LES FORCES VIVES

Considérons les modes que Jésus énumère Lui-même de Son oeuvre rédemptrice. Aux messagers de Jean, Il cite les aveugles, les estropiés, les lépreux, les sourds, les morts, les ignorants qu'Il guérit, et proclame comme centre de cette étoile le bonheur de ceux qui accepteront Sa Parole. Avant d'être envoyé dans le monde, l'homme reçoit en effet du Père six étincelles que les existences feront croître, et que l'on peut désigner ainsi :

la faculté de percevoir les formes des créatures;
la faculté d'agir, d'oeuvrer sur le monde où l'on se trouve, ce qui équivaut au cheminement du Moi le long de la route où le Père le place;
la faculté organique par laquelle nos fonctions vitales s'équilibrent et nous donnent la triple santé;
la faculté d'entendre le langage des créatures, c'est-à-dire, pour cette terre. l'ensemble de nos facultés mentales;
la faculté créatrice par laquelle on développe et on embellit la vie, tout autour de soi; puissance aussi différente de la simple activité vitale que la charité l'est de l'égoïsme;
enfin, la faculté de naître à une vie nouvelle, de recevoir les énergies régénératrices capables de nous créer une seconde fois dans l'Absolu après avoir été créés primitivement dans le Relatif. La réception plénière dans notre âme, notre esprit et notre corps des vérités vivantes de l'Évangile détermine cette renaissance.

Ces six facultés se correspondent deux à deux. La première et la sixième appartiennent à la Lumière, plus particulièrement à l'Esprit Saint; la deuxième et la cinquième vont ensemble, car ne pas pouvoir marcher, comme les infirmes, c'est, dans l'Invisible du Verbe, ne pas vivre; elles sont du Fils qui est la Voie et la Vie; la troisième et la quatrième sont du Père et se tiennent, puisque la corruption physiologique à son maximum entraîne l'incapacité intellectuelle.

Or chacune de ces forces vives de l'être humain lui est donnée par un soleil; car il y a, dans l'univers, sept soleils, et non un seul. Celui qui nous éclaire est le jaune, mais il y en a six autres dont la lumière correspond à peu près à chacune des couleurs du prisme; ils sont également disposés par couples dans l'espace, aux foyers de trois ellipses cosmiques dont le tracé restera inconnaissable pour longtemps encore. Tous les astres qu'ont classés les astronomes sont ceux dont le rayonnement est sensible à notre oeil; bien d'autres mondes existent, tous aussi réels que cette terre, les uns plus denses, les autres moins, tous influant sur tous, presque tous habités, tous ayant reçu ou devant recevoir la visite du Verbe rédempteur.

Le couple de soleils le plus proche de nous est notre soleil jaune visible, et celui que les Indous nomment soleil noir ou soleil des morts. Ce dernier exerce sur toute la vie terrestre une action aussi importante que celle du soleil visible. Actuellement, quelques disciples peuvent l'apercevoir à certaines heures. Pour que nos yeux acquièrent cette sensibilité, il ne faut que la résignation dans les épreuves et l'amour du prochain.

Ces quelques notions ne peuvent guère servir dans la pratique, et l'on se tromperait infailliblement si l'on voulait les utiliser par soi-même. Mais elles alimentent l'espérance et donnent des points d'appui à l'humilité. A une époque où tant de nos frères, heureusement doués, s'exténuent pour conquérir quelque trésor inaccessible, il est utile de se redire à toute occasion que les seuls domaines où un chrétien ait le devoir , de déployer ses forces et le droit de les dépenser jusqu'à la mort sont la lutte contre ses propres défauts et surtout l'offrande au prochain de ses commodités, de ses richesses et de son propre bonheur.

Il faudrait que nous aussi sauvions, comme notre Maître, les aveugles, les estropiés, les malades, les sourds, les morts et les ignorants. Cela est possible, puisqu'Il nous annonce, en une autre circonstance, que nous ferons des miracles plus grands que les Siens. Seulement, ne nous arrêtons pas. Grâce à Dieu, nous apercevons quelques-uns de nos défauts; soyez sûrs que nous ne voyons que les moins graves. La charité aiguisera nos regards, mais une charité s'étendant à toute créature, à tout objet, à tout état d'âme ou d'esprit, à tout événement, comme elle s'applique à la misère physique.

Vous qui portez dans le coeur la blessure de la souffrance universelle, vous vous demandez si jamais elle se détachera de la triste humanité, et vous vous répondez qu'elle demeurera tant qu'un seul homme encore jouira de la vie sans se soucier qu'un seul de ses frères en jouisse avec lui. Vous comprenez que la fortune, le bonheur, le pouvoir, l'intelligence même sont des poisons pour le coeur spirituel, des poisons non par eux-mêmes, mais par la possessivité qu'ils engendrent en ceux qui reçurent ces redoutables trésors. Comprenez encore ceci : Jésus n'est pas venu ôter la douleur du monde, comme un chirurgien enlève un cancer; Il est cette misère elle-même, magnifique, terrible et lamentable; Il est venu pour nous apprendre à guérir l'affreux cancer; non pas l'opérer, mais le guérir, par cette transformation profonde et totale de tout notre être, qui s'opère en obéissant à la Loi, c'est-à-dire en acceptant tout au monde et en se sacrifiant, pour tout au monde.