Mon Amour Vivant Autour du drame pascal Quel homme étais-Tu ? O mon Kyrios, Tu savais le poids Tu étais homme, de notre corps d'homme, homme pleinement. Tu savais ce qu'il y a Tu pouvais porter nos blessures, dans notre coeur d'homme, Tu pouvais T'attendrir sur nos déchirures, Tu savais frayer avec les pécheurs, Tu pouvais vivre notre faim, Tu savais pardonner, brûler de notre soif ! relever des liens du péché, Tu pouvais trébucher Tu savais confondre l'impureté des coeurs sous le poids du fardeau, devant Tes actes de miséricorde. Tu pouvais pleurer, Tu savais la pitié devant tout mal, frémir devant la mort, et Tu savais guérir, Tu pouvais sentir le poids du jour Tu savais vaincre la mort et la lourdeur du sommeil. et rendre à la vie, Tu connaissais tout ce qui fait Ô mon Amour Vivant ! le poids de l'Amour, et le poids de la haine. Tu savais multiplier les pains, Tu savais guérir, marcher sur les eaux et Tu savais arracher pour rejoindre les Tiens. quand il le fallait, Tu savais refuser le sceptre et la couronne, Tu savais ouvrir aussi pour n'être que l'Epoux. la source de nos larmes Tu savais rompre le Pain pour dissiper nos opacités, pour partager Ton Corps ! et nos rancoeurs ! Tu savais le silence Tu savais pétrir le Pain, quand la Parole ne servait pas ouvrir la Source des Eaux Vives, la Gloire du Père ! et de Ton Sang, Tu savais Te taire comme la brebis Vin d'éternité ! renoncer aux légions d'anges, renoncer à démontrer Ta Puissance. Tu savais lever la main Tu savais rester homme pleinement et la poser sur la tête d'un enfant, pour témoigner de l'Amour Tu savais la tendresse, jusqu'à la fin. Tu savais la colère Ô Mon Amour Vivant ! et le zèle pour la Maison du Père. Tu savais la douceur de l'intimité après une journée de lassitude, Tu savais rassembler et créer la communion, * * * pour unir en Ton Nom les frères de Ton Amour. Tu étais Dieu, ô mon Kyrios ! Et je T'ai vu dans la Lumière de Damas. Puissè-je Te proclamer au mépris du naufrage de ma vie... ***** Si tu veux voir ton visage, ne prendras-tu pas un miroir ? Mais le visage de ton Amour, comment le verras-tu ? Voir ce visage c'est toute une aventure que te propose ton baptême... "Credo"... et voici que le miroir s'habite. Tu le vois, tu le saisis, tu penches ta tête sur son coeur pour en deviner les émois, car Il est homme comme toi, ton Dieu ! Ce soir-là, t'en souviens-tu ? Oui, c'était la nuit de trahison. Pourquoi a-t-Il dit à l'un des siens : "ce que tu as à faire, fais-le vite !" Il savait Jésus. Il avait hâte qu'éclate au sein de la Gloire, le Oui de l'abandon à la volonté du Père. Rien d'autre ne l'aurait entraîné à la Croix, sinon l'Amour du Père et l'Amour des siens. Il voulait être élevé, humilié, bafoué, pour attirer tout à Lui... tout... que c'était immense ! Il fallait bien les bras d'un Dieu, son Amour inaltérable ! Et ce soir-là j'ai fermé les yeux et j'ai laissé errer mon esprit en ces trois années de vie publique qui allaient si tragiquement prendre fin ! Quelle ivresse ! Tu savais tout, Tu pouvais tout, Tu donnais tout, Tu disais tout du grand Mystère, et même si nous étions des coeurs lents à comprendre et à croire, Tu T'appliquais à ne perdre aucun de ceux que le Père T'avait donnés. Tu nous disais de grandes choses avec nos faibles mots : pour prier, dites : "Notre Père"... Ah ! Quelle magnificence ! Et malgré la course des jours, Tu avançais dans la patience, dans la douceur du coeur. Tu savais que nous ne pouvions comprendre avant la réalisation du grand Dessein trinitaire. Alors, Tu allais, comme en flânant, 08h15:135:21comme on fait l'école buissonnière. Il y aurait l'Esprit, Ton Esprit, qui, Lui, ouvrirait les intelligences, exorciserait les peurs, ferait de pécheurs des hommes nouveaux, entraînant par leur foi toute une galaxie d'âmes perdues dans l'espace des siècles ! Qu'il est enivrant de Te contempler ainsi dans notre chair ! Tu es venu comme un pauvre, parmi les pauvres. Il Te fallait savoir le goût des pauvres, leur odeur, leurs péchés, pour les sauver. Et le Père sait que Tu n'as pas hésité à faire Sa Volonté, elle était Ta nourriture, et nous ne comprenions pas ! Mais en cette nuit où éclatent les portes de la mort sous la poussée de Tes bras étendus, Tu renouvelles au Père dans le jaillissement de la Vie, Ta volonté d'être l'Artisan aimant de Son Dessein ! Et quand je Te regarde, je sais que Ta Victoire est la mienne, que Ton Pardon m'a fait naître et que d'Amour Tu m'as aimée pour faire de moi Ton Peuple et Ton Allégresse ! Alors je Te suis sur tous les chemins où Tu gémis dans la voix des plus petits d'entre Tes frères, les pauvres! Et je T'appelle : viens frapper à la porte, la table est dressée, reviens dans Ta Gloire pour guérir toutes plaies, effacer toutes larmes. N'oublie pas Tes pauvres... Tu le sais, les pauvres attendent toujours, il n'est pas de temps pour eux... viens briser l'injustice d'un monde en feu et en sang, renouvelle Tes prodiges, refais Tes merveilles, n'oublie pas le pauvre, déchire les cieux et viens ! Entends cette rumeur... et ne tarde pas ! * * * Le nard de tendresse Ils disaient en leurs coeurs : "Elle a beaucoup péché !". . N'est-ce pas moi, Jésus, cette épave en détresse ? Toi, Tu disais tout fort : "Elle a beaucoup aimé !". Ah ! Mon Amour Vivant, quel feu en Ton Regard brûle nos trahisons pour que reprenne vie la flamme vacillante de l'Amour bafoué, de l'Amour blessé, sali, torturé, jeté aux chiens ? Et tandis que le nard se répand sur Tes pieds, tandis que son parfum prend d'assaut les coeurs faux, Ta main se lève et doucement pardonne ! « Es-Tu Roi ? » dira Pilate, ""Tu l'as dit !"... Tu ne diras rien d'autre ! Combien elle était reine la source de ces larmes ! Et ce jour, humblement Tu reprendras au Père le sceptre et la couronne pour les donner à cette femme, le temps de témoigner que seul règne l'Amour ! "Elle a beaucoup aimé !" Ô Marie, que je ne suis-je toi-même ! Tu n'as pas calculé, y avait-il trop cher pour mimer ton Amour ? Tu seras la première, demain près du Tombeau à Le revoir vivant ! à deux vous a unis En cette nuit dans une même mort, où faiblement je veille, ne fallait-il pas, ô Marie ? je pense à toi, Marie : Il en sera toujours ainsi tes péchés, comme en ce jour, oui, tes nombreux péchés comme au Matin du Tombeau : ont été pardonnés, c'est à travers les larmes parce qu'en ton coeur que tu Le saisiras Vivant, brûlait l'Amour, Ton Amour , parce que tu Le cherchais, ton Unique Amour ! parce que Lui te cherchait ! Et ce nard de tendresse **** "Des pauvres, il y en aura toujours parmi vous..." Etait-ce une déclaration d'échec ? 33 ans et pendant des siècles devant Toi, il y aura toujours la voix des pauvres, le cri des pauvres, la détresse des pauvres... oh ! Cette mère qui tient son enfant mort, mort d'avoir manqué de pain... alors ce nard précieux, répandu sur Ton Corps, que veut-il dire ? Toi qui es venu parmi les pauvres, Tu Te soumets à cette libation et Tu l'exaltes ! Cette femme, Tu n'ignores pas qu'elle est pauvre parmi les pauvres... si elle souffrait la faim de pain pour mettre toute sa richesse à prophétiser Ta mort et Ton ensevelissement ? Et si tout simplement, comme Tu l'as proclamé : "elle a beaucoup aimé !". ce geste d'une prostituée, c'est Parole d'Amour ! Comment aurait-elle pu le dire autrement, consciente de sa misère, comme le publicain au fond du Temple... ? Marie de Magdala, dans tous les siècles, au long des âges, on dira ce que tu as fait ce jour-là ! On oubliera tes péchés, tes nombreux péchés, le Maître l'a dit, parce que tu as beaucoup aimé ! Qui était-Il pour toi cet homme, ce prophète, ce Rabbi ? Tu L'as aimé de toute la violence de ta passion, humblement, timidement, mais sans respect humain. Qu'importent tous ceux qui sont là et pour lesquels tu ne vaux pas cher ! Mais l'intrépidité de l'Amour t'a projetée à la première place, au premier plan, dans ce banquet où tu n'étais pas invitée ! Tu l'as reconnu de suite l'objet de ton Amour, tu n'as pas hésité. Jamais plus désormais tu ne retrouveras les sentiers de perdition, où l'on est pauvre, de plus en plus pauvre, parce que l'Amour n'a plus de visage, il cesse de vouloir l'éternel ! C'est Jésus qui sera ta force et ton unique Amour. Et parce qu'Il a accueilli ton offrande, parce qu'Il t'a donné Amour pour Amour, tu seras celle qui le suivra jusqu'au bout. Par Sa Passion et par Sa Croix, tu passeras au creuset de la purification. Et au matin du troisième jour, tu viendras seule dans le Jardin. Seule devant l'énigme du Tombeau ouvert... ouvert et vide ! Qu'avait-on fait de ton Amour ? Et par ta vie dont nous savons si peu de choses, tu soulèves un peu du voile de l'immense miséricorde du Père... tu seras la première à voir vivant ton Amour et tu tressailliras lorsque le mystérieux jardinier prononcera ton nom ! Ah ! Cette voix et ce nom qui traversent tes larmes : "Marie !" Que d'Amour après la déréliction, quel baume sur ta vie, quelle joie celle de l'Annonce : "Il est ressuscité !" * * * Ta Coupe de Joie ! Lasse est l'ardeur en moi, je fermerai les yeux, lasse est la soif de Toi ! pour que T'habitent mes ténèbres, Sur mes chemins de solitude Et que Tu Te souviennes où goutte à goutte de Ta Coupe de Joie ! j'abandonne mon sang, je cherche la mémoire de Ton Image. Qu'elle est vivante la mémoire de Toi Mais elle est brûlée la mémoire de Toi, pour que tant elle m'habite et sur les cendres éparses en toutes mes errances ! mon coeur se lamente ! Qu'il est vivant Ton Amour pour moi Y aura-t-il encore pour tant répondre à ma quête d'EauVive ! de ces douces rencontres Que puissante est Ta miséricorde, où n'étaient pas voilés les traits de Ton Visage ? pour qu'inlassablement Ô mon Amour Vivant ! elle redresse mes voies... Vois mes plaies, et pourtant, Tu m'as rendu ma lyre et mes chants, je m'étendrai sur le sable brûlant et dans l'ivresse pour que T'habite ma brûlure, s'est ouvert mon coeur à Ta Présence, et que Tu Te souviennes Ô mon Amour Vivant ! de Ta Coupe de Joie ! Et voici qu'en cet instant nos lèvres ensemble Las sont mes pas vers Ton Temple sacré, se retrouvent à Ta Coupe de Joie ! las sont les chants joyeux des montées. Brisées les cordes de ma lyre où se jouait la voix de Ton Esprit ! Je ne T'entendrai plus et mon coeur en délire ! Tu avais donné, Tu as repris, mais en ces haillons ne me laisse pas démunie, ô mon Amour vivant ! Chaque nuit, prosternée devant Toi, * * * ma voix ne dira plus Ton Amour, seulement, doucement, comme les grandes eaux caressant le rivage, me reviendra le murmure de Ton Nom, pour que T'habite mon silence et que Tu me reviennes en Ta Coupe de Joie ! Lasses vers Toi, les mains de la Prière, lasse l'attente de Ta Lumière ! J'ai délaissé ma couche poursuivant des mirages dans la nuit où j'errais, et elle s'est desserrée la douce étreinte, ô mon Amour Vivant ! Il ne se peut que Tu ne me reviennes ! Toute tendue vers Toi, sur toutes les merveilles, *** Lorsque l'homme, devenu un orant, un adorateur en esprit et vérité, contemple la merveilleuse Icône de Roublev, il ne peut qu'être fasciné par cette Coupe de Joie qui réunit les Trois, objet de leur Dessein commun, de leur Amour mutuel, de leur Unité, de leur Infinie Tendresse. Comment ne pas se sentir démuni de tout s'il n'y a place à cette table d'intimité ? Comment revêtir la Tunique royale de la filiation pour ne pas connaître les Ténèbres extérieures ? Il y a place certes pour celui qui marche dans l'humilité avec son Dieu. Mais nous le savons bien, il y a au coeur de la foi-folie une déprimante lassitude, presque un doute. La Table est bien dressée, mais nous promenons encore notre errance par les chemins de poussière. Et pourtant, je sais... comment ne pas savoir ? Et pourtant je vois... comment ne pas voir ? Et pourtant j'entends... comment ne pas entendre le cri du messager ? Tu L'aimes, frère, ton Amour Vivant, au point de te perdre pour Le trouver, mais nous connaissons tous la lassitude, et en tout cas, en ce grand Corps Mystique et mystérieux, nous nous devons de porter celle de tous nos frères dans la foi et de tous ceux qui errent encore ! Au fond de ta détresse, dans ta lassitude, dans tes angoisses, tu ne veux pas être seul, tu veux dresser une Table où ils ne seront plus Trois, mais quatre, mais multitude, autour de la Coupe de Joie ! Et parce que tu es loin d'habiter la Gloire, tu veux que ton Dieu connaisse ta brûlure ! Ah ! S'Il pouvait goûter le lent affadissement de l'ardeur, la soif de cette intimité tant convoitée, sur laquelle tu voudrais refermer le cercle...! Il a dit, Ton Dieu : "Ceci est la Coupe de mon Sang pour la multitude !" "La multitude" : peut-être est-ce la clé de nos douleurs, de nos attentes, de nos désespérances. Vois cette colonne immense, vois qu'elle n'a pas de fin, alors tu comprendras peut-être un peu mieux chaque jour qu'il te faut marcher dans le désir indéfectible de cette intimité, allant de campement en campement, souvent près des puits desséchés, altérée ta gorge, dans la brume des matins sans étoiles où se noient tes appels. Parce que je T'aime, ô Toi qui n'as pas de Nom, je veux dans ma solitude Te faire participer de mes douleurs, comme s'il était possible ainsi que tu me sois plus proche, comme s'il était possible, goûtant ainsi l'un de l'autre dans une seule passion, la joie et l'amertume. Il est dur, Tu sais, quand les yeux sont brûlés de mirages de chercher encore dans la nuit ou sous le soleil ardent, les traits désirés de Ton Visage ! Et pourtant, si ardente que soit la brûlure, si tu veux Le posséder, Celui que tu aimes et que tu blesses de ton péché. La Coupe n'est Joie que par surabondance d'oubli, de la miséricorde. Si un instant tu abandonnes, Il ne comptera pas les pas perdus, mais sans que tu le saches, mystérieusement, amoureusement il te montrera l'empreinte sur la poussière des pas ininterrompus, parce que dans ses bras Il t'aura porté. Tous ces chemins, toutes ces errances, ils aboutissent un matin sur un Tombeau ouvert. et ne dis pas que tu n'as pas vu. Souviens-toi comme ils couraient ensemble, Pierre et Jean, et comment ayant vu, ils nous ont transmis le flambeau. C'est maintenant que les tenaillait la hâte du martyre pour retrouver le chemin... "Où je vais, vous ne pouvez venir ..." Ô mon Amour Vivant, Tu as fait que je vienne dans les siècles des siècles ! * * * Gethsémani Nous étions là, ce soir, dans le jardin, T'aimerais-je assez ? comme un retour au premier matin. Oublierais-je en ce soir Qu'ils étaient lourds mes yeux ! Ton regard dans la cour Nous aurions dû souffrir à deux, et Ton Corps enchaîné ? mais Tu étais seul, mon Roi, Amères et douces larmes, seul, et j'étais là, dormant, insupportable l'absence... sans souci du tourment Que d'encre était la nuit ! qui déjà broyait Ton Etre... Et qu'il broyait mon coeur ?J'avais oublié peut-être le chant du coq ! Ton baptême de sang Ah ! Mon Amour Vivant, et cet ardent désir que n'a-t-elle Ton angoisse de manger la Pâque avec nous, serré ma gorge ? une fois, une dernière fois... Que n'ai-je près de Toi Comment tant d'insouciance ? mon corps lié à la Croix ! Pourquoi tant d'inconstance ? Le vin avait coulé dans la Coupe... Je sais Ta longue patience. N'avais-Tu pas dit : N'avons-nous pas ensemble, "Ma Coupe, vous la boirez" ? vécu au rythme des champs de blé ? Qu'elles étaient loin mes lèvres Tu sais attendre la moisson, ce soir-là, et je sais la Puissance du Pardon, de Ta déréliction ! Tendresse de mon Dieu, Ô mon Roi, pourquoi dans tous nos désarrois ! m'as-Tu livrée au sommeil ? Tu poursuis de Ta voix Pourquoi as-Tu démissionné l'âme de peur transie ! de mon humanité ? Et Toi, mon Amour Vivant, Ô mon Amour Vivant Tu as prié que ma foi ne défaille, que n'a-t-elle Ton angoisse tant Tu m'avais donné serré ma gorge, dans notre pauvreté ! que n'ai-je eu près de Toi, N'es-Tu pas mon unique richesse ? mon corps lié à la Croix ? Dis, et ce sera fait, dis que je sois enchaînée Pourquoi as-Tu quitté la Chambre Haute ? pour Ton Unique Amour, N'avais-je pas reposé sur Ton Coeur ? dis et Tu seras ma force, Comme au jour de l'abondance pour avoir près de Toi où Tu multipliais les pains... mon corps lié à la Croix ! Nous avons partagé ce soir les dernières agapes, Depuis que Tu T'es levé, celles de la Pâque... mon corps n'est-il pas le Tien ? Qu'avions-nous compris, N'est-il pas Ton Eglise ? mon Seigneur et Maître, N'est-il pas Ton Epouse de Ton geste d'esclave ? acquise au prix du sang ? Toi, mon Amour, Ne suis-je pas Reine, me laver les pieds ? Ô mon Amour Vivant ? Ah ! Je n'ai pourtant pas hésité à nier que je T'appartenais ! Si nous étions restés dans cette douce quiétude, je n'aurais pas vu le feu danser sur le visage d'une servante. Mais elle était là Ton attente : *** En ces jours où l'Eglise célèbre la Sainte Résurrection, il est bon de scruter son coeur. 21 siècles nous séparent des premiers Témoins... nous les voyons, nous les entendons à travers les Ecritures. Aurais-Tu fait mieux mon âme ? Ce jeudi soir, tu es montée à la Chambre Haute avec ton Seigneur. Lui seul savait combien l'Heure était grave! Et comme avec les enfants, les ignorants, les petits, on a beaucoup d'indulgence, le Maître en silence s'est étendu pour prendre son repas avec les Douze. Il n'y avait rien d'insolite pour toi, c'était la Pâque juive. Cependant le Maître va créer l'insolite en se levant pour te laver les pieds. Geste d'esclave que tu refuseras d'abord, et c'était bien normal ! Tu le tenais pour un Prophète, et seul l'esclave non juif lave les pieds... mais le Maître a parlé de "part avec Lui"... Tu t'enfonçais un peu plus et tu délirais : mais alors le corps tout entier ! Bien sûr ! Mais qu'était-elle pour toi cette part ? Que tu étais lourde mon âme ! Dans le sentier qui conduisait au Jardin des Olives, l'air frais te dégrisait un peu... à quoi pensais-tu en marchant en silence près du Maître ? Etait-ce une heure pour aller au jardin ? Mais tu ne disais rien. Tu pensais à Judas sorti seul dans la nuit, et pour quoi faire ? Le Maître le lui avait commandé. Il avait parlé aussi de trahison... Il avait dit des choses étranges... et ton pas accordé au sien, tu pensais sans oser interroger. Tu pensais au chant du coq... et tu n'y croyais pas, comme tu ne pouvais croire à la trahison des tiens. Trois ans d'intimité avec le Maître, témoin des signes et des miracles... Comment cesserait-il d'être Celui qui pour toi était fort, lui qui intimait le silence aux éléments déchaînés, qui ressuscitait les morts ? Et maintenant, tu étais là mon âme en ce jardin. As-tu repensé au premier matin ? Je dirai non, car aurais-tu laissé tes yeux se fermer, allongée sur le sol encore tiède de la journée ? Demain... mais parfois demain est tard... Et le Maître était là... seul en cette nuit sans lendemain... en Le livrant, en se condamnant le monde s'enfonçait, comme Judas, dans la nuit ! Et cette soif de consommer la Pâque avec vous tous, l'ardent désir de ce baptême ! O mon âme, tu entraînais ces réalités dans la fange des fantasmes et tu oubliais. Tu n'étais pas présente. Trois fois Il est venu vers toi... fallait-il qu'Il porte votre faiblesse, le Tout-Puissant ? Et tu dormais... ! "Il vous est bon que Je m'en aille !". Ah ! Qu'elle était réaliste cette Parole ! Il fallait le reniement autour du feu, le regard retrouvé pour comprendre un peu, mais il fallait plus encore ! La Croix infâme, la mort irréparable, allaient tout balayer de tes espérances. Et les Apparitions ne seraient qu'ivresse de l'impossible, l'impossible touché sur le bord du rivage, dans la Chambre Haute où vous enfermait la peur ! Il fallait que le Maître s'en aille...Ô cruel paradoxe pour libérer l'incommensurable force de l'Esprit qui allait te saisir, te rassembler en Eglise, te lancer sur les chemins pour annoncer Jésus ressuscité, Jésus Vivant ! **** Où étais-tu, ô Mère ? "Réjouis-toi, Marie !" car toi seule avait su Oui, réjouis-toi, petite Servante, méditer en ton coeur car Dieu vient bouleverser ta vie, les haltes du Salut. ta petite vie, toute droite, Il était si seul, ton Fils, ta petite vie au milieu des Douze ! qui s'élance vers l'attente d'Israël ! Mais il y avait sa Mission. Ta petite vie, toute droite... Comme mieux qu'eux Et parce que tu es une enfant, tu aurais su comprendre tu diras "oui", simplement, la densité de ces instants ! sans savoir - comme ton Père Abraham - le don de ce Corps et de ce Sang sans savoir les émois d'une mère, qui étaient ton corps et ton sang ! les jugements sévères En se donnant, de ceux des tiens, Il te donnait, car enfin, il n'avait pas de père, Il ne t'a rien demandé, cet enfant-là...! parce qu'Il savait que tu n'étais Tu savais, et tu dis "oui", qu'oblation infinie, et tu étais là pour le dire, et que tu n'aurais su vivre tu n'as pas fait attendre ton Dieu ! d'un autre Vouloir Il ne t'a pas cherchée. que le Sien ! Ta vie était tout éployée, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . tu n'avais rien à cacher, Où étais-tu, ô Mère ? rien à garder... Mais là tout simplement Et ce qu'il aimait ton Dieu où te voulait le Père, c'était cette candeur... et c'est pourquoi ils n'ont rien dit Tu croyais ! les témoins de ton obéissance. Le glaive de douleur, Et puis ils n'auraient su dire tu l'accueillerais... comment tu étais Mère, Et ce soir de la Pâque cette Mère-là, où étais-tu, ô Mère ? Souveraine comme ton Fils Ton Fils, le Fils de ta chair, que les événements ne pouvaient fléchir cet homme, Fils de Dieu, dans l'oblation tout aimante tu ne pouvais l'oublier, qui dévoilait un Amour fou, comme Il sevrait ton coeur ! l'Amour d'un Dieu C'est vrai qu'Il t'avait donné trente ans ! pour une Mère, Et tu le contemplais cet homme, une Mère libre devant son Dieu . cet homme qui fut si petit entre tes bras, eux qui fuirent et qui trahirent... cet enfant qui te fit Mère. Qu'auraient-ils pu dire Ce soir Il était sans toi, de la force de cet Amour ? dans la Chambre Haute, où Il avait rassemblé les siens. Mais Il s'appuyait sur toi, pour poursuivre Sa Mission et accomplir la Volonté du Père ! Seule dans le soir * * * sous la lampe où si souvent vous aviez communié au Mystère vivant. Tu étais près de Lui au creux caché du coeur. Dans sa solitude, je crois qu'il t'appelait, **** Il est peu dit de Marie dans les Ecritures. Et ce silence en dit long ! "Mère de Dieu"... impensable formulation : que dire ? Du mystère de Marie les Témoins n'ont pu dire. Même toi, Jean, tu ne dis rien et pourtant elle te fut confiée; il est dit que tu pris Marie chez toi après la mort de Jésus, selon son Appel. L'as-tu laissée aux soins du ménage au matin du troisième jour quand tu courais avec Pierre au tombeau ? Tu étais près d'elle au pied de la croix. Qui plus que l'autre en sa douleur avait besoin d'appui : "Voici ta Mère !" - "Voici ton fils !"? Elle ne pouvait croire à la mort de son Fils. Car elle avait cru à sa Parole, quand Il avait dit : "détruisez ce temple, en trois jours je le relèverai !" Où étais-tu, ô Mère ? As-tu vu sortir Judas ? Ou bien ignorais-tu qu'il était le traître qui tracerait le chemin de Croix ? Etais-tu absente du Jardin ? Il semble bien, car de ceux qui l'accompagnaient aucun ne sut adoucir son agonie et prier avec Lui. Je croix que tu te tenais dans le seul espace où tu pouvais Le soutenir de ton Amour, et qui est au sein des Trois : l'Adoration et l'Extase. Rien de toi ne comptait, tu étais tout entière la chair de ton Fils et Il était toute ta vie ! Nul n'aurait su te trouver sinon au lieu de Sa Présence, dans le Mystère de la communion déifiante. Le vent... Le vent courait sur la lagune, qui emplit ta voix. et je pleurais. Ne crains pas, Nul ne savait ma douleur... tu portes comme une croix Plus de mélopées joyeuses les pas titubants de tes frères, aux creux des sentiers. mais par ta douleur, C'était l'Heure venue, ils seront les hôtes de ma joie. brûlante et douloureuse Et je dis au vent : d'un réveil imprévu Dis-moi que tu es l'harmonie où la joie candide qui séduit le coeur des enfants, offre son coeur au glaive. celle qui saisit mes frères Le Maître n'était plus, quand surgit la Lumière et les siens dispersés de l'Aube Pascale. ne connaissaient la trêve de la peur Les blés son mûrs, qu'enfermés. ils sont foule, Le Vent s'arrêta et me dit : tandis que s'est levé le Bien-Aimé. "je suis le Souffle Je sais que Tu m'as saisie dont tu ne sais d'où il vient ni où il va... et c'est la source de mon chant, Pourquoi verser des larmes ? Ton Corps ô mon Amour Vivant. Je t'habite dans le feu, Ton Corps par l'Esprit qu'il me soit Pain, je suis la voie de ta naissance, pour que jamais n'en manque et la puissance de ta vie, le plus petit des tiens. Jardin fermé de ma flamme où Je te consume. Le vent caressait mon visage Et je dis au Vent : et je priais. "Esprit je sais Ton Nom, Tout était silence et je sais que Tu m'as saisie, dans la lumière dorée. enveloppée du grand Pardon Ô Maître, entendais-Tu ma voix ! de mes abandons Nul ne savait que j'étais vers Toi ! et de mes reniements. Abandonnée à l'orée du Royaume, Reçois mes larmes Ô mon Amour Vivant, comme les dernières armes ce combat corps à corps que je T'offre à l'Aurore, quand viendra le moment ? parce que je suis bénie. Tu sais que l'Aube vient. Veilleur, où en est la nuit ? Le vent courbait doucement les blés, Le vent s'arrêta et me dit : et je chantais. Je suis le Souffle dont nul ne sait Et les épis s'alourdissaient de ma musique. d'où il vient ni où il va, Nul ne savait ma joie, mais dans mon trait fulgurant et que trop lourd était mon coeur Je porte ta prière, de refrains joyeux et de délire, et par elle déferle la Lumière, de fièvre et de tendresse... comme un brandon enflammé. Venez tous, et mêlez vos voix à la mienne ! Que ton coeur ne se trouble pas. O Maître...et tu m'écoutais ? La prière est tempête, O mon Amour Vivant, elle bouleverse les vies, et Ton Coeur recueillait cette humble mélodie ! renverse les montagnes, Le vent s'arrêta et me dit : et nul ne sait que son Nom est Amour j'aime l'accord de ton chant... et qu'il fait naître un autre Jour. Je suis le Souffle dont nul ne sait Elle est aussi brise légère. d'où il vient ni où il va... Et je dis au vent : Mais je porte ton allégresse, Dis que tu es prière en moi et l'immense rumeur car je vacille. Dis que tu es feu qui embrase la terre, Ô mon Amour Vivant ! car mon coeur est froid, Sois leur Pain, consume-moi ! pour que jamais n'en manque Il porte des milliers de visages, le plus petit des Tiens ! burine en eux l'Image ! Ils sont foule à regarder la Croix, guérisseurs des blessures, mais ils ne savent pas ! Demain ils auront faim de Pain, étends Ton Ombre ! * * * Quand la Sainte Liturgie nous donne de revivre le Temps Pascal, il y a comme un grand silence, une conspiration cosmique. Le Christ a livré sa vie, Il dort, Il est livré à l'impuissance, à l'inexistence pour les siens, Il est plus que jamais le Christ Teilhardien, le Corps Total du Cosmos. C'est là, allongé sur la pierre tombale qu'Il célèbre sa Messe sur l'Univers et qu'éclate sa Puissance. Ce temps où le Bien-Aimé s'enveloppe de silence, se cache aux yeux des siens, c'est le temps de l'Esprit. Jésus l'avait annoncé comme le Paraclet, le Consolateur, Celui qui devait faire comprendre tout cet enseignement de ces 3 années... combien c'était important de comprendre pour chacun boire la Coupe ! Le vent chante l'Esprit, il est vraisemblance, haleine palpable même s'il échappe, même si nul ne sait d'où Il vient, où Il va. Le vent chante la liberté de l'Esprit. L'Esprit parle, Il console... ces 3 jours de silence sont intolérables. Il semble que tout s'arrête là... et puis l'épiclèse revivifie le Corps disloqué à l'Heure fixée par le Père. Jésus est rendu aux siens, mais la possession ne sera plus la même. Il sera présent, mais insaisissable. Jean, tu ne pourras plus lire dans ses yeux. Tu ne pourras plus pencher ta tête tout contre son Coeur. Il sera là, tout autrement, Lui-même, le même que j'ai connu et aimé, mais d'une présence intime, brûlante, tremblante, humble comme Celui qui frappe à la porte... mais Il sera là dans l'Esprit. Que je pleure parce que le ciel est devenu d'airain, que je chante parce que l'Esprit me saisit, que je prie pour répondre à sa voix, le vent impalpable passe et repasse sur mon corps, il s'introduit dans mon esprit comme le rappel d'un bruissement léger, habité. Jésus, Tu as comparé l'Esprit au Vent. Est-Il tellement insaisissable ce Consolateur, ses chemins nous restent-ils tellement inconnus, que nous ne sachions où porter nos pas pour le rencontrer ? Mais c'est Lui qui est proche, Lui qui me saisit, Lui qui m'envahit, m'entraîne et me bouscule sur ses sentiers à Lui, dans ma nuit. Et chaque fois que l'Eucharistie est célébrée, Il se tient là, baiser brûlant du Fils au Père quand le pain devient Corps et le vin devient Sang de l'Alliance. Alors dans la brise ou la Lumière dorée du couchant, l'Esprit prend un Visage qui n'est ni Celui du Père, ni Celui du Fils et que l'on ne saurait confondre dans l'intimité de la Prière. Alors de ce Sang, Coupe du Vin Nouveau, l'Esprit nous enivre pour que s'ouvrent nos yeux et s'ils nous apparaissent si inséparables c'est qu'ils s'aiment et se donnent dans leur différence, c'est que chacun contemple le Visage de l'Autre pour confirmer leur ressemblance dans leur unité sans confusion et leur diversité sans désunion. Maintenant que je T'ai vu sur le bois, que j'ai contemplé Ton Visage, voile révélateur des Trois, je ne Te dirai plus "montre-moi le Père !". Dans Ton Silence Tu m'invites : "Donne ton sang, reçois l'Esprit" ! * * * Ton Corps A peine ébauché Père sans confusion du Fils. dans le sein de Marie, Abba T'avait envoyé à peine vacillant et Tu avais dit : "Me voici !" dans ce sanctuaire élu par le Père, Ce soir dans la Chambre Haute, Tu n'étais que cela, je contemple Ton Corps d'homme. ô mon Amour Vivant ! Rien ne paraît de ce Mystère, Un petit d'homme, de l'étonnement de Ta Présence. Dieu caché, N'es-Tu pas des nôtres ? perdu en cette houle humaine Et c'est bien là ce qui est étonnant partant à l'assaut de la vie, que nous T'ayons fait l'un des nôtres, Toi, la Vie ! Toi, l'Au-delà de Tout ! Présence silencieuse de la Gloire, et Tu sembles Te prêter à ce Jeu. déferlement de l'Amour, Quelle méprise ! et qui savait ? Kyrie Eleison ! Mon coeur se brise Vois que fragile est l'homme, sur l'incroyance, il n'a pas su lire ces 3 années de vie, ô mon Kyrios ! il s'est enivré de Tes signes Aie pitié ! et de Ta Puissance De l'homme blessé, comme aux Noces de Cana. de l'homme aveuglé, Ta Présence ce soir le rassure. de l'homme révolté, T'auraient-ils suivi ces pécheurs, de l'homme écrasé, si Tu n'avais été plus que cet homme, de cet homme que Tu voulais être "L'Agneau de Dieu" ? sans bien y parvenir, Ce secret dévoilé par Jean, Kyrie Eleison ! et qui a entraîné leurs pas, Je ne doute pas de Ton Amour, n'a-t-il pas semé au coeur des Tiens je ne doute pas de Ta Puissance, une lancinante inquiétude ? je me prosterne devant Ta Kénose, Où allais-Tu ? Mystère insondable, Où les entraînais-Tu ? où me prend la crainte ! Que lourds étaient Tes silences ! Ô Toi, Abîme ma douleur ! Mais homme Tu l'étais sans la déchirure, Mais Tu jetais la semence, comme la Tunique d'une pièce tissée. Tu avais si peu d'amants ! Tu grandissais, Et vois comme il était dur en taille, en grâce et en sagesse, d'annoncer Ton Corps et Ton Sang quand la vie de l'homme se brise comme nourriture ! de faiblesses en faiblesses. Kyrie Eleison ! Le Regard du Père Ce soir il est tard, irriguait Ta Vie, Tu prononces pour les Tiens et Tu croissais, les Paroles qu'ils rediront : et Tu savais qu'avant tout autre "Ceci est Mon Corps, Il était Ton Amour, Ceci est Mon Sang !". Celui à qui appartenait Cette Joie qui brûle soudain Ton Corps d'homme et qui ne fait douter de rien ! né de Marie ! "Je suis au milieu de vous Celui qui était Toi pour toujours !" dans la Communion de l'Esprit, Malgré le reniement, Toi, et tout Autre, Kyrie Eleison ! Malgré la désespérance, Sans être marqué de notre morsure, Kyrie Eleison ! Tu savais la fragilité Malgré l'incrédulité, de nos corps et de nos coeurs, Kyrie Eleison ! Gloire à Toi ! Malgré le sommeil Toi qui nous attires et nous guéris, qui Te livrait seul Ô mon Amour Vivant ! aux affres de l'agonie, Gloire à Toi ! Kyrie Eleison ! Gloire à Ton Corps Très Saint ! Malgré la dérision sous les crachats des soldats, Kyrie Eleison ! Malgré Ta mort infâme et solitaire, Kyrie Eleison ! ****** Le Temps pascal est plus que tout autre celui de la méditation de Dieu fait homme - non pas l'Enfant de la crèche qu'Il fut, de cette enfance qui guérit l'homme - mais la méditation de cette humanité parvenue à la maturité, parvenue à cette Heure vers laquelle Jésus ne peut oublier qu'Il est en marche, parce que non seulement Il a pris chair de notre race, mais encore parce qu'Il a voulu connaître la mort. "C'est pour cette Heure que Je suis venu !". En avaient-ils conscience les siens ? Il me semble que malgré leurs lourdeurs, leur opacité, leur culture très vétuste, ils eurent du mérite à suivre Jésus et à demeurer avec Lui pendant ces trois années de vie publique. Ils avaient du mérite parce qu'il me semble qu'ayant appris à L'aimer, ils furent en même temps habités par l'inquiétude, par une certaine insécurité, une certaine précarité, par des merveilles qu'ils découvraient en Jésus. Il parlait en paraboles, et je crois qu'ils pouvaient comprendre, mais le voulaient-ils ? Ils étaient pécheurs, habitués aux tempêtes, mais près de Jésus combien ils désiraient éprouver cette sécurité que recherche tout enfant devenu homme. Ils avaient besoin de cette sécurité, sans cesse rendue précaire par les Paroles même de Jésus, Paroles souvent énigmatiques, ô combien ! Qu'ils ne comprendront que dans le feu de l'Esprit ! Et ce soir sous la lampe, je vous rejoins les Douze, groupés silencieuse passagère de la barque de Pierre ! Oh ! Ce soir-là... si vous aviez pu savoir ! Savoir le feu qui habitait Jésus, ce feu du dialogue avec le Père, dont Il voulait embraser la terre. La douce tiédeur de l'intimité dans la Chambre Haute vous suffisait. Pourtant l'Heure approchait pour vous d'être passés au crible. Jésus allait mesurer notre faiblesse. Ah ! Oui ! autour de Jésus. Vous ne saviez pas ce que je sais depuis 2000 ans que je suis devenue Kyrie Eleison ! L'un de vous préparait en son coeur les jeux de la trahison et seul Jésus savait ! Vous souvient-il d'avoir vu un peu de tristesse dans le regard de Jésus ? Comment en aurait-il été autrement ? Comment n'avez-vous pas remarqué ce soir là les Paroles de Jésus ? Ce n'était plus des Paraboles, Il parlait du Père, et Il parlait de vous, puis Il accomplit le geste du Serviteur. Malgré tout cela tout à l'heure vous dormirez, le laissant seul abandonné à la douleur. Il parachèvera sa Kénose en épousant la condition de l'homme le plus écrasé, dans la sérénité malgré tout de la Communion au Père, même un instant voilée, que traversant les eaux de la douleur, Son Esprit leur serait donné et les ouvrirait à la connaissance du Père que Tu étais venu leur révéler. ***** Le pas du soir... Affligeant cortège je me suis laissée immerger que celui qui va vers le Golgotha... dans les eaux amères de la désillusion. Quittant le trône royal Toi l'Etranger, pour réaliser le Dessein du Père, Tu es bien le seul à ne pas savoir ! Tu T'enfonces dans le mystère La Mort, la Mort L'a saisi, mon Roi, qu'est la haine au coeur de l'homme, celle qui de la Vie tue l'élan quand Tu l'as aimé, et toutes les promesses. quand Tu l'as choisi; Mort, je ne sais que ce mot ! et maintenant trois jours ont passé... Mais Tes mots me brûlent, Comment ai-je pu vivre sans Toi, reste avec moi, car il est tard, ô mon Amour Vivant ! le pas du soir Vit-il Celui qu'on a couché va vers un toit, parmi les morts ? reste et me brûle encor Ce soir m'apporte un souvenir amer, au feu des Ecritures. dans nos deux coeurs la lance a pénétré, à la Table peut-il y avoir "demain" sans Toi ? comme au dernier repas Ce soir sur mon chemin de détresse Tu viens rompre le pain, les Paroles d'un frère inconnu. Tu viens rompre mon coeur, Le pas du soir mes yeux T'ont vu, retrouverait-il l'Aurore ? mais déjà Tu as disparu... Désert que ce chemin sans feu, Que Tu es beau Buisson Ardent soudain, mon Amour Vivant ! que ces mots dans le soir. Plus jamais je ne pourrai me taire ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ? Le pas du soir À peine déchirure va vers Ta Vie ! en mon coeur appesanti ! Je me lèverai dans la nuit Je n'avais pas compris ! et je proclamerai Ton Mystère, Ah ! Mon Amour Vivant ! Jésus, Livre ouvert sur le chemin, Si Ta Lumière envahissait mes yeux, je sais ! à moi serais-Tu ! J'ai reconnu l'Amour ! Sur Tes pieds, mon Rédempteur, Jésus ! Te revoir ! je verserais mes larmes Rien n'existe plus et Tu en ferais un diadème de perles, hormis mon Amour Vivant ! ô mon Roi ! Et Tu me ferais Reine ! Ah ! Pardonne si j'ai douté, si Ton Absence a hanté mes bras vides ! * * * Je T'ai vu au gibet, et maintenant, Tu reposais. Que n'ai-je dans l'espérance guidant le pas du soir promené sur la terre une tendre berceuse ! Car Tu dormais mon Roi, et je n'espérais pas ! J'ai vu rouler la pierre sur Ton Corps-Pain de Vie ! Et de tout mon désespoir **** Tu as reconnu la route d'Emmaüs, n'est-ce pas, Cléophas ? Tandis qu'ils cheminaient commentant le désastre et les ruines, que de pensées s'agitaient dans leurs coeurs, que de souvenirs affluaient comme une hémorragie qui vide le coeur de ses ultimes espérances ! Des mois de vie commune, des jours de soleil sous un ciel sans nuages dans l'exaltation des signes accomplis avec puissance. Et pourtant homme, Il était homme ! Avec Lui on avait partagé la table quotidienne, dormi au hasard des marches apostoliques. Il avait cet attrait et ce charme d'un homme que la peur ne conduit pas. Il disait la Vérité, Il l'a dit : "Je suis venu pour rendre témoignage à la Vérité". Avec les Pharisiens Il n'était pas prudent, Il parlait trop ouvertement, mais en cela Il était combien admirable et attachant ! Oui, une force sortait de Lui ! Il faisait bon Le suivre, partager tout de sa vie. Le jeune homme riche lui n'a pas compris. Cette folie de tout quitter pour suivre un homme. Mais ceux qui L'ont suivi ont délaissé tout souci autre que de faire, sans bien le savoir, l'apprentissage de disciples. Celui d'abord de se laisser entraîner dans le mystère de cette incarnation sur laquelle ils ne se posaient plus de questions ou pas encore. Ce sera long cet apprentissage que jour après jour Tu leur prodigueras. Comme Il était plus sécurisant de ne voir qu'en Lui qu'un homme, puissant, certes, mais un homme simplement...! bien sûr, ils avaient parmi eux un certain Cephas qui avait déclaré dans l'ivresse au nom de tous : "nous savons que Tu es le Messie de Dieu !" Au milieu des jours de routine, il y avait aussi des éclairs de lucidité car eux aussi, comme tant d'autres, ils auraient pu abandonner. Il y avait les signes, l'ivresse, l'emprise de cette Volonté qui appelle, qui laisse libre, et malheureux si l'on n'adhère, mais libre quand même ! Trois ans d'une Vie commune, cela tisse des liens entre les hommes. Trois ans que couronneront l'abandon de bien des disciples, le reniement de Pierre, la fuite au coeur de la détresse, la déception, l'incrédulité : "Nous espérions..."... et maintenant, voici trois jours que ces choses sont arrivées... Ah ! Que faibles et petits, et pauvres nous sommes ! Ce soir du troisième jour, deux disciples font route. Ils quittent Jérusalem. Où vont-ils ? Est-ce la dispersion ? Et pourtant leurs coeurs sont pleins de cette douleur d'avoir perdu un être cher en qui ils avaient tant espéré : un Royaume, un être ensemble sans la douleur, sans la mort... Et Jésus, Vivant, Victorieux de la mort, sait la faiblesse de nos coeurs, la fragilité de nos engagements. Il reviendra sur nos chemins, Il nous enverra son Esprit pour que nos coeurs soient brûlants, qu'ils soient une étincelle de ce feu qu'Il désire tant allumer sur la terre... Et c'est là notre appel et notre mission ! ****** Le Pain au Tombeau L'aube naît, Et Pierre sans rien dire, mais percera-t-elle la nuit ? tu as tout compris ! Une ombre s'est glissée, Tu entends encor les Paroles du Rabbi. toute tissée des fils de l'Aurore. Et tu regardes tes mains calleuses, Elle vient déposer comme un pauvre là-bas dans la Chambre Haute, à la pierre du Tombeau, où vous allez chanter le grand Hallel. la faim qui la brûle comme un feu. Tu réjouiras le coeur des fidèles Mais le feu n'est-il pas derrière la pierre ? en rejouant les gestes du Seigneur. Le Pain n'est-il pas au Tombeau ? Ma Vie a vaincu la Mort, Tu ne peux t'en emparer, Marie ! nous en sommes Témoins. Vas-tu perdre la vie, Mais la peur serre vos coeurs, derrière la pierre, tout en pleurs ? jusqu'où iront les ennemis du Rabbi Mais la pierre a été roulée... pour crucifier le Pain de Vie ? et de chagrin tu pleures le pain perdu. Et sur vous, vous roulez Ô Toi, le jardinier me le rendras-Tu ? la pierre du Tombeau, Comment Marie ne te brûle vous verrouillez les portes mon ardent désir et posez les linteaux. de te voir consommer Et voici que le Maître de la Vie ma Chair et mon Sang ? traverse les murailles : Et Marie d'Amour déjà se rassasie, "La Paix soit avec vous !" comment son coeur l'a-t-il trahi ? Il entre dans vos coeurs Ô Rabbouni, j'avais si faim, si faim ! et en chasse la peur. La mort voilait mon coeur éperdu, Le Pain de Vie vous est rendu, comment T'aurais-je perdu, et votre coeur boit à la Joie. Toi dont l'Amour à personne ne fait défaut ? Voici : la Source vous est ouverte ! Pardonne mon égarement et nourris-moi, brebis perdue, sur Tes épaules, porte-moi jusqu'à la couche de notre Amour où s'apaise pour toujours, le feu de toute faim, ô Vie, ô Plénitude, ô Pain ! * * * L'aube naît, mais percera-t-elle la nuit ? Dans l'ombre du matin Pierre et Jean courent au Jardin. Ils veulent recueillir le Pain, promesse d'un Festin sans déclin. Mais le Pain n'est-il pas au Tombeau ? Se heurteront-ils à la pierre ? Les gardes ne sont-ils pas en faction ? Il faudrait, ô Rabbi, Ton Action, et toute Ta Puissance. Mais ô mort qu'as-tu fait de la Vie ? Et voici le Miracle accompli, la Vie a repris naissance, ô Jean tu as vu, et tu as cru ! Là sur la pierre le pain n'est plus ! * Chaque matin, ô Dieu, l'Aube naît, neuve et claire. Ses premiers rayons de lumière sont bien faible clarté ! Mais ce matin, ô ce matin, que longue est l'aube à percer la nuit... cette nuit de Ta mort, de Ta mise au Tombeau, cette nuit de ma désespérance, cette nuit de ma folie puisqu'au seuil du néant je suis venu verser les larmes de mon âme vivante, tandis que, Toi, Tu dors, ô mon Kyrios ! Parlant de Ton Corps et de Ton Sang, Tu nous as dit : "Prenez et mangez, prenez et buvez..."... Oh ! Toi sur qui j'ai versé le nard de mon Amour, je viens là, entends-moi, vers Toi je crie, vers Toi j'appelle, viens ! Oh ! Reviens ! Dis-moi, Amour, mon Christ Rédempteur, que Tu as vaincu et que je puis m'emparer du Pain au Tombeau. Ah ! Que lourds d'Amour et de détresse sont mes pleurs... Oui, frère, il arrive que, comme Marie, tu recherches ce jour, comme l'enfant avide du sein maternel. Et il semble qu'une pierre nous sépare de ce goût du Pain de Vie. Oh ! Qu'elle est noire cette pierre...n'as-tu pas alors rêvé d'un miroir où ton visage révèle Celui de l'Aimé... ? 21 Combien indigne je me sens du seul souvenir de ce goût... du goût avant l'affreuse nuit où seul, dans la cour , le feu éclairait ton Visage et Ton Regard qui tant me disait en silence : "Tes nombreux péchés sont pardonnés, parce que tu as beaucoup aimé !". ô Kyrios de mon Amour, puisses-Tu me dire ces tendres mots, criant à tous les vents le souffle brûlant de Ta miséricorde ! Mais la pierre a été roulée... c'est le trou béant de la Mort... "Ô Père, éloigne, qu'il Te plaise d'écarter loin de moi cette Coupe de voir morte l'espérance et la confiance et l'Amour, séparé à jamais de l'Aimé !" Oh ! Mon Pain perdu, que n'ai-je su te prendre en moi, être son Tombeau Vivant. Qu'elles tombent mes larmes inondant de ses chutes toutes les terres assoiffées ! Mais qui es-Tu, Toi qui me parles, Toi que je ne cherche pas, Toi qui as voilé la Lumière de mes yeux ? Dis-moi, où brille-t-elle cette Lumière ? C'est ainsi que tu marches à chaque aube nouvelle, cherchant, quêtant un reflet nouveau dans la vieille clarté du monde. Le moine, comme le baptisé, tout baptisé, quête cette Lumière éternelle, dont sa vue doit être le reflet. Il perd aussi le goût au Pain au Tombeau. Il perd le goût de cette aube retrouvée où Il pourra rejouer chaque nouveau jour, le repas de la Pâque au rythme du Hallel. Ah ! Mon Christ, que Te voir, que de saisir Ton Corps blessé, me consume de tendresse et d'Amour éperdu ! Comment puis-je si souvent desserrer l'étreinte ? "Je ne te lâcherai pas..." disait Jacob. Vois ma détresse, ô ma Source, et ma Paix ! Mon coeur m'a trahi parce qu'il s'est tourné vers l'idole et Tu étais Celui que tant et tant je cherchais de fièvre me consumant. Oui, j'avais si faim, ô Rabbouni et Tu n'étais plus... entends-moi, je T'avais perdu, Toi l'Aurore et le Couchant de ma vie ! Seule se dressait devant moi mon Amour Vivant ! Comment peux-tu ainsi retenir prisonnier le Maître de la Vie ? Je t'aimerai, ô mort, si à nouveau tu nous unis ! Je ne connais pas ton visage, ô mort ! Je te sais souveraine, toi qui tranches sans égard les trames de nos vies... peut-être n'es-tu que le sommeil béni de l'Amour accompli, de l'Amour consommé et qui passe au Royaume de la Joie ? Quel est donc ton visage ? Mais tu fus vaincue, ô mort, lorsque résonna ce seul mot : "Marie !" Vaincue, tu l'es depuis que s'est levé mon Rédempteur ! Comment ai-je pu penser que je T'avais perdu ? Ô Rabbouni, je n'ai pas cru en Toi, en Ton Amour, en Ta puissance, en Ton assurance dans la Promesse du Père. Apaise maintenant ma faim, ô ma Plénitude d'Amour sanctifiée par la Coupe bue jusqu'au bout. Et vous, Pierre et Jean, nos sentiments habitent-ils vos coeurs ? Il est mort l'humble et fier Galiléen. Rappelle-toi, frère, comme Il se tenait debout, tout droit drapé dans son silence, devant ses juges... nos vies ne se trouvent-elles pas traduites devant des juges sans miséricorde ? Puissè-je laisser tomber sur mes lèvres le voile de Ton Silence, Kyrios de Gloire ! La Vie a renversé la Mort d'un flot bondissant ! Elle anéantit la justesse des calomniateurs, elle justifie les pauvres, les petits, elle met sur leurs lèvres les paroles murmurées par l'Esprit. C'est ce murmure qui éclatera sur la Vérité comme la pierre roulée au Tombeau éclata sur l'absence du Rabbi-gisant. L'étoile s'est dévoilée et comme à la nuit de Noël, elle nous guide vers Ta Lumière, vers Ta Présence ! Adoramus Te ! Glorificamus Te ! Kyrios de notre Amour ! Oh ! Ce pauvre amour, je voudrais que mêlé au Pain, il soit rompu de Tes Mains ! * * * Ma part de souffrance Comme une croix Tu l'as posée sur mes épaules cette douleur, la même croix posée sur Tes épaules... Quelle distance dans la souffrance, et cependant combien proche es-Tu ! Elle est cette douleur comme Ta Voix, tout au fond de mon coeur en son exil ! Elle est comme Ta Main sur ma tête d'enfant, Promesse du Royaume L'ai-je reçu comme Tendresse et de Ton Pain ! le couchant de Ton Sourire Elle est cette douleur sur ma mort ? l'écho de Ta Tendresse, N'ai-je pas porté le bois ? baignant toute détresse Ai-je bien suivi Ta Voie, en sa candeur ! O mon Kyrios ? Elle est ma part de souffrance en bon soldat du Christ ! L'ai-je portée dans un sourire ? L'ai-je tenue comme un Flambeau ? Ai-je reconnu Ton Sourire, dans ma part de souffrance, ô mon Kyrios ? Comme la mort Tu as saisi mon corps le clouant sur le bois, comme Ton Corps saisi par la mort ! Elle a pesé sur moi cette arme de silence. Par Ton grand cri Tu l'as vaincue : "J'ai soif !" Et moi je n'ai rien dit, rien d'autre que Ton Cri ! Il est à moi, * * * il est mien, il m'est besoin pour affronter la mort. Que craindrai-je ? N'as-Tu pas dit : "J'ai soif !" Ai-je attendu l'Eau Vive ? Ce que Tu dis est fait ! Prends ta part de souffrance en bon soldat du Christ ! * * * * Chaque jour et chaque nuit, Tu l'as posée sur mes épaules cette poutre de bois qui blessa Ton Corps très Saint ! Oui, ô mon Créateur, Témoin de ma chute et de mon orgueil, ce n'est que justice. Pour Te voir à nouveau, non de dos, mais de Face, je dois fléchir sous la lourdeur de Ta Croix, celle du Fils, la Tienne, ô Dieu, mon Dieu impassible, mon Dieu loin de portée de la douleur... oh ! Mystère que Ton Amour, que Ton Etre... Quand je m'abandonne entre les bras du Père, j'oublie le poids de ma Croix, le poids de ma part de souffrance. Toi aussi, ô Fils Unique de l'Eternel, Trine et Unique, Tu as pris Ta part de souffrance ! N'était-elle pas pleinement injustifiée cette souffrance ? Celui qui avait été jugé pour ses crimes, prononcera l'ultime jugement : "c'est justice pour nous, mais Lui n'a pas commis de mal !". Etait-ce in juge ou un enfant ? Le Royaume est entre les mains de ceux qui leur ressemblent et leurs coeurs en envahissant les demeures éternelles. Et avant de fermer les yeux, il emporta la divine Promesse, non vaine, ni obscure, mais tranchant d'un trait fulgurant d'Amour, l'oeuvre de la mort : "Aujourd'hui même, tu seras avec moi dans mon Royaume !" Au plus fort de la douleur, quand tout et tous m'abandonnent comme il en fut de Toi, Rabbouni, il reste sur mes lèvres un cri... oh ! Ce cri ! Combien il faut avoir traversé de déserts pour le crier dans un dernier sursaut : "J'ai soif !" Oh ! Frère, pour bien comprendre tout le contenu de ce cri, il faut que tu saches la soif. Soif d'une eau pure et claire, soif d'une main qui serre la tienne, soif de poser ta tête contre le coeur d'un véritable ami, serviteur de l'évangile, soif de l'affection des tiens, toi qui peut-être es seul, si seul que tu connais ce cri : "J'ai soif !". Mais comme le Maître, tu connaîtras la trahison : "ô toi, mon ami, mon compagnon, qui partageais avec moi la douce intimité dans la Maison de mon Dieu, tu as levé le talon contre moi !" Oh ! Qu'il est dur d'être trahi : "C'est par un baiser, Ami, que tu me livres ?". ah ! Que de baisers-trahisons dans nos vies ! Que de mots piégés ! Mais, mon Amour Vivant, rayonnant de Gloire pourquoi cette mère décharnée porte-t-elle entre ses bras le fardeau sans vie et sans prix de son enfant, lui qui n'a pas eu sa part de pain ? Pourquoi, dis-moi, arme-ton de fusils des mains faites pour se serrer ? Des mains faites pour scander les danses de louange ? Pourquoi, oui pourquoi, ai-je si soif d'aimer, d'être une source, d'être celui qui s'abreuve à cette Source ? N'as-tu pas offert l'oblation une fois pour toutes ? Pourquoi faut-il que le drame de Ta mort se rejoue dans nos vies... ? de Ta mort, de Tes souffrances, de Tes harassements, de Ta soif de retrouver l'intimité avec le Père et l'Esprit, de la tentation d'établir ici-bas Ton Règne et de voir ainsi accompli sans brisure le Dessein du Père ? Mais il était trop tôt : "Mon Heure n'est pas encore venue !" Mais mon Christ, quelle est-elle cette Heure ? Fallait-il que Tu la subisses ? Oui, comme le dit le Prophète : "Toi, Tu trônes éternellement, et nous sans cesse nous périssons !" Pourquoi, oh pourquoi ? Mon Père Bien-Aimé, je me prosterne devant Toi la face dans la poussière qui seule est digne de recevoir le baiser de mes lèvres, bien qu'elles aspirent à retrouver les lèvres du Bien-Aimé au repas de la Coupe et du Pain ! Ce que Tu veux prélever de mon argile pour l'unir à la souffrance de Ton Unique, prends-le! "Père, non pas ce que je veux, mais ce que Toi, Tu veux !" Ainsi priais-Tu mon Kyrios, baigné de sang et saturé de déchirures, ainsi prierai-je jusqu'à la fin, ma voix dans Ta Voix, mon corps uni au Tien, sur l'unique couche nuptiale de la Croix en cet exil ! Ta part de souffrance, immense comme les Océans et les monts inaccessibles, il fallait qu'elle vienne éclairer la nôtre et la conduire à son achèvement. * * * Une heure avec Toi ! Qu'ils sont lents nos coeurs à croire ! et cette peur, Ô mon Seigneur et mon Roi et cette angoisse ! ne verse pas en moi Ton amertume, Ah ! Je n'ai pas su puisque dans ma faiblesse prier une heure avec Toi ! Tu m'as aimée ! La nuit est noire, Quand ils auront roulé la pierre, mais qu'il Te soit dit en mon coeur me souviendrai-je ? que je T'aime ! Que de regrets feront l'assaut O mon Amour Vivant ! de ma tendresse, Ô Joie inaliénable ! je n'ai pas su veiller Elle n'est que d'un instant une heure avec Toi ! la douleur de mettre au monde, Je T'ai renié devant le feu, elle n'est que d'un instant ce feu que Tu voulais allumer, ma détresse ! ce feu qui Te brûlait, Ce soir, il faisait chaud près de Toi, ce feu qui me brûlait ! il faisait bon rompre le Pain J'ai blessé Ton Amour, et du Vin s'enivrer à la Coupe ! saura-t-il guérir ? C'était la douce fête J'ai tout compris dans Ton Regard, de l'intimité, Ta compassion devant ma détresse, le visage abîmé sur Ton Coeur... Ta Volonté de Te vêtir de ma faiblesse, Oh ! en cet instant, O mon Amour Vivant ! quel abîme ! C'est Toi qui allais vers la mort ! Saisir un peu de Ta détermination, Et Tu guérissais ma blessure, saisir un peu de Ton angoisse, et de loin je contemplais les Tiennes ! saisir un peu de Ta peur ! Ah ! Quelle impuissance en moi ! Ô Fils de l'homme, Homme comme nous ! Toi que l'on torturait ! Et j'avais peur soudain, Toi qui T'offrais ! et j'étais angoissée, Et c'était pour les Tiens ! Judas était sorti de nuit... Pour être près de Toi, Était-il possible que n'ai-je su veiller une heure qu'il s'en alla quérir des chaînes avec Toi pour Toi, mon Dieu ? maintenant que pour laisser place à l'Esprit Et maintenant c'était Toi Tu es remonté vers le Père ? qui m'entraînais dans la nuit jusqu'au Jardin ! Tu avais rendez-vous et je ne savais pas ! C'était avec Ton Père... Du baiser de Judas, * * * et des lances, et des soldats, il n'était pas besoin pour dire : "Oui, Père !" C'était pour moi que Tu jouais Ta Passion, c'était pour moi qu'ils se liguaient contre Toi, ô mon Amour Vivant, ô Fort, ô Vainqueur ! C'était pour moi cette sueur de sang ****** O mon Amour Vivant ! Qu'est-ce qu'une heure ? C'est si court, si court quand on a vécu trois ans avec Toi... si long maintenant qu'au Tombeau Tu reposes ! Après la douceur de ce repas si plein de Ta chaude Présence, Tu nous as entraînés au Jardin, Tu nous entraînais au lieu de la trahison, au lieu de l'arrestation. Oh ! ces liens enchaînant Tes Mains qui guérissaient, qui bénissaient... ces Mains de la Création de tout être au monde, et de l'Univers Total ! Mais tandis que Tu priais dans l'angoisse, que Ton Sang très Saint submergeait notre terre, oui, mon Amour solitaire, nous dormions ! Ô mon Christ, pourquoi as-Tu souffert de mon sommeil ? Comment pouvais-Tu ignorer que dans mon sommeil, elle continuait de brûler la lampe de mon Amour pour Toi ? Devant Toi, mon Christ esseulé, je me prosterne dans la poussière ! C'est Toi seul l'Objet de mon Amour, de toutes mes pensées et de mes rêves ! Ne T'ai-je pas dit : "Je T'aime !"... Pourquoi n'as-Tu pas cueilli cette humble fleur tandis que je dormais ? N'as-Tu pas senti mon angoisse devant Ta marche inéluctable vers l'accomplissement ? Ce soir ne ressemblait à aucun autre... soumis, Tu ordonnais, Tu commandais les événements, parce que Tu savais que là était Ton Heure et la Volonté du Père ! Oui, qu'est-ce que l'homme ? Pilate l'a dit, lui qui ne savait pas : "Voici l'homme !". Qu'il était pitoyable mon Amour pour Toi, tandis que tant Te blessaient la trahison, le jugement sommaire, cette curiosité devant la splendeur de Tes Signes ! Mais Tu n'étais pas un magicien ! Tu ne fis aucune démonstration de Ta Puissance, sinon par Ton Silence ! Ils croyaient Te traîner au lieu du supplice, mais c'est Toi qui entraînais Tes bourreaux ! C'est vrai, ce soir-là, combien elles étaient lourdes mes paupières... Tandis que Tu étais livré à l'angoisse et que Ta Prière montait à l'assaut des seuls bras du Père qui pouvait éloigner la Coupe, mes lèvres restaient fermées, comme mes yeux ! Et pourtant comme j'aurais dû m'imprégner de Ton Corps affaissé, se confondant avec les lourdes pierres et la poussière ! Je n'ai pas su pendant une seule heure mêler mes pleurs aux Tiens et mes supplications... Oui, j'avais peur... Comment comprendre Tes actes, Kyrios Eternel ? Je T'ai trahi devant le feu, et j'ai creusé l'écart, cet abîme entre Toi et moi, Rabbouni, que Tu avais comblé par Ton Incarnation très Sainte! Cet abîme qui jetait mes pères dans la poussière lorsque Tu les précédais dans le désert, dans le Rocher-Source, dans la Colonne de feu, dans la Mer ouverte, et le rayonnement de leur Libérateur, ton serviteur Moïse, dans toutes Tes actions éclatantes pour l'Amour de Ton Peuple Israël ! Le temps était alors venu de l'accomplissement de la Promesse faite à mon père Abraham, c'était l'Heure du sacrifice de l'Unique et je n'ai pas su combler l'écart à mon tour en m'offrant comme l'agneau du Sacrifice... mais dans Ta Splendeur, dans Ton Amour, Tu m'as rendu cette Heure du sacrifice, Tu m'as plongée en lui, Tu m'as tracé le chemin pour Te suivre ! Tu as comblé l'écart, oui, dans Ta Miséricorde et au sein du Feu purificateur Tu m'as donné une descendance, Tu m'as rendu Ta Présence, à travers Tes blessures, bien avant le Matin de Gloire vers lequel, en portant mon fardeau, j'avance en Te chantant ! Soeur Mariam-Jacob, Moniale.
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