logique du philosophe Aristote, la mort ne détruisait pas le « psychisme». Pour Aristote, lhomme possède trois degrés de vie. Le corps physique, palpable, est composé de chair. Il se décompose à la mort. Le psychisme est le siège des facultés vitales qui nous sont communes avec les animaux. Selon lui, les facultés comme les cinq sens, la mémoire des choses sensibles, limagination, lintuition animale disparaissaient nécessairement avec la destruction du cerveau qui constitue leur organe. Pour lui, seul lesprit et ses deux facultés propres à lhomme (intelligence des choses immatérielles, volonté libre) survit puisquil dépasse lorgane du cerveau.
Or le vécu des mourants montrait tout autre chose. Ils survivaient en dehors de leur corps et ils voyaient, ils entendaient Depuis plusieurs millénaires les religions anciennes telles que celle de lÉgypte antique ou de lInde connaissaient la survie du psychisme humain. Elles affirmaient que les animaux, étant doués eux-mêmes de psychisme, survivaient. Une religion encore plus primitive telle que lanimisme, remontant aux chasseurs-cueilleurs, enseignait des rituels pour sexcuser auprès des « esprits animaux » de la nécessité de les avoir tués à la chasse. De cette manière, les futures chasses nétaient pas perturbées par lavertissement des animaux morts aux animaux vivants. Tout ceci indique une tradition profonde et aujourdhui philosophiquement accessible à la raison[268].
Que deviennent les animaux? Pour répondre à la question de leur présence dans le monde nouveau, et pour avoir avec certitude la réponse juste, il existe un moyen original mais efficace. Il faut demander à un enfant. Cette méthode théologique ne doit pas faire sourire. Elle est conseillée par le Christ lui-même, puisquil affirme que les enfants qui ont su garder une âme denfant, ont leur ange qui contemple sans cesse la face du Père[269]. Il faut lui poser la question suivante: «Si tu étais à la place de Dieu et que tu avais le pouvoir de laisser les animaux en vie ou de les ressusciter pour orner le monde nouveau, tout en les rendant incapables de faire du mal aux autres animaux[270], le ferais-tu? La réponse fait si peu de doute quil est inutile dinsister davantage.
Dieu fera la même chose, pas seulement pour nous mais aussi pour eux afin quils puissent recevoir une compensation et un remerciement sensible pour les souffrances sensibles endurées pour nous sur la terre[271]. Leur paradis à eux ne sera pas la vision de Dieu mais notre présence. Comme cela aurait du être au paradis terrestre, ils seront attirés par la douceur des saints, comme ils létaient déjà par celle de saint François dAssise ou de saint Antoine de Padoue.
De plus, il convient que les créatures matérielles comme les animaux et les plantes demeurent afin quil ne manque rien à la perfection de lau-delà. En effet, ce monde nouveau verra chaque chose atteindre sa fin qui est Dieu, selon une hiérarchie adaptée au mode de chacun. Lordre sera fondé sur la charité. Dieu, qui est lAmour incréée est au sommet. Puis viennent les créatures spirituelles qui participent à la charité, cest-à-dire les saints. Et le plus élevé dentre eux, dans cette hiérarchie nouvelle de la Jérusalem céleste, cest Jésus qui dans son humanité ne fait quun avec Dieu. Vient ensuite la Vierge Marie dont lamour de charité dépasse celui des anges. Elle a reçu une plus grande participation à la gloire. Lordre des créatures spirituelles, cest-à-dire des anges et des hommes sen suit et nest pas mesuré par la perfection naturelle de chacun mais par sa perfection surnaturelle. Viennent ensuite les êtres qui ne participent pas à la vision de lEssence divine. Certains en sont exclus par nature, comme les animaux, les plantes et le monde minéral puisque ces réalités sont dépourvues de facultés spirituelles. Dautres réalités sont exclues de la vision béatifique à cause dun choix de leur volonté. Les damnés constituent les êtres les plus bas, non à cause de leur nature qui dépasse celle du monde matériel mais à cause de leur choix qui les rend inférieurs aux biens quils choisissent. Ainsi voit-on déjà sur la terre des hommes pervertis se comporter dune manière inférieure aux animaux. Et, par leur existence, ils proclament comme le reste de la création la gloire de Dieu qui laisse chacun libre de se séparer de lui. En conséquence, dans le monde nouveau, aucun des éléments essentiels à sa perfection générale ne manquera[272].
Mais Dieu ne se contentera pas des espèces ayant vécu sur terre, pourtant nombreuses et diverses. Il multipliera à lenvi les merveilles au point que chaque parcelle de lunivers sera... Mais il vaut mieux faire silence. Dieu se prépare[273].
Une telle précision sur le destin des hommes après la mort étonne. Doù lauteur tient-il cela? Aurait-il des entretiens secrets avec les morts? Dans ce chapitre, je voudrais expliquer à ceux qui se posent la question intellectuelle de mes sources, à quel point le théologien fait un travail dâne de charge, mais dâne du Christ. Il découvre par des voies abruptes et compliquées ce que les enfants de Dieu savent depuis toujours, simplement en le fréquentant par la prière.
Parmi tout ce qui a été raconté précédemment, je voudrais insister sur un exemple: comment puis-je affirmer avec certitude que le Christ apparaît devant les yeux physiques[274] de tout homme, avec son corps lumineux, à lheure de sa mort. Si vous êtes un simple croyant, cela a pu vous paraître évident. Le cur des fidèles ressemble à Jean dans lévangile, il court plus vite que Pierre. Une bretonne, née dans les années 1930 dans le Finistère disait: lorsque jétais petite, notre curé-doyen nous enseignait au catéchisme que le Christ viendrait nous chercher à lheure de notre mort, accompagné de Marie et des saints... Si vous êtes théologien, vous avez du bondir. Vous navez pas tort. Ce point précis est le fruit ultime dune longue recherche et elle est loin dêtre aboutie. Le successeur de Pierre nen a pas encore confirmé la vérité.
Lorsque Jésus, le Verbe de Dieu fait homme, eut accompli son oeuvre, les théologiens se mirent à réfléchir et eurent peur. La plupart des hommes leur semblaient être voués, après la mort, à lenfer éternel.
Ils étaient réalistes. Ils observèrent lhumanité à la lumière de la révélation et ne purent que constater le fait suivant. Même parmi les hommes qui avaient entendu parler de la Bonne Nouvelle de lamour de Dieu, très peu étaient capables den rester admiratifs toute leur vie. Beaucoup, après avoir été réellement touchés par le message, finissaient par loublier. Ils ny mettaient pas de mauvaise volonté mais se laissaient le plus souvent accaparer par les mille occupations de la vie. Ces chrétiens nétaient plus aimants. Ils vivaient comme les païens qui les entouraient, à la recherche de leur bien-être quotidien. Cette constatation est surprenante et pourtant tout entière prévue par le Christ. Quon se souvienne du texte suivant: Il est large et spacieux le chemin qui mène à la perdition et il en est beaucoup qui sy engagent, mais elle est étroite la porte et resserré le chemin qui mène à la vie et il en est peu qui le trouvent[275].
Se souvenant que nul ne peut entrer dans la Vision béatifique sil naime (Agapé) Dieu, ces théologiens se mirent à comptabiliser autour deux ceux qui seraient éternellement damnés. Tout homme chez qui on pouvait discerner la moindre parcelle damour de damitié pour Dieu leur paraissait apte à être sauvé. Les théologiens nignoraient pas que Dieu saurait, après la mort, purifier cet amour aussi faible soit-il. Mais tout homme qui naimait pas Dieu ainsi et qui mourait sans la charité leur sembla perdu définitivement. Le premier, saint Augustin développa cette thèse, suivi par saint Thomas dAquin. En effet, il était certain, et cela reste encore vrai, que lamour de charité devait exister dans lhomme avant sa mort. Très vite, la parole du pape de Rome confirma leur intuition: le temps du choix est la vie terrestre. Après la mort vient le temps de la réception du salaire. On le devine, les portes de lenfer étaient largement ouvertes. Elles étaient non seulement ouvertes pour les païens, mais aussi pour les enfants morts sans baptême. La théologie des limbes, établie par saint Augustin, montre que ces enfants ne peuvent quêtre séparés de Dieu pour léternité, quoique sans souffrance, puisquils sont morts sans la présence de Dieu qui leur aurait permis dêtre sauvés, cest-à-dire dépouser Dieu.
Pendant des siècles, cette vision terrible alimenta les chrétiens. Il semble que cette erreur (car il en sagit dune, dira un des successeurs de Pierre au XXème siècle) plaisait à Dieu. En effet, paradoxalement, elle porta des fruits salutaires. Beaucoup, effrayés par la perspective de lenfer, se tournèrent vers Dieu. Lhomme est ainsi fait que la peur peut le convertir. Surtout, lévangélisation des peuples ne se fit que grâce à cette théologie, pour la même raison qui pousse aujourdhui les témoins de Jéhovah à suser dans le porte à porte. Saint Dominique, par exemple, passait des nuits entières à pleurer en suppliant Dieu: «Que deviendront les pauvres pécheurs? Saint François Xavier partit évangéliser les Indes pour sauver quelques païens de lenfer. Jusquà aujourdhui des milliers de missionnaires chrétiens (et musulmans) partent poussés par ce désir du salut de leurs frères malchanceux. Ce furent les fruits positifs, produits pourtant par une théologie de la peur.
Mais cette théologie était-elle vraie? Au XIXème siècle et surtout au XXème, de grands auteurs théologiques se rendirent compte que beaucoup de ces enseignements pourtant communément dispensés en chaire depuis des siècles navaient jamais été confirmés officiellement par lÉglise. Les papes, assistés par lEsprit Saint, qui en raison de son aide ne peuvent se tromper dans lenseignement de la foi, ne parlaient jamais par exemple de la damnation des enfants morts sans baptême. Aucun dogme ne se prononçait sur la certitude de la damnation des païens! Les théologiens montrèrent que beaucoup de ces conclusions effrayantes nétaient que lopinion de certaines écoles du Moyen-Age, opinions certes logiques avec une partie de la foi catholique, mais certainement pas avec la foi toute entière. Cest ce que comprenaient de mieux en mieux les saints. Leur prière et leur méditation leur rendaient de plus en plus évident cet aspect fondamental de la foi: Après être mort sur la croix, comment Dieu pourrait-il rejeter pour léternité certains de ses enfants « coupables » de nulle autre chose que de ne pas avoir entendu parler de son existence durant leur vie? Le Curé dArs, Marthe Robin (qui nest pas encore une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits sont cités à titre de témoignage), pour nen citer que quelques-uns, ne cessèrent de sinterroger, mais ne donnèrent pas de solution. Alors beaucoup de prêtres devenus prudents choisirent de ne plus parler des mystères de lau-delà.
Cest une attitude excessive, nous lavons dit dans la préface. La solution est à portée de main. Elle est nécessairement contenue dans lÉvangile ou dans la Tradition de lÉglise, puisque tout a été dit. Cest ce que lApocalypse de saint Jean affirme[276]: «Qui oserait y faire des surcharges, Dieu le chargera de tous les fléaux décrits dans ce livre! »
Comment la trouver? Comment être sûr de dire ce que Dieu dit? Dans le peuple chrétien, depuis le Concile Vatican II, des voix sy essayent mais vont trop loin puisquelles balayent dun revers de main 2000 ans de christianisme: Dieu est amour, il ne peut rejeter personne. Il pardonnera même à Lucifer. Lenfer ne peut être éternel. La bonne volonté de ces cris est évidente. Mais quelque chose leur manque. Nétant plus formés en théologie, ils recherchent dans des directions depuis longtemps manifestées par lÉglise comme des voies sans issue. Le péché de Lucifer na que faire du pardon de Dieu[277]. Il nest pas pardonné car il se moque de lêtre.
Ainsi, pour éviter de partir sur de faux problèmes lorsquon veut faire de la théologie, il est prudent de se souvenir sans cesse de ce qui suit: il existe une méthode qui permet déviter la plupart des erreurs. Cest la méthode que jai suivie. Au lecteur den juger.
(Chose certaine et fondamentale)
La seule autorité qui de manière absolue est certaine en matière de Révélation, cest la parole du Dieu unique et éternel.
Elle est matérialisée dans la Bible en mots humains. Traduire des vérités infinies par lanalogie de mots limités est impossible. Cest pourtant le pari que Dieu a fait en sadressant aux hommes à travers les paroles de divers prophètes, puis en se faisant lui-même homme. Je me suis servi des textes explicites de la Bible à chaque fois que cela a été possible. Mais, il faut le reconnaître, je ne lai jamais fait de manière matérielle. Je nai jamais dit par exemple que le feu de lenfer dont parle Jésus était un feu matériel. Pourquoi ai-je agi ainsi? Parce que la Bible est un véritable labyrinthe. Certains textes sont des images. Dautres parlent au sens propre. Les protestants ont cru pouvoir discerner par eux-mêmes en sappuyant sur le texte seul. Ils espéraient se libérer de lautorité des papes. Ils se sont livrés pieds et mains liés aux interprétations de leurs divers chefs.
Il existe heureusement une seconde source. Elle est une aide pratique que catholiques et orthodoxes sunissent à reconnaître. Il sagit des saints canonisés et, en particulier, des docteurs de lÉglise. Nul ne peut être canonisé sans avoir obtenu de Dieu, après sa mort, quelque miracle remarquables. Un miracle nest pas un simple prodige parapsychologique. Cest un phénomène qui dépasse les lois de la nature et qui vient nécessairement de Dieu[278]. Si Dieu manifeste quil bénit de cette manière certains théologiens morts, cest que leur théologie doit être plutôt bonne et vraie. Cest de cette manière que la Tradition de lÉglise na cessé de sapprofondir. A chaque fois que cela ma été possible, je me suis appuyer sur ces saints: Saint Thomas dAquin pour lensemble de la théologie, sainte Catherine de Gênes[279] pour le purgatoire, sainte Thérèse de lEnfant Jésus pour le destin des enfants morts, etc. Tout cela paraît simple et imparable. Malheureusement, les plus grands saints théologiens ne cessent de se contredire Ils ont dit tout et linverse. Saint Thomas dAquin, dominicain, ne crut jamais que Marie était lImmaculée Conception. Saint Bonaventure, franciscain, lenseignait à la même époque.
Cest pourquoi un dernier moyen utile et pratique a été prévu par Jésus avant sa passion: il sagit de la personne de Pierre. Il existe un charisme particulier, donné à un homme marqué du sceau de lautorité, pour confirmer leurs frères dans leurs interprétations laborieuses de lÉcriture Sainte. Jésus laffirme à Pierre, le premier pape: Jai prié pour que ta foi ne défaille pas. Quand tu seras revenu (de ton reniement), affermis tes frères[280]. Quon y croie ou non, on est obligé dadmettre que même les papes corrompus sont restés infailliblement fidèles à la même foi. Ils ont établi fidèlement les dogmes de lÉglise, par centaines: « Cette affirmation est vrai. Tu peux tappuyer sur elle sans crainte.
Étant catholique, jai fait le pari découter lÉglise. Ce nest pas à la mode de nos jours. Pourtant, à lintersection de trois chemins (Enseignement des saints, Écriture et confirmation de Pierre), jai trouvé quelque-chose dunique: là, la Lumière et lAmour, qui sont les marques de Dieu, sunissaient.
Certains dogmes sont, il faut le reconnaître, difficiles à comprendre et à accepter. Ainsi, celui de léternité de lenfer posait problème. Cependant, et cest le propre de la foi, il faut avoir laudace en toute confiance dadhérer à la vérité de cet enseignement. Si Pierre a parlé, cest que lEsprit Saint a confirmé par sa bouche. Relisez le chapitre sur lenfer. Même lenfer proclame que Dieu est amour. Cest bon signe car rien, dans lÉvangile, ne se comprend en dehors de cet amour.
(Le théologien est un chercheur de la vérité tout entière)
Appuyé sur cette méthode, voici comment il est possible de découvrir que « le Christ reviendra dans sa gloire juger les vivants et les morts », non seulement à la fin du monde, mais à lheure de la mort de chacun.
Au cours de son histoire, Pierre a confirmé des centaines de vérités sur la foi. Parmi elles, quatre sont remarquables. Les grands théologiens du passé, saint Augustin, saint Thomas dAquin, les connaissaient déjà.
La vie éternelle, cest te connaître, toi le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus le Christ [281].
En termes simples, nous nentrerons dans la Vision de Dieu que si nous lépousons. Il sagira dun vrai mariage, en toute connaissance et par amour, uniquement par amour.
Face à la crise de la Réforme qui enseignait que la confiance en Dieu suffisait au salut, lÉglise catholique fut conduite durant le Concile de Trente[282] à se prononcer définitivement sur les conditions de lentrée dans la vision de Dieu. Il en sortit un texte dont la précision éclaire sans ambiguïté ce problème. LÉcriture Sainte montre que nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu sil ne renaît de leau et de lEsprit Saint[283]. Que signifie ce bain de régénération sans lequel lhomme reste séparé de Dieu, éloigné de ladoption filiale quil propose? La réponse est sûre, précise le Concile[284]: cest de lamour quil sagit, mais pas de nimporte quel amour. La confiance de Luther (la foi) est nécessaire, mais elle ne suffit pas. Dieu veut faire de nous son épouse. Il népouse pas une servante mais quelquun qui éprouve pour lui une véritable amitié: intime, réciproque et dans une tendresse dégalité.
Avant de nous pencher sur les confirmations solennelles apportées par lÉglise, voici un texte de lÉcriture Sainte: Alors toute chair verra le salut de Dieu[285]. La vérité de cette Parole de Dieu naurait pas besoin dautre démonstration que lÉvangile. Elle est lÉvangile. Celui qui médite sur la croix de Jésus, voit à travers lacte rédempteur du Dieu fait homme lévidence de cette proposition[286].
Ceci permet de rejeter sans équivoque les théories traditionnelles de saint Augustin ou de saint Thomas dAquin sur les limbes éternelles des enfants morts sans baptême et sur la damnation des païens. Il est impossible que ces humains soient séparés de Dieu à cause de leur seule ignorance de lÉvangile. Il veut en effet proposer son salut à tout homme, donc il se révèle un jour ou lautre à tout homme. Il ne saurait tolérer quun être aimé de lui reste éternellement dans lignorance de ce quil a voulu pour lui. Reste à savoir de quelle manière Dieu procède pour sauver tous les hommes. En ce début de troisième millénaire, Pierre na pas répondu autrement que par cette phrase elliptique: «par un moyen que Dieu connaît.»
Labsence de délai entre la séparation de lâme et du corps (la mort) et le jugement particulier par lequel Dieu donne à lâme ce quelle mérite est une vérité de foi qui ne laisse aux théologiens aucune autre alternative[287]. Nous devons ce dogme à une définition solennelle du pape Benoît XII, à la suite de sa controverse avec son prédécesseur Jean XXII[288]. Ce document est ex cathedra (solennellement marqué dinfaillibilité).
Nous citons les extraits qui intéressent notre propos:
Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, Nous définissons que, daprès la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde sont au Ciel avec le Christ aussitôt après leur mort et la purification dont nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection dans leur corps et le Jugement général, et cela depuis lAscension du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ au Ciel.
En outre, nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines infernales.
La précision du langage scolastique de ce texte et la solennité de sa présentation ne laisse aucun doute sur la vérité de ce quil définit. Nous le faisons donc nôtre et admettons quil nexiste aucun délai entre la séparation de lâme et du corps (la mort au sens théologique du terme) et lacquisition de son orientation éternelle. A lépoque de saint Thomas dAquin ou de saint Augustin, si ce dogme navait pas encore été solennellement confirmé par Pierre, il nen était pas moins connu. Il paraissait évident aux anciens que lhomme nest pleinement homme quavec son corps. Il est aisé de comprendre maintenant pourquoi ils en arrivèrent à conclure, souvent sans pouvoir lexpliquer mais par fidélité à leur foi, à la damnation éternelle de millions de païens et de nouveau-nés. Si toute personne humaine qui meurt sans la charité est aussitôt conduite en enfer éternel, il ny a plus despoir à avoir pour les incroyants et les enfants non baptisés. Labsence de délai, limpossibilité apparente dune ultime prédication à lheure de la mort (linconscience de lagonisant étant, selon eux, expérimentalement prouvée), doivent mener vers cette conclusion.
Mais nont-ils pas oublié une pièce du puzzle, qui rendrait tout limpide et simple? Nous ne pouvons manquer dadmirer, tout en rejetant leur thèse, la foi de saint Augustin et saint Thomas dAquin qui les amène à adhérer à un mystère que leur charité ne comprend pas.
Ce dogme nest que la conséquence des précédents: si Dieu propose à tous le salut, à travers la prédication de lÉvangile[289], puisque ce salut consiste en une charité choisie (Trente), puisque dautre part aussitôt après la mort (Benoît XII), lâme reçoit ce quelle mérite, cest donc que lÉvangile lui est prêché avant la mort.
Nous ne disposons malheureusement, dans les Évangiles, à lappui de cette vérité que des textes de type apocalyptique. La difficulté de ces textes est quils englobent en un seul regard des réalités diverses comme la ruine du temple de Jérusalem, la mort individuelle, la fin des sociétés, la fin du monde. Parmi les textes de ce genre, on peut citer Matthieu 24, 14: Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier en témoignage à la face de toutes les nations. Et alors viendra la fin. Appliqué à la mort individuelle, il pourrait être ainsi traduit: lÉvangile sera prêché à tout homme puis viendra sa mort. La constitution de Benoît XII, éclairée par les autres points de la foi que nous avons développés, permet de conclure, avec une certitude que donne la confiance en lamour de Dieu (qui ne saurait permettre quun homme soit damné sans liberté) et en la vérité de Dieu (qui ne saurait permettre que le Magistère de lÉglise se soit trompé aussi gravement sur laussitôt après la mort ), à la proposition suivante: Tout homme reçoit durant sa vie terrestre la proposition explicite du salut.
Si notre confiance en Dieu adhère à cette dernière vérité, elle le fait avec grande difficulté à cause de lénorme contradiction que semble apporter lexpérience. Le Christ lui-même manifeste que cest une contre vérité (apparente), au moins pour les hommes qui vécurent avant sa venue: «En vérité je vous le dis, il en est beaucoup qui auraient voulu voir un seul des jours que vous voyez et ne lont pas vu.
Là se trouve la difficulté de la foi des fidèles et des théologiens attentifs au salut de leurs frères: de fait, Dieu se tait. Beaucoup meurent en ne soupçonnant rien de son amour. Encore faut-il admettre avec réalisme le scandale. Sils ignorent la possibilité de la charité, cest quils meurent sans être entrés dans le salut selon saint Paul: «Comment linvoquer sans dabord croire en lui? Et comment croire en lui sans dabord lentendre? Et comment entendre sans prédicateur? [290]. Même en imaginant que depuis lIncarnation du Christ, toutes les nations de la terre aient entendu parler de la Bonne Nouvelle, la question nen serait pas résolue: Comment expliquer le retard entre le péché originel et la Rédemption? A cette époque, tous les hommes sauf exception notoire mouraient en ignorant totalement tout de la charité de Dieu. Il leur était bien sûr impossible de laimer de charité en retour et ils entraient dans la mort avec une grande frayeur de linjustice et de la dureté des dieux . De même, dans les chrétientés les plus ferventes, qui peut prétendre avoir saisi toute lurgence du message? La vie est longue, les soucis multiples et Dieu bien loin. Saint Thomas dAquin faisait à la suite dAristote cette réflexion désabusée: la plupart vivent dans le sensible.[291]
Cette tension entre la foi qui enseigne solennellement que Dieu propose à tout homme le salut durant sa vie terrestre et la constatation expérimentale du fait inverse est source de trouble. Souvenons-nous du trouble analogue qui saisit la réflexion juive dans lAncien Testament où une foi enseignait sans ambiguïté que Dieu comble de biens les hommes droits et renvoie les riches les mains vides et la constatation quotidienne de linverse. Il fallut plusieurs ruines et déportations dIsraël pour que certains comprennent que Dieu na pas la logique de lhomme. Cest ainsi que le théologien procède. Lopposition apparente entre foi et réalité, loin dêtre une torture, constitue le lieu des découvertes. Nous disions précédemment que la foi et lexpérience ne peuvent entrer en contradiction, Dieu étant Créateur de tout ce qui est connu par la foi ou par lexpérience. La lumière en jaillit.
Saint Paul lui-même écrit dans lÉpître aux Romains[292], quun homme ne peut devenir disciple du Christ sans quun missionnaire ait été lui prêcher ce mystère auparavant. En conséquence, puisque lÉvangile nest pas prêché à tous les hommes dans ce que nous voyons de leur vie terrestre mais quil est certain quil est prêché, cest donc que cette prédication a lieu dans ce que nous ne voyons pas de la vie terrestre, à savoir à lheure de la mort, dans les instants qui précèdent la séparation de lâme et du corps.
Il faut admettre que tout homme reçoit, avant sa mort, la révélation qui lui permet de choisir et daimer Dieu. Sil ne la reçoit pas pendant le temps que nous voyons de sa vie terrestre, cest donc quil la reçoit dans le temps que nous ne voyons pas: lheure de sa mort.
Tout cela vous a paru compliqué. Cest ainsi. Le théologien trouve ce qui était évident depuis longtemps au simple croyant. Sil fait son travail dintellectuel humblement, il finit par recevoir de Dieu une confirmation. Une simple enfant vient lui montrer quil a bien servi. Il faut citer par exemple les écrits de sainte Faustine[293], une petite religieuse polonaise, sur ce thème:
Jaccompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui est toujours victorieuse. La miséricorde divine atteint plus dune fois le pécheur au dernier moment, dune manière étrange et mystérieuse. A lextérieur nous croyons que tout est perdu, mais il nen est pas ainsi. Lâme éclairée par un puissant rayon de la grâce suprême, se tourne vers Dieu avec une telle puissance damour, quen un instant elle reçoit de Dieu le pardon de ses fautes et de leurs punitions. Elle ne nous donne à lextérieur, aucun signe de repentir ou de contrition, car elle ne réagit plus aux choses extérieures. Oh! Que la miséricorde divine est insondable.
Mais horreur! Il y a aussi des âmes, qui volontairement et consciemment rejettent cette grâce et la dédaignent. Cest déjà le moment même de lagonie, mais Dieu, dans sa miséricorde, donne à lâme en son for intérieur ce moment de clarté. Et si lâme le veut, elle a la possibilité de revenir à Dieu. Mais parfois il y a des âmes dune telle dureté de cur, quelles choisissent consciemment lEnfer. Elles font échouer non seulement toutes les prières que dautres âmes dirigent vers Dieu à leur intention, mais même aussi les efforts divins[294].
Marthe Robin (qui nest pas encore une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits sont cités à titre de témoignage) affirmait que la mort ainsi comprise, pouvait durer longtemps, jusquà trois jours, et quil fallait prier pour les défunts à cette heure là car tout se jouait pour eux.
Cest autour de cette théologie si concordante avec ce que nous avons jusquici dit de Dieu, que nous avons raconté comment se passe la mort et ce qui la suit.
Il suffit daimer
Le Christ enseigne quil ny aura plus de mariage dans lautre monde[295]. Cette parole pose parfois problème à ceux qui saiment. Ils peuvent se rassurer. Elle ne veut pas dire que la femme naimera plus son mari au Ciel ou la mère son enfant. Bien au contraire, ces amours et leur motif terrestre demeureront comme ils demeurent aujourdhui entre Marie, Joseph et Jésus. Mais, dans la Vision béatifique, le cur de chacun souvrira à linfini au point que lamour qui unit chacun sera plus que le plus beau des mariages terrestres. On sera en fait infiniment marié avec tous, chacun étant aimé pour lui-même en Dieu. Chaque prochain sera aimé par chacun, comme sil était unique. Cest une réalité céleste, absolument impossible sur terre. Loin de détruire lamour de la terre, cet amour divin le transfigurera dans des proportions infinies. Cette communauté parfaite, lÉglise du ciel, sera une véritable Communion des saints.
Et ils verront sa Face,
Et son Nom sera inscrit sur leur front.
De nuit, il ny en aura plus.
On se passera de la lampe pour séclairer
Car le Seigneur Dieu répandra sa lumière,
Et ils seront Rois pour les siècles des siècles.[296]
Cette annexe permet au lecteur de se faire une idée de ce que lÉglise a officiellement défini comme sa foi et de le comparer à ce que peut en dire un théologien en écoutant non seulement les saints canonisés mais aussi sa fidélité à lÉglise, unie à sa raison.[297]
Animaux : Rien dans les textes du Magistère de lÉglise na été dit quant à leur hypothétique survie après leur mort ou leur présence dans le monde nouveau. Une seule chose est sûre : ils nont pas desprit donc aucun désir de vie spirituelle (vision béatifique). Seuls quelques saints en ont parlé pour nier leur présence (saint Thomas dAquin) ou laffirmer (saint Bonaventure). Une entière liberté est laissée à chacun. C.D.C. n°1046 « Quant au cosmos, la Révélation affirme la profonde communauté de destin du monde matériel et de lhomme: "Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu... avec lespérance dêtre elle aussi libérée de la servitude de la corruption.... Nous le savons en effet, toute la création jusquà ce jour gémit en travail denfantement. Et non pas elle seule; nous-mêmes qui possédons les prémices de lEsprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans lattente de la rédemption de notre corps. " (Romains 8, 19-23). »
C.D.C. n°2416 « Les animaux sont des créatures de Dieu. Celui-ci les entoure de sa sollicitude providentielle (cf. Matthieu 6, 26). Par leur simple existence, ils le bénissent et lui rendent gloire (cf. Daniel 3, 57-58). Aussi les hommes leur doivent-ils bienveillance. On se rappellera avec quelle délicatesse les saints, comme saint François dAssise ou Saint Philippe Neri, traitaient les animaux. »
Blasphème contre le Saint Esprit : C.D.C. n°1037 « Dieu ne prédestine personne à aller en enfer (cf. DS 397; 1567); il faut pour cela une aversion volontaire de Dieu (un péché mortel), et y persister jusquà la fin. Dans la liturgie eucharistique et dans les prières quotidiennes de ses fidèles, lÉglise implore la miséricorde de Dieu, qui veut "que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir". » C.D.C. n°1031 « Pour ce qui est de certaines fautes légères, il faut croire quil existe avant le jugement un feu purificateur, selon ce quaffirme Celui qui est la Vérité, en disant que si quelquun a prononcé un blasphème contre lEsprit Saint, cela ne lui sera pardonné ni dans ce siècle-ci, ni dans le siècle futur (Matthieu 12, 31). Dans cette sentence nous pouvons comprendre que certaines fautes peuvent être remises dans ce siècle-ci, mais certaines autres dans le siècle futur (saint Grégoire le Grand, dial. 4, 39). »
Charité possédée pendant la vie terrestre : C.D.C. n°2001 « La préparation de lhomme à laccueil de la grâce est déjà une uvre de la grâce. Celle-ci est nécessaire pour susciter et soutenir notre collaboration à la justification par la foi et à la sanctification par la charité. » C.D.C. n°1033 « Mourir en péché mortel sans sen être repenti et sans accueillir lamour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et cest cet état dauto exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux quon désigne par le mot "enfer". «Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, Nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines infernales[298]. »
Conditions du salut : Voir sixième session du Concile de Trente. « La foi dispose au salut, ainsi que lhumilité, le repentir, lespérance. Mais la charité seule, qui est une amitié réciproque pour Dieu, fondée sur la foi, fait entrer dans le salut et mérite la vie éternelle. »
Enfer : C.D.C. n°1033 « Nous ne pouvons pas être unis à Dieu à moins de choisir librement de laimer. Mais nous ne pouvons pas aimer Dieu si nous péchons gravement contre Lui, contre notre prochain ou contre nous-même: "Celui qui naime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un homicide; or vous savez quaucun homicide na la vie éternelle demeurant en lui" (1 Jean 3, 15). Notre Seigneur nous avertit que nous serons séparés de Lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères (cf. Matthieu 25, 31-46). Mourir en péché mortel sans sen être repenti et sans accueillir lamour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et cest cet état dauto exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux quon désigne par le mot "enfer". »
C.D.C. n°1035 « Lenseignement de lÉglise affirme lexistence de lenfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de lenfer, "le feu éternel" (cf. DS 76; 409; 411; 801; 858; 1002; 1351; 1575; SPF 12). La peine principale de lenfer consiste en la séparation éternelle davec Dieu en qui seul lhomme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. »
Feu de lenfer : C.D.C. n°1034 « Jésus parle souvent de la "géhenne" du "feu qui ne séteint pas" (cf. Matthieu 5, 22. 29; 13, 42. 50; Marc 9, 43-48), réservé à ceux qui refusent jusquà la fin de leur vie de croire et de se convertir, et où peuvent être perdus à la fois lâme et le corps (cf. Matthieu 10, 28). Jésus annonce en termes graves quil "enverra ses anges, qui ramasseront tous les fauteurs diniquité..., et les jetteront dans la fournaise ardente" (Matthieu 13, 41-42), et quil prononcera la condamnation: "Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel!" (Matthieu 25, 41). »
Heure de la mort : LÉglise catholique à travers son Magistère romain affirme que les païens et les non-chrétiens peuvent être sauvés, même sils meurent de fait sans la foi donc sans la grâce sanctifiante et la charité théologale. Elle dit que cela se fait par « un moyen que Dieu connaît » (Concile Vatican II, ). Mon hypothèse sur la parousie du Christ dans le moment de la mort (pas après la mort) prétend résoudre ce mystère. (Voir aussi salut des païens).
Jugement particulier : C.D.C. n°1021 « La mort met fin à la vie de lhomme comme temps ouvert à laccueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ (cf. 2 Timothée 1, 9-10). Le Nouveau Testament parle du jugement principalement dans la perspective de la rencontre finale avec le Christ dans son second avènement, mais il affirme aussi à plusieurs reprises la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction de ses uvres et de sa foi. La parabole du pauvre Lazare (cf. Luc 16, 22) et la parole du Christ en Croix au bon larron (cf. Luc 23, 43), ainsi que dautres textes du Nouveau Testament (cf. 2 Corinthiens 5, 8; Philippiens 1, 23; Hébreux 9, 27; 12, 23) parlent dune destinée ultime de lâme (cf. Matthieu 16, 26) qui peut être différente pour les unes et pour les autres. »
C.D.C. n°1022 « Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification (cf. Concile Lyon: DS 857-858; Concile Florence: DS 1304-1306; Concile Trente: DS 1820), soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel (cf. Benoît XII: DS 1000-1001; Jean XXII: DS 990), soit pour se damner immédiatement pour toujours (cf. Benoît XII: DS 1002). Au soir de notre vie, nous serons jugés sur lamour (saint Jean de la Croix, dichos 64) »
Limbes des enfants : Concile de Lyon : « Les âmes de ceux qui meurent en état du seul péché originel, elles descendent immédiatement en enfer où elles reçoivent cependant des peines inégales. » C.D.C. n°1261 « Quant aux enfants morts sans Baptême, lÉglise ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Timothée 2, 4), et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui lui a fait dire: "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas" (Marc 10, 14), nous permettent despérer quil y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. Dautant plus pressant est aussi lappel de lÉglise à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint Baptême. »
Monde nouveau : C.D.C. n°1042 « A la fin des temps, le Royaume de Dieu arrivera à sa plénitude. Après le jugement universel, les justes règneront pour toujours avec le Christ, glorifiés en corps et en âme, et lunivers lui-même sera renouvelé: « Alors lÉglise sera "consommée dans la gloire céleste, lorsque, avec le genre humain, tout lunivers lui-même, intimement uni avec lhomme et atteignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection" (Concile Vatican II, LG 48). »
C.D.C. n°1043 « Cette rénovation mystérieuse, qui transformera lhumanité et le monde, la Sainte Écriture lappelle "les cieux nouveaux et la terre nouvelle" (2 Pierre 3, 13; cf. Apocalypse 21, 1). Ce sera la réalisation définitive du dessein de Dieu de "ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres" (Ephésiens 1, 10). »
C.D.C. n°1044 « Dans cet "univers nouveau" (Apocalypse 21, 5), la Jérusalem céleste, Dieu aura sa demeure parmi les hommes. "Il essuiera toute larme de leurs yeux; de mort, il ny en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il ny en aura plus, car lancien monde sen est allé" (Apocalypse 21, 4; cf. 21, 27). »
C.D.C. n°1047 « Lunivers visible est donc destiné, lui aussi, à être transformé, "afin que le monde lui-même, restauré dans son premier état, soit, sans plus aucun obstacle, au service des justes", participant à leur glorification en Jésus-Christ ressuscité (saint Irénée, hær. 5, 32, 1). »
Mort chrétienne : C.D.C. n°1012 « (cf. 1 Timothée 4, 13-14) est exprimée de façon privilégiée dans la liturgie de lÉglise: « Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie nest pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux (MR, Préface des défunts). »
C.D.C. n°1013 « La mort est la fin du pèlerinage terrestre de lhomme, du temps de grâce et de miséricorde que Dieu lui offre pour réaliser sa vie terrestre selon le dessein divin et pour décider son destin ultime. Quand a pris fin "lunique cours de notre vie terrestre" (Concile Vatican II, LG 48), nous ne reviendrons plus à dautres vies terrestres. "Les hommes ne meurent quune fois" (Hébreux 9, 27). Il ny a pas de "réincarnation" après la mort. »
C.D.C. n°1014 « LÉglise nous encourage à nous préparer pour lheure de notre mort ("Délivre-nous, Seigneur, dune mort subite et imprévue": Litanie des saints), à demander à la Mère de Dieu dintercéder pour nous "à lheure de notre mort" (Prière "Ave Maria"), et à nous confier à saint Joseph, patron de la bonne mort: « Dans toutes tes actions, dans toutes tes pensées tu devrais te comporter comme si tu devais mourir aujourdhui. Si ta conscience était en bon état, tu ne craindrais pas beaucoup la mort. Il vaudrait mieux se garder de pécher que de fuir la mort. Si aujourdhui tu nes pas prêt, comment le seras-tu demain? (Imitation du Christ 1, 23, 1). » « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sur notre mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper. Malheur à ceux qui mourront dans les péchés mortels, heureux ceux quelle trouvera dans ses très saintes volontés, car la seconde mort ne leur fera pas mal (Saint François dAssise, cant.). »
Paradis : C.D.C. n°1023 « Ceux qui meurent dans la grâce et lamitié de Dieu, et qui sont parfaitement purifiées, vivent pour toujours avec le Christ. Ils sont pour toujours semblables à Dieu, parce quils le voient "tel quil est" (1 Jean 3, 2), face à face (cf. 1 Corinthiens 13, 12; Apocalypse 22, 4). »
C.D.C. n°1024 « Cette vie parfaite avec la Très Sainte Trinité, cette communion de vie et damour avec Elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appelée "le ciel". Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de lhomme, létat de bonheur suprême et définitif. »
C.D.C. n°1025 Vivre au ciel cest "être avec le Christ" (cf. Jean 14, 3; Philippiens 1, 23; 1 Thimotée 4, 17). Les élus vivent "en Lui", mais ils y gardent, mieux, ils y trouvent leur vraie identité, leur propre nom (cf. Apocalypse 2, 17): « Vita est enim esse cum Christo; ideo ubi Christus, ibi vita, ibi regnum (Saint Ambroise, Luc. 10, 121). »
C.D.C. n°1026 « Par sa mort et sa Résurrection Jésus-Christ nous a "ouvert" le ciel. La vie des bienheureux consiste dans la possession en plénitude des fruits de la rédemption opérée par le Christ qui associe à sa glorification céleste ceux qui ont cru en Lui et qui sont demeurés fidèles à sa volonté. Le ciel est la communauté bienheureuse de tous ceux qui sont parfaitement incorporés à Lui. »
Parousie du Christ : LÉglise en fait sa foi dès les premières élaborations du Credo. Mais elle pense habituellement à la fin du monde, pas à lheure de la mort. C.D.C. n°1040 « Le jugement dernier interviendra lors du retour glorieux du Christ. Le Père seul en connaît lheure et le jour, Lui seul décide de son avènement. Par son Fils Jésus-Christ Il prononcera alors sa parole définitive sur toute lhistoire. Nous connaîtrons le sens ultime de toute luvre de la création et de toute léconomie du salut, et nous comprendrons les chemins admirables par lesquels Sa Providence aura conduit toute chose vers sa fin ultime. Le jugement dernier révélera que la justice de Dieu triomphe de toutes les injustices commises par ses créatures et que son amour est plus fort que la mort (cf. Cantique 8, 6). »
Purgatoire : C.D.C. n°1030 « Ceux qui meurent dans la grâce et lamitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien quassurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin dobtenir la sainteté nécessaires pour entrer dans la joie du ciel. »
C.D.C. n°1031 « LÉglise appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés. LÉglise a formulé la doctrine de la foi relative au Purgatoire surtout aux Conciles de Florence (cf. DS 1304) et de Trente (cf. DS 1820; 1580). La tradition de lÉglise, faisant référence à certains textes de lÉcriture (par exemple 1 Corinthiens 3, 15; 1 P 1, 7), parle dun feu purificateur. »
Résurrection de la chair : Cest lun des premiers dogmes apostoliques : « Si le Christ nest pas ressuscité, vaine est notre foi. » (saint Paul aux 1 Corinthiens, 15, 14). C.D.C. n°988 « Le Credo chrétien - profession de notre foi en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, et dans son action créatrice, salvatrice et sanctificatrice - culmine en la proclamation de la résurrection des morts à la fin des temps, et en la vie éternelle. »
C.D.C. n°992 « La résurrection des morts a été révélée progressivement par Dieu à son Peuple. Lespérance en la résurrection corporelle des morts sest imposée comme une conséquence intrinsèque de la foi en un Dieu créateur de lhomme tout entier, âme et corps. Le créateur du ciel et de la terre est aussi Celui qui maintient fidèlement son Alliance avec Abraham et sa descendance. Cest dans cette double perspective que commencera à sexprimer la foi en la résurrection. Dans leurs épreuves, les martyrs Macchabées confessent: « Le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois (2 M 7, 9). Mieux vaut mourir de la main des hommes en tenant de Dieu lespoir dêtre ressuscité par lui (2 Maccabées 7, 14; cf. 7, 29; Daniel 12, 1-13). »
C.D.C. n°993 « Les Pharisiens (cf. Actes 23, 6) et bien des contemporains du Seigneur (cf. Jean 11, 24) espéraient la résurrection. Jésus lenseigne fermement. Aux Sadducéens qui la nient il répond: "Vous ne connaissez ni les Ecritures ni la puissance de Dieu, vous êtes dans lerreur" (Marc 12, 24). La foi en la résurrection repose sur la foi en Dieu qui "nest pas un Dieu des morts, mais des vivants" (Marc 12, 27). »
Salut des païens : C.D.C. n°1260 « "Puisque le Christ est mort pour tous, et que la vocation dernière de lhomme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que lEsprit Saint offre à tous, dune façon que Dieu connaît, la possibilité dêtre associé(s) au mystère pascal" (Concile Vatican II, GS 22; cf. Concile Vatican II, LG 16; AG 7). Tout homme qui, ignorant lEvangile du Christ et son Église, cherche la vérité et fait la volonté de Dieu selon quil la connaît, peut être sauvé. On peut supposer que de telles personnes auraient désiré explicitement le Baptême si elles en avaient connu la nécessité. Mon hypothèse sur la parousie du Christ dans le moment de la mort prétend résoudre le mystère de « cette façon que Dieu connaît ».
Vision béatifique : C.D.C. n°1027 « Ce mystère de communion bienheureuse avec Dieu et avec tous ceux qui sont dans le Christ dépasse toute compréhension et toute représentation. LÉcriture nous en parle en images: vie, lumière, paix, festin de noces, vin du royaume, maison du Père, Jérusalem céleste, paradis: "Ce que lil na pas vu, ce que loreille na pas entendu, ce qui nest pas monté au cur de lhomme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui laiment" (1 Corinthiens 2, 9). »
C.D.C. n°1028 « A cause de sa transcendance, Dieu ne peut être vu tel quIl est que lorsquil ouvre lui-même son Mystère à la contemplation immédiate de lhomme et quIl lui en donne la capacité. Cette contemplation de Dieu dans sa gloire céleste est appelée par lÉglise "la vision béatifique": « Quelle ne sera pas ta gloire et ton bonheur: être admis à voir Dieu, avoir lhonneur de participer aux joies du salut et de la lumière éternelle dans la compagnie du Christ le Seigneur ton Dieu,... jouir au Royaume des cieux dans la compagnie des justes et des amis de Dieu, les joies de limmortalité acquise (Saint Cyprien, épître 56, 10, 1). »
DIEU VEUT SE DONNER FACE À FACE 1
LHISTOIRE DE DIEU, LALPHA 1
La Trinité, Père-Fils et Saint Esprit 1
La création des anges et des hommes 1
TROIS JOURS POUR SAUVER LHOMME 1
Au commencement, la vie terrestre sans la souffrance 1
La souffrance est entrée dans le monde 1
« ET A LHEURE DE NOTRE MORT » 1
CHAPITRE 1: LES ÉVÉNEMENTS DE LHEURE DE LA MORT 1
La mort du soldat SS Johann Saint 1
« d'une façon que Dieu connaît ». Approche philosophique 1
Retour en théologie catholique: La rencontre avec le Christ glorieux 1
A lheure de la mort, la faiblesse qui entraînait au péché est enlevée 1
A lheure de la mort, les conditions dun choix libre sont données 1
A lheure de la mort, lapparition du Christ glorieux révèle la vérité tout entière 1
Cest le jour du Seigneur, celui quannonce lÉvangile 1
Il vient, accompagné des saints et des anges 1
La nécessité de la présence de lAnge rebelle 1
Tout cela se passe dans la mort et non après la mort 1
CHAPITRE 2: LE JUGEMENT DERNIER DE LA PERSONNE 1
La mort est lentrée définitive dans lautre monde 1
Le blasphème contre le Saint-Esprit 1
Les six voies de la damnation 1
CHAPITRE 4: LES SIX DEGRÉS DU PURGATOIRE 1
Les six demeures du purgatoire 1
CHAPITRE 5: LES ENFANTS MORTS SANS BAPTÊME 1
Lexistence des limbes des enfants fait partie de la foi de lÉglise, mais pas leur éternité 1
Que deviennent les enfants morts sans baptême? 1
CHAPITRE 6: LE SUICIDE ET LEUTHANASIE 1
Le suicide peut avoir de multiples causes morales 1
CHAPITRE 7: « LA SEPTIÈME PORTE », LA VISION BÉATIFIQUE 1
CHAPITRE 8: LA RÉSURRECTION DES MORTS ET LA FORMATION DU NOUVEAU MONDE 1
La Vision béatifique et lenfer 1
TROISIÈME PARTIE: COMMENT SAVONS-NOUS TOUT CELA? 1
Les théologiens et le salut des hommes: 2 000 ans de laborieux labourage 1
Comment trouver la vérité en théologie catholique? 1
La méthode: Écriture, Tradition et confirmation de Pierre 1
La vérité concernant le salut et, particulièrement, lheure de la mort 1
Un trouble qui aiguise le théologien dans sa recherche 1
La vérité sur lheure de la mort 1
PROPOSITION DE PAGE DE COUVERTURE
Vous désirez connaître ce qui se passe de lautre côté du voile. Vous ne désirez pas la parole de tel ou tel théologien mais celle de lÉglise catholique dans la plus grande profondeur de ses richesses. Ce livre est fait pour vous.
Il existe dans les trésors révélés tout un riche enseignement sur les événements futurs. Ces événements se racontent de manière simple. Ils constituent la fin de lhistoire de chacun, le chapitre qui manque pour comprendre la fragile vie dici-bas. A lécole des trois grandes sources que sont pour lÉglise lÉcriture, les saints et les papes, voici le récit de la suite de notre histoire, celle qui ne se voit pas. Nous sommes à la veille dune autre vie, dun autre esprit, dun autre langage, dun plus grand amour pour Dieu. Lintensité des merveilles qui nous attendent est inimaginable. Mais lessentiel de leur nature nous a été révélé.
Certaines pièces manquent à ce récit, comme un vitrail dont des parties seraient encore voilées. On peut citer en particulier « ce moyen que Dieu connaît » dont parle le Concile Vatican II, par lequel le salut est proposé à tous les hommes, mêmes aux païens. Lauteur sest efforcé de le reconstituer. Pour cela, il sest mis à lécole de lesprit du plus grand des docteurs catholiques, saint Thomas dAquin. Il était le maître qui unissait la foi et la raison. Il faisait confiance à la philosophie quand elle apportait une meilleure connaissance du réel, sans jamais quitter la Révélation enseignée par lÉglise.
La certitude de ce qui est à venir est nommée en théologie espérance. Ici, lespérance est racontée.
Arnaud Dumouch est marié et père de famille. Il enseigne la religion catholique en Belgique. Il a entrepris la préparation dune thèse de théologie: « A lheure de la mort et à la fin du monde? » Ce livre en est un des fruits. Vos questions et remarques: a.dumouch@freeworld.be
[1] Un récent document romain « Ad Tuendam fidem » publié le 18 mai 1998, rappelle que la canonisation des saints engage lautorité infaillible de lÉglise (Voir commentaires du Cardinal Ratzinger, par. 11). Pire encore, la procédure de canonisation nécessitant un miracle reconnu comme dorigine divine, cest Dieu lui-même qui engage son autorité. Le mépris où est tenu une telle reconnaissance est plus quune erreur théologique, cest une folie. Leur enseignement nest donc pas à mettre au même niveau que celui des simples théologiens, même sils ne sont pas exempts derreurs.
[2] Cest-à-dire des papes ou des conciles unis aux papes.
[3] Matthieu 24, 27.
[4] Doù le Nihil Obstat et lImprimatur qua obtenu ce livre.
[5] qui est une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits ont une certaine autorité, dun degré bien sûr inférieur à celui de lÉcriture Sainte ou du Magistère de lÉglise.
[6] Jean 16, 13 rapporte une parole de Jésus: « Mais quand il viendra, lui, lEsprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce quil entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir. » Cette phrase constitue lexplication de la lente redécouverte au cours de lhistoire de vérités qui avaient pourtant été enseignées en pleine lumière aux premiers chrétiens et aux apôtres. Je pense que Jésus a maintenu volontairement caché au cur de la Révélation durant 2000 ans la manière dont il sauve les païens. Si les missionnaires avaient su que le Christ venait prêcher lui-même lÉvangile à lheure de leur mort, ils ne se seraient pas angoissés pour le sort des païens. Et, sans cette angoisse damour, leur zèle missionnaire aurait-il été aussi fort?
[7] Les fameuses N.D.E., Near Death Experience, misent en lumière par le Docteur Raymond Moody, La vie après la vie.
[8] 9 janvier 1949, Clémence Ledoux, fondatrice de la Fraternité de Marie-Reine Immaculée, 1888-1966.
[9] Leur vrai nom théologique est « le Non-né, le Verbe et lAmour »
[10] « Je suis le maître et le Seigneur, dit Jésus à Pierre (Jean 13, 15). Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car cest un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi jai fait pour vous. » Ce jour-là, au grand scandale de Pierre, Jésus révéla aux hommes lautre mystère scandaleux du cur de Dieu, outre son amour infini, son humilité.
[11] Certaines traditions ajoutent que Dieu créa des êtres intermédiaires dotés desprit et dun psychisme mais dépourvus de chair. Ce sont les « djinns» de lislam.
[12] Dautres vertus sont importantes: la confiance, la vérité etc. Mais, dune manière ou dune autre, elles sont résumées dans ces deux là.
[13] 1 Rois 19, 13.
[14] Matthieu 19, 25: «Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits: Qui donc peut être sauvé? Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit: «Pour les hommes cest impossible, mais pour Dieu tout est possible. »
[15] Autant que faire se peut pour une créature limitée
[16] Ce que lÉcriture appelle « le baptême deau et desprit ». Jean 3, 5 Jésus répondit: « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître deau et dEsprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. » De même, leau et le sang qui sortit du côté du Christ symbolisaient ces deux qualités. Il sagit donc dun mystère central de la Révélation.
[17] Ces quelques phrases résument la théologie de la souffrance. Présentées autrement, on pourrait dire : « La souffrance est un mal. Ce nest pas elle qui est recherchée mais son effet qui peut être un bien, lhumilité. Lhumilité est la première disposition à ce que Dieu attend de lhomme, lamour vrai, lamour qui se sacrifie car il met lautre en premier. »
[18] Apocalypse 5, 1.
[19] Extrait de « Starmania », Michel Berger. Cette sagesse de Dieu sur les hommes de bonne volonté na pas disparu aujourdhui. Il existe des justes au sens biblique du terme, des hommes droits qui nont pas reçu la grâce de la foi.
[20] Luc 23, 42.
[21] Non au sens des « parfaits » mais de ceux qui ont reçu la grâce de savoir ce quils font sur terre. Cest en ce sens que lÉglise terrestre est sainte.
[22] Il fut le redire : Dautres vertus sont importantes: la confiance, la vérité etc. Mais, dune manière ou dune autre, elles sont résumées dans ces deux là.
[23] Isaïe 65, 17.
[24] Apocalypse 7, 14.
[25] Le sens chrétien de la souffrance humaine, 11 février 1984, « Salvifici Doloris ».
[26] « Le Christ reviendra à la fin du monde pour juger les vivants et les morts ». Je pense que par « fin du monde », il faut entendre non seulement les évènements de la dernière génération mais aussi la mort de chacun. Je pense que cest la raison pour laquelle Jésus put affirmer de son vivant, parlant de son retour Matthieu 24, 34: « Cette génération ne passera pas avant que tout cela ne soit arrivé ». Beaucoup affirmèrent quil sétait trompé. De fait, il ne semble toujours pas être revenu. Regard extérieur! 100 ans à peine après la prononciation de cette parole, toute la génération qui lavait connu lavait vu se réaliser, avec puissance. Tous étaient morts. Je suis avec Mgr Glorieux au XIXème siècle, lun des seuls à enseigner cela. Il ne sagit donc pas de la foi officielle de lÉglise mais dune simple opinion de théologien, à laquelle lÉglise ne soppose pas mais quelle laisse à chacun le soin de juger. Une sainte ma précédé et ma permis cette audace. Il sagit de Sur Faustine, canonisée par Jean-Paul II et citée en fin douvrage.
[27] Pour savoir comment la théologie catholique peut aboutir à une telle précision, on peut se référer à la troisième partie de cet ouvrage.
[28] Matthieu 24, 38-40
[29] mais non nécessairement tous les deux au Ciel.
[30] Les histoires de Johann ou de sainte Thérèse ne sont pas mises sur le même plan que lÉcriture Sainte. Mais elles permettent dillustrer de manière vivante son contenu.
[31] Jean-Jacques Goldman.
[32] Thérèse est née en Normandie dans une famille de catholiques fervents, à la fin du XIXème siècle. Très jeune, elle perd sa mère mais ses surs plus âgées soccupent de lui donner tendresse et éducation. Elle est bercée tout enfant par la présence de Dieu qui emplit la vie de sa famille. A quinze ans, tenaillée par le désir de se donner tout entière à Dieu, elle entre au Carmel de Lisieux. Elle prend le nom de sur Thérèse de lEnfant Jésus et de la Sainte Face. Son extrême sensibilité est source dépreuve. Lorsque son père perd lesprit, elle est tentée de se reprocher ce malheur, à cause de son départ trop précipité de la maison. Elle connaît des épreuves spirituelles terribles: Dieu se fait comme absent de son cur. Atteinte dune tuberculose, elle meurt à vingt-quatre ans sans jamais douter de lamour de Jésus. Elle laisse derrière elle une autobiographie qui sera publiée par les religieuses du Carmel. Sa vie si simple bouleverse en quelques années les chrétiens et elle est proclamée sainte. Elle est lune des plus grandes saintes de toute lhistoire de lÉglise. Elle est Docteur de lÉglise.
[33] Matthieu 24, 14.
[34] Nous le verrons au cours de cet ouvrage, Cest lexistence de cette révélation donnée à chaque homme, quelle que soit sa religion, quel que soit son péché ou sa bonne volonté, qui permet de comprendre combien est juste le Seigneur, lui qui ne permet la damnation éternelle quà celui qui a refusé son salut en face. Cette apparition glorieuse de Jésus au moment de notre mort qui donne la clef à tout ce quenseigne lÉglise et lÉcriture Sainte sur lentrée au paradis ou la damnation éternelle.
[35] Ce phénomène psychique est fréquemment mentionné par ceux qui approchent la mort. Guy de Larigaudie (Etoile au grand large) raconte lexpérience quil en fit avant la seconde guerre mondiale: «Pour épater mes amies, je plongeais du haut de la falaise. Lespace dun instant, entre le promontoire et mon arrivée dans leau, jeut limpression davoir mal visé. Jallais mécraser sur des rochers en contrebas. Jeus alors une série de perceptions à la fois précises et rapides sur des souvenirs denfance.» Le temps se raccourcit. La mémoire, sans doute stimulée par la certitude de limminence de la mort, fait rejaillir des événements quon croyait oubliés. Il ne faut pas confondre cette réaction du psychisme avec un autre phénomène souvent raconté par les victimes dune N.D.E. (Expérience de mort approchée.) Ils racontent une sorte de passage en revue du bien et du mal quils ont commis durant leur vie avec lassistance dun Etre de lumière et damour. Il sagit alors dune expérience mystique et spirituelle.
[36] Gaudium et Spes, 22.
[37] Saint Dominique pleurait la nuit en prononçant ces mots.
[38] Le grand théologien saint Thomas dAquin encourage à mettre tous les apports de lexpérience au service de la foi: A chaque fois que la raison philosophique et la révélation sunissent pour aborder un même thème, il vaut mieux suivre la raison car la foi, dans ce cas, nest donnée que par miséricorde pour ceux dont la raison manque dacuité. Deux thèmes principaux sont concernés: lexistence de Dieu et la survie de lâme après la mort. Ce sont les deux principaux « preambula Fidei ».
[39] La vie après la vie, docteur Moody, Robert Laffont, 1977, page 35.
[40] Voir les commentaires du docteur Kenneth King.
[41] On le raconte de sainte Thérèse de lEnfant-Jésus. Juste avant son dernier soupir, ses surs virent son visage séclairer. Quelquun semblait venir à sa rencontre.
[42] Dans lEgypte pharaonique, on parle du corps physique, du Ka (le double) et du Ba représenté sous la forme dun oiseau portant la tête du mort (lesprit). Le grand et ultime voyage commence par la séparation du Ka spirituel du corps matériel. Le Ka est le corps double du défunt, qui sort de son cadavre. Avec lui, le Ba, âme de lhomme, est détaché de la vie terrestre et tourne désorienté autour du cadavre. La compatissante Isis (épouse aimante du dieu de la mort Osiris) laccueille sous ses grandes ailes affectueuses et le confie au savant dieu Anubis (représenté avec une tête de chacal) afin quil le réconforte et lui serve de guide et de soutien jusquau jugement divin. Sous forme imagée, il sagit de la même réalité.
[43] Selon eux, il se réincarne à travers les âges. Selon la tradition monothéiste et personnaliste de loccident, il ny a jamais de réincarnation.
[44] Cela ne reste bien sûr encore quune explication hypothétique, une piste de recherche qui devrait pourtant encourager la science à sintéresser au phénomène. En effet, si le corps astral existe et est matériel, il doit y avoir moyen den mesurer la présence.
[45] Elles peuvent concevoir le bien, le vrai, elles peuvent potentiellement comprendre tout ce qui existe, non seulement les corps mais aussi les esprits. Tout cela dépasse la matière.
[46] La théologie catholique parle de la venue du Christ dans « son corps de gloire». Nous verrons plus loin quil sagit très exactement de cela. La chair ne cache plus lesprit. Elle le révèle. Les témoins de la mort approchée semblent réaliser la prophétie de Job 19, 25: «Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière. Après mon éveil, il me dressera près de lui et, de ma chair, je verrai Dieu. »
[47] Le premier critère est manifestement vérifié. Cest justement dans le sens dun retour au religieux que se sont senties poussées les personnes marquées par cette expérience. On peut même affirmer que la plupart dentre elles, même si elles ne deviennent pas chrétiennes, se font sans le savoir disciples de Jésus-Christ quand il disait: «Je vous donne deux commandements: tu aimeras ton Dieu de tout ton cur, de toute ton âme, de toute ta force et tu aimeras ton prochain comme toi même ».
Le deuxième critère va est aussi vérifié: la théologie catholique parle en effet de la vie après la mort:. Appuyé sur la Bible et la Tradition, ces deux sources par lesquelles lEsprit de Dieu se donne à lhomme, lÉglise a mis à disposition des fidèles, une série de précisions sur ce quils vivent après la mort. Son regard profond va bien plus loin que lapproche de la mort, telle que pensent lavoir vécue les rescapés. Il va jusquà lau-delà de cette barrière quaucun deux na franchie. Le Magistère solennel de lÉglise, aide précieuse pour le théologien, affirme:
1. Nous croyons en la vie éternelle.
2. Au moment de la mort, lâme se retrouve en présence de lhumanité Sainte de Jésus
3. Cette vision damour est le commencement de ce quon appelle son jugement particulier.
4. Les âmes mortes en état de péché mortel sont immédiatement conduites en enfer. Les autres, soit quelles aient encore à être purifiées au purgatoire, soit que dès linstant où elles quittent leur corps Jésus les prenne au paradis comme il a fait pour le bon larron, deviennent le peuple de Dieu dans lau-delà de la mort.
5. Le paradis consiste en la vision de Dieu, face à face.
La N.D.E. semble indiquer que tout homme, au moment même de sa mort, quil soit baptisé, Juif, païen ou athée, se retrouve face à un être qui rayonne de trois vertus : la vérité, lamour et, quand cest nécessaire, lhumour. Nest-ce pas un portrait, une image de ce quest Dieu? Il se pourrait même que lêtre de lumière soit lhumanité Sainte de Jésus. Aucune opposition ne semble apparaître vis-à-vis du dogme catholique. Si lon compare, maintenant, la théologie traditionnelle décrite ici avec le récit de ceux qui ont approché la mort, on est obligé dadmettre quil nexiste aucune opposition entre les deux. Bien au contraire, la foi semble trouver dans ces récits une éclatante confirmation. Les critères 1 et 2 me paraissent donc parfaitement vérifiés.
[48] Epître de saint Paul II Corinthiens 12, 2 à 4. Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit attribué dautorité), une stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision du saint Jean lors de sa mort. Elle semble assister au phénomène de décorporation. « Pendant que Jean prononçait une dernière parole, une grande lumière apparut au-dessus de lui. Au moment où il saffaissa en rendant le dernier soupir, japerçus au milieu de lauréole qui lentourait, une forme lumineuse entièrement semblable à lui qui se dépouillait de son corps comme dune enveloppe grossière et disparaissait ensuite avec la lumière. » (Visions dAnne-Catherine Emmerich sur la vie de Jésus, Tome 3, Téqui, page 555).
[49] 2 Corinthiens 12, 7 et ss.
[50] 1 Jean 2, 16.
[51] Cest ce que la théologie nomme le péché mortel.
[52] Isaïe 25, 8.
[53] Certaines personnes réagissent ici-bas à la souffrance par la révolte, parfois même, si elles sont croyantes, par un rejet explicite de Dieu. A première vue, leffet de la croix est alors inverse à celui décrit précédemment. Ce nest la plupart du temps quune apparence extérieure. Au fond de lâme, cest en fait la source dun désir de justice et de vérité (donc de Dieu tel quil est vraiment) qui suscite le rejet du Dieu non encore compris ici-bas (tel quil nest pas). Mais le Jour où sa vraie nature se révèle au mourant, leffet réel de la croix apparaît en pleine lumière: «Je te cherchais et je ne te connaissais pas».
[54] Le choix, tel que je vais le décrire ici, na jamais non plus été raconté dans lÉglise (sauf par sur Faustine, à travers une vision rapportée en fin douvrage). Ceci est aisé à comprendre. Sans la découverte de lexistence dune « Parousie » du Christ à lheure de la mort, on ne voit pas où peut se situer ce choix. Les anciens théologiens, y compris saint Augustin et saint Thomas dAquin, dans leur fidélité à lÉglise, savaient quil existe nécessairement un choix libre concernant lenfer ou le paradis (il sagit en effet dun dogme solennel quils connaissaient). Mais ils savaient aussi que ce choix devait se faire durant la vie terrestre (cela aussi, lÉglise lavait défini avec force). Or ils ne voyaient rien se faire ici-bas, si ce nest quun vague choix fragile et rempli dignorance, réservé aux quelques nations chrétiennes. Ils navaient pas imaginé que dans la mort, cest-à-dire ici-bas, il y a une onzième heure, un temps pour choisir en pleine liberté. Ils étaient contraints de mettre en enfer tous les pauvres pécheurs, y compris ceux qui vivaient loin de Dieu par faiblesse et par ignorance. Ils le faisaient à regret, coincés littéralement dans des contradictions intellectuelles. En effet, ils enseignaient aussi que seuls six péchés pouvaient conduire en enfer, les six blasphèmes contre lEsprit (voir chapitre sur lenfer). Or les païens sont absolument incapables de tels péchés puisquils impliquent une parfaite connaissance de lamour de Dieu et son rejet.
[55] Apocalypse 1, 13. le docteur Moody rapporte le témoignage dune victime de N.D.E. Face à lEtre de lumière, elle demanda avec insistance: Qui êtes-vous? Alors la lumière souvrit et il en sortit un homme. « Je suis le Fils de Dieu. » Cest le seul témoignage explicitement christique quil rapporte.
[56] Jean 3, 3.
[57] Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage), une stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision de cette phase de lheure de la mort : « Je vis alors létat de lâme du défunt. Elle était au-dessus du lieu où il était mort, entourée dun cercle et dans une sphère où le tableau de tous ses péchés et de leurs conséquences lui était présenté, et cette vue laccablait de repentir. Elle avait là aussi le spectacle de toutes les purifications par la souffrance quelle devait subir. En même temps, les souffrances expiatoires du Sauveur lui furent révélées. » (Visions dAnne-Catherine Emmerich sur la vie de Jésus, Tome 2, Téqui 1965, page 512).
[58] Nos ancêtres, vivant des religions anciennes, parlaient de lange de la mort. Ils croyaient en sa venue à cette heure. De fait, avant lIncarnation du Christ, les hommes étaient accueillis à leur mort par un ange de Dieu. Le Christ nétant pas encore venu, il le représentait. Aux premiers jours, le gouvernement de Dieu sur lhumanité était le suivant: il se taisait. Lhomme ne savait plus ce quil faisait sur la terre et navait aucune explication de la souffrance et de la mort. En livrant lhomme à la souffrance, à la mort, en se taisant durant des siècles, en nagissant que pour détruire les uvres dont lhomme était fier (déluge, Babel), que voulait Dieu? Sauver les hommes. Et, réellement, il les sauva en masse. Lorsque, au terme dune vie passée dans la souffrance, souvent à la poursuite de la gloire, les hommes du passé entraient dans la vieillesse, puis rendaient leur âme à Dieu, comme le plus humble des esclaves, il ne restait souvent en eux que confusion et regret. Lorsque à ce moment, sattendant à rencontrer un juge terrible et dur, ils se retrouvaient face à leur ange gardien, au cur brûlant de miséricorde, image du Dieu vivant, accompagné souvent des êtres quils avaient chéris durant leur vie, et quils entendaient révéler lexistence dun Dieu unique et bon au cur denfant et au pardon généreux, ils se rendaient. Et lorsque la voix de leur ange leur annonçait, pour bientôt, la venue dun Sauveur qui les délivrerait de tous leurs péchés, ils croyaient. Et ces rudes pécheurs broyés par la vie sécriaient: «Pardon Dieu, car nous avons péché contre toi. Envoie ton Sauveur. Quil vienne nous délivrer, car nous voulons voir ton visage. »
Accompagnés de leur ange, ils considéraient létat de leur âme, apprenaient à découvrir leur péché. Ils acceptaient avec générosité, éclairés sur Dieu, de subir un purgatoire aussi longtemps quil le fallait. Ils se plongeaient, eux-mêmes, sans récriminer, dans la solitude de ce purgatoire, pour que disparaisse toute trace dorgueil. Puis cette oeuvre effectuée, ils sen allaient retrouver Adam et Ève dans les limbes où ils attendaient avec espérance, la venue du Sauveur promis. Cette attente nétait pas douloureuse car Dieu, en prévision de la venue future du Sauveur, les comblait de la grâce de sa présence invisible, dune manière bien plus parfaite que ce quavaient expérimenté Adam et Ève en Éden. Jésus, décrivant les limbes où les patriarches attendaient sa venue, parle dune eau pure qui comblait 1e pauvre Lazare (Luc 16, 24). Certes, Dieu ne se montrait pas encore à eux face à face. Il attendait pour cela son heure, lheure où, face à Lucifer jusquici triomphant, il ouvrirait pour toujours son cur. Dieu préparait un spectacle grandiose, celui où, dun seul coup, en mourant sur la croix et en descendant aux enfers, le Verbe de Dieu ferait entrer toutes ces âmes assoiffées dans le bonheur éternel. Ainsi, la Tradition biblique, pour décrire létat des hommes avant la venue du Christ, parle des enfers. Ils sont des lieux inférieurs (séparés de la Vision de Dieu). Ils sont au nombre de trois: lenfer des damnés, le purgatoire, et le sein dAbraham. Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit accordé dautorité), une stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision du Christ lors de sa descente aux enfers. « Le lieu où entra lâme de Jésus était divisé en trois parties. Cétait comme trois mondes. Il me sembla quils étaient de forme ronde et quils étaient séparés les uns des autres. Lenfer des damnés, le purgatoire et les limbes dAbraham. » (Visions dAnne-Catherine Emmerich sur la vie de Jésus, Tome 3, Téqui, page 369)
[59] Marc 13, 30.
[60] Apocalypse 1, 1.
[61] 1 Pierre 3, 4.
[62] 1 Pierre, 3, 8.
[63] La Parousie du Christ glorieux fait partie de la foi. Elle est même récitée chaque dimanche dans le Credo de la messe. La théologie la décrit comme une véritable apparition sensible (le corps rayonnant du Christ) dont la lumière a le pouvoir de révéler en même temps le cur du Christ. Cest cela la gloire: la matière ne cache plus lesprit. Pourtant, cette Parousie a toujours été interprétée par les théologiens comme un événement futur, lié à la fin politique et définitive du monde. Seuls les fidèles, dans leur sens de la foi, savaient quils allaient voir le Christ dans leur mort! Sainte Thérèse le dit explicitement. Jacques Fesch, avant dêtre exécuté, avait dit: « Dans trois heure, je verrai Jésus ».
[64] Apocalypse 1, 17.
[65] Apocalypse 1, 12.
[66] Saint Thomas dAquin précise que cette vision première qui suit la mort ne peut être aussitôt celle de Dieu tel quil est. Dieu, par son irruption brutale dans lâme, empêcherait tout jugement car la liberté nexisterait plus. Il est si grand, si infini par sa bonté quil happerait à jamais lâme en son sein. Or Dieu ne veut forcer la liberté de personne. Cette vision ne peut être que celle de Dieu sous les voiles de son humanité: Jésus.
[67] Nul ne peut imaginer le bouleversement que réalise dans les âmes une telle rencontre. Pour lâme la plus contemplative, pour le plus spirituel des moines, cest la découverte quil navait presque rien compris à cet amour. Saint Thomas dAquin, à la fin de sa vie, eut la chance de voir Jésus lui apparaître. A partir de ce jour, il cessa décrire, laissant sa Somme théologique inachevée. Devant linsistance de son secrétaire, frère Réginald qui lencourageait à reprendre ses travaux, il finit par avouer sa vision. Tout en larmes, il lui confia: Je navais rien compris; je navais rien compris». Il nécrivit plus jamais un seul mot.
[68] Apocalypse 1, 12, 17.
[69] Luc 17, 24.
[70] Elles nont plus la foi dans lexistence de Dieu, dans le fait que le Messie sappelle Jésus-Christ, quil y a un Évangile, une vie après la mort. Elles le voient. Inutile de croire à ce quon constate de ses yeux. Mais elles ont la foi, au moins face à lévidence du choc de leur rencontre avec le Ciel, que la promesse faite est celle de la Vision béatifique, quil sagit dun mariage damour et dhumilité, et quil leur est possible de dire non.
[71] Apocalypse 4, 3.
[72] Saint Augustin, Les deux cités.
[73] Marc 13, 26. Par « les nuées du ciel », lÉcriture entend les saints et les anges. Matthieu 26, 64. Apocalypse 1, 7: « Voici, il vient avec les nuées; chacun le verra, même ceux qui lont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre. Oui, Amen! »
[74] Pas de larme, pas de chair, mais léquivalent sensible et spirituel.
[75] Zacharie 12, 10.
[76] 1 Théssaloniciens 3, 13.
[77] 1 Théssaloniciens 3, 13.
[78] Je ne suis pas sûr de cela. Je lenseigne ici parce que certaines apparitions de la Vierge semblent lindiquer. Plusieurs fois, elle promet de venir nous chercher « si on lui en fait la demande ». Par exemple, dans une révélation privée rapportée par la vénérable Marie dAgreda : « Le Père dit à Marie: Si les hommes vous invoquent de tout leur cur à lheure de leur mort, je les délivrerai des périls et je chasserai les démons qui sefforcent de les perdre. Vous me présenterez leur âme et elles recevront une riche récompense. Ce privilège sexercera sans nuire à loffice quont les anges de conduire les âmes au tribunal de Dieu. » (Vie divine de la sainte Vierge, éditions saint-Michel, 1972, page379). Ce genre de paroles, très fréquente, sous-entend peut-être que la Vierge ne vient pas si on ne lappelle pas. Mon hésitation vient de la vérité plénière de lheure de la mort, qui doit précéder le choix. Les protestants, ne peuvent être choqués quen théorie par le rôle que donne lÉglise catholique et orthodoxe aux saints. Ils ont imaginé que le péché originel avait rendu à jamais impuissants les amis de Dieu, au point quils étaient absolument incapables daucune coopération pour le salut des autres, même après la mort. Devant la preuve de linverse, il est évident que leurs blocages intellectuels seront balayés dun coup, sans que cela leur pose un seul problème (sauf orgueilleuse obstination). La présence des saints, tel que son père, sa mère, ses grands-mères leur sera-t-elle cachée, sous prétexte que sur terre ils nont pas cru dans la communion des saints? De plus; la Sainte Vierge, simple créature, est une présence théologalement importante. Son corps glorieux révèle avec puissance le pôle féminin de Dieu, de même que le Christ vrai Dieu en révèle le pôle masculin (doù les deux curs unis au verso de la médaille miraculeuse). Ceci me semble important pour la liberté du choix. Il est vrai que Jésus peut faire tout cela tout seul
[79] Rappelons lhistoire des anges et lorigine des démons, ces anges devenus mauvais. Leur révolte constitue la racine de toute liniquité, celle qui, nous le verrons, doit se révéler et être proposée de manière explicite à lhomme vers la fin du sa vie.
Les anges nont jamais eu de corps. Ils sont de purs esprits. Il est, pour nous, très difficile de comprendre vraiment ce que peut être, et comment peut vivre une personne qui na pas de corps. Aussi, tout au long de cet ouvrage, nous avons pris le parti de parler deux en termes anthropomorphiques. Il sagit bien sûr dun langage analogique.
Au premier instant de leur création, création qui précéda celle des hommes, tous les anges étaient bons. Le plus grand dentre eux, Lucifer par la beauté de son être était le chef-duvre de Dieu. Les autres anges nen éprouvaient pas de jalousie. Bien au contraire, en contemplant sa perfection, ils se faisaient une idée de linfinie grandeur du Dieu caché qui venait de les créer. Tous les anges aimaient Dieu, affirme saint Thomas dAquin. Ils navaient que reconnaissance pour ce quils venaient de recevoir de sa main, lexistence, la vie, la beauté. Ce spectacle de la création leur faisait crier dune seule voix: Gloire à Dieu au plus haut des Cieux .
Sils laimaient, ils ne pouvaient par contre le connaître, sinon de loin. Même pour le plus intelligent des anges, Dieu reste le Mystère par excellence. Lintelligence des esprits célestes a beau être de loin supérieure à la nôtre, elle reste limitée. Comment un vase fini (lange) pourrait-il contenir lInfini (Dieu)? Ils se contentaient donc de connaître Dieu à travers les effets de sa puissance. En se regardant eux-mêmes, en regardant les autres anges, ils voyaient comme dans un miroir le reflet lointain du Créateur. Et cette vie paisible et contemplative leur plaisait. Le monde aurait pu rester ainsi pour léternité.
Pourtant, alors que la création était encore toute nouvelle, Dieu parla. Il sagit dune pensée, dune révélation transmise directement dans lintelligence de chaque ange. Pour mieux manifester la Bonne Nouvelle quil annonça aux anges, nous la décomposons en trois paroles distinctes.
1- Dieu dit: « Je vous ai créés pour que vous me voyiez face à face. » Cette première révélation est bouleversante pour un ange, bien plus que pour un homme car lange a la capacité den saisir immédiatement toute la portée. Voir Dieu face à face signifie pour eux limpensable. Il leur était impossible despérer un tel bonheur. Ils savaient bien plus que nous linfinie profondeur du mystère divin et la limite de leurs capacités intellectuelles. Voir Dieu face à face, cela signifie comprendre son Mystère avec le regard même dont Dieu se comprend. Or une telle chose est impossible. Pourtant, les légions angéliques avaient bien entendu. Ils crurent donc, ils adhérèrent à cette parole de Dieu, malgré son caractère impensable, sachant que rien nest impossible à Dieu. Lucifer le premier crut. Avec lui, les chérubins, les séraphins et tous les ordres célestes désirèrent voir se réaliser cette promesse. Cette adhésion sappelle la foi. Mais déjà, en ce premier instant, Dieu savait que Lucifer croyait pour un autre motif que le petit archange Michel.
2- Dieu parla encore: «Je suis doux et humble de cur. Nul ne peut me voir face à face sil nest tout amour et toute humilité. » Les anges savaient, par leur contemplation naturelle, que Dieu ne pouvait les avoir créés que par amour. Mais ils découvrent avec stupeur en cet instant que Dieu est amour. Leur contemplation naturelle les invitait plutôt à admirer en premier lieu lintelligence du Créateur, sa lumière. Le monde angélique leur paraissait davantage beauté que bonté. Par sa parole, Dieu les invita à bouleverser entièrement leurs conceptions habituelles. Quand Dieu affirme quil est amour avant tout, quand le Tout-Puissant révèle quil se considère comme le serviteur de tous (humilité), il manifeste que la perfection naturelle des Chérubins nest rien à ses yeux comparé à lamour. Son ordre de préférence nest pas celui que donne la noblesse mais celui que donne le cur. Il leur demande une conversion totale. Devenir amour est la condition nécessaire pour toute entrée dans la vision béatifique.
Là se situe lépreuve terrible pour les anges: renoncer à eux-mêmes. Cest déjà difficile pour un être humain qui est chaque jour confronté à ses imperfections. Cela lest beaucoup plus pour un pur esprit, image parfaite de la perfection de Dieu. Lorgueil est un défaut plus proche des anges que des hommes. Cette abnégation, nous lavons dit, est indispensable car la vie proposée est surnaturelle.
3- Une troisième parole fut prononcée : «Après vous, je vais créer de petits êtres liés à un corps de chair. Homme et femme, je les ferais. Ils auront des enfants. Vous deviendrez pour eux anges gardiens. Vous les conduirez à moi. » Cette révélation était extrêmement concrète, si concrète quelle avait le pouvoir de discerner qui parmi les anges était humble de qui ne létait pas. La Bible dit[79]: « Dieu sépara la lumière des ténèbres. » Cette simple phrase nous montre quil se produisit une séparation extérieure entre la présomption des uns et lamour des autres. Il y eut une brisure dans le ciel angélique. Cest le contenu de cette révélation première qui provoqua ce premier drame de la création, le mystère premier de liniquité, jusque dans le monde des humains.
Cette révélation, à la manière dun éclair fulgurant, laissa le ciel entier silencieux et, dans linstant qui suivit, un de ces instants célestes qui mesure la pensée des anges, une voix cria je ne servirai pas . Le plus beau de tous, Lucifer, avait parlé, devenant pour toujours le Satan. Lucifer est le plus grand des anges, cest-à-dire le plus puissant au point de vue intellectuel, le plus proche de Dieu par sa perfection spirituelle. Lucifer aime Dieu. Il serait aberrant daffirmer que les anges veulent du mal à leur Créateur à qui savent tout devoir. Seul lhomme, est capable de haïr Dieu car il ne le connaît pas et le juge bien souvent aux effets de sa providence. Lhomme agit souvent comme un enfant qui, ayant été grondé par sa mère, lui en veut terriblement. Cet enfant nest pas encore capable de comprendre que cest lamour qui a fait agir sa mère ainsi. Lange est au-delà de ces raisonnements enfantins.
Le problème de Lucifer est quil aimait Dieu à sa manière à lui. Il voyait en lui le sommet de tout lunivers devant qui tout genou fléchit et, en cela. Il avait le sens de lhonneur de Dieu et de son rang. Il avait surtout dès cet instant premier le sens de sa dignité à lui, Lucifer, de sa place de chef de tous les anges. Lordre premier, instauré par Dieu au début de la création et fondé sur la puissance spirituelle, lui donnait la première place après Dieu, première place qui lui convenait tout à fait. Lucifer nétait pas contre la création des êtres humains, ces esprits limités et chétifs liés à des corps matériels à condition, toutefois, quils soient dans la hiérarchie des êtres de lunivers, cest-à-dire au-dessous des anges, juste au-dessus des animaux. Mais il comprenait quil en serait autrement. Lordre qui plaisait à Dieu nétait pas en fin de compte celui que confèrent les titres de noblesse intellectuelle, mais celui que confère lhumilité, la petitesse et surtout la capacité daimer. Or, dans cet ordre là, lhomme et la femme étaient des créatures mieux bâties pour triompher. En effet, un ange qui est une intelligence pure, aime dans la mesure où il a compris que quelque chose est digne dêtre aimé. Aimer, pour lui, signifie « vouloir sunir à ce quil a compris être un bien ». Lhomme, au contraire, avec son intelligence limitée et incapable de sexercer sans laide de son cerveau, a la capacité daimer sans même comprendre. Il peut aimer son Dieu dans une foi et une confiance aveugle. Dans ce quil a de meilleur en lui, lhomme peut aimer un ami jusquà donner sa vie pour lui, donc au-delà de ce qui est logique. Cest cette manière daimer qui plaît au Tout-Puissant au point que, plus il trouve en face de lui un être semblable, plus il se donne à lui et létablit haut dans la hiérarchie des êtres.
Lucifer scrutait, en pensée la nature humaine. Il y discernait lhomme et la femme. Lhomme avec sa psychologie masculine, portée à comprendre le monde, à le transformer, et la femme avec sa psychologie davantage portée à comprendre les choses avec son cur quà les analyser, plus portée à aimer. Plus que lhomme, la femme lobsédait à cause de cela.
Le projet de Dieu lui apparut alors en pleine lumière, avec ses conséquences terribles pour son orgueil. Lui, Lucifer, et tous les esprits célestes avec lui, les Chérubins, les Séraphins et les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés, les Archanges et les Anges, étaient appelés par Dieu à sabaisser à servir ces êtres de boue et dos, à les protéger et les conduire durant la durée dun séjour terrestre, pour quils deviennent, en fin de compte, plus grands queux. Alors, Lucifer fut saisi denvie. Plus que pour lhomme, il fut pris dune hostilité pour la femme et il proclama à la face du ciel: Je ne servirai pas. Il devint, en un instant, dune manière parfaitement lucide, le héraut de la défense des "droits" de Dieu et de la défense de la place hiérarchique des anges. Il proclama sa révolte, un peu (toutes proportions gardées) à la manière de saint Pierre avant la passion de Jésus: Tu es le maître et le Seigneur, tu ne me laveras pas les pieds. Pierre aussi eut ce sens de la place de Jésus mais, à la différence de Lucifer, il sut se taire quand Jésus lui répondit: Si je ne te lave pas les pieds, tu nas pas de place avec moi.
Lucifer étant le plus spirituel des anges, il eut par ses arguments une influence terrible sur le reste du Ciel. La Bible dit que le dragon rouge-feu (couleur symbolisant la colère) balaya le tiers des étoiles du ciel. Ce nombre nest pas à prendre au sens propre mais il manifeste tout de même que les démons sont nombreux (le tiers des anges). Son influence vint sans doute de la noblesse de ses arguments. Il prétendit nagir ainsi que pour le bien de Dieu. Son argument aurait eu encore plus de poids si, comme le pensent certains théologiens, les anges avaient connu dès le début le projet de lincarnation du Fils de Dieu en Jésus Christ. Un tel projet ne peut être que scandaleux aux yeux des esprits purs.
Lucifer était-il vraiment le défenseur des droits de Dieu? Son amour pour lui est-il la vraie raison de sa révolte? Beaucoup danges ne sy laissèrent pas prendre (les deux tiers si lon prend les textes à la lettre). LApocalypse parle ainsi: Alors une bataille sengagea dans le ciel: Michel et ses anges combattirent le dragon. Et le dragon riposta, appuyé par ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du Ciel. Ce combat ne se fit pas avec des épées dacier mais avec le glaive de la vérité. Un simple archange, cest-à-dire un esprit des hiérarchies les plus inférieures fut le premier à dénoncer le mensonge de Satan: Ce nest pas pour Dieu que tu luttes mais pour toi. Si tu aimais vraiment Dieu tu obéirais à sa volonté. Ce qui timporte, cest de rester le premier. Cest lorgueil qui ta aveuglé. Mais qui est comme Dieu! Michel, par cette parole de vérité entraîna à sa suite ceux que Lucifer ne put séduire.
La Bible ne cesse de confirmer cet orgueil primitif de Lucifer, quil sut si bien camoufler en grandeur de sentiment. Isaïe, parlant de lui, déclare: Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de laurore? Comment as-tu été jeté sur la terre, vainqueur des nations? Toi qui avais dit en ton cur: jescaladerai les Cieux, au-dessus des étoiles de Dieu jélèverai mon trône. Je mégalerai au très haut. Quant à Jésus, il nhésite pas à affirmer que Satan fut menteur dès lorigine. Il fut le prince du mensonge. En effet, il ny a pas de plus grand mensonge que dappeler bien ce qui est mal.
Que sont devenus les anges depuis léclat de leur création et la chute de certains dentre eux? Ils furent divisés en deux groupes selon le choix quils firent de servir ou de lutter contre le projet de Dieu. Les anges bons furent immédiatement introduits dans la vision de Dieu et, depuis ce jour comme aujourdhui, ils ne la quittent jamais. Les anges mauvais se séparèrent de Dieu et Jésus affirma que leur rupture ne cesserait jamais. Lucifer et ses anges sont damnés pour léternité. Certains chrétiens pensent que léternité de lenfer est contradictoire avec la bonté de Dieu. Ils pensent que Dieu pardonnera un jour son péché à Lucifer et le prendra auprès de lui. Ils parlent ainsi car ils comprennent mal le mystère de lenfer, à savoir dune manière terrestre et trop humaine. Lhomme tant quil est sur la terre peut toujours revenir sur ses fautes. Dieu le reçoit alors et lui pardonne. Lange, quant à lui, est trop intelligent pour être soumis à ces revirements de volonté. Quand un ange choisit, il sait ce quil choisit. En un instant, il pèse le pour et le contre et son intelligence, comme une lame tranchante, ne laisse rien dans le vague. Lucifer et ses anges savaient ce quétait lenfer, ce vide de Dieu. Lenfer ne leur a pas paru un mal si terrible face à la perte de cet autre bien quils mirent à la place suprême dans leur cur: la première place. Dieu aurait beau pardonner infiniment à Lucifer, celui ci répondrait indéfiniment jai raison.
Voici le combat qui est caché sous la dénomination « mystère de liniquité ». Ses conséquences sur notre humanité sont aisées à déduire.
Que font les démons maintenant? La Bible affirme quils furent précipités sur la terre . Cette phrase mystérieuse signifie que leur unique obsession, lobjet de toute leur activité, cest lhomme. Les démons, logiques avec leur choix originel ne désirent plus que détruire lhomme, surtout au plan spirituel. Leur ennemi premier est tout ce qui rappelle, de près ou de loin lhumilité ou lamour généreux. Sils pouvaient arriver à faire que lhomme, ce soit disant chef duvre, se joigne lucidement à leur révolte, leur victoire leur semblerait complète. Ils espèrent, de cette manière, démontrer à Dieu son erreur grossière, la stupidité de ses plans. Ils souhaiteraient obtenir, en révoltant lhumanité entière contre son créateur, le rétablissement de lancien ordre qui leur plaisait, lordre de la noblesse fondée sur des droits de nature. Ils croient pouvoir arriver à faire fléchir Dieu, à le faire revenir sur son histoire dhumilité et damour.
Dieu laissa à Lucifer et à ses démons une certaine latitude pour agir de manière parfois très concrète auprès des hommes. Dans sa limpidité, Dieu savait que les propositions fallacieuses, les tentations, permettraient à ceux qui laiment de le choisir plus librement. Les démons et leurs roueries devinrent donc, sans même le soupçonner, les serviteurs du plan de Dieu pour la vie éternelle des hommes.
Dès le commencement, dès la création dAdam et Ève, ils agirent dans ce but. A cette époque, Satan apparut de manière visible et proposa de manière claire le mystère de liniquité : « Choisissez vous-mêmes ce qui est le bien et le mal. Vos yeux souvriront et vous deviendrez comme des dieux. Cest de cela que Dieu a peur ! »
Depuis le péché originel et jusquà nos jours, les démons se sont fait en apparence plus discrets. Ils passent leur temps à tenter les hommes, se cachant dans leur psychologie, se fondant avec leur cerveau. Ils le tentent dans le sens de ses pulsions charnelles, car ils comprennent que la voie qui conduit au rejet de lhumilité et de lamour commence par des péchés moins graves mais plus immédiats pour les humains. Comme ils passent leur temps à soccuper de péchés charnels (argent, plaisirs, honneur, pouvoir), les démons qui sont des créatures spirituelles, sont dits par la Bible rampants sur la terre...
[80] plaisirs égoïstes, vanité humaine, recherche de la possession.
[81] Saint Augustin, les deux cités.
[82] Apocalypse 12, 9.
[83] Il ne règne bien sûr en enfer quune plénitude apparente car la liberté ne sert à rien si lhomme en jouit sans être heureux.
[84] Genèse 3, 5.
[85] Apocalypse 12, 10.
[86] La foi solennelle de lÉglise est ici en jeu. Voir les définitions du pape Benoît XII citées en fin douvrage, troisième partie.
[87] Il sagit même dun dogme solennel. Nous en rappelons le contenu au chapitre 8: la foi de lÉglise concernant le salut.
[88] Nous verrons dans le chapitre consacré au purgatoire des âmes en peine que cette définition est précise et importante. Si une âme reste, même pendant plusieurs siècles, à errer sur terre sans passer dans lautre monde, cest quelle est encore dans lheure de sa mort.
[89] Luc 15, 7.
[90] Apocalypse 12, 10.
[91] Cest la nuit de lesprit, décrite par saint Jean de la Croix.
[92] Jessaye ici de donner une nouvelle définition théologique de la mort, en mappuyant sur les découvertes concernant la N.D.E. Elle ne fait que rendre plus précise la définition ancienne: séparation de lâme et du corps en y intégrant le psychisme.
[93] Le psychisme survit. Les sensations demeurent. Lautre monde est donc un monde sensible et non exclusivement spirituel. Doù les témoignages de ceux qui ont approché la mort et qui voient des paysages magnifiques, des jardins luxuriants. Ce ne sont pas des rêves mais la vision objective de lautre monde. Les paganismes anciens connaissaient cela. Les romains décrivent par exemple le paradis : « «Si vous vous retrouvez tout seuls, chevauchant de verts pâturages avec le soleil sur le visage, nen soyez pas troublés. Car vous êtes aux champs élysées et vous êtes déjà morts. Ce que vous faites dans la vie résonne pour léternité». (Allocution du Général romain Maximus, « Gladiator », Ridley Scott, 2000.. Le Concile Vatican II témoigne de la part dEsprit et de vérité quils avaient reçue, même sils ignoraient la raison de toutes ces choses.
[94] Matthieu 16, 26.
[95] Nous verrons au chapitre consacré au purgatoire quil peut exister des âmes qui restent bloquées dans la mort, cest-à-dire entre ce monde et lautre. Leur lattachement à la terre est si grand que ce contretemps leur est utile pour progresser. Leur chair est pourtant morte. Elles restent errantes, ici-bas, pendant parfois des siècles. Elles sont dans ce que lAncien Testament appelait le shéol, lHadès, autrement dit en français, la mort.. Le Christ ne leur est pas encore apparu dans sa gloire.
[96] LÉglise proclame de manière dogmatique ce fait par la voix de Benoît XII dès le XIIIème siècle: «Par la présente constitution, qui restera à jamais en vigueur, et de notre autorité apostolique, Nous définissons que, daprès la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde sont au Ciel avec le Christ aussitôt après leur mort et la purification dont nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même la résurrection dans leur corps et le Jugement général, et cela depuis lAscension du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ au Ciel.
En outre, nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines infernales.
[97] Elle offrit même les deux colombes pour le péché après la naissance de Jésus, elle qui conçut de manière virginale.
[98] Matthieu 25, 12.
[99] Au cours de ses 2 000 ans dhistoire, lÉglise a beaucoup parlé de lenfer. Le Magistère le fait à sa manière, cest-à-dire avec précision et rigueur. Mais aussi avec une effrayante sécheresse. Ses textes nont pas de chair car lÉglise laisse aux théologiens le soin den mettre. Le rôle du Magistère de Pierre est juste dindiquer par des bornes là où est le vrai et le faux. A la fin de ce chapitre, il est probable que toute tension aura disparu. Voici, telles que la rapporte le Dentzinger (recueil des dogmes), la foi de lÉglise concernant lenfer: 1. Lenfer existe. 2. Des anges ont choisi de se damner (lÉglise ne sest jamais prononcée par la voix de Pierre sur le choix individuel de tel ou tel homme. Mais la reconnaissance par lÉglise dapparitions et de révélations privées indique avec une grande sûreté -qui nest cependant pas celle de la foi au sens théologal du terme-, que certains humains choisissent de se damner). 3. Lenfer est éternel. 4. aucun damné, jamais, ne demandera pardon. 5. Il est donc inutile de prier pour les damnés. 6. Il existe des peines en enfer, dont le feu et le ver; 7. Mais la plus grande peine de lenfer est le dam, cest-à-dire la séparation davec Dieu.
[100] Luc 12, 4.
[101] Genèse 2, 9.
[102] Genèse 2, 17.
[103] Matthieu 12, 31.
[104] Les miracles se distinguent des prodiges (cause psychologique, scientifique, angélique). Le prodige ne soppose pas aux lois de la nature. Cependant, le prodige peut aussi conduire à la foi. Exemple de prodiges: rêve prémonitoire, phénomène paranormal comme la lévitation, la télépathie. Le miracle, à la différence du prodige, ne peut être attribué quà Dieu seul. Il implique daller contre nature, contre toute loi naturelle. Parfois, il implique une puissance infinie, comme dans une guérison instantanée. Exemples de miracles: La résurrection de Lazare (Jean 11. dont le corps est déjà décomposé; la guérison de Jeanne Frétel à Lourdes; les prophéties de sainte Odile (qui est une sainte canonisée. Elle a donc un certain niveau dautorité dans ses écrits), de Fatima etc.
[105] Jean 12, 10: «Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, sen allaient et croyaient en Jésus.»
[106] 1 Corinthiens 2, 8.
[107] Le fait que seuls un blasphème contre lEsprit Saint conduit en enfer, cela fait partie de la foi la plus sûre de lÉglise. Mais la description de ces six péchés contre lesprit vient des grands théologiens. Saint Thomas dAquin les a repris à saint Augustin. Il ny a rien à ajouter. 700 ans plus tard, je nen ai pas trouvé dautres.
[108] Somme Théologique, IIa IIae, Question 14, article 2.
[109] On ira jusquà vérifier sa virginité. Une sorcière ne peut, paraît-il, jamais être jeune fille.
[110] Un évêque en partance pour la Russie sarrêta à Nuremberg lors dune fête nazie. Il assista à un discours dHitler. Celui-ci fixa ses yeux sur lui. Lévêque témoignait des années après du malaise quil avait gardé, ayant limpression davoir été démasqué malgré ses habits civils. Il fut convaincu toute sa vie quHitler avait pactisé avec le démon. Si cela est vrai, le péché dHitler devient beaucoup plus lucide.
[111] Ce terme est précis. Le pardon est proposé. Il nest pas donné car il est aberrant de pardonner tant que la contrition nest pas là. Lamour nest pas une vertu molle mais emplie de la droiture de la vérité.
[112] En classe, un enfant racontait à sa maîtresse la plus grande souffrance de sa vie. Cette histoire peut illustrer ce quest le Jour du Seigneur, le Jour de la vengeance. Il avait brisé volontairement lors dune scène avec sa mère un petit objet auquel elle tenait beaucoup. Loin de crier après lui et de lenvoyer au lit, elle se mit simplement à pleurer. Lenfant aurait tellement préféré quelle le gronde. Il en est de même à lheure de la mort, même pour Hitler.
[113] Marthe Robin (qui nest pas encore une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits sont cités à titre de témoignage) vivait ce doute sur Hitler et invitait à prier pour lui « au cas où »
[114] Matthieu 8, 12.
[115] Jean 12, 5.
[116] Jean 13, 26.
[117] Matthieu 26, 24.
[118] Ainsi, à lheure de la mort, bien des suicidés atteignent en un instant face à Jésus un degré de charité impressionnant, selon cette parole de lÉvangile à propos dune femme pécheresse: « Parce quelle a été beaucoup pardonnée, elle a beaucoup aimé ». Comment pourrait-il en être autrement pour des êtres qui ne se sont en fait donné la mort que par manque dun amour capable de remplir leur vie? Une fois purifiée, leur charité leur obtient un poids de gloire plus grand que celui de bien des chrétiens vertueux mais peu assoiffés: «Les prostituées et les pécheurs vous devancent dans le Royaume des Cieux, dit Jésus à des prêtres. Il ne sagit pas de nier que le suicide constitue un péché. Certes, le suicide par désespoir est un acte grave, non seulement à cause de ceux qui restent sur la terre, les parents, les amis, mais aussi du raccourcissement de lapprentissage terrestre voulu par Dieu. Il implique la plupart du temps un manque dattention (bien pardonnable tant la souffrance est grande) à ceux qui restent sur terre et, si la personne est croyante, à lidée quelle ne peut manquer de se faire du mystère de Dieu. Mais il nest pratiquement jamais un blasphème contre lEsprit, comme tout acte empreint de souffrance et dignorance.
[119] Le Magistère lÉglise a confirmé très souvent les paroles explicites de Jésus concernant les peines de lenfer: le dam, qui est là peine la plus importante: « Le Seigneur dira aux méchants, lors du jugement de leur âme: Allez loin de moi, maudits.»; Le feu: le psalmiste 17 écrit: «le feu et le souffre, et le souffle des tempêtes seront la part de leur calice » et Job 24, 19 continue: «de leau des neiges, il passe à lextrême chaleur.» Cest pourquoi lÉglise a défini par la voix de Benoît XII le dogme suivant: «Nous définissons que, selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées des peines infernales.» Mais jamais lÉglise ne sest étendue avec une grande précision sur la nature du feu. A-t-il un rapport avec un feu matériel, sensible? Une décision de la Sacrée Pénitencerie (1890. interdit de donner labsolution à qui ne verrait dans le feu de lenfer quune métaphore désignant les peines intenses des damnés. Cette décision, de caractère disciplinaire, se fonde sur lenseignement commun des théologiens. Elle laisse une certaine liberté. Au cours de cette partie, nous verrons comment, même dans ce point, lÉglise a raison et est protégée de lerreur.
[120] Job 1, 6.
[121] Matthieu 5, 22 et des dizaines dautres références au feu qui ne sarrête pas.
[122] Cest un « habitus entitatif », dirait saint Thomas dAquin, à savoir une propriété du tréfonds même de notre être, qui rayonne dabord dans lesprit (intelligence et volonté), puis dans le psychisme et le corps.
[123] On allume la télévision à peine arrivé chez soi pour ne pas penser , pour ne pas ressentir cette angoisse indéfinissable de quelque chose qui manque.
[124] Feuerbach fait de cette propriété de lâme humaine la preuve que les religions sont de simples inventions de notre nature tordue. Son argument pourrait prouver linverse. Nous sommes créés pour voir Dieu doù ce vide infini
[125] Marc 9, 48.
[126] Luc 13, 28.
[127] Luc 8, 26-38.
[128] Apocalypse 19, 20.
[129] Matthieu 5, 18.
[130] Cette recherche nengage que moi. A chacun de la faire pour son propre compte, à force dobservation de la nature humaine. A la Salette, la Vierge dit aux enfants: « beaucoup se damnent. » Mais dans sa bouche, que veut dire beaucoup? Peut-être un seul homme
[131] Matthieu 7, 13.
[132] 1 Corinthiens 15, 32.
[133] Matthieu 25, 40.
[134] Lexistence du purgatoire fait partie de la foi catholique, solennellement et sans hésitation. Paul VI le mit dans son nouveau Credo, publié le 30 juin 1968 en prévision de la crise à venir de la foi: « Nous croyons en la vie éternelle. Nous croyons que les âmes de tous ceux qui meurent dans la grâce du Christ, soit quelles aient encore à être purifiées au purgatoire » Lexistence de six degrés du purgatoire est par contre le fruit de ma recherche, à travers la tradition des saints les plus profonds. Les trois purgatoires mystiques de sainte Catherine de Gênes sont les plus décrits dans lÉglise. Le purgatoire des âmes errantes est sans doute le moins documenté. Il nen est pas moins important car tout à fait logique et utile au salut de certains. En recherchant dans le patrimoine de lÉglise, on trouve six degrés du purgatoire. Il en existe peut-être dautres. Ce chiffre na rien de dogmatique. Mais son symbolisme biblique est étonnant. Le septième jour, lhomme se reposera en Dieu, de même que Dieu se reposa le septième jour de sa création (Genèse 1.. Voir chapitre consacré à la vision béatifique.
[135] Lettre à Mekhitar, dArménie, 29 septembre 1351 (DS 854). Voir aussi DS 1304, DS 1820.
Concile de Trente, Session 25, D.B, Enchiridion, 983, Trad. A. Michel, purgatoire, Dictionnaire de Théologie Catholique 1278-1279.
[136] 2 Macchabées. 12, 46.
[137] 1 Corinthiens 3, 15.
[138] Genèse 28, 11.
[139] Voir Apocalypse 8, 1: «Il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure.», cest-à-dire le temps dune vie terrestre.
[140] Jean 20, 29.
[141] Job 26, 5: «Les Ombres tremblent sous terre, les eaux et leurs habitants sont dans leffroi. »
[142] Voir par exemple Genèse 42, 38: «Sil lui arrivait malheur dans le voyage que vous allez entreprendre, vous feriez descendre dans laffliction mes cheveux blancs au shéol. »
[143] qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par lÉglise comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire dun degré bien sûr inférieur à celui de lÉcriture Sainte ou du Magistère de lÉglise (voir en fin douvrage).
[144] La théologie de la souffrance, telle que je la donne ici, est rejetée par une part importante des prêtres occidentaux. Cest une véritable tragédie car, avec le bouddhisme (et sa source, lhindouisme), le catholicisme était la seule religion au monde à donner sens à la souffrance. Pour comprendre cette richesse, on peut lire avec fruit la méditation sur la souffrance de Jean-Paul II. Suite à lattentat qui faillit lui coûter la vie, il vit un ange, celui de Fatima, détourner la balle. Mais lange ne la détourna quun peu, sur ordre de Dieu. Jean-Paul II fut frappé dans sa chair, et physiquement humilié (anus artificiel, douleurs lancinantes). Son texte est digne car il vient de sa propre douleur.
[145] Nous lavons rappelé au début de cet ouvrage. Nous la remettons ici en note tant elle est essentielle au reste: La théologie catholique est une science en ce sens quelle est logique. Elle tire de quelques principes simples la totalité de sa compréhension. Pour comprendre (ce qui ne signifie pas tout comprendre), il suffit donc de saisir ces principes. Autre chose est de croire à ces principes!
La Bonne Nouvelle est, par son contenu, le principe de toute la théologie chrétienne.
Un Être éternel existe. Sa vie est faite de bonheur intérieur. Il est infini, il se suffit à lui-même. Aussi passe-t-il son éternité à se contempler lui-même et à saimer. Ce qui pour nous serait du narcissisme est chez lui, parce quil est sans aucune limite, Vie, Paix et Joie. On peut même dire que ce Dieu unique, dans sa vie intime, est comme fait de trois personnes. La connaissance quil a de lui-même sappelle le VERBE (le Fils), Lamour quil a pour lui-même sappelle le SAINT ESPRIT. Il sagit dun seul Dieu en trois personnes.
Deux qualités du cur peuvent résumer la vie de Dieu: lhumilité et lamour. Cette humilité et cet amour sont infinis dans toutes les directions des relations trinitaires. Sans cesse, le Père sefface devant le Fils parce quil laime. Certains théologiens objectent que Dieu ne peut être humble, que cest le propre de la créature. Quils réfléchissent aux abaissements du Verbe éternel, lui qui était, dit saint Paul, de condition divine
Or le Dieu infini décide de faire partager son bonheur. Il crée donc des êtres dotés dun esprit. Son but est de se montrer à eux, face à face, pour quils soient heureux comme lui lest. (les anges, puis les hommes). Mais il y a une condition. On ne peut voir Dieu face à face que si on lépouse librement, comme dans un mariage damour.
Et, pour lépouser, il faut devenir semblable à lui. Nul ne peut voir Dieu sil ne devient, comme Dieu, toute humilité et tout amour. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir à soi-même». Il ne sagit pas de nimporte quelle humilité, ni de nimporte quel amour. La moindre trace dorgueil ou dégoïsme rend « techniquement » impossible le mariage avec Dieu. Dans ces conditions, on ne peut le comprendre et le voir ressemblerait à un viol.
Mais qui est comme cela? Qui peut se targuer dêtre humble et aimant au point dêtre capable de donner sa vie pour autrui, de donner sa vie pour un ennemi? Limage de lamour nécessaire est visible à travers la vie de Jésus. Ceux qui lont mis à mort et qui se moquent de lui, il les aime au point quil les accueille à lheure de leur mort et leur propose la vie éternelle. Ces personnes ont sans doute été tellement surprises par une telle preuve damour quelles ont demandé pardon pour leur faute.
[146] Matthieu 23, 35.
[147] Ce passage est très important. Il a le pouvoir de donner au cur humain, par le fait même que Dieu se tait, une soif, donc un désir qui grandit sans cesse. Cependant, Dieu nest pas esclave de ses lois. Nous verrons quil est capable de conduire autrement les âmes de ceux qui nont pas vécu ici-bas (les enfants morts trop jeunes en particulier).
[148] Méditation sur la souffrance.
[149] 1 Corinthiens 1, 23.
[150] Ce fait divers pédophile marqua la Belgique des années 1990.
[151] Jentre dans la vie, cerf, p. 66
[152] Un chapitre est consacré plus loin à cette question.
[153] Matthieu 7, 22.
[154] Aussi appelé le shéol ou lHadès. Mes sources: quelques textes bibliques de lAncien Testament, très confus et peu précis; de nombreux témoignages dans la bouche de saints canonisés. Certains sont cités ici. Il nexiste aucune définition dun pape ou dun Concile, mais seulement une pratique liée aux messes des morts et parfois pratiquées par des prêtres exorcistes en cas de phénomène paranormal. Enfin, une foule de témoignages concernant des âmes errantes, aussi bien chez des chrétiens que dans le monde païen, musulman, juif etc.
[155] Job 7, 9.
[156] Luc 12, 15 et ss.
[157] Sans faire damalgame, il est important de constater que certaines théologies orientales expliquent de la même façon le phénomène des revenants. Le Livre des Morts tibétain indique comment il est possible aux vivants de conduire les âmes errantes vers le bon port. Dans cette tradition, on explique leur lien avec notre monde par une conservation, au-delà de la mort du corps psychique, (le corps astral, sorte de corps psychique survivant un temps au corps physique, composé dénergie magnétique, et siège des facultés de la sensibilité). De cette manière, il leur est facile dexpliquer les manifestations des revenants. Une telle vision est parfaitement admissible par la théologie catholique.
[158] Cela peut être le cas dans certains types de suicides liés à la perte dun bien matériel. Celui qui se tue parce quil a perdu son argent est manifestement victime dun tel attachement maladif. Si son cur avait un autre but que largent, il trouverait la force de survivre. Il croit fuir pour le néant mais emporte son problème avec lui. On trouve aussi des coupables de péchés particulièrement ignobles et éprouvants, qui sont morts psychologiquement rongés par les cauchemars de leurs actes. Leur mal psychologique est si lourd que leur vie morale est inhibée. Ils ne sont pas prêts à affronter la Parousie, lapparition du Christ glorieux.
[159] La Bible décrit très bien comment historiquement, lhumanité a appris la finesse. Les hommes des temps anciens furent souvent des sauvages. Voir par exemple Genèse 6, 4: «Les Nephilim étaient sur la terre en ces jours-là (et aussi dans la suite) quand les fils de Dieu sunissaient aux filles des hommes et quelles leur donnaient des enfants; ce sont les héros du temps jadis, ces hommes fameux. Yahvé vit que la méchanceté de lhomme était grande sur la terre et que son cur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée. »
[160] Luc 16, 22 : « Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein dAbraham. Le riche aussi mourut, et on lensevelit.»
[161] Pour la majorité des Pères de lÉglise, les morts de lAntiquité recevaient la visite dun Ange de Dieu qui leur annonçait lÉvangile à venir. Les morts attendaient alors avec Abraham, dans la joie, que le Messie naisse et vienne leur ouvrir la Vision de Dieu.
[162] Vie de Clémence Ledoux, fondatrice de la fraternité de Marie-Reine Immaculée.
[163] Luc 12, 34.
[164] Le spiritisme ou évocation des morts a la plupart du temps pour cause des démons de lenfer. Ils se font passer pour des saints du Ciel, doù linterdiction totale de lÉglise vis-à-vis de cette pratique. Parfois cependant, ce sont ces âmes en peine qui répondent. On les reconnaît au caractère insipide et lourd de leurs propos.
[165] Marc 6, 49.
[166] Matthieu 25, 36.
[167] Cest à dire lintelligence et lamour.
[168] Cet enseignement na rien à voir avec celui des animistes: «Nimportune pas les vivants. Va hanter les lieux déserts. »
[169] Sur terre, nous navons pas lexpérience de notre capacité de survie après la mort. Les âmes errantes sont expérimentalement délivrées de ce doute.
[170] Dans dautres religions comme le tantrisme, le fidèle est aussi invité à prier pour lâme errante et à lui adresser la parole, en lui expliquant quil est bon pour elle de ne plus sattacher à la terre, que son lieu est celui de lautre monde. Une telle pratique semble réaliste et saine. Aidée ainsi, lâme peut alors passer dans une autre demeure du purgatoire où la souffrance nest plus causée par labsence des plaisirs, mais par labsence de Dieu.
[171] Matthieu 5, 6.
[172] Rappelons-le: la vie terrestre permet seule permet la croissance de la capacité daimer (cest-à-dire du désir), pour deux raisons: 1. Dieu se cache; 2. Les malheurs paraissent injustes. Dans le cur des justes, une soif de justice, dexplication, damour grandit à mesure que lon prend conscience de cette absurdité. Peu importe la révolte, la colère de certains. Profondément, elle est plutôt le signe positif dun désir grandissant damour et de justice. Ces hommes-là seront comblés car Dieu est lAmour et la Justice. Cest pourquoi cette vie est si importante.
[173] Cest dailleurs un des arguments les plus utilisés par les protestants pour nier la réalité dun autre purgatoire après la venue du Christ. Ils oublient que lamour total nest pas lunique condition pour entrer auprès de la Trinité. Cet amour doit être humble. Or il est difficile daimer sans se regarder aimer quand, durant toute une vie, on a vécu pour soi. Cela, même lapparition du Christ ne le réalise pas toujours. Quand une personne na jamais touché sa misère de manière expérimentale (ce que seule lexpérience de la souffrance réalise pleinement), elle a du mal à comprendre quelle nest que néant.
[174] Matthieu 5, 25.
[175] Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit attribué dautorité), une célèbre stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision de létat des âmes de ce purgatoire mystique : « Jai vu Dieu rendre son jugement sur de grands pécheurs. Il ne condamne que ceux qui ne veulent absolument pas se convertir. Mais ceux qui ont encore une étincelle de bonne volonté se sauvent. Il y en a qui ont un très vif repentir de leurs péchés, qui les confessent sincèrement et ont pleine confiance dans les mérites infinis de notre sauveur. Ceux-là arrivent au bonheur éternel et leurs péchés sont oubliés. Ils passent bien par le purgatoire mais ils ny restent pas longtemps. Au contraire, beaucoup vont pour longtemps au purgatoire, qui ne sont pas de grands pécheurs, mais qui vivent dans la tiédeur et qui, par amour propre, trouvent mauvais quon les avertisse et les reprenne. » (Vie dAnne-Catherine Emmerich, Téqui, 1923, Tome I, p. 331).
[176] Luc 16, 24.
[177] Cette parole est appelée par lÉglise, le jugement dernier de la personne.
[178] Le Christ souffrit en toute innocence. Dans un grand cri, sur la croix, il demanda à Dieu son Père que cela serve de payement juste pour tout le mal commis dans le monde entier. Il obtint cette indulgence. Il lapplique sans cesse à chacun de nous, à sa manière. Il aime nous obtenir lindulgence pour la peine de nos crimes à travers la prière de ceux qui sont encore sur terre.
[179] Saint Thomas distingue le temps extérieur de la durée intérieure, subjective quil appelle laevum.
[180] Luc 16, 24
[181] « Il lui dit »: cest une façon de parler. Ce nest pas sa langue qui prononce ces paroles. Cest son être même. La souffrance a brûlé son âme et fait apparaître lor, selon cette parole de saint Paul: «Que si sur ce fondement on bâtit avec de lor, de largent, des pierres précieuses, du bois, du foin, de la paille, luvre de chacun deviendra manifeste; le Jour, en effet, la fera connaître, car il doit se révéler dans le feu, et cest ce feu qui éprouvera la qualité de luvre de chacun. Si luvre bâtie sur le fondement subsiste, louvrier recevra une récompense; si son oeuvre est consumée, il en subira la perte; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu. » (1 Corinthiens 3, 12).
[182] Cette parole est prononcée à la messe juste avant la communion. De même, elle est prononcée par le tréfonds de lâme des morts juste avant lentrée dans la vision de Dieu. La messe est le symbole de la vie de la grâce.
[183] Cela ne veut pas dire quil faut devenir prostituée! Cela veut dire quun prêtre, parce quil récolte la considération des autres, doit le faire par amour, quitte à vivre ce purgatoire après la mort. Il faut être lucide sur soi-même: il est difficile à une personne reconnue dêtre humble. Peu importe, sil sagit daimer son prochain pour Dieu. Saint Paul le disait aux Romains 9, 2: «jéprouve une grande tristesse et une douleur incessante en mon cur. Car je souhaiterais dêtre moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères. » Cest lamour le plus grand, celui de lapôtre.
[184] Matthieu 25, 21.
[185] Matthieu 27, 51: «Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux souvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent». Il nexiste pas de texte plus réaliste pour décrire le bouleversement quest lentrée dans la vision béatifique.
[186] Jai essayé dimaginer, du mieux que je pouvais, la manière dont les enfants et les handicapés profonds entraient dans la gloire. Trois choses seulement sont certaines: 2. Il ne peut y avoir de limbes éternels, puisque le salut est proposé à tout homme (dogme catholique); 1. Les enfants entrent en Dieu librement, comme tout homme. Ils ne le font donc pas « automatiquement », par leur baptême deau ou desprit (dhumilité et damour). 3. Lorsquils sont morts, ils étaient encore incapables de choisir. Ils ont donc appris la liberté. Mais la manière dont sest fait cet apprentissage nengage que moi. Jai essayé dêtre logique. Jai opté pour un temps réel décole du Ciel. Peut-être ny a-t-il quune seconde dapprentissage, si la force de lapparition du Christ est suffisante à tout faire dun coup ?
[187] Ainsi que les handicapés profonds qui restent à vie des enfants. Ces deux points sont une certitude. Le reste nengage que moi. Peut-être ny a-t-il aucun délai dapprentissage ? La simple apparition glorieuse du Ciel a peut-être, à elle seule, le pouvoir de les rendre capables de choix.
[188] 26 février 1439 - août 1445, 17ème Concile cuménique.
[189] Dans sa constitution « Auctorem Fidei », 28 août 1794.
[190] Voir la bulle « Ex omnibus afflictionibus », Pie V, n°49, 7 janvier 1572.
[191] Cathéchisme de lÉglise Catholique, 1258 : « Depuis toujours, lÉglise garde la ferme conviction que ceux qui subissent la mort en raison de la foi, sans avoir reçu le Baptême, sont baptisés par leur mort pour et avec le Christ. Ce Baptême du sang, comme le désir du Baptême, porte les fruits du Baptême, sans être sacrement. »
[192] Voir C.D.C. n°1261
[193] Exode 2, 5.
[194] Luc 16, 22.
[195] Jean 16, 24.
[196] Cette description simple du salut des enfants ne manque pas de fondements expérimentaux. Nombres de mères peuvent témoigner, suite à une grave maladie survenue à un enfant, que celui-ci se disait visité par des anges. La petite voyante de la Salette se souvient quau cours de son enfance malheureuse, elle était souvent visitée par un ange qui léduquait.
[197] Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit attribué dautorité), une célèbre stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision de létat des âmes des saints Innocents : « Mon guide ma menée à un endroit où jai pu voir le meurtre des saints Innocents et la grande magnificence avec laquelle Dieu récompensa ces victimes dun âge si tendre, quoiquelles neussent pu coopérer activement à la confession du saint nom de Jésus. Jadmirais limmensité de leur récompense, et je me demandais ce que je pourrais espérer, moi qui, depuis si longtemps déjà, avais eu à souffrir pour lamour de mon sauveur. » (Vie dAnne-Catherine Emmerich, Téqui, 1923, Tome I, p. 502).
[198] Le fait que le ministre extraordinaire du sacrement peut être, en cas de nécessité, un laïc et même un non baptisé montre suffisamment la nécessité du baptême.
[199] Voir les expériences de mort approchée.
[200] Certains chrétiens pensent que la meilleure solution pour développer un esprit enfant semble être de lui permettre de se réincarner dans un autre corps. Il pourrait alors, à travers une vie terrestre normale, se développer et accéder à la capacité du choix. La réincarnation nest pas possible. Lêtre humain nest pas une énergie indifférente au corps qui la reçoit mais un être substantiellement réalisé autours de trois degrés de vie: physique, psychique et spirituel. Lâme qui unifie ces facultés est faite pour son propre corps, pas pour un autre. Elle est source de lêtre dune personne unique et éternelle. La croyance en la réincarnation est le fait de civilisations qui ne croient pas en lexistence des personnes mais de lUnivers comme énergie universelle (panthéismes hindou et bouddhiste.) Cest pourquoi lÉglise croit au purgatoire des personnes et non en la réincarnation des énergies.
[201] Rien nempêche que Dieu, de manière semblable à ce quil fit pour les anges à lheure de leur création, infuse dans leur intelligence les espèces intelligibles nécessaires pour quils aient une connaissance naturelle suffisante deux-mêmes, de lunivers et de leur Créateur.
[202] Je parle ici des innocents, pas des enfants morts avec une capacité de choix. A Lourdes, Bernadette demanda à la Vierge si telle de ses amies décédée était sauvée. Elle répondit: «elle est au purgatoire jusquà la fin du monde ».
[203] Lettre dInnocent IV à lévêque de Tusculum (06-03-1224).
[204] Jentre dans la vie, cerf, p. 66
[205] Une autre perte peut être soupçonnée, moins grave cependant. Léducation reçue avant lentrée dans la gloire ne compense pas nécessairement entièrement les pertes subies par lintelligence à cause de la mort prématurée. En effet, lhomme est un esprit qui, par nature, remonte par étapes à lintelligible. Cest pourquoi il est lié à une sensibilité dont il abstrait avec son intellect agent les concepts universels. Lorsque lintelligence na pu atteindre la plénitude de son développement, il est possible quelle éprouve de la difficulté à mûrir les concepts donnés en remplacement car elle ny est pas adaptée. Il est probable que cet handicap de leur intelligence selon sa puissance naturelle est cependant largement compensé par la communication de la grâce surnaturelle puis de la lumière de gloire, selon cette parole du Seigneur: «Bienheureux es-tu père, davoir caché cela aux sages et aux intelligents et de lavoir révélé aux tout petits» En effet, la vision de lessence divine nest pas communiquée en fonction de la perfection de la nature mais plutôt en fonction de la ferveur de la charité.
[206] La vision humaniste athée qui domine aujourdhui explique ces réactions des parents. Seule cette vie de la terre compte. Dans cette hypothèse, ils sefforcent de donner toutes les conditions matérielles et psychologiques pour que lenfant réussisse dans la vie. Dautre part, labsence de réflexion sur une survie de lâme après la mort fait quon définit une personne humaine par sa capacité à poser un acte libre. Un embryon nest donc pas encore une personne humaine.
[207] Sauf exception comme les suicides altruistes ou motivés par lorgueil.
[208] 2 Maccabées 14, 41.
[209] Jean 15, 13.
[210] Voir « les limbes ou le shéol, purgatoire des âmes errantes. »
[211] A ne pas confondre avec le blasphème contre lEsprit Saint de désespérance qui est un acte dorgueil: Refus volontaire et despérer un pardon face au Christ qui le propose dans la mort. Le désespoir psychologique est le sentiment dabsence de sens à la vie. Cest un mal denfant fragile. Le désespoir spirituel est lanalyse intellectuelle, froide et réfléchie de la même chose. Cest un mal dathée. Aujourdhui, les hommes sont frappés des deux car ils sont souvent riches donc fragiles et athées.
[212] Ecclésiastique 7, 23.
[213] Sagesse 2, 6.
[214] Matthieu 6, 21.
[215] Romains 8, 39.
[216] Matthieu 27, 46.
[217] Jean 8, 11.
[218] Osée 2, 5, 2, 16.
[219] « Tu ne jugeras pas», disait Jésus. Cela signifie, dans le contexte précis du texte: «tu ne condamneras pas » comme si tu étais Dieu, comme si tu perçais tous les méandres des âmes et nétais pas toi-même, un grand pécheur. Ici, il sagit dun jugement général, théologique. Cest tout autre chose.
[220]Il est vrai que ceux qui se suicident à cause dun désespoir commettent un péché mortel au moins dignorance ou de faiblesse, directement contre lamour. Cest que tout acte qui est motivé par un amour égoïste de soi est qualifié comme tel. Ici, légoïsme est pardonnable et pardonné dans lautre monde.
[221] Lhumilité de Dieu est révélée par Jésus lors du lavement des pieds, juste avant la Passion du Christ. Pierre ne voulut pas comprendre : « Tu es le maître et le Seigneur. Tu ne me lavera pas les pieds. » « Si je ne te lave pas les pieds, tu nas pas de part avec moi. », lui répondit Jésus.
[222] Jacob, fils dIsaac, rêva du Ciel. Genèse 28, 12 «Il eut un songe: Voilà quune échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient! » Cette échelle possède six barreaux (voir chapitre 4, les six degrés du purgatoire). Le septième est la porte du Ciel. Il est remarquable de constater que les religions antiques, comme celle de lEgypte, avaient déjà reçu mystérieusement cette révélation. La livre des morts décrit sept portiques. Le mourant devait connaître une formule magique pour les franchir un par un Est-ce une simple coïncidence? Il ne me semble pas. LÉvangile semble dire avec raison : « DÉgypte, jai appelé mon Fils » (Matthieu 2, 15), tant ces anciens avaient reçu des vestiges de lEsprit Saint (Vatican II). Ils savaient quil y aurait après la mort un jugement dernier, un enfer et un paradis; Ils nignoraient pas Seth, le démon; Ils avaient reçu une préfiguration du Christ en Osiris, mort et ressuscité et de Marie en Isis, son aimante sur; Ils attendaient la résurrection de la chair.
[223] 2 Samuel 6, 14.
[224] Sur terre ne plus avoir de désirs signifie sennuyer. Au Ciel, cest linverse.
[225] Certains imaginèrent quen voyant Dieu, on devient lêtre même de Dieu. Leur dire est vrai à condition de le prendre à la manière dune métaphore. Cest la même qui permet à Dieu de dire de lhomme et de la femme qui saiment: «ils deviennent une seule chair». En réalité, la Vision béatifique est comme un mariage. Il reste deux personnes distinctes.
[226] Ici, nous parlons des yeux de notre intelligence, autrement dit, les yeux de notre cur, puisque la Trinité est esprit.
[227] 1 Corinthiens 13, 8.
[228] Malgré: 1. la vie terrestre et lexpérience de sa misère jusquà la mort; 2. Pour certains, lexpérience dun temps derrance après la mort; 3. Lapparition bouleversante du Christ; 4. Accompagné des personnes les plus proches du mort, son père, sa mère etc. Bref, si quelquun se damne malgré tout, cest que son choix est libre et obstiné.
[229] Saint Thomas dAquin traite explicitement dans sa Somme de théologie de cette joie des élus face à la damnation. Cest une thèse extrêmement choquante sauf si on comprend lextrême liberté du choix des damnés.
[230] Ainsi lorsque nous parlions antérieurement dune possible grande joie au Ciel devant la possible conversion dHitler, nous appuyant sur une parole de Jésus, nous ne parlions avec lui que par mode dimage. Tout est objet de joie au Ciel puisque tout en définitive est la manifestation de lamour et de la sagesse de Dieu.
[231] Peut-être pas seulement eux daprès Matthieu 27, 52.
[232] Les Confessions, 1.
[233] Daprès certains témoignages liés à la N.D.E., lhomme peut lui-même créer des images nouvelles. Il peut modifier lunivers qui lentoure. Le pouvoir créateur de limagination devient unique puisque, à volonté, tout ce quun homme se met à imaginer existe devant lui.
[234] Ce sera lobjet dun chapitre suivant.
[235] 1 Corinthiens 15, 5 ss.
[236] En dépit de 1 Thessaloniciens 4, 17, lenseignement commun de lÉglise était autrefois que tous les hommes mourraient (cf. Romains 5, 12; 1 Corinthiens 15, 22) parce que tous sont pécheurs. Cependant, ce courant traditionnel était essentiellement fondé sur une erreur de traduction dans la Vulgate. Saint Jérôme écrivait, à propos du texte de saint Paul: "Je vais vous dire un mystère: nous mourrons tous. » Cette traduction a pu être rectifiée par la suite. Ce texte affirme donc au sens littéral que ceux qui verront le retour du Christ à la fin du monde ne mourront pas. En confrontant cela aux autres textes qui semblent le contredire, nous pensons quil convient de dire ceci: ceux qui seront sauvés mourront tous à eux-mêmes, à leur orgueil et à leur égoïsme, mais la dernière génération sera dispensée de la mort physique.
[237] La vie après la vie, docteur Moody, Robert Laffont, 1977, page 35.
[238] 1 Corinthiens 15, 52.
[239] 1 Rois 19, 12.
[240] Ce serait ridicule et nous savons que la matière ne cesse de varier au cours de notre existence. On dit même quelle se renouvelle tous les sept ans. Ce qui fait quun corps humain est le sien, cest dabord et fondamentalement son chiffre génétique, porté sur les chromosomes et définitivement fixé dès notre conception. A lintérieur de ce chiffre, certains défauts ne constituent pas essentiellement notre être physique et peuvent être guéris en nous laissant semblables à nous-mêmes. La pratique traditionnelle du culte des reliques des saints na donc plus aujourdhui le sens matériel dautrefois. Lintelligence de la foi a progressé sur ce point. Cest pourquoi lÉglise autorise lincinération des cadavres depuis le Concile Vatican II.
[241] 1 Corinthiens 15, 44-49.
[242] Voir le livre de Tobie.
[243] Jean 20, 27.
[244] Daniel 12, 2.
[245] Nous verrons ultérieurement à quoi ressemblera leur enfer de ressuscités.
[246] Certaines propriétés sont miraculeuses en ce sens quelles dépassent les lois de la matière. Ainsi, le mouvement instantané est impossible, ainsi que le fait dêtre en deux lieux à la fois (bilocation). La puissance de Dieu rendra cela possible, à volonté.
[247] Depuis que la N.D.E. (expérience de mort imminente) a été découverte dans les années 1970, certains théologiens catholique ou réformés, constatant que le corps astral possédait ces quatre propriétés, en sont venus à nier une future résurrection de la chair. Ils se trompent certainement.
[248] Job 19, 25.
[249] 1 Corinthiens 2, 9.
[250] Matthieu 13, 29.
[251] Apocalypse 19, 20.
[252] Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit attribué dautorité), une stigmatisée du XIXème siècle, eut la vision de lenfer des damnés. « Je vis de même lenfer sous la forme dun assemblage dhommes demeurant dans des maisons au milieu des champs. Mais tandis que dans le séjour des bienheureux, tout est ordonné selon les lois de la béatitude parfaite, de lharmonie éternelle et de la paix infinie ; dans lenfer, au contraire, tout est désordonné car il ny règne que discorde, haine et désespérance. On y voit lessence infernale du péché démasqué, de ce serpent qui dévore ceux qui lont nourri dans leur sein. » (Visions dAnne-Catherine Emmerich sur la vie de Jésus, Tome 3, Téqui, page 372).
[253] Daprès saint Augustin, Les confessions.
[254] 1 Corinthiens 2, 9.
[255] En plus de la Vision de sa vie Trinité et de la présence de nos frères anges et hommes qui est la grâce essentielle et suffisante.
[256] Comme tout cela est inimaginable, bien des points seront traités au conditionnel. Nous nous trouvons dans lattitude exacte des enfants le jour de Noël. Ils nont pas encore le droit de descendre voir le sapin mais ils soupçonnent, connaissant lamour et la richesse en inventions de leurs parents, les présents cachés.
[257] 2, Pierre 3, 10. Ce texte, valable pour la fin du monde, est vrai aussi pour chaque civilisation, pour chaque génération. Les plus belles constructions humaines finissent tôt ou tard à létat de ruine. Des sept merveilles du monde antique, seules les pyramides dEgypte subsistent, rongées par les caries du temps. Ce fait paraît dramatique. En fait, les constructions de lhomme ont plusieurs inconvénients : Elles sont souvent le fruit de lorgueil, pas seulement de lamour désintéressé ; Elles sont faites de matière soumise à la corruption. De plus, en comparaison de ce quil nous sera possible de faire dans lautre monde, avec la liberté dune imagination sans limite et dune matière sans résistance, tout ce qui est ici-bas est très gris et très laid!
[258] Matthieu 24, 2: A limage du Temple, pourtant magnifique, de Jérusalem.
[259] 2 Pierre 2, 7.
[260] 1 Corinthiens 13, 9.
[261] Le plus grand parmi les théologiens, saint Thomas dAquin, dans son traité de lIncarnation (Somme théologique, Troisième partie), accepte la possibilité dautres modes de salut. Selon lui, le Verbe peut même sincarner « plusieurs fois », dans plusieurs individuation!
[262] Cette question nest évidemment pas essentielle à la foi. LÉglise laisse les théologiens en débattre depuis des siècles et, curieusement pour une question apparemment secondaire, ce débat fut passionné. Cest que la spiritualité des grands ordres religieux y transparaît dans sa conséquence la plus inattendue. Les Dominicains, à la suite de saint Thomas, attentifs à lessentiel quest la finalité ultime (la Vision béatifique), sopposèrent formellement à la présence danimaux ou de plantes dans le monde minéral incorruptible de la résurrection. Les franciscains, au contraire, furent plus féminins dans leur théologie, plus attentifs aux petits riens qui manifestent Dieu. A chacun de se faire une opinion, sachant tout de même que les animaux sont incapables par nature dune béatitude spirituelle.
L opinion du grand théologien suisse Hans-Urs von Balthasar: «Selon saint Thomas, dans le monde de la résurrection entrent seuls les corps des hommes et le monde minéral; le monde végétal et animal, parce quil est soumis au modus cli désormais suspendu, et parce que la vision de Dieu ne le concerne pas, tombe tout simplement dans le néant. Ce verdict cruel contredit la sensibilité vétéro-testamentaire en faveur du cosmos animé solidaire du cosmos humain (cf. Psaume 10 ; Paume 104 ; Génèse 1 ; etc.), ainsi que les représentations des prophètes et du judaïsme proposant le salut selon limagerie de la paix régnant entre tous les animaux (Isaïe 11, Jérémie 9, 6.5. Il contredit aussi cette profonde sensibilité. BALTHASAR H.U.,La dramatique divine IV, le dénouement, Culture et Vérité, Namur 1993.
[263] Romains 8, 22.
[264] Genèse 9, 9.
[265] Il est étonnant de remarquer que le monde des dinosaures lui-même témoigne de Dieu. Il est limage (bien involontaire) du monde des anges déchus. Dieu sest semble-t-il amuser à faire deux une parabole vivante singeant la lettre de la Bible. Car, tous les sauriens disparurent sauf ceux qui rampent sur le ventre (crocodiliens, serpents, lézards etc.) Ainsi va lhumour de Dieu (Genèse 3, 14): « Alors Yahvé Dieu dit au serpent: « Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.»
[266] Il ny a pas darguments définitifs sur ce point dans la Révélation. Lopinion de certaines écoles de théologie penchait pour labsence des animaux ou des plantes dans le monde nouveau. Leurs arguments consistaient à montrer que ne demeureraient que les êtres possédant en eux un élément dincorruptibilité. On sait aujourdhui que tous les éléments matériels du monde y compris les corps célestes sont de même nature et corruptibles. Les astres courent insensiblement à leur extinction et les atomes se dégradent dans leur structure. Pourtant, il est certain quils demeureront dans lau-delà puisque Dieu préparera en eux un monde adapté à la nouvelle manière dêtre des hommes. Largument ne porte donc plus.
[267] Expérience de mort imminente, Near Death Experience, mise en lumière par le psychiatre américain Raymond Moody, voir La vie après la vie.
[268] Essentiellement par linterrogation des victimes de N.D.E. et la confrontation de leur témoignage de voyage sous forme de corps psychique avec la réalité de ce quils prétendent avoir vu autour deux. Certains mystiques catholiques témoignent avoir fait cette sorte de voyage « astral ». Saint Martin de Pores aidait souvent des personnes jusquen Inde alors quil vivait en Amérique du sud. La vénérable Anne-Catherine Emmerich (citée à titre de simple témoignage, sans quil lui soit attribué dautorité), une célèbre stigmatisée du XIXème siècle, raconte : « Lâme de la juive Meyr mapparaissait. Elle voulait me conduire près dune famille très pieuse dont la vie était presque sainte. (Suit le récit dun voyage « fantômatique » jusquen Afrique avec description des paysages, de létat dâme des habitants. Puis Anne-Catherine apparaît à une juive appelée Judith. Celle-ci a limpression de rêver mais cest un rêve de la réalité. Anna-Catherine lui parle du Christ.) Judith me quitta près de cette fontaine. Nous ne prîmes pas congé lune de lautre. Cétait toujours comme un rêve pour elle se sépara dde moi comme si elle avait cessé de me voir. » (Vie dAnne-Catherine Emmerich, Téqui, 1923, Tome II, p. 188).
[269] Matthieu 18, 10.
[270] Quun animal soit glorifié signifie que son corps est revêtu dincorruptibilité et de clarté par la puissance divine. En conséquence, la recherche de la nourriture est supprimée ce qui exclut du monde nouveau les lois naturelles où le plus fort mange le plus faible. De même, la génération nest plus possible. Les animaux et les plantes seront donc présents à cause de leur beauté et vivront une vie commune paisible. Selon la capacité de chacun, ils vivront dune certaine béatitude sensible puisque leur appétit naturel sera comblé.
[271] Chaque animal sera-t-il ressuscité individuellement? Il ne convient pas quun appétit naturel soit frustré. Selon leur appétit naturel, les animaux et les plantes désirent exister perpétuellement, sinon comme individus, du moins en tant quespèce. Cest à cela quest ordonné leur génération naturelle comme dit Aristote. Quant à savoir si chaque animal individuellement ressuscitera, plusieurs opinions existent. Selon certains, il convient que Dieu crée de nouveau chaque individu qui doit être récompensé du service accompli pour nous par son passage sur la terre, et en compensation des multiples souffrances sensibles subies. Une telle restauration est bien évidemment possible à la puissance de Dieu qui compte même les cheveux des hommes». Selon dautres, il suffit que les animaux reviennent selon leurs espèces, car, de cette manière, laspiration générale qui est en eux et qui porte avant tout sur la survie de lespèce, est satisfaite. Nous optons pour la première hypothèse, sans hésiter.
[272] Lislam enseigne aussi la résurrection des animaux. Ibn Taymiyya écrit à ce sujet: «Quant aux animaux sauvages, Dieu, quil soit loué, les rassemblera et les ressuscitera comme il est indiqué dans le Livre et la Tradition (sunna). »
Àn-Nawawi a expliqué dans son commentaire de Muslim ce qui suit: «Cela est une affirmation de la Résurrection des bêtes sauvages le Jour du Jugement et leur retour à ce quils étaient ici-bas, comme le sont les êtres humains responsables, les enfants et les fous, ainsi que celui qui na pas reçu de message. Cest ce que démontrent les preuves (citées) dans le Coran et la sunna. Dieu dit: "Lorsque les animaux sauvages seront rassemblées" (81:5..»... Quand au jugement en faveur de la bête sans corne contre celle qui en aura, ce nest pas un Jugement de responsables puisque les animaux ne le sont pas, mais cest un jugement de confrontation».
[273] Le jugement général de lhumanité est décrit dans le tome 2 de cet ouvrage, La fin du monde.
[274] Pas les yeux de lesprit, mais les yeux de la chair.
[275] Matthieu 7, 13.
[276] Apocalypse 22, 18.
[277] Voir lhistoire des démons, en note 75.
[278] Par exemple, le premier miracle de Lourdes rendit la vue à un enfant sans réparer ses yeux handicapés. « Tu ne peux pas voir », disait le médecin rationaliste qui constata le phénomène. « Je vois », répondait lenfant. Cest un miracle.
[279] qui est une sainte canonisée. Elle a en outre été reconnue par lÉglise comme une réelle autorité théologique concernant le purgatoire dun degré bien sûr inférieur à celui de lÉcriture Sainte ou du Magistère de lÉglise (voir en fin douvrage).
[280] Luc, 22, 23.
[281] Saint Jean, 17, 3.
[282] Sixième session.
[283] Jean 3,5.
[284] Chapitre 7.
[285] Luc 3, 1.
[286] A titre dexemple, voici de quelle manière Pierre a jadis confirmé cette vérité. Il sagit du Concile de Quierzy[286], qui le confirme solennellement: Dieu tout-puissant veut que tous les hommes sans exception soient sauvés [286], bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent, cest le don de celui qui sauve; que certains se perdent, cest le salaire de ceux qui se perdent.
De même quil ny a eu ou quil ny aura aucun homme dont la nature nait été assumée dans le Christ Jésus notre Seigneur, de même il ny a, il ny a eu et il ny aura aucun homme pour qui il nait pas souffert, bien que tous pourtant ne soient pas rachetés par sa Passion. Que tous ne soient pas rachetés par le mystère de sa Passion, ne concerne ni la grandeur ni labondance du rachat, mais la partie des infidèles et de ceux qui ne croient pas de cette foi qui « agit par la charité »[286]; car la coupe du salut de lhumanité, faite de notre faiblesse et de la puissance divine, contient ce qui est utile à tous; mais si lon ny boit pas, on nest pas guéri.
[287] Des théologiens du passé comme Calvin en ont déduit que lâme ne choisit pas, mais est rejetée par Dieu dans un acte souverain. Nous manifesterons quils ont commis ici une erreur grave.
[288] Constitution Benedictus Deus du 29 janvier 1336; Dumeige p. 510.
[289] voir Romains 10, 15.
[290] Romains 10,14.
[291] Métaphysique 1
[292] Romains 10, 14.
[293] qui est une sainte canonisée. De ce fait, ses écrits ont une certaine autorité, dun degré bien sûr sans rapport à celui de lÉcriture Sainte ou du Magistère de lÉglise (voir en fin douvrage).
[294] Journal de sur Faustine, édition Hovine 1985, p. 542.
[295] Matthieu 22, 25.
[296] Apocalypse 22, 3-5.
[297] Les extraits (avec les numéros de paragraphe) sont tirés du Catéchisme de lÉglise Catholique (C.D.C.) ou du DS= Livre des dogmes par Denzinger-Schönberger. Ce texte, publié en 1993 par le Pape Jean-Paul II est le reflet authentique de la foi catholique. Il a donc une très grande autorité pour la foi.
[298] BENOIT XII Constitution apostolique «Benedictus Deus », Op. cit. Dumeige 510.