Le célibat des laïcs, une autre façon de se donner
Que me reste-il de la vie ? Que me reste-t-il ?.. Que cela est étrange, il ne me reste que ce que j'ai donné aux autres.. Vahan Tekeyan, Poète arménien (1878-1945)
Nous l'avons tous appris en "grammaire française" toute règle a des exceptions, qui sont là pour la confirmer. En ce qui concerne les situations de vie, reconnaissons que quelle que soit la nôtre, nous devons à deux êtres qui se sont aimés, le fait de vivre. Il n'y aurait ni prêtre, ni religieux, ni célibataire, si deux êtres ne s'étaient unis par amour pour leur donner la vie. La famille est bien ce berceau unique où toute vocation peut s'enraciner, germer ; elle est la première école de sainteté. Dans l'Église catholique, la majorité des situations de vie sont les personnes mariées. Le mariage y est un des sept sacrements. Pour les catholiques romains, un nombre remarquable de situation de vie, connaissent le célibat : les prêtres, les religieux et les laïcs célibataires consacrés ou non. On peut cependant voir le mariage comme la règle commune. Le sacerdoce, la vie consacrée et le célibat étant des états de vie exceptionnels qui confirment cette règle. Pour ces couples, qui ont appris à s'aimer chaque jour un peu mieux, qui nous ont transmis leur foi et des valeurs humaines qui en découlent, l'Église devrait mieux reconnaître leur place et toute la considération qu'ils méritent. À l'aube du premier siècle de ce nouveau troisième millénaire, l'Église catholique ne pourrait-elle pas donner en exemple au Peuple de Dieu, par des béatifications et des canonisations beaucoup plus de couples chrétiens ? Parmi les suppliques faites à Dieu, nous nous rappelons tous de : " Mon Dieu, donnez-nous des prêtres donnez-nous de saints prêtres ". Ne pourrions-nous pas y ajouter : " Mon Dieu, donnez-nous des couples mariés, de saints couples mariés ; mon Dieu, donnez-nous des célibataires, de saints célibataires ". Tout petit enfant, mes parents ouvriers dans l'industrie textile devaient travailler pour assumer leur subsistance et la mienne. C'est une tante célibataire qui m'a gardé, durant leurs journées de labeur. Elle l'a fait pour d'autres cousins, elle a aussi accompagné ses parents âgés jusqu'au bout de leur existence, elle donne toujours à qui le lui demande ses services en tout genre dans son village. C'est "une tante célibataire". Elle est catholique pratiquante et a trouvé un équilibre de vie, une joie certaine en se tournant vers les autres : personnes de la famille, du village, jeunes comme vieux. Toujours ouverte, à l'écoute, elle nous a poussé à aller de l'avant. Souvent ce fut avec mes grands parents, celle vers qui nous allions en confiance confier en premier ce que nous avions sur le coeur. Elle avait des possibilités éducatives naturelles, des qualités de dévouement qu'elle aurait pu communiquer en devenant institutrice ou infirmière. Mais les conditions économiques de ses parents à l'époque, ne le lui ont pas permis. Elle aussi fut ouvrière. L'image que je reçois de son célibat est celle d'une femme qui a réussi à trouver sa place, son rôle de femme, sans cependant se laisser user par l'abus que les autres peuvent être tenté parfois de faire avec une célibataire. Chacun a ses limites et ne pas les respecter peut nous faire sombrer dans des dépressions irréversibles. Tant il est vrai que pour certains, les célibataires sont censés avoir une disponibilité à toute épreuve. À deux, on s'épaule plus facilement que lorsque l'on est seul face à toutes les contraintes de la vie quotidienne. Cela dit, ils ont c'est sûr plus de "temps libre" que des parents avec leurs enfants. Et c'est cette liberté qu'il faut mettre au service de ce qui peut épanouir notre vie, humaine, sociale, spirituelle avec les autres. Souvent la famille est le plus proche de nos mondes relationnels, mais le groupe social, village ou ville, le monde professionnel, et les amis demeurent des liens indispensables pour favoriser un bon équilibre. L'amitié y a une importance essentielle. S'appeler pour se retrouver à plusieurs dans un week-end montagne, un anniversaire, une crémaillère, y retrouver d'autres célibataires, mais aussi des couples, c'est se sentir exister pour d'autres et avec d'autres. De même dans les moments difficiles, les "coups durs" ces liens peuvent être de précieux soutiens. Ces échanges, partages foyers-célibataires peuvent être d'un enrichissement réciproque intense. L'amitié gratuite, l'amitié fraternelle, celle qui permet d'épanouir d'égal à égal une vie affective en toute liberté et en toute clarté a une valeur irremplaçable. Aujourd'hui la société a tendance à vouloir "érotiser" à tout prix toutes nos relations. Tant et si bien qu'on ne peut voir deux "bons copains" ou deux "bonnes copines" sans penser "homosexuels" ou "lesbiennes". Parallèlement, ceux qui vivent dans la chasteté en arrivent parfois à être considérés comme des "anormaux". Il faut agir contre cette dictature du "tout sexuel" qui pèse sur nos vies et enferme tant de gens, surtout des jeunes. La tradition de l'Église s'efforce de faire comprendre aux hommes que nous sommes, qu'ils se limitent en se définissant par leur sexualité. L'expérience montre combien il finit par être nocif de s'attarder à ne vivre que pour une sexualité, en se coupant de tout devenir créateur. Les célibataires nous rappellent qu'une vie épanouie n'est pas liée à l'absence de frustrations, chaque état de vie a les siennes , et que l'union sexuelle, si elle est un langage très précieux de l'amour dans la vocation conjugale, n'est pas le tout de l'amour ni le tout d'une vie affective épanouie. L'amitié homme-femme, comme tout amour durable s'enracine dans le terreau de l'amitié, qui suppose la chasteté. Mais que signifie donner son corps, si on n'a pas donné son coeur ? Le célibataire doit laisser la porte de sa maison comme celle de son coeur ouvert pour que chacun puisse y trouver un refuge ou se reposer. Si ma tante avait été mariée, elle n'aurait pu faire tout ce qu'elle a fait pour nous et continue de faire pour d'autres. Certes, "tante célibataire", ce n'est pas une vocation et je suis persuadé qu'elle aurait été une maman admirable, mais elle a su nous témoigner à travers sa situation beaucoup d'amour et au point de vue chrétien la grâce fondamentale du baptême, c'est-à-dire la relation filiale avec Dieu. Grâce à cela, on voyait qu'elle ne subissait plus sa vie. Toutes les études récentes montrent que le nombre des célibataires est en augmentation constante. Souvent, cet état de vie n'a pas été librement choisi. Les tentatives de cohabitation commençant de plus en plus tôt entraînent avec leur échec, un manque de confiance. À la suite de ces diverses expériences, la peur de l'engagement s'insinue peu à peu. Cela étant dit l'échec peut être un tremplin si quelqu'un d'extérieur aide à comprendre " où était l'erreur ". Souvent un manque de maturité de la personne qui demande du temps pour se construire ne permet pas d'accepter facilement de "sortir de soi" pour accueillir la différence de l'autre et la laisser s'épanouir pleinement (1). Parmi les célibataires qui n'ont pas choisi leur état de vie, certain l'accepte mal et désirent rencontrer "l'âme soeur " à tout prix. Ces personnes se font beaucoup souffrir et indisposent leur entourage. Elles vivent mal leur présent, leur quotidien, déconnecté de celui-ci par le phantasme absolutiste de ne pas trouver l'autre. Ce n'est que par l'acceptation confiante et lucide d'elle-même et de leur état qu'elles pourront acquérir une sérénité, une paix. Tout célibataire doit d'abord s'accepter avec ces qualités et ses faiblesses humaines, ses manques et ses dons. S'il est chrétien, cette acceptation lui permettra de rayonner avec joie et bonheur la plénitude de la grâce de son baptême à travers ses charismes particuliers. Jusqu'à maintenant on trouvait peu de session ou retraite en Église pour les célibataires de plus de 30 ans. Cela est en train de bouger et des communautés traditionnelles ou nouvelles ouvrent peu à peu cette possibilité. On lira avec profit le livre de Claire Lesegretain (2). Nos paroisses ont aussi à intégrer cet état de vie qui peut convenir à différents services. Nos paroisses et groupes de rencontres chrétiens sont des lieux où nos frères et soeurs célibataires peuvent exprimer et épanouir la plénitude de leur don. Quelle que soit notre situation de vie, nous nous retrouvons seul aux grandes étapes de notre vie et à certains moments douloureux. Dieu est alors pour le croyant, l'Unique, Celui dont il est toujours aimé et qui peut donner sens à sa vie en continuant cette relation intime d'Amour entre le Père et nous-même. Pour le célibataire chrétien, cette relation est primordiale à travers la pratique des Sacrements, la prière, l'Adoration, les pèlerinages.. Elle s'enracine dans son baptême et porte ses fruits dans son quotidien humain. Elle est don pour Dieu, chemin de sainteté et de bonheur. Parfois le regard des autres est très condescendant. On perçoit de leur part une projection d'eux-mêmes qu'ils ne retrouvent pas chez les célibataires et qui les déstabilisent : comme si le célibat n'était pas pour eux le bon " modèle " et cela se fait sentir dans leurs paroles, leurs questions : " Alors pas encore mariés ?" ou " qu'est-ce que vous comptez faire, toujours célibataire ? ". Les célibataires seraient-ils pour eux des oeuvres atypiques inachevées, voire ratées ? Ce genre de commentaires, s'il était courant dans les générations d'âge avancé, s'estompe parmi la jeune génération. Habitués à voir de plus en plus de célibataires autour d'eux les jeunes sont plus tolérants et acceptent mieux cette tendance qui s'accroît autour d'eux dans nos sociétés. Effectivement, ce que nous qualifions d'exception au début est en train de s'amplifier, sans toutefois altérer la règle générale. Le fait est là : vivre en "solo" touche de plus en plus d'hommes et de femmes. Ils, elles ont toujours été parmi nous, ils sont et seront une composante de nos sociétés et de nos communautés chrétiennes. Sachons les accueillir, les respecter pour ce qu'ils sont. Aidons-les, accompagnons-les s'ils vivent mal leur état de vie. Comme le dit si justement un prêtre, l'Abbé Pierre : " La vie c'est un peu de temps pour apprendre à aimer ". Le célibat en est une des formes, un autre don, dont le monde a aussi besoin. Jean-Louis Bru. Article paru dans la revue diocésaine des vocations du Tarn "Rencontres" n°239 - été-automne 1999.
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(1) Extraits d'un entretien avec Jean Vanier, fondateur de la Communauté de l'Arche : «.. Il y a une souffrance réelle, venant du manque d'une intimité plus totale avec quelqu'un et du renoncement à la paternité ou à la maternité. Mais le mariage apporte aussi ses souffrances. L'union n'est jamais plénière. On ne pourra jamais vivre sur la terre l'extase et la plénitude totales. Le véritable amour s'achève nécessairement dans la souffrance et le sacrifice, car il est don. Quand on aime quelqu'un, son bien, sa liberté, sa croissance, ont plus de prix que la joie d'être avec lui. L'amour doit toujours être libérateur. La souffrance du célibat peut être vécue dans l'espérance, qui vient en quelque sorte combler l'angoisse de la solitude. Cette souffrance n'est rien en comparaison de la souffrance vécue par ceux qui espèrent trouver dans l'exercice de la sexualité génitale sans responsabilité, sans lien, sans fécondité, le goût de l'éternel. Ceux-là sont nécessairement déçus, car ils se retrouvent dans un plus grand isolement encore : le plaisir est si éphémère et l'angoisse si proche ! .. La découverte du célibat, non comme une attente indéterminée, mais comme un don de Dieu demande de longues années de maturation. Le célibat devient alors réponse à un véritable appel de Dieu. Certains disent oui avec autant de joie et d'enthousiasme que ceux et celles qui se marient. Ils découvrent d'ailleurs que c'est beaucoup plus facile quand ils se déterminent clairement, s'appuyant sur la fidélité de l'amour de Celui qui les a appelés, que lorsqu'ils restaient dans une certaine indétermination.. .. L'état du célibat demeure un mystère. Je crois que Jésus, d'une manière spéciale, désire venir au secours de ceux qui vivent un célibat forcé. Il veut les toucher dans leur coeur profond, pour leur apporter la paix d'un amour nouveau. C'est bien là la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres. Il reste que dans le coeur de chacun, marié ou célibataire, il y a des moments d'inquiétude, de frustration, des temps où l'on cire son angoisse. Il faut accepter cette dure réalité. Nous ne sommes pas encore au Paradis. Nous espérons atteindre le maximum de paix, d'amour, et d'équilibre. Mais tous nous attendons le passage vers le dépouillement et la mort. On rêve de mariage : on a l'image d'un amour merveilleux qui apporte le bonheur. Cette aspiration est légitime. Les noces ne sont-elles pas le grand rêve de l'humanité, signe du Royaume des Cieux ? Mais le bonheur est aussi dans l'attente, au-delà du dépouillement et de la mort, d'un don qui nous dépasse tous : le don des noces du Ciel, la rencontre face-à-face avec Jésus. " Famille Chrétienne n°1049 du 19/02/98. ______________
(2) " Être ou ne pas être ..célibataire ", de Claire Lesegretain. Éditions Saint Paul . 1998 Revue "Annales d'Issoudun", mai 1999. Consacré au thème du célibat. "Le célibat, chemin de vue, Ombres et lumières", d'André Barral-Baron. Les Éditions du Cerf. Collection de poche Foi Vivante.
______________ Catéchisme de l'Eglise catholique, article 1658.
" Il faut encore faire mémoire de certaines personnes qui sont, à cause des conditions concrètes dans lesquelles elles doivent vivre et souvent sans l'avoir voulu ? particulièrement proches du coeur de Jésus et qui méritent donc affection et sollicitude empressée de l'Église et notamment des passeurs : le grand nombre de personnes célibataires. Beaucoup d'entre elles restent sans famille humaine, souvent à cause des conditions de pauvreté. Il y en a qui vivent leur situation dans l'esprit des béatitudes, servant Dieu et le prochain de façon exemplaire. À elles toutes il faut ouvrir les portes des foyers, " Église domestiques " et de la grande famille qu'est l'Église. " Personne n'est sans famille en ce monde : l'Église est la maison et la famille de tous, en particulier de ceux qui peinent et ploient sous le fardeau " (Mt 11,28).
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" Le célibataire qui désire rester chaste doit s'assurer qu'il n'est pas trop seul. Ceci suppose une attitude positive dans ses relations amicales. Veillez à être un membre actif dans votre voisinage ou dans votre immeuble. Portez-vous volontaire pour des activités qui demandent un certain civisme. Trouvez votre place dans notre paroisse : si vous n'y parvenez pas, changez de paroisse.. Prenez le temps de vous intéresser aux gens. Quelques mots échangés régulièrement avec votre coiffeur, votre boulanger, et votre traiteur. Un geste de gentillesse. Une visite après les obsèques de la femme du postier. Toutes ces choses font que la vie vaut la peine d'être vécu, particulièrement pour le célibataire. Un célibataire souriant est une joie pour tous... Ne vous occupez pas seulement des personnes nécessiteuses de votre famille car les proches ont tendance à devenir excessivement dépendants du célibataire. Répandez la charité loin et largement, sans attendre de reconnaissance. Si vous voulez de la gratitude, achetez un chien... Sortez de vous-même. Faites un pas supplémentaire. Soyez un atout plutôt qu'une charge.... L'intérêt qui dépasse tous les autres se trouve dans les êtres humains. Il est bon d'avoir des amis d'origine, d'intérêts et d'âges différents. Des amis plus âgés vous serviront de mentors ou de conseillers. Des amis plus jeunes vous empêcheront de vieillir. Rien n'est plus rafraîchissant que d'apprendre d'un ami plus âgé ou de transmettre à un ami plus jeune. Ceci satisfait beaucoup de besoins de célibataire, notamment ce désir d'être parfois enfant et parfois parent. "
Extrait de : "Le courage d'être chaste", essai du frère Benedict Groeschel. Traduction française : Anne Olivier.
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