CHAPITRE III
De dix choses qui empêchent la dévotion
Comme il y a des choses qui favorisent la dévotion, de même aussi il y en a qui l'empêchent. De ces dernières, nous allons en indiquer dix.
La première, celle qui forme le plus grand obstacle à la dévotion, ce sont les péchés, non seulement les mortels, mais encore les véniels ; car, quoique ceux-ci ne fassent pas perdre la charité, ils font, néanmoins, perdre la ferveur de la charité, qui est presque la même chose que la dévotion. C'est pourquoi il faut les éviter avec un très grand soin : et quand ce ne serait pas à cause du mal qu'ils nous font, du moins faudrait-il le faire à cause du grand bien qu'ils nous empêchent d'acquérir.
La deuxième, c'est le remords de la conscience qui procède de ces mêmes péchés, quand ce remords est excessif ; car il rend l'âme inquiète, abattue, et lui enlève le courage et la force pour tous les bons exercices.
La troisième, ce sont les scrupules ; comme le remords, et pour la même cause, ils troublent et abattent l'âme ; car ils sont comme des épines qui piquent la conscience, qui l'inquiètent, qui ne lui laissent point de trêve, et enfin qui l'empêchent de se reposer en Dieu et de jouir de la véritable paix.
La quatrième, c'est toute amertume, tout dégoût du cur, et toute tristesse désordonnée ; car il est très difficile que l'âme, dans un pareil état, puisse goûter les délices de la bonne conscience et de l'allégresse spirituelle.
La cinquième, ce sont les soucis excessifs ; comme les moucherons d'Égypte, ils inquiètent l'âme et ne lui permettent pas de prendre ce doux sommeil spirituel que l'on goûte dans l'oraison ; au contraire, c'est là, plus qu'ailleurs, qu'ils l'inquiètent et la détournent de son exercice.
La sixième, ce sont les occupations excessives, parce qu'elles absorbent le temps et étouffent l'esprit, et ainsi laissent l'homme sans loisir et sans cur pour vaquer à Dieu.
La septième, ce sont les délices et les consolations sensuelles, quand l'homme s'y livre avec excès. « Celui qui s'adonne beaucoup aux consolations du monde, ne mérite pas celles de l'Esprit-Saint », nous dit saint Bernard.
La huitième, ce sont les plaisirs de la table, l'excès dans le boire et dans le manger, surtout les longs repas ; car ils sont une très mauvaise préparation pour les exercices spirituels et pour les veilles sacrées, attendu qu'avec un corps appesanti et chargé de nourriture, l'esprit est très mal disposé pour prendre son vol vers les hauteurs.
La neuvième, c'est le vice de la curiosité, tant des sens que de l'esprit, qui fait que l'on désire entendre, voir, et savoir une multitude de choses ; que l'on souhaite posséder celles qui sont artistement travaillées, recherchées et vantées dans le monde. Tout cela occupe le temps, embarrasse les sens, inquiète l'âme, la répand sur divers objets, et ainsi met obstacle a la dévotion.
Enfin la dixième, c'est l'interruption de tous ces saints exercices, à moins qu'on ne les quitte pour un motif de charité envers le prochain, ou pour une juste nécessité. Car, comme dit un docteur, l'esprit de la dévotion est fort délicat ; lorsqu'il s'en est allé, ou il ne revient plus, ou s'il revient, ce n'est qu'avec beaucoup de difficulté. De même que les arbres demandent à être arrosés en leur saison, et que les corps humains réclament tout ce qui est nécessaire à leur entretien, et que si ces secours viennent à leur manquer, on les voit bientôt décroître et périr ; de même aussi voit-on la dévotion diminuer et périr, dès qu'elle manque de l'eau vivifiante et du soutien qu'elle tire de la considération.
Tout ceci a été dit en peu de mots, afin que chacun puisse mieux le graver dans sa mémoire. L'expérience et le long exercice feront voir à quiconque le voudra, qu'il n'y a rien de plus assuré ni de plus véritable.