Par Alphonse-Charles Rocha
Conservateur

NICOLAS ROLAND
MYSTIQUE

ESSAI

SOMMAIRE

Chronologie................................................................................................................ 1

Nicolas Roland fut-il un mystique ?............................................................................. 9

Le cheminement de Nicolas Roland.......................................................................... 12

Nicolas Roland et la Sainte-Enfance.......................................................................... 16

Nicolas Roland médecin des âmes............................................................................ 21

Conclusion................................................................................................................. 27


À mon Père

  Il me plaît ici de rendre un hommage filial à celui à qui je dois d’être. C’était une âme d’exception, éminemment spirituelle, et dont l’amour de Dieu et le salut des âmes était la préoccupation première.

  Que, de la “Maison du Père”, où il demeure, il veuille bien regarder vers ici-bas et protéger son enfant de toute tentation cupide qui l’éloignerait de la “voie lactée”.

  Papa, je t’aime !

Ton enfant.


Chronologie

1606

Établissement, vers le mois de juillet, des Pères Jésuites à Reims, en vertu des lettres patentes de Henri IV signées sur la demande du seigneur de Sillery, Nicolas Brûlart, chancelier de France. Ils logèrent d’abord au collège des Écrevés, avant d’occuper leur bâtiment définitif qui leur fut accordé par Nicolas Brûlart. C’est dans leur établissement que Nicolas Roland et Jean-Baptiste de La Salle feront leurs premières études.

1610

Assassinat d’Henri IV.

Avènement de Louis XIII.

14 octobre (jeudi) 1610, Louis XIII fit son entrée dans Reims à cinq heures du soir. Il y venait pour recevoir l’onction royale.

17 octobre, sacre de Louis XIII à Reims, par le Cardinal de Joyeuse.

1611

Naissance de Jean-Baptiste Roland († 1673), père de Nicolas Roland. Il épousera Nicole Beuvelet de Marle en Picardie.

Naissance de Jean-Baptiste Gaston de Renty († 1649).

1617

Naissance à Marle en Picardie de Nicole Beuvelet, mère de Nicolas Roland (1617-1684).

1620

6 octobre, visite de la reine Anne d’Autriche à Reims.

1621

18 juillet, obsèques de l’archevêque de Reims, Louis de Lorraine.

21 octobre, naissance, à Amiens, de Nicolas Barré († 1686). Il sera le conseiller de Nicolas Roland pour la fondation de la Communauté de l’Enfant-Jésus. Il enverra à ce dernier, deux de ses religieuses : Françoise Duval et Anne Le Cœur.

1622

Naissance de Louis Tronsson, directeur du Séminaire de Saint-Sulpice. Il mourut le 26 février 1700. En 1676, il succéda à M. de Bretonvilliers comme supérieur général de Saint-Sulpice. Il fut l’un des supérieurs de Nicolas Roland, ainsi que de Jean-Baptiste de La Salle.

1625

Naissance de Mathieu Beuvelet († 1656). Il était l’oncle maternel du bienheureux Nicolas Roland. Il était avocat et se fit ensuite prêtre et intégra la communauté du Père Adrien Bourdoise.

1632

Premier essai à Reims, de formation de prêtres, selon la méthode utilisée à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Il n’aboutit pas, faute de personnes intéressées.

1638

10 février, Louis XIII publie l’Édit officiel de consécration de la France et de la Famille Royale à la Vierge.

15 août, Louis XIII, consacre la France et la Famille Royale à la sainte Vierge. Il le fait à Abbeville.

5 septembre, naissance de Louis XIV. Il reçoit au baptême le nom de Louis-Dieudonné.

1642

8 décembre, naissance, à Reims, de Nicolas Roland, fondateur de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims. Il fut le directeur spirituel de saint Jean-Baptiste de la Salle.

15 décembre, mort à Marle de Nicolas Beuvelet, grand-père de Nicolas Roland.

1643

31 mars, Léonor d’Étampes, nouvel archevêque, entre à Reims.

14 mai, mort de Louis XIII.

23 juillet, baptême à Saint-Symphorien — première cathédrale de Reims —de Nicolas Roland. C’était le jour de la fête de la translation de saint Nicaise, évêque martyr de Reims.

1644

Mathieu Beuvelet, oncle et parrain de Nicolas Roland, entre dans la Communauté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

1645

En 1645, les Jésuites, malgré les échecs qu’ils avaient éprouvés, auparavant, tentèrent alors quelques acquisitions pour fonder un nouvel établissement. Leurs projets échouèrent, malgré l’intervention du duc d’Enghein auprès du Conseil de Ville.

1648

Âgée d’à peine 5 ans, Nicolas Roland apprend à lire en 4 mois, grâce à sa tante, Madame la Conseillère.

1649

Philippe Roland, oncle de Nicolas, devient chanoine de la cathédrale. Il le restera jusqu’à sa mort (1630-1667).

1650

Grande épidémie à Reims.

Mathieu Beuvelet est ordonné prêtre à Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

1651

30 avril, naissance, à Reims, de Jean-Baptiste de la Salle († 1719 à Rouen). Béatifie le 19 février 1888 et Canonisé le 24 mai 1900 par Léon XIII.

Mort de l’archevêque de Reims, Léonor d’Étampes de Valençay.

Henri de Savoye et de Nemours, qui fut nommée en 1651, abdiqua en 1657 sans avoir pris possession de son archevêché.

1652

Mathieu Beuvelet, oncle et parrain de Nicolas Roland, fait un voyage à Reims, il essaie de fonder une Communauté de prêtres comme celle de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

1653

A l’âge de 11 ans, Nicolas Roland reçoit la tonsure des mains de Monseigneur Henri de Maupas du Thour, évêque du Puy, ancien abbé de l’abbaye de Saint-Denis de Reims.

1654

7 juin, sacre de Louis XIV à Reims par Simon le Gras, évêque de Soissons. L’évêché de Reims était alors vacant.

Lors de la venue de Louis XIV pour son sacre à Reims, Nicolas Roland, alors âgé de 11 ans, joua dans une pièce de théâtre spécialement écrite pour l’occasion de la venue du souverain. Il s’y fit remarquer par son sang froid.

1655

Mathieu Beuvelet, oncle et parrain de Nicolas Roland, vient à Reims pour la dernière fois. Ce fut à cette occasion qu’eut lieu l’extase lors de la célébration de la sainte Messe.

1656

15 février, mort de Mathieu Beuvelet, oncle de Nicolas Roland et compagnon du Père Adrien Bourdoise à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, pour la Congrégation duquel il a écrit des “Méditations” pour la formation des prêtres.

Jean Roland, oncle de Nicolas, reçoit la 28e prébende du chapitre cathédral. Il fut chantre et trésorier de l’Église de Reims et même vicaire général de Monseigneur Charles Maurice Le Tellier (1640-1703).

1657

Le Cardinal Barberini, neveu du Pape Urbain VIII est nommé archevêque de Reims. Il ne prit possession de son diocèse qu’en 1667.

1660

Contre l’avis de son père, Nicolas Roland participe à un bal, où il court un danger. Repenti, il ne participera jamais à aucun autre.

Nicolas Roland fait ses études à Paris. Il a alors 17 ans.

Le 26 août, lors de l’entrée à Paris de l’Infante Marie-Thérèse, Nicolas prie devant le Saint-Sacrement, alors que son père, ses frères et sœurs regardent passer le cortège royal.

1661

Nicolas Roland protégé par la sainte Vierge, lors d’un voyage en mer.

1663

Nicolas Roland termine, à Paris, ses études de théologie et conquiert le bonnet de docteur.

1664

18 mars, ouverture à Reims de la première maison des orphelins, par Madame Varlet.

1665

12 août, Nicolas Roland entre au Chapitre Métropolitain de Reims.

Nicolas Roland commence à prêcher. Il n’a que 22 ans.

Nouveau voyage à Paris. Il fréquente Saint-Sulpice, Saint-Nicolas-du-Chardonnet et Saint-Lazare.

1667

3 mars, un Édit royal règle les formalités nécessaires à l’installation des communautés religieuses.

17 mars, Jean-Baptiste de La Salle reçoit les ordres mineurs.

1668

Nicolas Roland se rend en pèlerinage au Carmel de Beaune, sur la tombe de sœur Marguerite du Saint-Sacrement, avant de fonder la Communauté du Saint Enfant Jésus à Reims.

Épidémie de peste à Reims. A cette occasion, Monseigneur Barberini, archevêque de Reims, ordonne des processions de la châsse de Saint Rémi à travers la ville. Nicolas Roland y participe activement, car il était parmi les huit chanoines désignés pour porter la lourde châsse.

1669

Nicolas Dallier, lieutenant des habitants de Reims (1669-1674).

Il négocia avec Monseigneur Charles Maurice Le Tellier, alors coadjuteur du cardinal Barberini, un certain nombre de closes concernant les relations des gens de la Ville et l’évêché.

Ce fut aussi à ce Lieutenant que Nicolas Roland du recourir pour la fondation de la Communauté du Saint Enfant-Jésus.

1670

Nicolas Roland prêche le Carême à Rouen. Avant d’aller à Rouen, il avait changé sa façon de prêcher. Il avait éliminé de son discours toute recherche de grandiloquence.

22 décembre, Nicolas Roland achète une maison rue du Barbâtre pour sa fondation (en face de la maison actuelle : à l’enseigne Saint-Martin.).

27 décembre, arrivée des deux premières Sœurs de la Communauté : Françoise Duval et Anne Le Cœur. Elles étaient envoyées par le Père Barré.

1671

11 janvier, célébration de la première Messe chez les Sœurs, en présence de Nicolas Dallier, lieutenant des habitants de Monsieur Bachelier, ancien Lieutenant.

3 août, le Cardinal Barberini, archevêque de Reims, meurt en Italie, à Nemi, près de Rome.

Charles-Maurice Le Tellier devient archevêque de Reims.

1672

2 juin, Jean-Baptiste de La Salle est ordonné sous-diacre à Cambrai par Monseigneur Ladislas Jonnart, évêque de cette ville.

1673

Mort de Jean-Baptiste Roland, père de Nicolas Roland. (1611-1673).

1674

4 août, Nicolas Roland fait poser la première pierre d’une véritable chapelle pour sa Communauté naissante.

1675

4 juillet, rencontre, à l’archevêché de Reims, de Nicolas Roland et de Nicolas Dallier, lieutenant des habitants.

16 juillet, bénédiction de la chapelle de la Communauté du Saint Enfant Jésus de Reims.

1676

Nicolas Roland participe activement aux missions de Sommepy et de Fismes, données par les prêtres de Saint-Lazare.

Nicolas Roland fait le voyage de Rouen, pour y prêcher le Carême et pour rencontrer le Père Barré.

Sa maison devient le premier Séminaire de Reims.

21 mars, Jean-Baptiste de La Salle reçoit le diaconat, dans la chapelle de l’archevêché de Paris des mains de François Batailler, capucin, évêque de Béthléem.

Louis Tronsson devient supérieur général du Séminaire de Saint-Sulpice, en remplacement de M. de Bretonvilliers.

1677

Novembre, Nicolas Roland part pour Paris afin d’obtenir les Lettres Patents pour sa fondation. Il logea chez les Carmes déchaussés.

1678

Jeudi 7 avril, Nicolas Roland rentre à Reims, sans avoir obtenu les Lettres Patentes.

Nicolas Roland fait le projet de se retirer à Caen, dans la Maison de Monsieur de Bernières. Ce projet ne se réalisera pas, car le 21 avril, il meurt, à Reims, entouré de son successeur, le Père Guillaume Rogier et de son fils spirituel, saint Jean Baptiste de la Salle. (1642-1678).

9 avril, Jean-Baptiste de La Salle est ordonné prêtre par l’archevêque de Reims, Charles Maurice Le Tellier.

Épidémie de fièvres pourpreuses, à Reims. Maladie contagieuse.

19 avril, le Conseil de la Ville de Reims décide d’attendre la décision du Roi, avant de permettre à Nicolas Roland de fonder sa Communauté.

19 avril, Nicolas Roland est atteint par la maladie des fièvres pourpreuses.

23 avril, Nicolas Roland fait son testament.

27 avril, mort du bienheureux Nicolas Roland (1642-1678).

29 avril, obsèques solennelles du bienheureux. Il fut inhumé dans la chapelle de la Communauté, au pied du tabernacle.

9 mai, Lettres de Cachet, signées par Louis XIV, autorisant la fondation de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

24 mai, Monseigneur Le Tellier remet au Conseil de Ville la lettre royale qui autorise la fondation de la Communauté.

11 août, procès-verbal de l’établissement officiel de la Communauté du saint Enfant-Jésus.

1679

17 février, enregistrement des Lettres Patentes données par le roi. La Communauté du Saint Enfant-Jésus a désormais une existence légale.

Mois de mars, arrivée à Reims de Adrien Nyel, pour fonder, avec Jean-Baptiste de La Salle la première école de garçons.

15 avril, saint Jean-Baptiste de la Salle ouvre sa première école.

1681

Jean-Baptiste Amé, lieutenant des habitants de Reims (1681-1683).

Il était le beau-frère de Nicolas Roland. † 6 novembre 1703.

1683

12 novembre, Monseigneur Le Tellier signe les premières Constitutions de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

1684

8 février, huit Sœurs prononcent leurs vœux dans la nouvelle Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims.

Mort de Nicole Beuvelet, mère de Nicolas Roland (1617-1684).

1939

Le Cardinal Suhard signe le décret d’ouverture du procès en vue de la béatification de Nicolas Roland.

1941

Constitution d’une commission historique et d’un tribunal diocésain.

1978

20 novembre, le frère Morelli, des Frères des Écoles Chrétiennes, est nommé Postulateur de la cause.

1980

24 avril, après un procès de non-culte favorable, la clôture du procès diocésain est ratifiée par Monseigneur Ménager.

2 mai, envoi du dossier à Rome.

1982

26 mars décret d’approbation des écrits de Nicolas Roland.

1986

Publication de la “Position super virtutibus”.

1987

3 mars, session des consulteurs historiques.

1988

25 mars, le décret d’approbation est promulgué.

1992

21 décembre, le Pape signe le décret reconnaissant la pratique héroïque des vertus, tant théologales que cardinales.

1993

27 avril, la Commission médicale pontificale accepte le miracle proposé pour la cause.

24 juin, la Commission des théologiens donne son accord.

19 octobre la Commission plénière des Cardinaux entérine la décision des théologiens.

1994

16 octobre, béatification de Nicolas Roland, à Rome, par le Pape Jean-Paul II.



 

 

 

Et nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein. Car ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, ils les a justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

Lettre de Saint Paul aux Romains : 8 ; 28-30.


 

1

Nicolas Roland fut-il un mystique ?

       Le mystique n’est pas seulement celui ou celle qui bénéficie de visions sensibles ou imaginatives ; de locutions intérieures, lévitations, bilocations ou tous autres dons surnaturels exceptionnels ; le mystique est aussi, et surtout, celui qui vit une vie intérieure pleine de recueillement, pleine de l’amour de Dieu ; le mystique est encore celui qui vit exclusivement pour Dieu, de Dieu et en Dieu, en conformant sa vie, le plus possible, aux enseignements évangéliques, enseignements laissés par Jésus lui-même, qui les vécut au plus haut degré, afin qu’en suivant son exemple, tous, se reconnaissent en Lui.

       Le mystique est donc celui qui fait des deux premiers commandements de Dieu une règle de vie et qui les vit pleinement, sans se préoccuper nullement de tout autre attrait que la vie ou les circonstances de celle-ci peuvent mettre sur sa route.

       Le vrai mystique ne pense qu’à Dieu exclusivement, ne tend qu’à chercher en toute chose à faire sa volonté, même si pour cela il doit souffrir, même si pour cela il doit donner sa vie. Ceci est le premier commandement de Dieu.

Le vrai mystique a le souci du salut des âmes et accepte sans rechigner, humblement et amoureusement, de participer à la rédemption du prochain. Voilà le deuxième commandement : aimez votre prochain…

       Le mystique n’est point un fanatique, mais celui qui, habité par l’amour de Dieu, ne souhaite autre chose, n’a besoin de rien d’autre, ne s’intéresse à rien d’autre qu’à cet amour jaloux et amoureusement possessif qu’est l’amour de Dieu, vers lequel il tend sans cesse.

       Le mystique est celui qu’au moindre appel se trouve tout entier en présence de son bien-aimé, qui répond toujours présent au moindre attrait de la Sagesse infinie, à la moindre sollicitation de la Miséricorde même de Dieu.

       Le mystique est celui qui, en entendant prononcer « le Nom qui est au-dessus de tout Nom » [1] , le Nom de son bien-aimé, frissonne, se sent tout léger, le cœur plein de joie et les yeux remplis de larmes et, pour un peu qu’il ne puisse se dominer complètement, tout son corps est dans le tremblement, et son cœur comme un cheval fou, prêt à renverser tous les obstacles qui se dresseraient devant lui. Il a l’impression de ne plus vivre dans le monde, tellement sa sensation de légèreté et de joie surnaturelle surabondent dans tout son être. Il voudrait ne plus sortir de cet état de douce et merveilleuse tendresse, où la bonté divine le fait vivre de courts instants et, de ses lèvres, si tant est qu’il puisse articuler le moindre mot, seuls des mots d’amour lui échappent : « Jésus, je t’aime ! Jésus, je t’aime ! Jésus, je suis tout à toi! ».

       Et puis, les sécheresses et les aridités si redoutées arrivent...

       Mais, le vrai mystique sait très bien que ce sont là des moments nécessaires à la purification de son âme ; il sait que même s’il lui semble que le bien-aimé l’abandonne, le laisse dans un désert aride et pénible, c’est pour mieux le guérir de tout son péché, des toutes ses imperfections ; pour faire mourir en lui le vieil homme et le faire renaître, afin qu’il retrouve la toute petitesse, afin qu’il retourne en enfance, l’enfance spirituelle, sans laquelle il est difficile d’atteindre Dieu.

       C’est —, comme le disent, aussi bien saint Jean de la Croix que sainte Thérèse d’Avila —, pendant ces moments — quelquefois très longs — où l’âme se trouve dans la sécheresse ou dans l’aridité — quelquefois les deux — c’est justement là que Dieu est d’avantage présent, d’avantage agissant dans l’âme, tel un jardinier qui prépare son jardin afin de pouvoir y planter les fleurs qu’il s’est choisies. Mais, auparavant il lui faut arracher et brûler les mauvaises herbes, bêcher tout le terrain, le fumer, attendre que la terre soit reposée et ne fasse plus qu’un tout, avec le fumier ; qu’une fois encore il la retourne, en prenant soin de retirer d’autres mauvaises herbes qui seraient encore restées ; qu’il l’aplanisse afin que, selon son plan, le moment venu, il puisse y planter les fleures odorantes et plus belles les unes que les autres.

       Nicolas Roland fut sans doute un mystique et non pas des moindres. Il suffit pour cela de lire le peu d’écrits qu’il nous a laissés, spécialement les lettres de direction spirituelle.

       Il ne bénéficia certainement pas de visions sensibles ou imaginatives et non plus de locutions intérieures, ni de bilocations ou tout autre don extraordinaire, sauf peut-être celui de la connaissance des cœurs, comme il ressort des témoignages de ses contemporains.

       Il ne se servait pas de ce don pour d’autres buts que celui de ramener les âmes à Dieu, leur faire toucher du doigt l’horreur du péché, et leur montrer l’immensité de la miséricorde divine.

       Le mysticisme de Nicolas Roland était un mysticisme agissant et pratique, un mysticisme qui n’avait pour but que la gloire de Dieu et le salut des âmes. Il lui arrivait même de déconseiller à ses dirigés les voies de la haute contemplation, de fuir celles-ci, de peur qu’elles n’entraînent les bénéficiaires dans d’autres voies que celles de l’amour de Dieu, du détachement des choses, car, en effet, il savait très bien les dangers que peuvent représenter pour les âmes élevées à de hauts degrés de la contemplation, les illusions et les tromperies dont le diable — se revêtant en ange de lumière — est capable.

       Le mysticisme de Nicolas Roland lui recommandait de conseiller à ceux et celles qui recouraient à sa direction spirituelle, de leur inspirer ces vertus qui sont à la base même de toute vie chrétienne bien réglée, à savoir : l’humilité, l’obéissance, la pauvreté, la douceur, la charité chrétienne envers Dieu et envers le prochain.

       Nous savons, par lui-même, qu’il vécut toute sa vie dans une aridité complète, dans une sécheresse brûlante. Mais, n’est-ce pas là un signe même de la présence continuelle en lui du divin Jardinier ?

       Ayant vécu auprès de saintes personnes comme les pères Barré et de La Haye, — celui-ci, curé de Saint-Amand —, connaissant et conseillant même la lecture des écrits de Jean-Jacques Olier ; admirateur de Marguerite du Saint-Sacrement — Carmélite de Beaune — au point de faire un pèlerinage sur sa tombe ; ayant bénéficié dans sa jeunesse de la présence d’un oncle aussi sage que saint — Mathieu Beuvelet —, comment ne devrait-il pas subir cette influence mystique et ascétique dont il était entouré, et dont son être même tout entier, semble avoir été rempli ?

       N’est-ce pas ce saint oncle qui, alors que Nicolas n’avait que six ans, dit en posant la main sur la tête de son filleul : — “Voilà un enfant qui sera un grand serviteur de Dieu ?” Monsieur Beuvelet, comme jadis le vieux Siméon, venait de prophétiser et, sûrement que l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche.

       Oui, Nicolas Roland fut un mystique, un fou de Dieu, chez qui le respect humain n’avait pas de prise, chez qui la gloire de Dieu et le salut des âmes était le seul souci, le seul but de sa vie. Peu lui importaient, en effet, les critiques et les embûches, pourvu que Dieu fut le premier servi, pourvu que sa gloire seule rejaillisse en torrents d’eau vive sur les âmes dont il avait la charge.

       « Sa confiance et son abandon à Dieu — témoigna l’un de ses dirigés —, étaient si parfaits que les plus grands obstacles n’ont jamais pu lui faire concevoir aucune défiance du succès de son entreprise, certain qu’il était que Dieu prend plaisir à faire mieux paraître sa puissance et la force de la grâce lorsqu’il y a plus d’opposition de la part des hommes. » [2]

       Un prêtre — Monsieur Barthélemy — de qui Nicolas Roland était le directeur spirituel, témoigna : « son zèle pour le salut des âmes tenait le premier rang ; c’était comme un feu brûlant qui le dévorait intérieurement et qui paraissait même au dehors avec un éclat merveilleux ».

       « Il faut bien dire — continue le même — que comme les impressions qui sont faites par le feu sont ineffaçables, de même toutes les actions qu’il produisait sortant et émanant du brasier qu’il cachait dans son cœur, portaient avec elles un caractère de feu qui s’imprimait dans mon esprit avec tant de profondeur qu’il m’est impossible d’en perdre le souvenir » [3] . Telle était l’âme de feu de Nicolas Roland, une âme brûlante de l’amour de Dieu.

2

Le cheminement de Nicolas Roland

       Les merveilleuses paroles que nous laissa l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Romains, « nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein, ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, ils les a justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » [4] , semblent avoir été écrites tout exprès pour Nicolas Roland, tellement elles trouvent en lui une application juste et véridique.

       Rappelons-nous : Nicolas naquit le 8 décembre 1642, sous la protection de Marie, la Mère aimante de tous les hommes, la dispensatrice de toutes les grâces et dont la protection maternelle sur le jeune rejeton de la famille Roland va se manifester d’une façon sensible lorsque, ayant prit un bateau, il fut tenté par le commandant de celui-ci à commettre le mal. Invoquant, avec foi, la Mère de Dieu, il fut délivré — miraculeusement, peut-on dire — de ce danger qui aurait hypothéqué sa vertu. Mais, rappelons-nous encore que ceux que Dieu a prédestinés, il les protège, tout particulièrement, il les entoure d’un soin tout particulier, à la fois paternel et maternel, collabore en tout pour leur bien, car ceux qu’il a appelés, il veut en avoir besoin pour la rédemption et le salut d’un grand nombre de frères. Cet amour de Dieu pour ses prédestinés — et pour tous ceux qui l’aiment —, va jusqu’à reproduire l’image de son Fils, sur eux.

       Dans les « Mémoires sur la vie de Nicolas Roland », nous pouvons lire : « Dieu qui avait prévenu ce jeune enfant, comme parle l’Écriture, des bénédictions de sa miséricorde, lui avait donné un esprit étendu et pénétrant, une mémoire belle et heureuse, un cœur grand, généreux, capable de grands desseins, que les contradictions et toutes les difficultés ne rebutaient pas ; Dieu le menait comme par la main sans qu’il le sut. » Autrement dit, Dieu l’avait prédestiné et collaborait en tout à son bien, à son avancement dans la voie tracée de toute éternité.

       Tout jeune encore, mais ayant fait le choix de Dieu, Nicolas « commença à fréquenter des personnes de piété et s’adonna tout de bon à réformer ses mœurs » [5] et, toute sa vie durant, il restera fidèle à ce choix.

       En effet, alors même qu’il était écolier, « il ne perdait point de temps dans les compagnies, tant il lui était cher, le donnant tous à ses petites dévotions et à ses livres. Fuyant les divertissements des enfants de son âge, il était ennemi de la médisance : parmi ses compagnons il ne souffrait pas qu’on parlât mal de qui que ce soit. S’il arrivait à quelqu’un de le faire, aussitôt la rougeur lui montait au visage et prenait la défense des absents » [6] .

       Chez lui, l’attirance pour les choses de Dieu était naturelle, innée, pourrait-on dire, si bien qu’âgé à peine de onze ans, il va demander la tonsure à Monseigneur du Puy qui officiait en l’abbaye de Saint-Pierre-les-Dames. Son enthousiasme, sa sincérité et son élan étaient si évidents, que le prélat qui s’était déjà défait de ses habits sacerdotaux, les remit et lui conféra la tonsure qu’il demandait. Nicolas voulait de la sorte, scellée son offrande à Dieu par un acte solennelle qui l’engagerait — non pas d’une manière formelle — vis à vis de Celui qu’il s’était choisi comme but de sa vie et à qui il s’était déjà donné tout entier.

       Après l’incident sur le bateau dont il a déjà été question, Nicolas revint, non pas tout de suite chez lui, à Reims, mais à Paris où « il commença sa conversion sincère à Dieu par une retraite spirituelle », puis, « il se dépouilla des habits du siècle, quitta le pourpoint de brocard, prit la soutane et revint à Reims, bien résolu de se donner à Dieu, ce qui étonna grandement ses parents et toutes les personnes de sa connaissance » [7] .

       Malgré leur désillusion du moment, les parents de Nicolas ne s’opposèrent point à sa vocation et le laissèrent partir à Paris où il alla faire ses études de philosophie. Malgré la fortune de ses parents, le jeune étudiant ne choisit pas un hôtel particulier ou un appartement de luxe, « il se retira dans un quartier de Paris assez détourné, chez un menuisier pour y vivre d’une manière pauvre et inconnue au monde ; il se revêtit de vieux habits noirs, à l’insu de Monsieur son Père, pour paraître un pauvre écolier parmi ses compagnons de classe : commençant dès ce temps-là à pratiquer la sainte pauvreté qu’il a aimée toute sa vie » [8] .

 

       Ce séjour à Paris dura trois ans. Toutefois, il ne resta pas tout ce temps chez le menuisier, son premier logeur ; car —, comme nous pouvons le lire dans les Mémoires —, « comme la grâce agissait fortement dans son cœur, il crut devoir changer cette première demeure en celle d’une Communauté de la rue Saint-Dominique, où vivaient alors des bons ecclésiastiques et laïques ; il y fit un séjour de trois années, donnant des exemples continuels des vertus les plus héroïques. Dans cet intervalle, il conçut le désir d’accompagner les premiers ouvriers qui ont été à Siam. Mais la Providence, en ayant ordonné autrement, il prit le bonnet de Docteur dans une Université du royaume, en un âge où à peine les autres sont en état non de prêcher, mais d’être des auditeurs raisonnables de la sainte Parole » [9] .

       La sagesse n’étant pas assujettie au nombre des années mais à la connaissance soufflée par l’Esprit-Saint, « il prêcha à l’âge de vingt-deux ans dans la Cathédrale, avec un applaudissement général. Dans ses premiers sermons il avait les ornements du langage ; il était semblable en cela à saint Pierre Chrysologue qui a été évêque de Ravenne et qui est reconnu pour un Père de l’Église et a bien été un prédicateur fleuri. Et d’ailleurs étant jeune, il avait besoin de réputation pour faire les grands biens que Dieu a fait paraître dans toutes ses démarches » [10] .

       Nicolas était devenu chanoine, et, chanoine du Chapitre de l’Église Métropolitaine de Reims. Ses premiers sermons, comme nous dit le témoignage ci-dessus, furent de vrais exercices de style, méritant même les applaudissements ; des sermons fleuris, qui touchent la sensibilité de l’auditoire et, la comparaison qui est faite avec saint Pierre Chrysologue en est la preuve. Mais, est-ce vraiment là Nicolas Roland, le vrai, celui qui se cachait à Paris, vivant comme un pauvre ? O que non ! ... Très vite, il va s’en rendre compte lui-même de la légèreté avec laquelle ses beaux sermons sont écoutés par ses auditeurs et, comme toujours chez lui, il va remédier à cet état de choses : il va changer sa méthode : ses sermons vont toucher les auditeurs non plus d’une façon superficielle, mais les interpeller au plus profonds de leurs âmes. Nicolas Roland va faire des sermons populaires, destinés à tous les auditeurs et non plus à une sorte d’intellectuels et de bourgeois versatiles et entêtés dans leur carcan quotidien et dans leurs affaires mercantiles. Nicolas prêchera pour tous et ses discours ne seront plus des discours fleuris, mais de vrais sermons qui touchent au plus profond les âmes ; qui font chavirer les cœurs contrits, qui font mal, afin de faire du bien ; qui blessent, afin de guérir ; qui tuent, afin que la résurrection ait lieu ; qui dérangent, afin de faire prendre conscience de l’état de chaque âme, car toutes, riches ou pauvres, saintes ou pécheresses, appartiennent à Dieu ; car pour toutes et, pour chacune en particulier, le Christ est mort en croix.

       Mais, Nicolas n’est toujours que diacre. Il lui faut aller jusqu’au bout : devenir prêtre de Jésus-Christ.

       « Pour se disposer à la prêtrise, il fit une retraite de trente jours, durant laquelle il se pénétra de la dignité du caractère sacré du Prêtre dont il allait être bientôt revêtu, et se traça un plan de vie qu’il gardât jusqu’à la mort. Il se remplit des sentiments d’humilité, d’abnégation de lui-même et de mort à tout ce qui est du monde, sentiments qu’il a toujours gardés depuis » [11] .

       Nicolas Roland fit une retraite pendant laquelle il se pénétra de la dignité du sacré caractère de Prêtre, car, pour une personne comme lui, être prêtre n’est point un jeu d’enfant, n’est point une mince affaire, voir même une affaire de prestige ; être prêtre cela veut dire être un autre Christ ; être prêtre, c’est tenir la place que le Seigneur occupa lui-même pendant sa vie publique et particulièrement le jeudi avant sa Passion, pendant le Repas pascal, quand il institua le sacrement de l’amour, quand il accomplit pour la première fois le plus grand miracle de sa divine Sagesse : l’Eucharistie.

       Il fallait absolument que le jeune diacre puisse, à la suite de tant d’autres et, particulièrement Mathieu Beuvelet son oncle et parrain, « examiner sérieusement et avec Dieu les motifs et les raisons qui nous portaient au sacerdoce, pour en considérer la grandeur que nous pourrons connaître par la lecture et la méditation du Pontifical à ce sujet, pour joindre et unir nos prières à celles que l’Église ordonne à cette occasion-là, les accompagnant du jeûne des Quatre-Temps, afin de les rendre par ce moyen plus fortes et plus efficaces » [12] .

       Nicolas se remplit de sentiments d’humilité, nous disent les Mémoires.

       Pour un homme comme lui, il ne pouvait en être autrement, car son humble cœur, son amour pour le Saint-Sacrement, criaient fort dans son âme la sublimité du sacerdoce, le pouvoir conféré à un simple mortel, — qu’il soit saint ou pécheur, d’ailleurs —, celui de dire les paroles consécratoires et de faire descendre sur les espèces du pain et du vin, la Trinité Sainte ; ordonner que le pain ne soit plus du pain mais le Corps de Jésus ; que le vin ne soit plus « le fruit de la vigne » mais le Sang du Rédempteur. Comment un homme de la trempe de Nicolas Roland ne serait-il pas rempli de sentiments d’humilité, voir même rempli de crainte, alors qu’il avait pleinement conscience de l’acte qu’il allait accomplir, de l’étape qu’il allait franchir.

       Plus encore, Nicolas méditait aussi, sûrement sur cette autre mission que le Maître confia à chaque prêtre : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » [13] .

       Quel pouvoir que celui du prêtre ! ...

       Le jeune rémois, à l’école des disciples du Père Bourdoise, de saint Vincent et autres Olier, avait eut, sûrement, maintes occasions de s’interroger et de se dire, comme la Sainte réformatrice du Carmel : « Faut-il donc s’étonner de voir de si grands maux dans l’Église, lorsque ceux qui devraient être pour les autres des modèles de vertu, ont si tristement dégénéré de cette ferveur que les saints, leurs devanciers, laissèrent, au prix de tant de travaux, dans les ordres religieux ? » [14]

       Le chanoine Roland savait aussi, car cela était notoire, que « peu de prêtres se distinguaient par un zèle plus ardent ou par une vertu plus éclatante. Il y en avait sans doute beaucoup qui étaient réguliers et édifiants, mais la plupart n’avaient ni le degré d’instruction désirable dans un ministre de la religion, ni ces habitudes extérieures qui soutiennent la piété et qui contribuent au respect du peuple. Un grand nombre ne portaient pas le costume ecclésiastique et paraissaient partager les mœurs du monde au milieu duquel ils vivaient » [15] .

       Souvenons-nous qu’il était le neveu et le filleul de Mathieu Beuvelet, ce prêtre d’exception qui avait écrit tant de belles méditations sur le sacerdoce, qui étaient en usage à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Souvenons-nous encore que ce même saint prêtre, peu de temps avant de rendre à Dieu son âme admirable tomba en extase alors qu’il célébrait à Reims le saint sacrifice, et au moment où il commençait à réciter le Gloria in excelsis Deo. Ces faits, Nicolas les connaissaient et sûrement qu’il les médita longuement pendant sa retraite de trente jours précédant son ordination.

       Être prêtre… Quel honneur et quelle joie, mais en même temps quelle crainte et quelle responsabilité ! ...

       Pense-t-on assez à ceci ? ...

       Comme Mathieu Beuvelet — le saint homme de Marle et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet —, Nicolas lui aussi, « il se consacra totalement à Dieu selon l’intention de l’Église, se présenta non seulement en sacrificateur mais aussi en sacrifice avec Notre-Seigneur, voulant mourir de nouveau à son corps par le vœu de chasteté réitéré, à son âme par le vœu d’obéissance qu’il faisait à l’Évêque, à ses biens même de fortune, par la pauvreté au moins en affection » [16] .

       Sa retraite terminée, Nicolas Roland rentra à Reims et, pour célébrer sa première messe, il ne voulut d’autre assistance que ses parents, car son extrême humilité lui interdisait les grandes manifestations extérieures, particulièrement si celles-ci se revêtaient des habits de la richesse. Nicolas aimait la pauvreté, car il savait bien que celle-ci soit la sœur bien-aimée de l’humilité, mère de toutes les autres vertus.

       Le voilà donc prêtre de Jésus-Christ. Une autre vie commence pour lui, un autre ministère dont il s’acquitta, « rempli de crainte et de tremblement », selon les dires de ses contemporains.

3

Nicolas Roland et la Sainte-Enfance

       Nous voici donc arrivés à l’une des périodes les plus importantes de la vie du Chanoine Roland.

       Il était devenu prêtre et, la popularité acquise par ses sermons ; ses conférences hebdomadaires pour les prêtes qu’il réunissait en séminaire chez lui ; sa vie austère, ses missions et la lutte qu’il engagea pour endiguer la pauvreté et la misère enfantines, firent de lui un prêtre respecté par les uns, haï par les autres, mais aussi un prêtre très recherché par les âmes désireuses d’approfondir leur vie spirituelle.

       L’exemple de sa vie était pour beaucoup un gage d’appro-fondissement, une garantie de succès dans les voies spirituelles. Ceci explique le grand nombre de personnes qui se sont mises sous sa direction. Il y avait, bien entendu des prêtres et des religieuses, — de Reims, et même d’ailleurs —, mais aussi d’autres personnes du monde. À tous, et à chacun en particulier, il prodiguait ses sages conseils, voir même des admonestations fermes et redondantes. C’est que Nicolas Roland, comme en toute autre chose, ne transigeait pas dès qu’il s’agissait de la gloire de Dieu et du salut des âmes.

       À une dame du monde, « une dame de qualité », qui était sa dirigée, et qui l’interrogeait sur l’utilité, voir l’opportunité de suivre une retraite spirituelle, il n’a pas hésité à lui prescrire des consignes bien précises, comme s’il s’agissait d’une religieuse :

       — « Tâchez d’y être encore plus recueillie dans l’intérieur qu’à l’extérieur. Entrez dans les dispositions de silence, d’oraison, de présence de Dieu, d’humilité, dans lesquelles a été la sainte Vierge en ces saints jours, afin de recevoir dans votre cœur son divin Fils. Unissez-vous aussi aux dispositions du Saint Enfant. Demandez avec larmes et gémissements, quelque part au pur amour, à la sainte pureté, à l’innocence, et à l’esprit de pénitence qu’Il est venu répandre sur la terre. Paraissez, devant ses yeux divins, avec la confusion d’une épouse qui Lui a gardé si peu de fidélité. Enfin, soyez surtout humble, pénitente, recueillie » [17] . Car, comme sainte Thérèse d’Avila l'affirme, « lorsque le Seigneur commence à nous donner quelque vertu, nous devons la cultiver avec le plus grand soin, et ne pas nous exposer au danger de la perdre » [18] .

       Et comme Monsieur Roland en est conscient, il continue, en bon pédagogue qu’il était, à insinuer dans l’âme de sa dirigée, les consignes maîtresses conduisant à une vraie vie spirituelle.

       « Humilité, pénitence, esprit de recueillement, d’oraison et attention perpétuelle sur vous-même — poursuit-il — ce sont trois choses que vous devez toujours avoir devant les yeux, comme trois moyens de salut, pour vous très nécessaires et très assurés » [19] .

       Outre ces conseils qui démontrent clairement le zèle de Nicolas Roland pour la perfection et le salut des âmes, il faut relever et expliquer une phrase employée dans cette lettre de direction : « Unissez-vous aux dispositions du Saint Enfant ».

       Vers les années 1668 ou 1669, nous ne le savons pas exactement — les Carmélites de Beaune et le chanoine Alphonse Hannesse avancent la date de 1675 ou 1676 —, Nicolas Roland fit un pèlerinage à Beaune, pour prier et se consacrer au Saint Enfant-Jésus, sur la tombe de sœur Marguerite du Saint-Sacrement [20] , carmélite qui fut, au début de XVIIe siècle la vulgarisatrice de la dévotion à l’Enfance de Jésus.

       Nous ignorons qui a pu le renseigner sur les faits survenus au Carmel de Beaune. Il est possible, toutefois, de penser que son oncle et parrain Mathieu Beuvelet aura put l’en informer, alors que Nicolas était jeune étudiant à Paris.

       Sachant que Nicolas Roland séjourna un certain temps à Saint-Sulpice, nous pouvons aussi conjecturer que les successeurs de Jean-Jacques Olier se soient chargés de cette tâche. Il convient de rappeler que leur fondateur fit lui aussi le pèlerinage de Beaune, du vivant de sœur Marguerite du Saint-Sacrement.

       Mais, il reste encore un certain nombre d’autres pistes qui sont aussi valables, comme par exemple Madame la Conseillère Roland, [21] sa tante ou bien les Carmélites, installées à Reims depuis 1633.

       Une autre possibilité encore, l’une de ses sœurs, Adrienne ou Barbe, qui avait « envoyé le manteau à la sainte Vierge » du Carmel de Beaune, comme nous le verrons plus loin.

       Ce qui est certain c’est qu’il se prit d’une grande vénération pour cette âme extraordinaire que fut Marguerite du Saint-Sacrement, dont la tombe, malgré les siècles passés, continue, encore de nos jours, d’être visitée par de nombreux fidèles.

       Il nous reste aussi un témoignage important sur ce pèlerinage. Il nous est fourni par celle qui fut sa servante pendant de nombreuses années : « il fit un long voyage à Beaune, pour se consacrer à l’Enfance de Notre-Seigneur, et, à son retour, on vit un avancement tout sensible dans la vertu, car il parut à toutes les personnes qui le connaissaient, comme un homme de l’autre monde, quoiqu’il n’eut, pour lors, que 26 ans ou environ » [22] .

       Comme quoi, la compagnie, voir même le voisinage des saints est bénéfique aux âmes de bonne volonté ! ... Il est donc compréhensible que la compagnie, les sages conseils et la vie même de Nicolas Roland fussent recherchés par ceux de ses contemporains qui avaient le désir sincère de progresser dans les voies qui, plus sûrement, conduisent à Dieu.

       Revenu de Beaune, heureux d’un avancement tout visible, il était donc normal et même naturel que le Théologal de Notre-Dame de Reims, veuille insuffler dans les âmes qu’il dirigeait, ce même amour pour l’Enfance du Sauveur.

       Mais, quelque temps après son pèlerinage, les sœurs de l’Enfant-Jésus de Reims, reçurent du Carmel de Beaune, une image du Saint Enfant ; une de ses images que les Carmélites envoyaient à ceux qui en faisaient la demande expresse. Certaines de celles-ci ont pu, d’ailleurs, avoir sœur Marguerite comme artiste, lorsque la maladie lui laissait quelques moments de répit.

       Content de cet envoi, Nicolas Roland ne peut s’empêcher de leur écrire et de leur faire partager sa joie ; une joie sincère, voir presque naïve :

       — « À la Révérende mère Thérèse de Jésus, sous-prieure du monastère des Carmélites de Beaune.

                                                           [Reims 1676]

       Ma Révérende mère, que l’amour du Saint Enfant-Jésus et de sa sainte Mère soit toujours dans nos cœurs.

       Je vous suis si obligé, à votre Révérende Mère et à toute votre Communauté, du beau présent qu’il vous a plu me faire, que je n’ai point de paroles pour vous exprimer la reconnaissance de mon cœur. Je prierai donc le Saint Enfant qu’il soit lui-même mon remerciement et encore plus qu’il soit votre récompense. Son image a été trouvée admirablement belle et je l’ai reçue sans qu’il soit arrivé d’accident, qu’un peu d’ordure attachée sur son visage, qu’on a ôtée facilement. Vous l’aviez si proprement accommodée qu’il ne pouvait pas se gâter. J’espère établir en cette ville une confrérie [23] en son honneur où on l’exposera tous les 25e... [24]

       Elle est à présent dans un oratoire qui lui était préparé depuis longtemps, mais pour la placer avec plus de décence, je fais faire une niche de sculpture qui sera toute dorée, de laquelle je vous enverrai le dessein. On lui donnera aussi une couronne et un sceptre d’argent et une robe de brocart d’or afin qu’il n’ait pas sujet d’envier la condition de son petit frère qui est chez vous, quoiqu’en qualité d’aîné et d’original. Je crois que le vôtre sera beaucoup plus riche. J’ai rendu votre présent à ma sœur [25] qui a envoyé le manteau à la sainte Vierge ; elle l’a reçu avec bien de la joie, elle vous en remercie bien cordialement. Je vous conjure, votre Révérende mère et toute votre Communauté, de ne me pas oublier devant le Saint Enfant et au tombeau de son épouse. Priez-le aussi, je vous en prie, qu’il me fasse quelque part des vertus de son enfance et qu’il lui plaise répandre la dévotion à cet aimable état de sa vie et l’imitation de ses vertus dans les cœurs de fidèles de ce pays. Je me promets qu’il produira cet effet par sa sainte image que vous m’avez envoyée, si vous me secourez de vos prières, m’imaginant que votre monastère pourrait être appelé l’origine et le berceau de la dévotion à l’Enfance du Fils de Dieu en France. Tout ce qui en vient à vertu particulière pour porter à cette dévotion.

       Souvenez-vous donc toujours, ma Révérende mère, des misères d’un pauvre pécheur, qui ose néanmoins se dire dans le Sacré Cœur de Jésus et de Marie.

ma Révérende mère

votre très humble et très obéissant serviteur

N. Roland P. I.

       Mes remerciements particuliers, s’il vous plaît, à votre Révérende mère, à la chère Sœur Françoise de la Mère de Dieu, à la Sœur Claire et à toutes les ouvrières qui ont travaillé à l’image du Saint Enfant-Jésus, les assurant que j’aurai un souvenir particulier d’elles au Saint Sacrifice » [26] .

       Quelles remarques peut-on faire sur cette belle lettre ?

       Il ressort, en tout premier lieu une grande joie et, comme il n’a pas lui-même « des paroles pour l’exprimer », il supplie le divin Enfant « d’être Lui-même son remerciement et encore plus, qu’il soit votre récompense ».

       Joie encore parce que l’image est belle et qu’elle est arrivée intacte, malgré « une ordure attachée à son visage, qu’on a ôté facilement ».

       Il y a ensuite la volonté explicite de vouloir « établir en cette ville une confrérie en son honneur » consacrée à la Sainte Enfance. Autant que nous le sachions, cette confrérie n’a jamais vu le jour — Nicolas est mort bien jeune — sauf si nous tenons compte de la suite de la phrase où il est dit « où on l’exposera tous les 25e ». En effet, encore de nos jours, cette promesse est respectée au sein de la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims. Tous les 25 du mois, il y a adoration devant le Saint-Sacrement et des prières spéciales en l’hon-neur de l’Enfance de Jésus.

       Il est question aussi de la façon dont l’image sera exposée et même des aménagements qui y seront apportés « pour la placer avec plus de décence » et, pour ce faire Nicolas Roland fera même « faire une niche de sculpture qui sera dorée » ; et, en guise de contrat moral envers les Carmélites de Beaune, il « enverra le dessein » de celle-ci.

       Toutefois, il veut déjà donner à ses bienfaitrices un avant goût de son projet : « on lui donnera aussi une couronne et un sceptre d’argent et une robe de brocart d’or afin qu’il n’ait pas sujet d’envier la condition de son petit frère qui est chez vous, quoiqu’en qualité d’aîné et d’original », confie-t-il, non sans humour.

       Mais, Nicolas sait très bien que le « Petit Roi de Grâce » qui est à Beaune, chez les Carmélites, est très visité et qu’il reçoit de riches présents, raison pour laquelle il comprend que « l’aîné et original », par la force des choses, « sera beaucoup plus riche ».

       La communion des saints reste pour Nicolas l’un des meilleurs vecteurs de charité, car « quand deux ou trois prient », ils touchent plus facilement le Cœur de Dieu. Cette préoccupation sera constante dans ses lettres : « je vous conjure, votre Révérende mère et toute votre Communauté, de ne me pas oublier devant le Saint Enfant et au tombeau de son épouse [27] . Priez-le aussi qu’il me fasse quelque part des vertus de son enfance », car, celui qui ne devient pas comme un enfant, celui qui n’acquiert pas un esprit d’enfant — la petite voie — difficilement verra Dieu, car Jésus lui-même l’a dit : « laisser venir à moi les petits enfants » [28] . Toutefois, Nicolas ne demande pas des prières sans retour, lorsqu’il demande : « souvenez-vous donc toujours des misères d’un pauvre pécheur » ; il promet lui aussi des prières et plus encore, il aura « un souvenir particulier d’elles au Saint Sacrifice ».

       Une dernière remarque, concernant l’influence déjà explicite de saint Jean Eudes et de la dévotion aux deux Cœurs : « souvenez-vous d’un pauvre pécheur qui ose, néanmoins se dire dans le Sacré Cœur de Jésus et de Marie ». Très souvent, dans ses lettres, Nicolas Roland emploiera ce renvoi aux sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, en alternance avec le Saint Enfant-Jésus.

       Et pour terminer cette parenthèse sur le Carmel de Beaune et sœur Marguerite du Saint-Sacrement, il est bon de signaler que quelques fois le saint Théologal recommandait à ses pénitentes la lecture de la “Vie” de la Vénérable Carmélite :

       « Souvenez-vous d’abréger les entretiens du parloir ; faites vos lectures dans les fondements de la vie spirituelle, continuant aussi la vie de sœur Marguerite. Mais ne lisez pas en courant, à votre ordinaire. Lisez toujours le même chapitre deux fois de suite et, quand vous aurez achevé le livre, vous le recommencerez une seconde fois pour arrêter votre avidité et votre curiosité qui demandent toujours quelque chose de nouveau. Arrêtez-vous aussi en lisant, de temps en temps, pour goûter et vous appliquer ce que vous aurez lu. »  [29]

       Ceci prouve l’estime et la dévotion que Nicolas Roland avait pour la jeune Carmélite de Beaune et, aussi la considération qu’il avait pour les écrits mystiques, car Marguerite du Saint-Sacrement en est une. La suite de la lettre le prouve : il recommande la lecture de Rodriguez, dont les écrits sont de vrais chefs-d’œuvre de la théologie mystique.

       Il lui arrivait aussi de recommander la lecture de la biographie de Gaston de Renty pour lequel il avait également une admiration marquée.

       « Vous pouvez continuer à lire Rodriguez : le “Traité de la conformité à la volonté de Dieu”, auquel vous pourrez ajouter ensuite celui de la “Présence de Dieu” qui est du même auteur, comme aussi ce qui est dans “Les exercices du chrétien intérieur”, touchant ces deux exercices. Et quand vous aurez lu ces choses à loisir, vous reprendrez la vie de la Sœur Marguerite et vous lirez les fondements de la vie spirituelle » [30] .

       Très souvent dans ses lettres il fait référence à la sainte Enfance. Mais la preuve la plus éclatante de cette dévotion, est le titre même qu’il choisit, pour la Communauté qu’il fonda et dont le diocèse et la Ville de Reims peuvent encore, à ce jour, s’enorgueillir.

       Nous arrêtons là cette parenthèse concernant la dévotion au Saint Enfant-Jésus, afin d’aller vers le Nicolas Roland médecin des âmes, directeur spirituel recherché et mystique dans l’âme et dans ses conseils éclairés de direction.

4

Nicolas Roland médecin des âmes

       C’est, maintenant, en sa qualité de prêtre et de médecin des âmes, que nous allons le suivre, pas à pas, que nous allons l’écouter et nous nourrir, de son enseignement.

       Pour ce faire, nous utiliserons ses lettres de direction et quelques autres documents qui peuvent, non pas prouver — car nous ne voulons pas nous ériger, ni en donneur de leçons ni un expert que nous ne sommes pas — mais démontrer chez Nicolas Roland cette inclination, comme on disait communément au XVIIe siècle, pour le mysticisme.

       Voyons, en premier lieu, et selon lui, de quelle manière doit-on se choisir un directeur spirituel :

       « Vous pouviez — écrit-il à l’une de ses futures dirigées, religieuse de son état — sans le jeter au sort, vous déterminer à écrire ou non dans la vue de Dieu. Ce n’est pas à moi à vous déterminer à prendre un directeur ou non, il faut que ce soit Dieu qui le fasse ; beaucoup moins à vous déterminer à moi, parce que les directeurs doivent attendre de la Providence les âmes qui leur sont adressées, sans s’ingérer d’eux-mêmes dans leur conduite.

       Je vous dirai seulement deux choses : la première est que la direction semble être si nécessaire pour avancer dans la vie spirituelle, qu’on ne s’en doit pas priver, à moins qu’il n’y ait une espèce d’impossibilité de trouver une personne qui ait rapport à notre grâce ; la seconde, que vous me paraissez être une des âmes qui ont le besoin de direction.

       Quoiqu’il vous semble avoir une douleur suffisante des péchés véniels ordinaires que vous confessez, vous ne devez pas cependant vous y fier tout à fait, et c’est un très bon conseil, pratiqué par presque toutes les âmes qui ne commettent que des péchés véniels d’infirmité ou de faiblesse, que d’ajouter un péché passé dans lequel on ne retombe plus ; cela peut servir à humilier, et sert toujours à assurer la validité de la confession.

       Je crois qu’ayant sur vos fautes la lumière que vous me marquez, vous pouvez faire votre examen en fort peu de temps. Vous avez raison de remarquer qu’au moment où vous avez été infidèle, une faute attire une autre, que la lumière diminue, et que Dieu vous fait connaître, dès le moment que vous êtes tombée, quoique dans des fautes qui semblent petites, qu’Il veut que vous retourniez à Lui incontinent.

       Vous ferez très bien de tâcher, dans les conversations, de mourir de plus en plus à vous-même, ne disant pas les choses qui pourraient vous faire paraître. Il faut cependant que cela se fasse sans trop de gêne et d’inquiétude, sans devenir à charge aux autres par notre trop grand silence, la charité nous obligeant à contribuer à une conversation chrétienne et religieuse, cela s’entend après le repas et aux heures seulement qui sont destinées à la récréation. Je dis qu’on est obligé, quand on se trouve dans ces temps, à une conversation religieuse, car, quand elle devient profane et mondaine, vous n’êtes plus obligée à y contribuer, et c’est ce qui me fait vous dire que si l’obéissance vous oblige à rester l’après-dîner avec votre communauté, vous ferez très bien de vous retirer en vous-même, le plus que vous pourrez, et de vous retirer même, si vous le pouvez, en un lieu d’où vous n’entendrez point les discours séculiers et les nouvelles que vous me marquez, d’autant qu’il n’est que trop vrai que les idées de ces sortes de choses nuisent beaucoup aux âmes que Dieu appelle à la pureté de son amour, et qui sont encore tendres comme est la vôtre.

       Si vous n’avez pas assez de générosité pour dire vos sentiments sur certaines choses aux personnes qui sont au-dessus de vous, vous devez au moins vous abstenir d’approuver ou de donner lieu de croire, par une certaine manière d’agir, que vous approuvez des choses qui seraient contre la régularité ou la perfection. Il vaut beaucoup mieux vous exposer à être mortifiée, et vous devez tellement vous remplir l’esprit que Dieu est le Seul que vous devez contenter, que toutes les réprimandes des créatures ne vous touchent qu’autant que vous croyez y avoir donné sujet devant Dieu. En sorte que ces mortifications, bien loin d’être appréhendées, doivent faire votre joie, lorsqu’elles vous arrivent sans votre faute ou pour la défense de la justice.

       Il faut que vous tâchiez de simplifier votre esprit qui est beaucoup trop raisonnant et trop réfléchissant. Lorsque l’on fait une chose qui de soi-même est bonne, et qu’on l’a entreprise dans la vue de Dieu, il ne faut pas que les pensées de vanité qui peuvent venir dans la suite empêchent de la continuer. Saint Bernard répondait, en cette occasion, à ces sortes de pensées : “Je n’ai pas commencé cette bonne œuvre pour toi, je ne la quitterai pas non plus pour toi”.

       Vous pouvez simplement parler de l’oraison, lorsque vous jugez que cela est utile aux autres ou à vous-même, et pour les pensées de vanité que vous avez, chassez-les comme des mouches.

       À Dieu. Priez pour moi et souvenez-vous qu’il faut bien du vide dans une âme, afin que Dieu y fasse la plénitude ; que votre Époux est jaloux, et que  la moindre infidélité blesse ses yeux divins ; enfin, que le Royaume de Dieu ne consiste ni en pensée, ni en parole, mais dans la fidélité, la violence continuelle à ses inclinations, dans la désoccupation de toute créature, dans le renoncement à soi-même et dans l’amour pour les trois chères compagnes du Sauveur : la pauvreté, le mépris et la douleur » [31] .

       Nous avons choisi cette lettre, parce qu’elle contient, à notre humble avis, presque tous les ingrédients d’une véritable direction spirituelle. Nous y trouvons des consignes et des conseils aussi clairs et aussi motivés et motivants que dans les écrits de sainte Thérèse d’Avila, particulièrement ceux que la sainte Réformatrice prodigua à ses Filles et qui sont contenus dans le “Chemin de la Perfection”.

       Il nous faut aussi remarquer l’humilité et la sagesse de Nicolas Roland, quand il dit : “ce n’est pas à moi à vous déterminer à prendre un directeur ou non, il faut que ce soit Dieu qui le fasse”, car en matière spirituelle, rien ne se fait au hasard, tout est œuvre de Dieu, “parce que les directeurs doivent attendre de la Providence les âmes qui leur sont adressées, sans s’ingérer d’eux-mêmes dans leur conduite”. C’est clair et précis. Mais ces précisions et, malgré que le saint prêtre semble avoir été tiré au sort par la religieuse, ne l’empêche nullement de commencer de la conseiller, de lui montrer le chemin à suivre, car il est pleinement convaincu que “la direction semble être si nécessaire pour avancer dans la vie spirituelle, qu’on ne s’en doit pas priver”, d’autant plus que sa correspondante lui semble “être une des âmes qui ont le plus besoin de direction”. Et Nicolas ne refusera jamais, sa vie durant, d’œuvrer pour le bien et le salut des âmes que le Seigneur lui enverra.

       Répondant à la lettre qu’il reçut de cette religieuse, il insiste sur certains points qui n’ont d’autre but que celui de la mettre sur la voie de l’humilité, du détachement, de la mort à elle-même, de la mortification, de la simplicité ; mais ceci avec prudence, “que cela se fasse sans trop de gêne et d’inquiétude, sans devenir à charge aux autres”, qui ne comprendraient peut-être pas les changements brusques et qui pourraient la taxer de vaniteuse, voir même prétentieuse, car, “lorsque l’on fait une chose qui de soi-même est bonne, et qu’on l’a entreprise dans la vue de Dieu, il ne faut pas que les pensées de vanité qui peuvent venir dans la suite empêchent de la continuer”.

       Et voici venir un conseil que Nicolas peut donner, en connaissance de cause, car il le vécut en lui-même toute sa vie : “souvenez-vous qu’il faut bien du vide dans une âme, afin que Dieu y fasse la plénitude ; que votre Époux est jaloux, et que  la moindre infidélité blesse ses yeux divins ; enfin, que le Royaume de Dieu ne consiste ni en pensée, ni en parole, mais dans la fidélité, la violence continuelle à ses inclinations, dans la désoccupation de toute créature, dans le renoncement à soi-même et dans l’amour pour les trois chères compagnes du Sauveur : la pauvreté, le mépris et la douleur”.

       Cette seule lettre aurait pu, à notre avis, démontrer le mysticisme de l’homme de Dieu qu’était Nicolas Roland, mais, une autre lettre encore va nous y aider grandement, car les principes même de la vie spirituelle, de la vie en Dieu y sont expliqués clairement. Lisons-la :

       « Ma chère Fille, il faut souvent considérer :

       1 — la petitesse de la créature pour s’en désoccuper ;

       2 — notre propre misère et bassesse pour nous humilier ;

       3 — apprendre à connaître Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa vie, ses paroles et ses mystères pour nous en remplir ;

       4 — les perfections de Dieu pour nous unir à Lui.

       Quand vous voyez quelque personne qui fait des fautes, vous devez : vous humilier, considérant que si Dieu lui faisait le quart des grâces que vous en recevez, et s’Il lui donnait autant de lumières qu’à vous-même, elle en ferait un tout autre usage ; remercier Dieu de ce qu’Il vous préserve de les commettre, étant certaine que, s’Il vous laissait à vous-même, vous en commettriez cent fois plus ; prier Dieu pour elle.

       Faire souvent réflexion sur ces trois mots : fidélité, violence et gémissement.

       1 — Soyez fidèle à Dieu, aussi bien dans les petites choses que dans les plus grandes ;

       2 — Faites-vous violence pour être fidèle, et comme on ne peut être fidèle et se faire violence si Dieu ne nous assiste de sa grâce, pour l’obtenir ;

       3 — Il faut gémir par l’oraison.

       Regardez Dieu seul en toutes choses, et toutes choses en Dieu.

       Aimez Dieu en tout et par-dessus tout, et n’aimez rien que pour Lui.

       Ne cherchez, ne souhaitez et ne vous attachez à rien qu’à la volonté de Dieu. Tâchez de l’accomplir parfaitement. Rendez-vous indifférente pour tout le reste. À mesure que l’on est abandonné au bon plaisir de Dieu et conforme à sa volonté, on avance en sainteté.

       Toute notre perfection consiste à aimer Dieu, et si vous me demandez quel est le plus grand saint dans le ciel, on vous répondra que c’est celui qui a le plus aimé Dieu. Aimez-Le donc de toutes vos forces et jusqu’à vous dessécher, pour ainsi dire, à force de L’aimer. Il est si aimable, si peu connu et si peu aimé, si persécuté, si méprisé par les mœurs et les maximes des mondains ! Aimez-Le donc pour tous ceux qui ne L’aiment point. Je suis tout à vous » [32] .

       Nous pensons que tout commentaire à ce texte, serait presque un affront. En effet, il est d’une beauté extraordinaire, d’une limpidité cristalline, d’un enseignement thérèsien sans faille, ce qui prouve, une fois encore les qualités de direction spirituelle dont était animé le chanoine Roland.

       Combien belle est cette phrase où il dit “regardez Dieu seul en toutes choses, et toutes choses en Dieu” ! Elle est, à elle seule, tout un programme de vie spirituelle.

       Dans la direction spirituelle, Nicolas Roland n’hésite pas à « sermonner » ses dirigés, lorsque ceux-ci se montrent réticents ou ne suivent pas les conseils qu’il leur donne ou encore, quand il juge que le besoin de les « secouer » dans leur torpeur se fait sentir. En voici un exemple :

       « Ma très chère Fille en Notre-Seigneur, je vous écris ce mot par la charité dont je suis animé pour le bien de votre âme, et par l’autorité que vous me donnez vous-même sur votre conduite.

       Je vous avoue que je n’ai pas été satisfait de votre peu d’avancement, depuis un grand moment, de vous voir si peu correspondre aux desseins de Dieu sur vous. Rentrez en vous-même et vous souvenez de la sainteté de votre état et profession. Ne vous laissez pas aller à une piété de boutade et de saillies, mais vivez dans une grande abnégation de vous même.

       Ne jugez et ne condamnez personne. Laissez-vous juger et condamner par les autres, mais en silence, et par hommage aux desseins de la Providence. Mon Dieu ! quand comprendrez-vous combien vaut, devant Dieu, le mépris des créatures ! Quoi donc ? La grâce ne sera-t-elle pas la maîtresse ? Ne vous souvenez-vous pas qu’une seule grâce vaut le Sang d’un Dieu ? J’attends cela de vous, et que vous ne fassiez plus le personnage de maîtresse, comme si vous étiez quelque chose, mais celui de disciple et d’humble épouse de Jésus-Christ. C’est dans son amour crucifié que je suis tout à vous » [33] .

       C’est clair, précis, concis, et sans appel. C’est une « mise en place » qui, à priori, ne demande qu’à être mise en pratique, si tant est que l’humilité habite le cœur qui la reçoit.

       Des lettres comme celle-ci, Nicolas Roland en écrivit d’autres, et, même de plus « fermes » que celle-ci. Cela était normal, vu que lui seul connaissait les cœurs auxquels se destinaient ces lettres, car comme il le dit en commençant celle-ci, il était toujours “animé pour le bien de votre âme, et par l’autorité que vous me donnez vous-même sur votre conduite”. Cette autorité lui donnait le droit, voir même l’obligation d’admonester, sévèrement, quand il le fallait, les âmes que le Seigneur avait mises sous sa direction.

       Voici encore une autre lettre où il apprend à une Sœur, religieuse de l’Ordre de Notre-Dame, à vivre sa journée dans l’intimité de Dieu, malgré le travail quotidien :

       « Ma chère Fille, que votre principale maxime soit de servir Dieu avec ferveur, vous souvenant dès le moment de votre réveil, soit le matin ou de nuit, que tout ce que nous pouvons faire pour la gloire et le service de Dieu est bien au-dessous de ce que nous Lui devons, à ce titre même de simple créature, sans compter ce à quoi nous Lui sommes obligés en qualité de ses épouses, du nombre desquelles vous avez le bonheur d’être, par un choix particulier de son amour, et non point par hasard, ni inclination de votre jeunesse, ni poursuites de vos parents.

       Que tous les jours de votre vie soient donc de nouveaux jours de ferveur ! Dès le point de votre réveil, souvenez-vous des paroles de l’Époux : “Venez, ma colombe, au trou de la pierre”, c’est-à-dire de son côté, puiser de l’amour de son cœur pour en remplir le vôtre, afin de conserver son souvenir le reste du jour.

       Allez à l’Office divin, entendez la sainte Messe, vaquez et conversez dans l’esprit de victime destinée à être égorgée sans cesse, par la mort à vous-même, à tous vos sens et passions, ce que vous obtiendrez par la fidélité à la sainte oraison, si vous y êtes fidèle : à n’y jamais manquer ; à ne rien épargner pour vous la rendre fructueuse.

       Dans le reste du temps de vos exercices, et parmi les emplois et offices, n’épargnez pas les points de lecture spirituelle, courts et succincts : le livre de l’Imitation ou d’autres livres de sentences sont tout propres pour cela. Que les oraisons jaculatoires soient votre entretien fréquent ! mais je souhaiterais que vous les fassiez sur les principes qui doivent animer nos actions et entretiens, c’est-à-dire selon les occasions que vous en avez journellement, comme par exemple quand vous voyez ou entendez quelque misère, souffrance, pauvreté corporelle ou spirituelle dans les autres, que vous disiez en vous-même : O mon Dieu, pourquoi gratifiez-vous ainsi votre chétive créature, que vous la préserviez de telle peine ou indigence ? Quelle reconnaissance vous dois-je, ô mon Dieu ! ou autre semblable » [34] .

       Cette lettre est bien plus longue. Nous ne la transcrirons pas complètement, car cet extrait est suffisant pour démontrer une fois de plus, s’il en était besoin, toute l’étendue de la sagesse ascétique dont la direction spirituelle proposée par Nicolas Roland était empreinte et tout entière axée sur l’ensei-gnement proposé par les meilleurs maîtres spirituels de son temps.

       “Que tous les jours de votre vie soient donc de nouveaux jours de ferveur”, car, comme l’a écrit sainte Catherine de Sienne, « dans toute affaire de vertu il faut de la persévérance ; sans la persévérance, l’on n’arrive pas au terme de son désir, l’on n’atteint pas la fin pour laquelle on a commencé d’agir. Non, sans persévérance, on ne parviendra jamais au but que l’on cherche ; sans persévérance, l’on ne réalisera jamais l’objet de son désir » [35] .

       “Puisez de l’amour de son Cœur pour en remplir le vôtre, afin de conserver son souvenir le reste du jour”, étant donné que, « un cœur épris de l’amour de Dieu ne saurait être vaincu, car Dieu même est sa force » [36] , comme nous l’enseigne encore sainte Catherine de Gênes.

       C’est seulement “par la mort à vous-même, à tous vos sens et passions, ce que vous obtiendrez par la fidélité à la sainte oraison, si vous y êtes fidèle : à n’y jamais manquer ; à ne rien épargner pour vous la rendre fructueuse” — car, « celui qui veut s’adonner à l’oraison — nous dit sainte Thérèse d’Avila — doit se figurer qu’il entreprend de faire, dans un sol ingrat et couvert de ronces, un jardin dont la beauté charme les yeux du Seigneur » [37] .

       “N’épargnez pas les points de lecture spirituelle”. Sur ce point, nous avons déjà vu quelles lectures le saint Prêtre conseillait à ses dirigés. Nous pouvons y ajouter, comme nous l’indique la lettre ci-dessus, le livre de l’Imitation de Jésus-Christ, qui était très prisé au XVIIe siècle et qu’à l’heure actuelle, un bon nombre de spirituels continuent d’utiliser avec profit.

       Les conseils de Nicolas Roland sont tous calqués sur cette doctrine spirituelle qui touche l’âme au plus profond d’elle-même, que fait vibrer le cœur sensibilisé à l’amour de Dieu. Pour que cet amour ne puisse pas être distrait ou remplacé, comme saint Jean de la Croix et sainte Thérèse d’Avila il conseille le détachement des choses du monde et des personnes, la famille y comprise :

       « J’ai reçu la vôtre, ma chère fille ; ce que je puis vous dire sur celle-ci est que vous ne vous laissiez jamais préoccuper l’esprit par aucune créature » [38] , car, c’est encore saint Jean de la Croix qui le dit, « l’affection et l’attachement que l’âme porte à la créature la rend semblable à cette créature, et plus est grande l’affection qu’elle lui porte, plus aussi elle lui est égale et semblable, car l’amour établit la ressemblance entre celui qui aime et l’objet aimé » [39] .

       Nicolas Roland met en garde contre les créatures, mais aussi contre le monde et ses attraits :

       « Ma chère fille, ce que je peux vous dire, touchant les sentiments sur l’esprit du monde, c’est de vous persuader de n’y point adhérer en ne vous contentant pas de l’avoir quitté à l’extérieur en vous renfermant dans un cloître, mais d’en fuir toutes les maximes, et de vous donner garde d’un certain esprit qui se glisse même parmi les personnes consacrées à Dieu, et qui est un piège que le diable tend » [40] .

       Comparons, maintenant ce sage conseil, à ceux qu’au-raient pu donner des mystiques “confirmés”.

       Sainte Thérèse d’Avila, parlant aux douze sœurs du Carmel de Saint-Joseph d’Avila, leur donne ce conseil qui se rapproche assez de celui donné par Nicolas Roland :

       « Notre époque interdit, à ceux qui sont chargés de donner l’exemple, de ne laisser paraître aucune imperfection. Si leur vertu n’est pas ferme, s’ils ne comprennent pas bien ils sont obligés de fouler aux pieds tous les biens de la terre, s’ils ne sont pas détachés des choses périssables, et appliqués aux choses éternelles, leurs faiblesses transpireront, quoi qu’ils fassent pour les dissimuler » [41] .

       Mais ses enseignements ne s’arrêtent pas là. Inlassablement, dans ses écrits, elle exhorte ses Filles à un complet détachement des choses du monde :

       « Lorsque Dieu montre clairement à une âme ce qu’est le monde et le peu qu’il vaut, ainsi que l’existence d’un autre monde, la différence qu’il y a entre les deux, l’éternité de l’un, le songe rapide de l’autre ; lorsqu’il lui dévoile ce que c’est que d’aimer le Créateur ou la créature ; lorsque l’âme connaît cela, non seulement par son intelligence ou par la foi, mais par son expérience ce qu’elle gagne à aimer le Créateur, ce qu’elle perd à aimer la créature, ce qu’est l’un, ce qu’est l’autre ; lorsqu’elle voit encore beaucoup d’autres vérités que le Seigneur enseigne à ceux qui s’abandonnent à sa conduite dans l’oraison ou qu’il daigne instruire, alors elle aime d’une manière beaucoup plus parfaite que ceux qui ne sont pas élevés à cet état » [42] .

       Une seule voie, celle de l’amour, conduit à Dieu. Pour y parvenir, il faut grimper au sommet de la montagne, ne tenant pas compte des ronces, de la pierraille des sentiers, des obstacles nombreux et, presque toujours pénibles, il faut se persuader, comme nous l’enseigne saint Jean de la Croix, que, « si l’on veut marcher dans cette voie qui mène à Dieu, il faut que le cœur soit consumé par l’amour de Dieu et purifié de tout ce qui est créature. C’est dans cette purification que l’on met en fuite le démon qui exerce son pouvoir sur l’âme à cause de son attachement aux choses temporelles et corporelles » [43] .

       Il y aurait encore d’autres lettres à citer et à commenter éventuellement, pour, peut-être, mieux étayer notre propos. Mais, le but de ce travail, comme nous l’avons déjà dit par ailleurs, n’est point de prouver une affirmation, mais tout simplement de faire une suggestion, de faire prendre conscience, à ses propres filles, s’il en était besoin, d’un aspect du bienheureux Nicolas Roland qui, quant à nous, n’a été exploité que d’une manière tout à fait superficielle.

       Notre conviction est bien que Nicolas Roland fut un mystique de son temps, un ascète de haut vol et un directeur d’âmes hors pair, comme nous avons, humblement, essayé de vous le démontrer. C’est, en tout cas, ce que nous ressentons dans notre fort intérieur, à chaque fois que nous lisons ses lettres ou tout autres écrits.

       Pour en terminer, nous rappellerons, s’il en était besoin, que Nicolas Roland fut le directeur spirituel d’un saint rémois, un saint que le monde entier connaît : saint Jean-Baptiste de La Salle, continuateur de son œuvre et de sa spiritualité.

       Que peuvent les saints produire sinon d’autres saints !…

       Il est encore bon de rappeler ici une pensée de l’un des “enfants” que produisit saint Jean-Baptiste de La Salle, le bienheureux frère Arnould : « Les saints se forment, non pas par des œuvres extraordinaires, mais par leur fidélité à bien faire ce que Dieu veut » [44] .

5

Conclusion

       Nous arrivons à la fin de notre exposé.

       Quelle conclusion en tirer, quelles suggestions faire ?

       Notre état de laïc peut sembler limiter quelque peu la mise en avant de consignes ou de suggestions de vie spirituelle, mais il permet tout de même de dire, sans ambages, que la doctrine de Nicolas Roland reste d’actualité, qu’elle peut être suivie par toutes les âmes de bonne volonté, même en cette fin de XXe siècle. Nous dirions même qu’elle est aussi nécessaire à notre époque qu’à celle où vécut le bon chanoine.

       En effet, quand nous comparons notre époque à celle où vécut le bienheureux, nous y trouvons une foule immense de points communs ; un nombre impressionnant de problèmes dont nous souffrons actuellement.

       Du tant de Nicolas Roland on souffrait du manque de bons prêtres. De nos jours, nous souffrons du manque de prêtres.

       Du temps de Nicolas Roland, les “âmes saintes”, ces “paratonnerres de la divine justice” étaient nombreuses. De nos jours, elles le sont tout autant, même si elles vivent dans l’ombre, retirées du monde, priant pour leurs frères, dans la solitude et le secret.

       Au XVIIe siècle, la “voie lactée” des saints et des âmes d’exception est significative :

       Saint Vincent de Paul, saint Jean Eudes, saint François de Sales, sainte Jeanne de Chantal, sainte Marguerite Marie Alacoque, le bienheureux La Colombière, la Vénérable Marguerite du Saint-Sacrement, Jean-Jacques Olier, Adrien Bourdoise, Mathieu Beuvelet (oncle et parrain de Nicolas Roland), le père de Condren, le laïc Gaston de Renty, et tant d’autres qui ont étoilé le firmament spirituel de l’odeur de leur sainteté.

       En cette fin de XXe siècle, la constellation des âmes saintes n’est pas moins nombreuse, heureusement, d’ailleurs, car il faut bien qu’il y en ait qui prient pour ceux qui ne prient pas ou ne prient plus. C’est cela aussi la communion des saints.

       Mais le salut n’est pas une œuvre solitaire, l’affaire de quelques privilégiés : il est l’œuvre de tous, car Jésus a bien voulu avoir besoin de la contribution de chacun de nous lors de son suprême holocauste, alors, ensemble, mettons-nous à l’œuvre et, avec l’aide de Dieu, soyons solidaires les uns des autres, en élevant vers le ciel nos cœurs et nos prières, afin que “le monde soit sauvé”, afin que tous, tout autant que nous sommes, nous puissions un jour, à l’heure de Dieu, chanter ensemble, dans la patrie céleste, le “Sanctus” que les anges chantent sans discontinuer, devant le trône du Très-Haut.

       Priez pour moi. Merci.

Alphonse Rocha


Terminé le 4 octobre 1998,
Fête de Saint Charles Borromée

 



[1] Lettre de saint Paul aux Philippiens: 2,9.

[2] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté. Témoignage de M. Martin, curé de Fismes et qui fréquenta la maison-séminaire de Nicolas Roland.

[3] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté. Témoignage de M. Barthélemy, prêtre.

[4] Lettre de St Paul aux Romains: 8; 28-30.

[5] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[6] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[7] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[8] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[9] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[10] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[11] “Mémoires sur la Vie de Monsieur Nicolas Roland”. Archives de la Communauté.

[12] Mathieu Beuvelet: 137e Méditation.

[13] Saint Jean 20,23.

[14] Sainte Thérèse d’Avila. “Vie”, Chap. 7.

[15] Picot. Essai historique sur l’influence de la religion en France pendant le XVII siècle

[16] Mathieu Beuvelet: 137e Méditation.

[17] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 20, Lettre 1. Reims 1963.

[18] Sainte Thérèse d’Avila; “Vie”; Chap. 31.

[19] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 20, Lettre 1. Reims 1963.

[20] Marguerite Parigot naquit à Beaune le 7 février 1619. Le jour même de sa naissance, elle fut baptisée. Le 23 septembre 1630, elle fut présenté au Carmel de Beaune, où elle fit sa première communion le lendemain. Le 15 juin 1634, elle fit sa profession « in articulo mortis », car sa santé était très précaire.  Elle y prit le nom de Marguerite du Saint-Sacrement. Le 24 juin 1635, elle fit sa profession réelle. Elle fut favorisée, depuis toute jeune de locutions intérieures et même de visions de Jésus enfant. Sa renommée fut très grande et les plus grands cherchèrent à la rencontrer. C’est ainsi que Jean-Jacques Olier, Gaston de Renty, saint Jean Eudes se rendirent à Beaune pour rencontrer la « sainte » carmélite.

  Très jeune encore — âge de 29 ans — , Marguerite rendit son âme à Dieu le 26 mai 1648, un peu plus de cinq ans après la naissance, à Reims, de Nicolas Roland. Sa cause fut introduite à Rome en 1873.

[21] Née Beuvelet et qui était sa tante et la sœur de Mathieu Beuvelet, compagnon de Bourdoise à Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

[22] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 146,. Reims 1963.

[23] Pendant son séjour à Beaune, Nicolas Roland a étudié les statuts et le fonctionnement de la confrérie. Il se propose d’en établir une à Reims, pour associer prêtres, religieux et laïcs dans une même dévotion et un même désir de montée spirituelle.

[24] Et, en effet, tous les 25 de chaque mois, encore de nos jours, la Communauté du Saint Enfant-Jésus de Reims, célèbre, d’une façon particulière la divine Enfance, par une journée d’adoration et de prière plus intense.

[25] Laquelle? Adrienne ou Barbe?

[26] Archives du Carmel de Beaune: vol. 39-3, f° 244.

[27] Sœur Marguerite du Saint-Sacrement.

[28] Saint Mathieu 19,14.

[29] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 40, Lettre 24. Reims 1963.

[30] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 41, Lettre 25. Reims 1963.

[31] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Pages 42-43, Lettre 26. Reims 1963.

[32] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 45, Lettre 29. Reims 1963.

[33] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 50, Lettre 35. Reims 1963.

[34] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 29, Lettre 17. Reims 1963.

[35] Sainte Catherine de Sienne - Tome I; Chap. 49.

[36] Sainte Catherine de Gênes “Dialogues” - III, Chap. 10.

[37] Sainte Thérèse d’Avila. «Vie par elle-même». Chap. 11

[38] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 25, Lettre 9. Reims 1963.

[39] St Jean de la Croix. “La Montée du Carmel” - Chapitre 4.

[40] Chanoine J. Leflon, “Un Précurseur Méconnu”. Page 31, Lettre 18. Reims 1963.

[41] Sainte Thérèse d’Avila; “Le Chemin de la Perfection” - Chap. 3.

[42] Sainte Thérèse d’Avila; “Le Chemin de la Perfection” - Chap. 7.

[43] St Jean de la Croix. “La Montée du Carmel” - Chapitre 2.

[44] Pensée du bienheureux Frère Arnould.