CHAPITRE XX

 

La Foi

 

 

1. La foi vraie consiste à croire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul vrai Dieu, et qu'en ces trois personnes il n'y a qu'une indivisible nature divine, une gloire égale et une coéternelle majesté. Chacune des trois personnes est incréée, infinie, éternelle, souverainement bonne, sage, toute-puissante, Dieu et Seigneur. Il n'y a cependant pas trois incréés, infinis, éternels, bons, sages, tout-puissants, ni trois dieux, ni trois seigneurs ; mais un seul incréé, infini, éternel, bon, sage, tout-puissant ; un seul Dieu et Seigneur. En ces trois personnes, aucune n'est avant ou après une autre : elles sont coéternelles ; aucune n'est plus grande ni plus petite : elles sont égales en tout et par tout ; elle diffèrent seulement par leurs propriétés : le Père n'est pas engendré, il ne tient son origine de personne ; le Fils est engendré du Père, lumière de lumière, Dieu vrai de vrai Dieu ; l'Esprit-Saint n'est pas créé, il n'est pas engendré non plus : mais il procède également du Père et du Fils.

La vraie foi nous ordonne également de croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, né du Père, éternellement, selon sa divinité, né d'une mère, dans le temps, selon l’humanité. Il est, en tout, égal à son Père, selon la divinité. Il a pris une âme, du néant, et sa chair, du sang très pur de la Bienheureuse Vierge Marie. Impassible et immortel selon sa nature divine, il est selon l'humanité, sujet à la souffrance et à la mort.

 

2. De même, celui qui a la foi véritable, c'est fermement qu'il croit et sans aucun doute tous les articles de foi, les sept qui concernent la Divinité de Jésus-Christ et les sept qui ont rapport à son humanité (1).

 

3. Pour nous exciter à croire, nous avons la foi des anciens croyants : Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, etc. ; même de ceux qui n'étaient pas de la race des croyants, mais du pays des infidèles : Job, Rahab la femme de mauvaise vie (Josué, ch. 2 ; ch. 6, v. 22 et 23 ; épitre aux Hébreux, ch. 11 v. 31), et d'autres encore. C'est par la foi que tous les ancêtres ont été agréables à Dieu, et sans elle plaire à Dieu est impossible (Hébr., ch. 11, v. 6).

De plus, il y a les avantages de la foi : la vraie foi est toute-puissante, elle obtient tout ; Notre-Seigneur Jésus-Christ nous l'a attesté : « Tout est possible à celui qui croit » (Marc, ch. 9, v. 22) ; « Tout ce que vous demanderez dans la prière, croyez que vous l'obtiendrez et cela s'accomplira » (ch. 11, v. 24) ; « En vérité, si quelqu'un dit à cette montagne : Ôte-toi de là pour te jeter dans la mer, et s'il ne doute pas dans son cœur, mais s'il croit que ce qu'il dit arrivera, cela se réalisera » (v. 23). Ainsi, à la prière d'Alexandre (2), les Monts-Caspiens se réunirent en une seule masse (3).

 

4. Une preuve de la vraie foi, c'est l'exercice fréquent des œuvres vertueuses, car de même que le corps n'a plus de vie sans l'âme, ainsi « la foi sans les œuvres est morte » (Jacq., ch. 2, v. 17).

 

5. Ne pas croire à l'Écriture universellement, mais penser que tout arrive par hasard ou suivant le cours de la nature, et non conformément à la Providence de Dieu, c'est une preuve qu'on n'a pas la foi véritable. De même, selon saint Jean Chrysostome, « celui-là ne croit pas vraiment que Dieu existe, qui fait secrètement, sous le regard de Dieu, ce qu'il a peur de faire publiquement en présence des hommes » (4). Et d'après saint Jérôme, « celui qui craint de mourir dans l'état où il a l'audace de vivre, n'est pas un vrai chrétien ».

Hélas ! Il y a eu beaucoup d'hérésies autrefois (5). Saint Jérôme (6) dit à ce propos : « Nous autres, nous reconnaissons que nous sommes libres, tout en affirmant qu'il nous faut toujours le secours de Dieu. Ils sont tous dans l'erreur, et ceux qui, avec le manichéen, prétendent que l'homme ne peut pas éviter le péché et ceux qui assurent, avec Jovinien, que le péché est impossible à l'homme. Voici, au contraire, ce que nous disons, nous : l'homme a toujours la faculté de pécher, et il est aussi toujours en son pouvoir de ne pas pécher. »

 

 

(1) Où trouver ces sept vérités concernant la divinité et l'humanité de Notre-Seigneur ? Peut-être dans la longue énumération précédente des mystères de la foi ? On en compterait bien sept, qui regardent la divinité de Jésus, mais quatre seulement proposent à notre croyance la réalité de son humanité. Il semble plus, probable que cela fasse allusion à une profession de foi, une sorte de symbole populaire, comme il y en avait au Moyen-âge, qui résumait en deux groupes de sept formules brèves le mystère de l'incarnation. Le P. Truillet supprime la difficulté et son intérêt, il traduit simplement : « le vrai fidèle croit fermement tous les articles de ce grand mystère (dans le texte, il y a : tous les articles de foi), et ceux qui regardent la divinité et ceux qui regardent l'humanité sainte de Jésus-Christ » (p. 148) (édition du P. Berthier, p. 122).

(2) Pourquoi aller chercher cet exemple chez des païens ? (Nous avons un fait qui se rapproche davantage de la parole évangélique, dans la légende de S. Grégoire le Thaumaturge : sa prière fit déplacer une montagne qui empêchait de bâtir une église.) Sans doute, pour renforcer son argument, l'auteur paraît sous-entendre : « à plus forte raison, Dieu exaucera-t-il les prières des croyants ».

(3) Le P. Truillet a omis cette dernière phrase. Voici l'épisode tel qu'il est raconté dans l'Histoire Scolastique de Pierre Comestor, (au livre d'Esther, ch. 5) : « Lorsque Alexandre arriva aux Monts Caspiens (qui séparent l'Arménie de la Médie), les juifs des dix tribus captives lui envoyèrent une délégation. Un décret leur défendait de sortir ; et ils faisaient demander à Alexandre la faculté de retourner chez eux. Celui-ci s'informa du motif de leur captivité, et il apprit qu'ils avaient manqué de fidélité au Dieu d'Israël en offrant des sacrifices à des veaux d'or, et que des prophètes avaient prédit qu'ils ne reviendraient pas de l'exil. Là-dessus, le roi Alexandre leur répondit qu'on les enfermerait d'une façon plus étroite encore. Et pendant qu'on bouchait les défilés avec de grandes constructions enduites de bitume, il se rendait bien compte que le travail des hommes n'y pourrait suffire, et il demanda au Dieu d'Israël d'achever l'ouvrage. Alors, les pics des montagnes se rapprochèrent, et il n'y eut plus de passage en cet endroit. Évidemment, Dieu ne voulait pas la sortie des Juifs... Mais, comme le dit Josèphe, « si c'est pour un infidèle que Dieu a accompli un si grand prodige, que ne fera-t-il pas pour ses fidèles ? » (P. L., t. 198, col. 1498.)

L'histoire scolastique, œuvre de Pierre de Troyes, plus tard chancelier de l'Église de Paris, mort en 1178 ? (on l'appelle Pierre Comestor, à cause de son grand zèle à s'instruire : il « dévorait » les livres), fut longtemps le seul manuel d'Histoire Sainte en usage dans les écoles.

L'auteur du Paradis de l'âme amène en exemple, sans explication, la prière d'Alexandre. Il la supposait connue de ses lecteurs. Ceux-ci avaient sans doute appris la chose dans l'Histoire de Pierre Comestor.

(4) Le P. Berthier (p. 124, note 1) indiquait comme référence l'homélie sur le psaume 13. On n'y retrouve pas le passage en question. (Cette homélie n'est pas de saint Jean Chrysostome. P. G. t. 55, col. 550-558)

(5) L'auteur ne se soucie pas autrement de rattacher ce paragraphe aux développements qui précèdent. Il doit s'agir, dans la première citation de saint Jérôme (qu'on n'a pas retrouvée), non de l'état de péché en général, mais du péché d'hérésie (péché contre la foi). La liaison est si peu apparente que le P. Truillet a cru bien faire d'y suppléer de cette façon : « De l'infidélité sont nées toutes les hérésies, celles surtout qui ont nié le libre arbitre. Oui, nous proclamons que l'homme est libre, mais qu'il a toujours besoin du secours de Dieu », etc., p. 150 (éd. du P. Berthier, p. 124).

(6) Le P. Berthier (p. 124, note 2) indique cette référence : 3e livre contre les Pélagiens. On n'y a pas retrouvé le texte cité. On peut donc croire que l'auteur reproduit plutôt la pensée que les termes mêmes de saint Jérôme. Il ne cite pas ; il résume. P. L., t. 23, col. 500 ; col. 573 (à moins que la référence ne soit pas exacte).