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CONSOLATIONS ADRESSÉES A UN MALADE.
Je suis persuadé que vous n'avez pas besoin de la consolation des autres, puisque la force de votre esprit soutient la faiblesse d'un corps abattu et exténué. Cependant l'on cherche et l'on désire naturellement des secours dans l'adversité, des remèdes dans la maladie, des consolations dans l'inquiétude et une planche dans le naufrage. La consolation que reçoit un frère de son frère est sans doute un des plus puissants remèdes, et la satisfaction que l'on retire des paroles et de la douceur de l'entretien apporte du soulagement aux personnes accablées. Quoiqu'elle n'agisse sur aucune des parties du corps, néanmoins elle rétablit intérieurement un homme par une vertu secrète; elle rend la santé comme un médecin, et aide les forces naturelles à résister à la violence de la douleur. C'est pourquoi il est écrit : « Un frère sera élevé pour avoir assisté son frère. »Ainsi, étant tellement occupé aux choses de Dieu que je ne puis vous soulager dans votre affliction par une visite, je vous écris comme vous m'en avez prié; je tâche par cette lettre de vous rendre plus supportables les afflictions qui servent d'épreuve à votre vertu, et de fortifier en quelque manière un homme qui est déjà affermi par sa qualité de chrétien. Nous ne pouvons être victorieux ni mériter d'être récompensés dans le ciel sans avoir généreusement combattu. Une vertu paresseuse qui ne sait ce que c'est. que combattre ne remporte point de victoire; et celui qui préfère la vie de son corps à la gloire d'être couronné ne triomphe jamais de ses ennemis. Celui qui trouve la vie dans la mort n'est point ébranlé par la cruauté de la mort; il lui est avantageux de donner tout son sang, et c'est un sujet de joie pour lui de combattre avec l'affliction de recevoir de grandes blessures, et enfin il lui est glorieux de rendre en combattant une âme à celui à qui il la doit; car la raison nous enseigne qu'il y a de l'avantage à s'acquitter généreusement d'une dette qu'on ne peut s'exempter de payer. Supportez donc, mon cher frère, supportez les longues afflictions par lesquelles il plaît à Dieu de vous éprouver. Celui que la tempête surprend sur la mer ne peut se dispenser de combattre contre les périls. Personne sans doute ne s'expose volontairement aux dangers; mais quand on y est une fois exposé, la nécessité force non-seulement à les repousser, mais encore à combattre vaillamment. Un malade ne prescrit point au médecin la manière dont il veut être guéri; un soldat ne choisit point le lieu où il veut être envoyé en sentinelle ni un esclave le bâton avec quoi il doit être châtié; ce qui dépend de la volonté d'un souverain n'est point dans le choix de celui qui lui est soumis. Or puisque nous sommes sous la domination de la puissance d'en haut, et que les misères de ce monde nous rendent sujets à plusieurs châtiments différents, de même qu'un esclave ne choisit point le châtiment qui doit lui être infligé, et que ce choix dépend de la volonté de son maître, nous ne devons pas attenter à l'autorité du nôtre, ni faire choix de nos blessures et des combats où nous voulons remporter la victoire. Le pouvoir de celui qui frappe ne dépend pas de la volonté de celui qui reçoit les coups; c'est le devoir du souverain de corriger, et celui du sujet est de souffrir; le roi commande, le soldat obéit; car un roi ne commande rien de déraisonnable : il exige de ses troupes des expéditions proportionnées à leurs forces; il envoie les plus braves aux endroits les plus dangereux, et les moins vaillants aux endroits moins périlleux. (212) Ainsi le faible ne succombe pas sous les efforts d'un ennemi puissant, et le brave ne ternit pas sa gloire en triomphant d'un ennemi moins vaillant que lui ; de sorte que par cette conduite personne ne craint d'être abaissé, et tous espèrent également la victoire. Un médecin qui blesse pour guérir une blessure n'est pas un ennemi; un père qui donne à ses enfants des coups de verge ne fait rien de contraire à l'affection qu'il leur porte ; car les verges d'un père sont les instruments dont se sert son affection. Si donc le châtiment et les coups sont une marque d'amour puisqu'ils partent de l'affection, choisissez un médecin qui vous frappe puisque ses coups vous donnent la santé. L'affection ne fait rien sentir qui ne soit profitable. Voilà pourquoi le Seigneur a dit: « Je tuerai et je ferai vivre, je frapperai et je guérirai. » L'affection cesserait d'être affection si elle ne corrigeait pas les fautes. Comme il y a toujours quelque chose à guérir dans l'homme, elle frappe pour guérir, à l'exemple des médecins qui donnent la santé en blessant, ce qu'ils ne font pas sans donner lieu au malade de se plaindre d'eux. C'est ainsi que parmi les tribulations de cette tic, exposés aux coups du Seigneur qui guérit, nous nous plaignons de lui comme les malades se plaignent du médecin qui leur rend la santé. Servez-vous donc, mon frère, servez-vous du remède de la patience; supportez la pesanteur des tentations ; surmontez les dangers en souffrant qu'un esprit ferme et résolu soutienne et guérisse un corps abattu; que la vertu règne dans un corps dominé par la douleur; que votre âme triomphe au milieu des dangers. Il y a longtemps qu'elle sait les combats qu'elle doit soutenir contre les tentations. En se mettant sous le joug du Seigneur elle a été avertie de s'armer contre les afflictions. « Mon fils, » dit le Seigneur, « lorsque tu prends le joug de Dieu arrête-toi dans la,justice et dans la crainte, et prépare ton une aux tentations. » Si donc les tentations nous sont avantageuses, il ne faut pas nous étonner que nous y soyons exposés. C'est ce que saint Pierre nous apprend dans son épître : « Ne vous étonnez pas, »dit-il, « des afflictions : elles vous arrivent pour vous tenter, de peur que vous ne périssiez dans les tempêtes du monde. » La vie d'un chrétien est battue par une infinité de bourrasques, et devient plus illustre par les tourments et par les afflictions. C'est ce que Salomon nous enseigne quand il dit : « Unissez-vous au Seigneur et souffrez, afin que votre vie embellisse jusqu'à la fin. » Notre vie, qui est un voyage sur mer, aime les tempêtes et se déplait dans le calme. Nous cessons d'avancer quand le vent est bas, et nous sommes exposés au péril quand nous ne l'avons pas en face de nous. En effet l'on ne sait si celui-là appartient au Sauveur qui n'est point purifié par les vents de l'affliction , source de la gloire, qui ne vit pas de l'oppression, qui n'est point éprouvé par les châtiments, et qui n'est point guéri par les blessures. Les coups et les tentations venant de l'amour du Sauveur, qui à l'exemple du médecin nous guérit en nous faisant souffrir, il est certain que celui qui n'est pas exposé à ces coups et à ces tentations n'est pas aimé du Sauveur. Mais si le Sauveur m'aime, direz-vous peut-être, pourquoi suis-je accablé de tristesse par ses châtiments? pourquoi les blessures qu'il me l'ait troublent-elles mon esprit? Si je reçois des coups de celui qui m'aime, son affection sans doute n'est pas véritable puisqu'elle me traite comme sa haine me traiterait, et j'aime mieux qu'il me haïsse afin qu'il ne me frappe plus. Lien loin de là, prenez garde d'être haï puis que l'on vous aime toujours ; car l'amour se contente de corriger, et la haine menace du supplice; l'amour instruit seulement , et la haine prononce l'arrêt de condamnation. D'ailleurs c'est la faute de l'homme si Dieu le hait ou s'il est irrité contre lui : Dieu hait l'homme quand il en est offensé ; il est irrité contre lui quand il ne le prie pas après l'avoir offensé; c'est attirer sur soi la haine de Dieu que commettre des actions criminelles et ne vouloir pas le prier après les avoir commises. Au reste Dieu aime l'homme comme un artisan aime l'ouvrage qu'il a J'ait, mais il hait les méchantes actions qui causent la perte et la destruction de cet ouvrage; et, haïssant ces actions, il ne peut pas aimer celui qui en est l'auteur. De là vient que Salomon dit: « Dieu hait l'impie et son impiété. » Il vaut donc mieux, en ce monde qui périra avec le temps et dont la vieillesse est un signe de la ruine prochaine, recevoir de l'amour du Sauveur des blessures qui servent à notre guérison que d'attendre de (213) sa haine une maladie incurable et vivre malheureusement, condamné par un arrêt. Il vaut mieux souffrir entre les mains du médecin une douleur légère et de peu de durée que de renvoyer le médecin et tomber dans des tourments qui durent toujours. Après cela, si vous vous étonnez que les souffrances soient une marque de l'affection de celui qui vous aime, vous devez aussi vous étonner que les remèdes du médecin fassent souffrir ceux qu'il guérit et qu'ils chassent le mal en faisant du mal. Il est impossible à celui qui veut remédier à une douleur de ne point causer de douleur, et il en fait sentir en guérissant, afin qu'achetant la santé avec des souffrances, elle nous soit plus précieuse. Celui donc qui est aimé ne peut assez être mis à toutes sortes d'épreuves; celui que l'on veut corriger ne peut s'exempter de souffrir les coups de celui qui l'aime; celui que l'on veut guérir ne peut être offensé par la violence des remèdes. Êtes-vous surpris de cela? Un malade à la guérison de qui l'on emploie le fer et le feu attend son salut des périls, et même il y a beaucoup de maladies qui ne se guérissent que de cette manière. Les médecins qui travaillent à rendre la santé font prendre pour remèdes, et non pas pour éteindre la soif, des breuvages si amers que l'on ne peut les boire sans se changer le front de rides; si vous considérez le visage de celui qui les boit, il paraît triste et inquiet : il faut cependant qu'il les boive pour recouvrer la santé. Oh ! l'avantageuse incommodité de la médecine! on contraint un homme à boire quand il n'a pas soif, et même la soif tient lieu quelquefois de remède : en effet, les médecins ordonnent parfois des diètes ; ils amoindrissent les corps par des jeûnes et des abstinences, et les rendent plus robustes par la faiblesse. Mais ce que j'ai dit jusqu'ici ne doit pas être comparé à ce que je dirai dans la suite : il y a des malades à qui l'on enlève la peau, à qui l'on scie les os pour les empêcher de mourir; il y en a d'autres à qui l'on coupe avec le fer des tumeurs; il y en a quelques-uns que le feu rafraîchit en les brûlant, et qu'une poudre corrosive déchire pour les guérir. Pour tout dire en un mot, l'homme souffre beaucoup entre les mains du médecin afin de conserver sa vie. Le péril où l'on trouve à souffrir des maux qui nous tiennent lieu de bienfait est sans doute nécessaire. L'on est assurément en danger entre les mains du médecin, mais on est perdu si l'on s'en retire. Il faut espérer la vie au milieu des tourments, et la mort est certaine si l'on cesse de se servir de ses remèdes. Il vaut donc mieux, quand la nécessité le demande, être dans le péril que périr entièrement, et je crois qu'il est plus utile de souffrir quelques douleurs qui nous sont avantageuses que de mourir en ne les souffrant point; c'est-à-dire qu'il vaut mieux souffrir de l'incommodité des remèdes que ne pouvoir être guéri. Je parle conformément aux sentiments du médecin céleste, et ce que je dis doit plutôt être appliqué à la santé de l'âme qu'à celle qu'un art douteux et incertain procure à un corps mortel. Il nous est donc plus utile que le Seigneur nous reprenne, qu'il nous châtie, et qu'il nous guérisse par ses coups, qu'être privés de ses remèdes comme des malades incurables. En effet, il éloigne de sa présence ceux qu'il voit infectés d'une maladie sans remède, et errants de vice en vice comme de la poussière ou de la paille soulevée par des tourbillons de vent. C'est ce qu'il dit lui-même : « Que les pécheurs s'éloignent de moi : Je ne veux point savoir duel chemin ils suivent puisque leur lumière est éteinte. Ils gémiront pendant leur vie, ils seront semblables à la paille qui est soulevée par le vent et à la poussière qui est emportée par la tempête. » Il ne veut point savoir quel chemin suivent ceux qui ne tiennent point la voie qui conduit au ciel; car il ne faut pas aller que vers Dieu, et tenir en Jésus-Christ un chemin serré et difficile à cause des tentations, mais qui nous conduit dans un endroit vaste et sûr. C'est par ce chemin seulement que l'on va au ciel, tous les autres conduisant à l'enfer. Voici comment en parle Salomon : « Il v a des chemins qui semblent droits aux hommes, mais ils trouvent à la fin la douleur et la tristesse. Ceux qui se laissent séduire par les attraits et par les tromperies de cette vie marchent par ces chemins, mais le temps les surprend et la mort les revoit et les enveloppe. Une malheureuse félicité les conduit à la mort, comme un vaisseau que la tempête brise contre les rochers. Il faut que ceux qui jouissent d'une prospérité incertaine et qui goûtent les plaisirs d'une vie mal assurée tombent sans pouvoir être relevés, ainsi que l'on voit tomber ceux qui, marchant sans défiance, glissent sur un (214) marbre uni ou sur des pavés qui s'enfoncent sous leurs pas. De là vient que Salomon a dit : « La chute des pécheurs arrive inopinément comme celle de celui qui glisse sur un pavé.» Ceux-là sans doute ne méritent pas d'être mis à l'épreuve par quelques afflictions: on leur prépare une maladie qui durera toujours. Ils ne sont point dignes d'être frappés comme les justes de la main du Sauveur, et de passer ensuite avec lui des châtiments à la gloire. C'est à eux que s'adressent ces paroles de David : « Ils ne sont pas dans la pensée des hommes, ils ne seront pas affligés comme les hommes; de là vient qu'ils sont remplis d'orgueil. »Vous voyez donc que l'on méprise ceux qui sont indignes d'être châtiés de la main du médecin, et que l'on corrige amicalement ceux qui méritent d'être châtiés. Dieu, qui est le père et le médecin de tous les hommes, frappe de telle sorte ses enfants et ses malades qu'il guérit les uns et corrige les autres sans en tuer aucun. Heureux celui qui en est battu! il porte les marques de son affection; heureux celui que des coups de la main de Dieu guérissent, châtient et corrigent! qu'il s'écrie avec le prophète-roi : « Heureux celui que vous reprenez, Seigneur, et à qui vous enseignez votre loi! » Ainsi, puisqu'il plaît au Sauveur que nous soyons sujets à diverses afflictions et que nous menions une vie qui veut être épurée par les misères , supportons comme une épreuve de notre vertu des afflictions que l'on nous a prédites depuis longtemps ; souffrons avec courage tant de traverses différentes auxquelles notre naissance nous a exposés. Il ne faut pas s'étonner que les hommes soient accablés en ce monde de tant de maux divers, puisqu'il n'y a personne qui naisse en riant, et que ce n'est qu'avec des larmes que l'on commence à voir le jour. Quand notre mère nous a enfantés nous avons appris en pleurant ce que c'est que le monde, et nos premières souffrances ont été la cause de nos premières larmes. Aussi Salomon assure qu'en naissant il a reçu une vie semblable à celle des autres, qu'il a marché sur une terre pareille à la leur, qu'il a proféré ses premiers bégaiements en pleurant, qu'il a été nourri parmi les soins et les embarras; car la naissance des rois n'est point différente de celle des autres : tous naissent et meurent également. Il faut que ceux qui sont venus passent, puisque notre vie n'est qu'un voyage. « On passe dans la vie, »dit Salomon, «et l'on en sort de la même manière. Que sert-il donc de chercher la prospérité ou la joie? L'on y apprend d'abord à pleurer. Dès mon enfance je n'ai rien vu dans le monde que des sujets de larmes. » Nous avons pleuré en naissant et nous pleurerons quand nous mourrons; vie fâcheuse et de peu de durée dont on voit la fin dès le commencement, car aussitôt né , aussitôt mort. J'en prends à témoin ceux qui sont morts qui croyaient ne pas mourir. Puisque donc nous sommes nés pour mourir, surmontons par notre patience, comme des voyageurs, ce qui nous arrive en chemin. On triomphe des maux que l'on endure avec résolution; on sent plus vivement le mal que l'on souffre sans courage. Le bien même nous incommode si nous n'en jouissons pas avec fermeté. L'on a sans doute besoin du secours de sa vertu, et de considérer la récompense qui est promise dans le ciel, lorsque l'on vit de telle manière que l'on est obligé de désirer la mort, comme ceux qui sont sur la mer désirent d'arriver au port. En effet, parmi les inquiétudes du siècle, parmi les douleurs que causent les maladies, ne désire-t-on pas plutôt mourir que de mener longtemps une vie languissante? « La mort, » dit Salomon, « est plus avantageuse qu'une vie pleine d'amertume, et un repos assuré qu'une langueur continuelle.» «Il vous est plus utile,» dit-il ailleurs, «de mourir que de vivre, car la mort met en repos tous les hommes. » Il est certain que l'on désire avec passion de voir la fin des traverses dont nous sommes accablés; cependant, comme il n'a pas dépendu de nous de naître, il n'est pas en notre pouvoir de mourir quand il nous plaît ; car s'il était en notre pouvoir de mourir quand il nous plaît, il serait aussi en notre pouvoir de ne pas mourir. De là vient qu'au milieu des afflictions de cette vie nous nous entretenons de la mort et du repos que nous y rencontrons. En effet, c'est une consolation dans la tristesse de parler des plaisirs. Ceux qui voyagent sur la mer en usent de la sorte ; et parmi les périls qu'ils essuient dans les tempêtes et entre les rochers, ils trouvent du soulagement à s'entretenir de la sûreté dont ils jouiront au port ; car, quoique pour cela l'on n'y arrive pas plus tôt, il est pourtant naturel de désirer une condition plus (215) avantageuse. Mais puisqu'il ne dépend pas de nous de jouir de cette condition plus avantageuse, et que nous sommes dans la nécessité de l'attendre, combattons cependant généreusement contre les obstacles. Or, c'est combattre généreusement que ne point succomber, et que supporter les maux qui nous conduiront à la jouissance des biens due nous trouverons dans la mort, dont la douceur ne sera point troublée par des maladies et. par la crainte d'une nouvelle mort. L'on ne triomphe pas, l'on n'arrive pas à une gloire éternelle sans avoir senti les atteintes de l'affliction et de la misère; l'on ne termine son voyage et l'on ne vient au port qu'à travers des tempêtes : celui-là seulement peut passer pour avoir triomphé qui s'est ouvert le chemin à la victoire par sa vertu, qui a écrasé tout ce qui donne de la crainte aux autres, et mis à la chaîne ce qui n'avait pas encore été vaincu. Le monde est semblable à la mer: sans être agitée par les vents, elle est enflée; même pendant le calme elle élève des flots menaçants et terribles, et quoiqu'elle ne fasse point de mal aux voyageurs, cependant son immense étendue leur imprime je ne sais quelle terreur : de même, nous qui voyageons au travers des embarras de cette vie, nous nous laissons souvent ébranler par des menaces , et particulièrement ceux qui sont enrôlés sous les étendards de Jésus-Christ. Je vous ai déjà dit due le monde était semblable à la mer, où le calme est rare, où les tempêtes sont fréquentes, où fon craint, où l'on appréhende sans cesse, et où enfin l'on ne trouve de la sûreté que dans le port. Les afflictions nous accablent de toutes parts , mais il est de notre vertu d'endurer jusqu'au port , c'est-à-dire jusqu'à la mort. Un pilote conserve un vaisseau au milieu des dangers: le courage de l'homme est le pilote qui doit le conserver, quoique attaqué d'une infinité de tempêtes; mais l'on attend avec plus de joie et l'on reçoit avec plus d'honneurs un vaisseau qui a bravé l'orage et les vents : une foule de peuple qui l'attend sur le port le voit arriver avec un plaisir extrême, et il trouve une sûreté pleine de gloire. Il est beau de voir dans un camp un soldat armé; mais un paresseux qui ne se connaît pas lui-même dans l'armée, et qui n'y est point connu des autres, paraît un spectacle étrange. Il ne faut donc pas juger désavantageux un péril où l'on trouve des prix à remporter : un soldat ne doit pas reculer ou craindre dans une occasion où la victoire l'attend. C'est être malheureux dans son bonheur que n'avoir point mérité de combattre contre des malheurs qui couvrent de gloire. Celui qui n'a pas eu à démêler avec l'affliction ignore jusqu'où va sa vertu. Un soldat quia toujours été enseveli dans la nonchalance ne sait point quelles sont ses forces et il ne se connaît pas lui-même ; celui qui n'a jamais été à la guerre n'a jamais triomphé; celui qui ne veut point supporter le poids des armes ne goûte jamais le plaisir de remporter des prix. Nous devons donc pratiquer ce qui nous conduit à la récompense, et souhaiter ce qui nous acquiert de la gloire. S'il se présente quelque chose qui mette nos forces et notre courage à l'épreuve et qui ébranle notre corps, recevons-le comme un bienfait singulier. Notre vertu doit être ferme et constante comme un rocher au milieu de la mer, contre lequel les ondes se viennent briser avec impétuosité et qui n'en est point ébranlé. Lors donc due l'adversité et les misères appellent un homme au combat et le forcent à se battre, qu'il paraisse armé du bouclier de la vertu, assuré parmi les périls, heureux dans le malheur, joyeux dans la tristesse et plein de santé dans la maladie, et que sa patience le rende victorieux dans le combat. On triomphe des maladies du corps quand l'âme sait les supporter : c'est pourquoi, lorsque le corps est abattu par la maladie, il faut pour ainsi dire faire une grande provision de vertu, et préparer ce qui ne peut ployer sous la faiblesse et recevoir les atteintes du temps. Armez-vous donc, armez-vous de la foi, que rien ne saurait vaincre; endossez cette cuirasse impénétrable que Dieu a forgée pour les chrétiens ; opposez ce bouclier aux langueurs qui vous accablent, et vous triompherez de votre maladie. Soyez victorieux pendant que l'on vous bat: c'est ainsi que le mérite d'un chrétien augmente par l'adversité et se fortifie par les misères. Être ébranlé par les traverses, être éprouvé par les tribulations sont les exercices de la milice chrétienne. Un véritable chrétien sent croître ses forces dans les douleurs; sa jeunesse revient dans les tortures, et il la conserve en triomphant des tortures. Il doit donc entretenir ses forces et son courage par des (215) escarmouches perpétuelle; et combattre sans cesse contre les périls; il doit, au milieu des écueils du siècle, travailler à arriver au port de la félicité éternelle, et recevoir avec un pouvoir absolu sur lui-même les coups salutaires qu'il reçoit de la main du médecin; il doit, dis-je, s'élever au faite de la gloire par l'usage des misères, et s'avancer vers la récompense par la souffrance des maux. Toutes sortes d'afflictions nous tiennent lieu d'occasions propres à faire connaître notre résolution et nous ouvrent le chemin à une couronne. Saint Paul, accablé d'une infinité de traverses, et combattant comme un soldat de Jésus-Christ contre la violence d'une maladie opiniâtre, parle de la sorte : « Je ferai gloire de mon infirmité afin que la grâce de Jésus-Christ soit en moi ; car il m'est permis de me glorifier dans les maladies, dans les mépris, dans les besoins, dans les persécutions et dans les afflictions, à cause du Sauveur; car quand je suis faible , c'est alors que je suis fort; » et en un autre endroit : « Toutes les fois que je suis affaibli je suis mieux éprouvé, et mes faiblesses ne me déplaisent point; » et ailleurs, priant le Seigneur qu'il le délivre des aiguillons de la chair, il fait connaître qu'il sait bien que la vertu s'entretient par la faiblesse : « Je sens , » dit-il, « un aiguillon de la chair : ce sont des coups de Satan, afin que je ne m'élève point. J'ai prié toutefois le Sauveur qu'il m'en délivrât, et il m'a dit que sa grâce me suffisait et que la vertu se perfectionnait dans la faiblesse; » car enfin la vertu ne se fortifie que par des expériences rudes et difficiles. Notre vie est un vaisseau qui se plaît dans les tempêtes et qui n'arrive jamais plus heureusement au port que quand il est battu par les vagues et emporté par les vents. Il est impossible d'être heureux auprès de Dieu si l'on n'a été purifié par les afflictions et par les misères de cette vie. Celui qui doit être estimé véritablement pauvre et malheureux qui est enseveli dans la houe des plaisirs ; celui-là est. véritablement malheureux qu'une félicité aveugle tient plongé dans les vices; celui-là est malheureux qui n'est point éprouvé par les tentations; car celui qui ne combat point ne remporte point de prix; celui qui craint les armes de l'ennemi ne remporte point de victoire. C'est une marque de peu de courage de craindre ce qui paraît redoutable; c'est une marque de paresse et de lâcheté sde prendre le parti où l'on est en sûreté. Un courage oisif et qui n'est point exercé dans les combats est un mérite imparfait et languissant; sans les combats la vigueur n'a pas de force, la générosité est abattue et la gloire obscurcie. Un brave soldat doit donc toujours être sous les armes, et chercher les occasions de faire éclater son courage parmi les hasards ; les blessures sont les parures de celui qui aime la guerre. II faut de l'usage et de l'expérience pour s'instruire à surmonter les travaux et pour connaître ce que l'on vaut. Un corps exercé par de fréquentes fatigues est plus fort et plus robuste. Le travail continuel augmente les forces des laboureurs; leurs mains s'endurcissent en cultivant la terre avec beaucoup de peine. Un vaisseau qui a été souvent battu de la tempête sait arriver au port au travers des périls, surmonter les vagues et combattre contre l'orage. Une armée aguerrie sait éviter les flèches des ennemis, et, pour mériter l'estime de son général, trouver la victoire dans les blessures. Ceux qui courent ordinairement ont le corps agile et dispos: l'exercice est le maître qui leur a enseigné à avoir cette agilité. Mais pourquoi s'étendre davantage sur cette matière? Personne n'arrive à un degré plus éminent de, perfection que par les tentations; ce n'est que par là que l'on triomphe, que l'on est couronné. Il est donc nécessaire qu'en supportant d'abord de légères afflictions, nous nous accoutumions à supporter les plus rudes et les plus âpres. La fin de la milice où nous sommes enrôlés est de traverser d'un pas ferme toutes les difficultés et de supporter courageusement le fardeau des misères. Le chemin du ciel ne nous est ouvert qu'au travers des douleurs, des afflictions et des souffrances; et celui qui n'est point exposé aux tentations ne marche point par ce chemin. Dieu appelle au ciel celui que les souffrances y conduisent accompagné de la victoire , et des couronnes d'une éternelle durée l'y attendent. Cependant nous commande-t-il de faire quelque chose d'impossible et qui aille au-delà des bornes d'un ,juste commandement? exige-t-il de nous quelque chose qui soit au-delà de nos forces? Tout ce que nous demande ce juge équitable est proportionné à notre pouvoir. Saint Paul est un témoin irréprochable de cette vérité : « Dieu (217) est juste , » dit-il , « et il ne permettra pas que nous soyons exposés à des tentations au-delà de ce que nous pourrons en supporter. » Soyons persuadés que Dieu nous conduit de la même manière qu'un maître conduit ses écoliers : il demande plus de travail à ceux dont la vivacité de l'esprit brille entre les autres. Et même nous donnons aux animaux soumis à notre puissance des fardeaux qui répondent à leurs forces : nous en donnons de plus pesants aux plus forts , de légers aux faibles ; et l'habitude , qui les fortifie par l'exercice, leur acquiert insensiblement un degré souverain de force. C'est ainsi que dans nos commencements nous n'avons à supporter que de légères afflictions, afin que nous nous préparions à en supporter dans la suite de plus rudes et de plus fâcheuses. Cette vérité est confirmée par quantité de passages de l'Écriture sainte : cependant je l'appuierai par un exemple tiré de l'histoire profane; car quand un bien est commun, il est permis de nous servir de la part que nous y avons. Pensez-vous que les Lacédémoniens haïssent leurs propres enfants quand ils mettent leurs corps tendres et délicats à de dures épreuves. Ils les font fouetter publiquement; et alors qu'ils sont tout déchirés et demi-morts, ils les exhortent à endurer courageusement les coups et à souffrir blessure sur blessure. Faut-il donc vous étonner si Dieu, qui récompense de sa gloire les vainqueurs, vous expose vous et ses autres enfants à de si pénibles tentations? Voilà ce qu'il promet à ceux qui auront tout enduré : « Celui, » dit-il,« qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé; » et en un autre endroit : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés; et je vous donnerai le repos. » Une souffrance passagère et de peu de durée est le prix de l'éternité; la fermeté avec laquelle vous aurez supporté la tribulation vous sera à jamais une source féconde de plaisirs. Parmi nous on cherche dans l'esclavage à régner, on achète la sûreté par des périls, on acquiert le repos par des travaux et par des sueurs ; « car la vertu, » dit saint Paul, « se fortifie par les infirmités. ,Il est sans doute plus avantageux de supporter les langueurs d'un corps affligé de quelque légère maladie que de porter dans un corps sain et robuste une conscience condamnée à des tourments éternels ; et même la plupart deviennent malades à cause de leurs péchés, qui leur rendent le corps impropre à ses exercices ordinaires. Quand le corps n'est atteint d'aucune infirmité, il tombe dans un relâchement de langueur, et précipite avec lui l'homme qui se porte bien dans un abîme de crimes. Croyez-vous que ceux-là jouissent de la liberté ou de la santé qui sont engagés dans les plaisirs? Ils ne sont, pas chargés de liens à la vérité, mais l'impudicité les tient attachés à des entraves indissolubles; ils sont arrêtés dans les piéges des plaisirs, comme des oiseaux tombés dans les embuscades des chasseurs, qui s'embarrassent en tâchant de s'enfuir. Il n'y a que les malades qui se portent bien ; celui-là est en santé que Dieu reprend par quelque sorte de châtiment que ce soit, car il témoigne son affection aux hommes en les châtiant. « Je reprends, » dit-il, « et je châtie ceux que j'aime. » Que l'on ne croie pas donc que l'on soit en santé pour ne sentir aucune infirmité, et pour ne point user des remèdes de la maladie. C'est être fort malheureux qu'être nonchalamment assoupi parmi les douceurs d'une. trop grande félicité, qu'être flatté par les apparences d'une santé trompeuse qui nous séduit; et qui sera suivie d'une maladie d'éternelle durée dans laquelle l'homme tout entier souffrira des douleurs inconcevables. On arrive à cette maladie par autant de chemins qu'il y a de sortes de voluptés, on y arrive par tout ce que l'impureté nous suggère quand nous sommes une fois engagés dans le vice : il nous traîne à la mort par un labyrinthe d'où l'on ne peut sortir pour rentrer dans le bon chemin, et nous y courons comme les ruisseaux, qui ne remontent jamais vers leur source. Les pécheurs s'imaginent passer agréablement la vie, mais ils en trouvent la fin pleine d'amertume par les maux qui les attendent à la mort. Que sert-il d'avoir couru heureusement s'il faut mourir quand la course est finie? En vain un vaisseau traverse les mers, surmonte les vagues et brave les vents, s'il périt au port et s'il n'y porte que les débris de son naufrage. Il vaut donc mieux arriver heureusement au port de la gloire sous la conduite des souffrances que périr pour une éternité, après avoir consommé dans les délices une vie de courte durée. Après cela. la pauvreté n'est-elle pas préférable aux richesses, la difformité à la beauté, les mépris aux louanges, l'esclavage à la liberté, (218) la faiblesse aux forces et la bassesse aux grandeurs? C'est ce que dit David dans un de ses psaumes : « Il m'est avantageux, Seigneur, que vous m'ayez abaissé, afin que je connaisse votre justice. » Il est plus utile d'être abaissé par un arrêt de la justice du ciel que d'être condamné avec le monde. « Les jugements de Dieu,» dit saint Paul, «nous servent de correction, de peur que nous soyons condamnés avec le monde. » Supportons donc sans murmurer les avantages qui nous reviennent de l'affection du Sauveur, qui nous distribue ses corrections comme un médecin distribue ses remèdes. Un médecin se sert quelquefois du fer et du feu : ne nous étonnons donc pas que Jésus-Christ, qui est le médecin de nos âmes, nous trouble par des traverses , nous éprouve par des maladies et nous purifie par des misères. Notre courage doit souffrir qu'on le mette à l'épreuve du feu comme les vases. C'est ce que dit lEcriture sainte : « La fournaise éprouve les vases du potier, et les tentations éprouvent les hommes; » et dans un autre endroit : « L'or, l'argent, le plomb, le fer et tout ce qui passe par le feu est purifié, » Les vases se plaignent-ils au potier de ce qu'il les met dans la fournaise et les éprouve en les brûlant? D'ailleurs si le feu ne prononce en faveur des vases et ne les trouve bons, ils ne peuvent servir à rien : de même si nous ne résistons à l'épreuve des tentations , nous sommes inutiles au potier qui nous a formés, qui nous fait passer par le feu pour nous guérir, qui nous vend pour nous affranchir et qui nous afflige pour nous sauver. Il n'y a rien de si impur qui ne soit purifié par les tentations: elles rendent aux plus sales leur première blancheur, comme le feu rend à l'acier rouillé son premier éclat et fait quitter à l'or et à l'argent ce qu'ils ont d'impur. Ainsi que l'on voit des arbres coupés produire heureusement de nouvelles branches, la stérilité se changer en fécondité et la racine d'un tronc sec et usé porter des fruits en abondance , de même une maladie nous défait de ce que le péché nous avait apporté de superflu et des taches dont une vieillesse nonchalante nous avait infectés. C'est pourquoi il faut être persuadé que la maladie du corps est un remède qui guérit. Ce corps, qui est la seule partie de nous-mêmes qui ait besoin de force et de santé, est tourmenté de maladie de peur qu'il ne nous tourmente lui-même, lui qui ne peut résister aux coups de la vieillesse, qui passe comme l'herbe qui sèche et dont la fleur tombe. De. là vient que l'on a dit : « La chair est semblable à l'herbe, sa beauté est semblable à la fleur de l'herbe : l'herbe sèche et sa fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure à jamais.» Ne murmurons donc pas de ce que notre corps, qui passe comme une herbe qui sèche et dont la fleur tombe, est affligé de maladies. D'ailleurs sa santé donne ordinairement la mort à l'âme, et soulève les plaisirs contre ce qui est utile à l'esprit; souvent elle fait mettre bas les armes aux soldats de la chasteté. Il est donc de notre intérêt que notre corps soit harcelé par de continuelles souffrances. Notre aveuglement va jusqu'à l'aimer, et nous nous soucions peu qu'il serve de prison à notre âme. Sans avoir égard à lui, regardons comme un trésor et recevons comme un bienfait tout ce qui nous arrive. Il es dangereux à celui qui est à la solde de Jésus-Christ de désirer d'être toujours dans le calme; c'est une marque de peu de courage d'appréhender la tempête ; c'est être malheureux que ne point connaître le malheur; c'est être Heureux que le connaître et savoir combattre contre lui. En effet tous les coups que nous recevons, comme je l'ai déjà dit, partant de la main du Sauveur comme un bienfait, que celui qui n'est pas exposé aux tentations apprenne qu'il n'en est pas aimé. Ainsi l'Ecriture dit : « votre Dieu vous tente pour connaître si vous l'aimez de tout votre cur et de toute votre âme; » et dans un autre endroit : « Mon fils, ne méprisez pas la correction de Dieu et ne le quittez pas après qu'il vous aura repris, car il reprend celui qu'il aime ; » et ailleurs : « Ne méprisez point la correction du Seigneur, car il cause la douleur et donne le rafraîchissement, il frappe et ses coups guérissent. » Et le prophète nous parle en ces termes « Unissez-vous à Dieu et souffrez, afin que votre vie soit augmentée à la fin ; recevez tout ce qui vous arrive, et supportez-le dans la douceur, et faites voir de la patience dans les souffrances, puisqu'elles éprouvent un homme comme le feu éprouve l'or et l'argent. En vous rapportant des passages des prophètes, dont les paroles sont les lois auxquelles vous devez obéir, je puis encore me servir de plusieurs belles maximes des païens, qu'ils ont tirées de (219) l'Écriture sainte et que vous devez écouter comme autant de commandements. Voilà quelle est la première : « Le feu éprouve l'or, et l'affliction. les gens de bien. » En voici une autre : « Il n'y a personne plus malheureux que celui à qui il n'est jamais arrivé d'infortune, car il n'a jamais trouvé d'occasion de se connaître lui-même, tout lui ayant toujours réussi selon ses désirs. » Il est dit en un autre endroit : «Je vous estime malheureux de n'avoir jamais été malheureux. Vous n'avez pas eu d'ennemis depuis que vous êtes au monde: personne ne sait quelles sont vos forces, vous ne le savez pas vous-même. » En effet il faut avoir été dans l'occasion pour se connaître, et l'on n'apprend ce que l'on vaut que par la tentation. Un autre a dit : « Être longtemps heureux et vivre sans inquiétude, ce n'est pas goûter l'autre partie de la vie. » Endurons donc avec constance les Mictions, puisqu'elles nous apprennent ce que nous ne savons pas, qu'elles produisent la félicité et qu'elles purifient la vertu. Ainsi que le feu donne à l'or son éclat et sa beauté, de même celui qui n'est point tenté par les afflictions ne connaît pas une partie de sa félicité ni de ses forces. Salomon nous l'apprend lui-même par ces paroles : « Celui qui n'a pas été tenté en quelque chose ne sait ce qu'il est. Bénissez donc dans la maladie le Seigneur comme vous l'avez loué dans la santé. » Croyez que ces mots du prophète-poète s'adressent à vous : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, j'aurai toujours ses louanges à la bouche. » Fortifiez-vous par ces paroles de Job : « Si nous recevons le bien de la main du Seigneur, pourquoi ne recevrons-nous pas aussi le mal qu'il nous envoie? Le Seigneur nous donne, le Seigneur nous ôte: que sa volonté soit faite, que son nom soit béni. » C'est donc mal fait que murmurer contre lui pendant la tentation, puisqu'il ne nous afflige que pour nous délivrer de nos vices, qu'il ne nous exerce que pour nous couronner, et qu'il ne nous frappe que pour nous donner une occasion d'être victorieux. Mais pour vous consoler dans vos souffrances il ne sera pas inutile de vous rapporter ici quelques exemples; car quoique la qualité des personnes soit différente, néanmoins les combats des chrétiens ont toujours quelques rapports entre eux. Ce que vous endurez paraîtra peu de chose si vous considérez ce que Job, qui était l'ami de Dieu, a souffert. Il semble que Dieu ait modéré les afflictions, afin qu'elles vous convinssent et qu'elles fussent proportionnées à vos forces : vous n'êtes pas autant affligé que Job l'a été; mais vous l'êtes plus que les autres hommes. Les combats de Job sont grands, et les vôtres ne sont pas petits; car en imitant un grand homme tel que Job il faut absolument que vous lui ressembliez. Ce patriarche était un homme fort riche, dont Dieu lui-même a fait l'éloge : « As-tu remarqué,» dit-il, « mon serviteur Job? Il n'y a personne sur la terre qui lui ressemble : c'est un homme sans bruit, qui craint Dieu, qui ne fait aucune mauvaise action et qui conserve son innocence.» Cet homme, tel qu'il est ici dépeint, surmonta par sa patience les traverses que ses ennemis et les voleurs lui suscitèrent par la permission du Seigneur; il résista par sa justice à une infinité de maux ; il ne crut point faire de perte quand il se vit dépouillé de toutes ses richesses; il demeura ferme et constant lorsque ses enfants furent écrasés sous les ruines d'un bâtiment, et les plaies dont tout son corps fut couvert ne l'ébranlèrent pas. C'est ainsi que le juste devient victorieux par les coups qu'il reçoit. Les serviteurs même de Job refusèrent de le servir, tandis que vos amis vous consolent par de fréquentes visites, sont fâchés de votre maladie, et, s'ils le pouvaient faire, la partageraient avec vous. Il n'y a que notre courage qui, nous tirant des tempêtes de cette vie, nous conduit dans un port de tranquillité. Le jour approche de sa fin; les signes de vieillesse que l'on voit au monde indiquent qu'il n'est pas loin de sa chute : le ciel nous attend après la victoire. Tout périt, tout est enseveli dans ses ruines sans aucune espérance de retour : il n'en est pas de même à notre égard . après la décadence du monde, après la mort de notre corps, nous ;jouirons d'une santé qui ne sera troublée par l'atteinte d'aucune maladie. C'est pourquoi servons-nous de telle sorte de notre courage que la maladie de notre corps soit une occasion pour nous de faire paraître notre vertu. On ne peut donc dire qu'un arbre soit fort s'il n'a été battu par les vents et par les tempêtes.
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