La chance du petit Prince
J'avoue que bien souvent, j'envie la chance du petit Prince, et je me dis que c'est plutôt rare que de rencontrer au coeur du désert, un homme tombé du ciel avec un drôle de tas de ferraille qui vole et qui est blessé à cause des failles de la technique. J'ai cherché un homme comme celui-là, Antoine de Saint--Exupéry, propriétaire d'un regard capable de voir dans le désert un petit Prince, aux cheveux blonds comme les blés qui frissonnent en embrassant le soleil et qui te promettent qu'à cause de ce baiser tombé du haut de l'Univers, tu auras toujours du pain pour demain. Et si tu regardes bien ces vagues frissonnantes qui dansent au rythme d'un chant qui ne vibre que pour elles, tu finiras par entendre qu'elles évoquent des rivages au sable doré qui sait compter les étoiles; elles te porteront très loin dans des îles ignorées où tu trouveras au coeur du rêve, des coquillages aux beautés merveilleuses et nacrées, où le Créateur a enfermé la mémoire de toutes les rumeurs - chants de joie ou de deuils, chants de défaites ou de victoires, premiers cris de la vie et devoirs des pleureuses accompagnant les voyageurs des fleuves de l'autre rive, remontant vers l'Origine -rumeurs de mondes cachés et vivants qui attendent l'extase des enfants dans leur écrin sauvage ! Si tu reviens le soir, tu surprendras le vent qui, pour tendre les voiles de la nuit, envoie ses amazones; de leurs pieds légers, portés par le souffle caressant du vent, elles dansent en chevauchant les ondulations qui modulent des polyphonies pour réveiller les princesses endormies depuis le premier crépuscule.
J'aimerais aussi rencontrer cet homme qui saurait retrouver un coeur d'enfant et me dessiner une boîte, et dedans une clé merveilleuse qui aurait le pouvoir d'ouvrir toutes mes questions, une clé qui me permettrait d'entrer au coeur de mes interrogations... toutes celles que me posent les humains qui vivent sur ma planète... et qui me donnent parfois l'impression d'y être une étrangère, et si vous le voulez, je vous dirai pourquoi un jour. Peut-être aussi que je pourrais lui demander de me dessiner un Ami qui aurait une voix avec des cordes qui sauraient vibrer avec la mienne, sans discordance, une voix dont les inflexions épouseraient ma mélodie, pour sceller l'Union qui suscite cette force qui ébranle les murs infernaux du mensonge et de la guerre, et qui fait jaillir la Vérité, cette Eau Vive cachée au coeur du désert et qui fait sa Beauté. Je posséderais alors un ami qui serait unique pour moi et qui aimerait mon chant et saurait le comprendre sans avoir à briser le Silence. Quand on aime le Silence, quand on sait le laisser exister, sans froisser la transparence de ses flèches sculptées par les anges, capables de s'élancer dans les hauteurs et de nous porter au-delà des étoiles, jusqu'à ce Sanctuaire inaccessible de l'Amour, où Dieu garde le Livre de Vie dont les pages vivantes portent gravées par le Silence, ton histoire, la mienne, et celle de chaque vivant qui a un jour foulé la terre, avec son mystère, sa mélodie et les splendeurs recueillies par son regard qui parfois peut faire battre le coeur de la Beauté et l'émouvoir de sa caresse oblative.
Enfin... je rêve ! Je rêve ! Je ne suis pas le petit Prince et Monsieur de Saint-Exupéry est reparti avec lui. C'est déjà une chance que de savoir qu'il existe un petit Prince et qu'il est possible de retrouver sa trace en écoutant les roses, les blés dorés, les renards, les allumeurs de réverbères... Oui, c'est déjà une chance, mais souvent j'ai tendance, je l'avoue, à me dessiner une caisse où je pourrais m'enfermer et oublier ce que je vois sur ma planète, parce que, bien qu'elle soit très peuplée, je ne trouve personne pour chanter avec moi. Je n'ai même pas une rose qui me serait unique et dont je serais responsable, personne qui sache me parler sérieusement du petit Prince, ou de la rose, des blés, du renard... Les humains qui sont mes semblables ne donnent pas de rendez-vous comme le renard, car la profondeur et la sincérité de leur amitié sont mesurées par la position des aiguilles de leurs montres et le montant des honoraires que des comptables passent leur temps à "comptabiliser", et des banquiers, à gérer et à faire "fructifier" disent-ils...; bien sûr, les blés existent toujours, le soleil aussi, mais ces humains-là qui ne veulent pas perdre de temps à s'habiller le coeur pour préparer un rendez-vous, parce que, disent-ils, "le temps c'est de l'argent"... n'ont rien à faire du baiser du Soleil qui fait frissonner les blés dorés et qui évoquent les cheveux blonds d'un ami unique. La raison de ce drôle de regard c'est que les blés dorés ne sont que des sources de profits, et pour en augmenter la récolte, ils tuent leurs amis les bleuets et les coquelicots qui avaient leurs manières bien à eux de faire rêver les blés, car les rêves sont donnés gratuitement à tout ce qui vit. Les moyens de "culture intensive", c'est-à-dire d'enrichissement intensif des puissants, ont amené les humains à inventer des parfums tueurs bien à eux, appelés pesticides ou insecticides, et autres noms très compliqués, de ces mots qui ne sont pas prononcés dans le silence parce qu'ils risqueraient aussi de tuer les mélodies des innocents, de ceux-là seuls dont l'histoire sera gravée et portée au-delà des hauteurs et des étoiles, avec des encres dorées, qui feront éternellement penser aux blés que fait frissonner un baiser chaud !
Enfin si je pouvais rêver, et même si mon rêve n'intéresse personne, je voudrais que Monsieur de Saint-Exupéry revienne, tel que l'histoire l'a offert à mon écoute émerveillée, lui qui était capable de comprendre qu'un petit Prince, qui est un innocent comme le Créateur les aime, et comme il en existe sur toutes les planètes, même très petites, ça préfère qu'on lui dessine un vrai mouton à l'intérieur d'une boîte, avec des trous pour qu'il respire, afin que ses yeux puissent le voir tel que son rêve le crée et que son amour le fait exister, d'une vie libre et non tel que le définit l'Union Européenne ! J'avoue que je vis mal parmi mes semblables - si tant est que l'on puisse être un "semblable" quand on est "unique"... - Si mon rêve pouvait se réaliser et s'il avait un "sens" dans la réalité où m'enferme "l'Union Européenne", je ferais le souhait que Monsieur de Saint-Exupéry me dessine une autre caisse - si ce n'est abuser de sa patience - et à l'intérieur, l'Europe telle que la rêvent des hommes "libres". Une Europe qui ne verrait dans le mouton qu'un ami très rare, et non une raison de créer des écoles de comptabilité et des Banques pour imprimer des billets, qui permettent de transformer les moutons en laine, en gigots, et autres plats que mon coeur a du mal à évoquer, et qui remplissent de satisfaction des "carnassiers", bien qu'en fait les humains disent plutôt "gastronomes" pour dissimuler que dans des temps trop oubliés ils étaient en réalité ce qu'on appelle d'un nom très difficile... je crois que c'est "cannibales"... ils inventent des légendes qui racontent des histoires à effrayer les enfants pour leur faire croire que ce sont les loups qui mangeaient les hommes ! Mais, si j'en crois la lumière de mes yeux, je vois que les humains n'aiment pas les animaux. Ils ne cherchent pas à les rendre heureux, mais à en faire des produits générateurs de profits. Ils forment des cuisiniers qui par leur savoir, sauront apprêter, selon chaque espèce, la viande des animaux assassinés et souvent torturés, pour le seul plaisir des "gastronomes". Par conséquent, comme les moutons sont mes amis, et aussi les amis des "végétariens", je ne peux pas aimer les "gastronomes" ! Ces espèces-là ne veulent pas savoir ni éprouver ce qu'est le monde de bonheur que peut créer l'amitié d'un mouton très rare, parce que c'est celui-là et qu'il est unique ! Je crois que c'est très grave parce que quand on ne comprend pas ce qui fait qu'un mouton est unique, on ne comprend pas non plus qu'un homme, un enfant à naître, ou encore impuissant, est aussi "unique" et qu'ils ont des droits et une liberté qui exigent que même ceux qui se sont laissés asservir par l'argent, en soient respectueux !
De même l'homme cultive des roses, parce que, comme le petit Prince,il apprécie leur beauté. Mais ce n'est pas la beauté unique d'une rose qui les attire, mais seulement les billets que rêve leur cupidité en les contemplant. Alors, pour eux, il n'y a pas de rose qui soit unique et dont tu sois responsable, que tu doives protéger avec une cloche pour qu'elle ne s'enrhume pas à cause de la fraîcheur de la nuit, et tu n'as pas à écarter les escargots gourmands qui abîment leurs pétales si délicates et parfumées ! Elles naissent alors en colonies, en séries, et les hommes leur donnent des noms selon leur espèce, qui ne respectent pas leur dignité, et quand ils les nomment, elles ne se sentent ni aimées ni uniques, parce que ces noms évoquent des personnes célèbres qu'ils veulent honorer avec une Beauté qui n'est pas leur propriété.
Et c'est ainsi que je n'aime pas cette Europe qui ne prépare pas pour les enfants une terre où ils pourraient rire et lancer jusqu'aux étoiles les mille clochettes qui tintaient dans le rire du petit Prince, et dont Monsieur de Saint-Exupéry a su me donner une nostalgie qui éclate parfois comme un souvenir sonore de ces clochettes rieuses que j'aurais réellement entendues.
Alors, à cause de la rose du petit Prince, j'offre au Silence un "requiem" qu'il grave tout là-haut dans le Livre de Vie et qui garde la mémoire et l'histoire des roses sacrifiées, pour parfumer des vaniteuses, et dont les hommes enferment l' "esprit" dans d'affreux flacons. Je chante un "requiem" pour chaque rose, qui se fane de désespoir, parce qu'elle n'a été unique pour personne, et dont l'amour et la beauté ont été volés et sacrifiés pour servir les puissances du mal et de la mort.
Je dédie ces lignes à la mémoire d'une Europe "possible", que la cupidité des puissants, puissance usurpée d'ailleurs, n'a pas laissée naître, pour préserver, disent-ils, leur liberté. À la mémoire des innocents de tous les univers pour qui elle aurait pu être une Patrie d'asile où auraient pu cohabiter des enfants et des adultes, des moutons et des loups, des renards et des poules, des nourrissons et des cobras, le blé d'or et l'orge brune, où chaque enfant aurait pu posséder une rose et lui donner assez d'amour pour qu'elle vive seulement pour offrir sa Beauté et dire la grandeur du Créateur qui la connaît par son nom, une Beauté qui ne serait pas la victime de la convoitise et de l'industrialisation. À la mémoire de toutes les victimes des routes européennes, celles dont la vie a été interrompue avant le point d'orgue de sa symphonie, parce que des "européens" indignes, se sont accaparé une liberté décrétée par leur égoïsme qui leur confère assez de bêtise pour imaginer qu'ils sont seuls à détenir le droit d'exister, et aussi pour ces innocents bien spéciaux, ces innocents "à naître", qui menaçaient des libertés qui n'existent qu'en exterminant des libertés légitimes, la leur, et dont ils n'ont pu jouir, parce qu'ils n'ont pas pu venir à l'être malgré l'appel puissant de la Vie, et pour toutes ces victimes des systèmes, des idéologies confuses, et des intérêts des puissants, une puissance qui tient son pouvoir esclavagiste , d'ivresses défendues dans les sources épuisées du sang des faibles et des orgies sataniques.
Je rêve d'une Europe qui serait telle que tous les enfants pourraient apprendre que le désert est beau, seulement parce qu'il cache un puits quelque part et que cette Eau qu'il recèle secrètement est la VIE, qui aimante et guide la marche et la quête des hommes dignes de ce nom, parce qu'ils sont des petits Princes qui ont "poussé" en taille et en sagesse, et qui ont gardé au coeur cette science innée qui chante en eux, cette éternelle et universelle Vérité, que "l'Essentiel est invisible pour les yeux, et qu'il faut voir avec le coeur !".C'est un Dieu, devenu petit Prince des Peuples qui l'a dit.
Le 15 août 2000
Soeur Mariam-Jacob, Moniale.