CLAIRVOYANCE DIVINE


Ainsi, dans cet épisode de la courtisane repentante, vous pouvez retrouver le fruit actuel de votre expérience, soit le dur paiement de fautes qui paraissent des peccadilles, soit le bonheur si fort qui suit les périodes pessimistes, soit cette spiritualisation de nous-mêmes qui affine nos sens et notre jugement, soit cette intimité plus permanente avec le Christ, soit ces échecs matériels qui nous mettent de force en face de notre impuissance, soit cette lente et secrète reprise de tout notre être qui nous mène vers l'homogénéité solide et une du véritable Ami.

Plus je vais, plus il me semble que les remarques les plus simples, les plus directes, les plus évidentes sont les plus riches de substance. Ainsi, dans l'anecdote que je vous rappelle, le fait primordial, c'est que Jésus seul discerne les véritables sentiments de la courtisane. Parmi les assistants, les uns se scandalisent, les autres déplorent un gaspillage, ou n'y comprennent rien. Ce qui consume cette femme, seul Jésus le distingue à travers son geste étrange susceptible de tant d'interprétations défavorables. Or une semblable acuité reste promise à nos pauvres regards, si faibles encore. Il est bien vrai que l'oeil est le miroir de l'âme. Tout ce que nous faisons et pensons aboutit à nos yeux. Je partage ma bourse, j'arrête ma colère, j'excuse une faute, je fais n'importe quoi de conforme au commandement divin : chacune de ces petites forces, humaines au moment de leur émission vers le dehors, l'Esprit Saint descendu au secours de ma bonne volonté les intègre, sublimisées, en mon âme; de ce centre, elles rayonnent sur mes organismes divers et les spiritualisent. De même, mais en sens contraire, les fautes me matérialisent; et tout le long travail secret, vers la Lumière ou vers les Ténèbres aboutit aux yeux, leur donne de la clarté ou de l'obscurité.

Les exercices psychiques des initiés ne font que rendre le système nerveux sensible à des vibrations différentes de celles du plan physique, mais encore et toujours dépendantes des lois générales de ce monde-ci. Les exercices mystiques : prière, charité, humilité nous ouvrent à l'action de l'Esprit, agent libre de toute loi. Les forces créées, même les plus hautes, s'épuisent en agissant; une récupération externe leur est indispensable; l'Esprit, au contraire, Se nourrit de Lui-même et, plus Il Se dépense, plus Sa force augmente. Si donc je dispose à recevoir l'Esprit le seul de mes organes qui soit capable de l'assimiler : mon coeur de Lumière, je n'ai à me préoccuper d'aucun détail; pourvu que ma conduite reste dans la rectitude du Christ, pour l'extérieur comme pour l'intérieur, l'Esprit m'apportera tout le Ciel, puisqu'Il est le lien du Père et du Fils. Il me guérira au moral comme au physique, Il augmentera la vie partout en moi, Il me rendra intelligibles toutes les formes de la vie hors de moi, puisqu'Il est l'Amour, l'essence même de la vie éternelle. Mais tout cela, Il le fera en respectant ma petite liberté parce qu'Il est la Liberté parfaite; Il respectera non seulement la liberté centrale de mon coeur soupirant vers la Lumière mais encore toutes les petites libertés individuelles de mon jugement, de ma mémoire, de chacune de mes facultés mentales, de mes facultés propres à chaque science, à chaque art, à chaque réalisation matérielle ou animique, toutes les petites libertés enfin de chacun de ces organes corporels, de chacune des parties de ces organes, jusqu'aux plus microscopiques.

Voilà pourquoi l'ardeur de nos désirs ne nous procure pas tout de suite la vue de Dieu. Nous ne sommes pas que des âmes; nous sommes plusieurs âmes, plusieurs esprits, plusieurs corps, et des centaines de parties dans chacun de nos trois centres; nous sommes un monde; et, quand le moi veut, pour atteindre l'objet de son désir, il faut encore qu'une majorité importante de toutes ces énergies par lesquelles il opère veuillent dans le même sens que lui. Un roi a beau être autocrate, il a besoin, pour accomplir une conquête, que la plus grande partie de son peuple le veuille avec lui.

Ainsi le temps est nécessaire à notre spiritualisation. La courtisane naquit avec un coeur assoiffé d'absolu; son intel-lect aussi désirait la beauté parfaite, comme son âme et son corps désiraient le bonheur parfait. Est-ce que son futur Maître la prit dès son adolescence pour la jeter immédiate-ment vers le Ciel ? Non, Il la laissa épuiser la coupe des décep-tions. L'intelligence de cette femme avait besoin de goûter le vide des systèmes, comme son âme avait besoin de mourir aux joies terrestres; et la profondeur de ses chutes engendra l'élan nécessaire à l'altitude de ses futures exaltations.

On peut trouver en grand nombre des applications à l'anec-dote de la Madeleine chez le Pharisien. En voici une relative à la civilisation intellectuelle.

L'âme essentielle de tout être, individu, race, peuple, planète, science, art, est un mode du Verbe. L'esprit person-nel de chacune de ces créatures possède, dans ce mode du Verbe, son époux légitime; mais il est aussi constamment tenté par une courtisane, qui est le ferment infernal d'égoïsme cupide qui entraîne la créature vers le culte du moi ou vers les jouissances matérielles. Ainsi la culture grecque, si délica-tement belle, si riche et si sereine, est la concubine de la race blanche, dont la doctrine évangélique est l'épouse légitime.

Or l'instant du repentir vient toujours pour la courtisane. Elle jette alors aux pieds de son Maître le fruit de ses prostitutions, trésors que les hommes rationalistes, comme Judas, déplorent de voir dilapider. Mais cette perte n'est qu'apparente; toute cette beauté précieuse, répandue aux pieds du Verbe, se transmue sur l'heure en Lumière pure, éternelle et vivante. Et c'est là un des plus puissants miracles qu'accom-plisse l'adorable Thérapeute.

Ainsi l'existence du disciple est une suite continue de morts et de renaissances; ainsi chacun de ses efforts vigoureux se résout dans une prosternation au pied de l'Aimé qui le relève vers Son coeur; et, par cet étroit et mystique embrassement, le disciple aperçoit, dans le regard de l'Ami, dans une ligne de Son visage, dans le pli de Son vêtement, la lumière tant cherchée qui lui révèle le pouvoir, la science, l'art dont la possession le passionne depuis si longtemps.

De sorte que le changement d'un coeur est bien autre chose que ce que l'on en aperçoit au dehors. Tout ceci, les luttes, les rechutes, les paroles persuasives, n'est que la réfraction réduite d'un vaste drame intérieur où évoluent des centaines de figurants. L'homme ordinaire ne peut y servir que de comparse. Le missionné, qui a la charge de cette conversion, dirige tout, se trouve partout, met la main à tout; mais un tel homme a dû auparavant s'assumer jusqu'à l'Esprit. Dès lors tout lui devient possible; il régénère une âme aussi bien qu'un roc ou qu'une planète. Je vous dis cela pour que vous sachiez bien que jamais nous ne sommes seuls, et que le secours divin arrive toujours à la seconde où notre résistance va céder.
Je vous ai retenus plus que de coutume sur cet épisode de la Madeleine pour vous indiquer par l'exemple, quoique som-mairement, avec quelle attention profonde il faut lire l'Évan-gile, avec quel amour il faut le scruter, de quelle étreinte étroite il faut nous unir à son esprit pour apercevoir, dans la simplesse de ses versets, les grandioses univers qui s'y meuvent librement.
Contemplez la répercussion multiple, dans l'espace et dans le temps, que possèdent les actes d'un porteur d'Absolu. Sans redire les récriminations des féministes actuels à propos de l'esclavage où la femme était autrefois réduite, regardez l'occulte de cette anecdote.
Jésus, ce jour-là, accueillit tous les repentirs des pécheresses futures, dont les clichés erratiques avaient été évoqués par les voix alternantes du repentir et de l'amour, et se pressaient en foule, à cette heure, dans l'atmosphère seconde de la salle du festin pharisaïque.
L'ouvrier n'agit sur la matière qu'à force de muscles; l'ingénieur, plus instruit, emploie une machine qui accomplit le même travail à la commande d'une simple manette. De même, dans l'Invisible, l'homme ordinaire n'agit qu'avec le secours de rites, d'entraînements, de formules; et encore les résultats qu'il obtient sont toujours superficiels et précaires. Mais celui à qui le Père a communiqué un Arcane peut faire, instantanément, sans effort, des miracles plus merveilleux même que la rénovation d'un coeur.