POURQUOI LES PARABOLES ?


Ce mode d'enseignement est le plus ancien, le plus populaire et le plus compréhensible. Ces similitudes imagées, ces analogies extraites de l'existence quotidienne contiennent en effet une part de vérité qui s'agrandit ou se rapetisse suivant la force du regard qui les contemple. Et nous sommes comptables de tout ce qu'il nous a été donné de comprendre, de voir et d'entendre.

Les disciples eux-mêmes n'ont pas saisi tout de suite le sens complet des discours de Jésus; ce n'est qu'après avoir reçu le don des langues qu'ils aperçurent ce qui leur était utile dans les paroles de leur Maître pour l'accomplissement de leur mission.

Ainsi le Ciel donne à quelques-uns l'intelligence, soit parce qu'ils ont autrefois travaillé pour cela, soit parce qu'ils ont une action à exercer à leur tour. Quant aux autres, ils doivent faire preuve de bonne volonté en cherchant de leur mieux. D'ailleurs nous devrions naturellement entendre les choses du Ciel; si nous ne les comprenons plus, c'est que nous leur avons, des siècles durant, fermé les yeux et les oreilles, parce que cela nous aurait gênés d'écouter et de regarder.

Écoutez donc et regardez; la Lumière peut vous venir sous les formes les plus vulgaires et les plus inattendues. Elle peut parler par la bouche d'un homme de génie comme par celle d'un pauvre trimardeur. Tout est digne de notre intérêt. Celui qui, à cette heure, entend et n'écoute pas, saitil si, dans un an, ou dans un siècle, il ne cherchera pas avec angoisse à recevoir ce qu'il néglige aujourd'hui ? Il faut lutter un peu contre nos goûts du moment, et prendre ce que la vie nous apporte; c'est toujours meilleur que ce dont nous avons envie.

Au point de vue absolu, les choses, les êtres, les événements, les idées, les émotions, les collectifs, toutes les formes de l'existence universelle n'apparaissent selon leur identité réelle que dans le plan central du monde, dans son coeur et dans
notre coeur. Leur stature vraie se réfracte ensuite de différentes façons dans tous les autres plans. Par exemple, une promenade, c'est pour le corps un plaisir; pour le restaurateur où on va déjeuner, c'est un gain; pour les herbes qu'on écrase, c'est un fléau. Une épreuve, c'est, de l'autre côté, le défrichement d'un champ de ronces; une épidémie, icibas, n'est qu'une moisson ailleurs; toutes nos joies sont faites avec la douleur d'autres êtres. La science vraie est donc celle qui nous fait voir, derrière telle ou telle réfraction, l'esprit vivant de la chose. Elle dépend de la pureté de notre regard intérieur, de notre affinement moral, et de la faveur de l'Esprit.

La situation sociale et internationale actuelle résulte du même élan vers l'individualisme libre qui a engendré la Réforme la Franc-Maçonnerie, 1789, 1848, l'Internationale, notre République; mais cet élan, si noble, si généreux, a été entraîné, par réaction contre le catholicisme traditionaliste, à ne plus admettre que la raison et à remplacer le culte de Dieu par le culte de l'Humanité. D'autre part, l'histoire nous le montre, le principe d'autorité, en politique comme en religion, tend, lui aussi, vers l'excessif. Ces luttes, ces balancements de doctrines hostiles sont dans la nature même des choses terrestres. Dans la Nature il n'y a ni cercles, ni sphères; tout est ellipses ou ovoïdes; et, parce que, outre la Nature, Dieu intervient, en fait de courbes ou de solides, il n'en est pas de fermés. Il n'y a que des paraboles et, diraije, des paraboloïdes. C'est ainsi que le Verbe parle par paraboles.
Et ce n'est pas là un simple jeu de mots. Assurément le nom de Rambouillet ne vient pas plus de Ram que le mot cristal vient de Christ; et tous les végétaux où domine la couleur rouge ne sont pas également bons pour le sang. Mais dans les analogies, les homonymies, les homophonies il y a parfois une lueur. Partout il y a des lueurs, seulement tout est extrêmement compliqué, ici-bas; les formes terrestres, considérées de haut, comme des aboutissants, sont les produits d'innombrables forces. Si la feuille du chêne est d'un certain vert et la feuille du saule d'un autre vert, il y a peutêtre deux ou trois mille causes à cette différence; aussi leurs vertus diffèrentelles; et puis, la couleur n'est pas seule significatrice; il y a la forme, il y a la contexture, il y a les nervures, il y a la saveur, l'odeur, la densité. Cependant le fait que ces deux espèces de feuilles sont vertes indique qu'elles ont une propriété commune, une seule.

Ainsi, quand l'Évangile écrit : Jésus s'exprimait en paraboles, il faut remarquer d'abord que ces paraboles ne doivent être ni des exemples, ni des similitudes, ni des comparaisons, ni des symbolismes, ni des allégories, enfin aucune rhétorique. Ensuite, se dire qu'entre le lecteur et Jésus il y a une longue distance, un espace bien vaste, et qui n'est pas un désert, qui est un monde, plusieurs mondes, peuplés de lumières, de substances, de forces, d'habitants, et que tout cela peut dévier le rayon visuel et déformer le son de la parole divine. Il faut savoir aussi que, dès que l'auditeur fait ce qu'il faut, Jésus supprime la distance; Il la diminue même dans la mesure où nous nous inclinons sous Sa douce loi. Les vues intuitives ne percent pas très loin. Ce n'est pas un petit travail que de rendre nos intuitions si pures, si spirituelles, si vigoureuses qu'elles aillent atteindre la vérité là où elle se tient, c'est-à-dire au Centre de nous-mêmes, là où brille l'étincelle du Verbe. Si les romantiques, si les monistes, si Bergson et William James, et nos jeunes surréalistes avaient compris qu'il y a le Créé, puis l'Incréé, ils n'auraient pas fait de l'homme un dieu omniscient; ils ne se figureraient pas que le comble de l'art ou de la pensée, c'est de se mettre en état réceptif, d'attendre et de noter les images qui passent. Sans doute, le mystique vrai se place devant Dieu en état réceptif; mais, au préalable, il travaille constamment à rendre tous ses organes physiques et psychiques capables de recevoir Dieu. L'adepte oriental suit cette discipline selon un système de connaissance traditionnel; en quoi il se trompe, puisque tout système de connaissance est provisoire. Tandis que le serviteur du Christ, qui oublie son propre perfectionnement pour ne penser qu'à obéir dans le travail, celui-là, parce qu'il laisse son Maître agir à sa place, celui-là n'erre point et touche le but.

Donc, si les leçons orales du Verbe incarné étaient des paraboles, les actions du Verbe éternel sont aussi des paraboles. Il lance les créatures dans les champs de l'Univers et, comme le grain semé en hiver se retrouve grain à l'automne suivant, nous nous retrouverons au terme de l'année cosmique les mêmes grains que nous étions à son début, mais multipliés et grandis. Avec cette différence, toutefois, que, si le grain de la récolte est identique en nature au grain des semailles et encore, il y aurait à dire làdessus, car la vie veut toujours monter, si l'ellipse dans la matière se ferme à peu près, pour nous, les humains, le sacrifice du Verbe ouvre cette ellipse, en rejette le second foyer à l'infini et la transforme en parabole.

Et si les hommes, porteurs, sans le savoir, d'une parole du Verbe, sont sont souvent tristes, soucieux ou égarés, s'ils voient mal ou ne voient pas, c'est qu'ils n'ont pas accepté la parole divine que le Verbe murmure en eux, ils n'en veulent pas; je veux dire : pour le moment ils en ont peur, ils s'insurgent contre elle; plus tard, ils l'accepteront, hélas ! après combien de batailles; ils pourraient cependant être tout de suite heureux; mais la matière, le monde, la raison les fascinent. Nous sommes une ellipse; l'adepte cherche à devenir un cercle, il veut unir en un seul les deux foyers; mais notre Christ enseigne qu'il faut au contraire ouvrir l'ellipse, en projetant l'un de ses foyers jusqu'à l'infini. Les courbes closes, en effet, c'est le Destin; les courbes ouvertes, c'est la Liberté; et tous les visages autour de nous, dont les bouches sont si amères et les regards si secs, n'estce point à cause d'une lutte coléreuse contre la Fatalité ? Ils la nient, ils se proclament libres, ils rejettent tout héritage, ils ne veulent plus de lois, ni de hiérarchies. Mais on ne s'insurge que contre son tyran. C'est donc qu'ils se sentent prisonniers; et ils ne veulent pas admettre que chacune de leurs révoltes serre d'une boucle leurs entraves. Il y a aujourd'hui un grand nombre d'hommes extrêmement intelligents; ils ont tout lu, tout analysé, tout compris, tout admiré de ce qui appartient à l'humain; ils ont acquis un excès de culture; leur cerveau souffre d'indigestion, et leurs nerfs sont à bout; aussi les plus riches de ces tempéraments d'artistes et de poètes essaientils de retrouver quelque fraîcheur et quelque appétit en retournant aux formes primitives de l'art, aux balbutiements des lyrismes préhistoriques; et ils n'arrivent qu'à faire de l'ingénu artificiel. L'enthousiasme spontané ne se simule pas; l'homme, tout seul, ne peut pas revenir à la candeur de l'enfant; il lui faut accepter pour cela le secours du grand Médecin des âmes; mais on n'en veut pas. Attendons alors; car aucune révolte ne lasse la patience divine.

Toute parole, d'ailleurs, peut porter plus loin que celui qui la prononce. Il peut se faire que les pensées qui précèdent se retrouvent, un jour prochain, dans quelque proclamation d'une école nouvelle. Nos discours suivent aussi leurs petites paraboles. Et puis, les histoires que Jésus racontait à Ses disciples n'étaient pas, je le répète, des allégories; quand Il les explique, Il ne les commente pas à la façon des anciens initiateurs. Jésus n'est pas un conteur ordinaire; quand Jésus dit quelque chose, Il crée cette chose. Qu'Il nous parle de graines semées sur différents sols, ou d'arbres, ou de levain, ou de perles, il ne s'agit pas d'images, il s'agit de Lui. Ces semences, c'est Lui; cette graine toute petite, c'est Lui; cette cuillerée de levain, c'est Lui; cette perle, c'est Lui. En un certain lieu secret vivent et la perle, et le levain, et la semence; ces choses, dans le Royaume éternel, déjà elles sont. Au moment où Jésus les nomme, les voici qui descendent dans l'âme de la Terre, et elles commencent d'y exister. Ce que les hommes ne veulent pas comprendre, c'est que la perle inestimable repose tout à leur portée; c'est que le levain miraculeux, ils n'ont qu'à le prendre; c'est que les graines de Lumière où dorment la Vérité, la Beauté, la Bonté éternelles, ils n'ont qu'à les recevoir et qu'à les nourrir. Ces faits, ces phénomènes, ces objets situés au centre de notre monde, de par la parole toutepuissante du Verbe, ils rayonnent; quand leur rayonnement tombe sur les pierres de ce globe, ou sur les plantes, ou sur les animaux, cela produit un corps ou un végétal ou un animal nouveaux; quand ce rayonnement tombe sur l'esprit d'un homme et qu'il se réfléchit sur son intellect, sur sa sensibilité, ou sur son corps, cela engendre une idée plus vraie, un art plus beau, une force meilleure. Et tout cela, avec bien d'autres conséquences collatérales, c'est la lente descente du Royaume de Dieu, la réalisation progressive de la volonté de Dieu.