LE PATRIOTISME ET L'ÉVANGILE
Le Patriotisme, qui est un des modes les plus hauts de l'amour fraternel, reçoit des enseignements du Christ une confirmation irréfragable. Ceci est une évidence; mais il devint parfois nécessaire d'affirmer à nouveau les axiomes.
Jésus, qui. réunir dans sa personne les archétypes de tous les sentiments nobles, apparaît à mes yeux comme le modèle du citoyen et le modèle du soldat. Il a toujours obéi aux lois de Sa nation; Il l'a toujours servie, puisqu'Il lui a donné le rayonnement immédiat de Son Oeuvre public. Il a toujours combattu dans la bataille universelle et perpétuelle que les Ténèbres livrent à la Lumière. Il a combattu jusqu'à la mort physique; Il a combattu, on peut bien le dire, jusqu'aux approches de la mort de l'esprit.
Le mystique trouvera donc en Jésus, par cette invocation ardente et vivante qui est une évocation, la règle et l'Idéal de
son patriotisme. Dans la vie ordinaire, que fait ce mystique? Il aime d'abord son Christ, et s'abîme en ce coeur illimité. Il se
revêt de Jésus, il Le copie, il Le fait vivre en soi, il restaure toutes choses en Lui; aucun acte enfin, aucune pensée, il ne se les permet qu'en demandant; que ferait Jésus à ma place?
Or, Jésus, c'est le prince de la patrie éternelle; et la France, c'est celle des patries terrestres qui ressemble le plus à la patrie divine. Jésus doit donc nous montrer le vrai patriotisme.
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Que répondre à ceux qui demandent par quelle parole le Christ commande d'aimer sa patrie? On ne trouve point un tel ordre dans l'Évangile; saint Paul enseigne ce devoir; mais le Christ non pas.
Le Christ ne dit pas aux pères et aux mères d'aimer leurs enfants; Il ne dit pas qu'on soit doux avec les animaux; et, Il ne recommande pas davantage aux Israélites d'aimer leur patrie. C'est qu'Il s'adresse à des êtres humains, non à des diables ou à des esprits élémentaires revêtus de la forme humaine; Il s'adresse à des fils d'Adam, porteurs de l'étincelle éternelle; en eux, certains aspects simples de l'Amour doivent être, sont innés.
Chez des peuples de forte tension vitale, la foi patriotique se confond avec la foi religieuse. Cela se remarquait en Israël. Il en résulte une certaine déformation de l'idée de Dieu; on la fait servir à toutes sortes des buts que guide l'égoïsme politique. Je ne m'égarerai pas dans la théologie comparée; mais, impossible de ne pas mettre en parallèle l'antique Jéhovah et tels dieux nationaux contemporains, tous austères, durs, impitoyables, ne distribuant que des récompenses matérielles, la richesse, la force économique, les multitudes d'esclaves, tout ce qui dépend du Prince de ce monde, et inspirant avant tout à leurs peuples l'orgueil de se croire les peuples élus, en tête de tous les autres peuples. Lesquels des dieux nationaux ressemblent à ce Père que Jésus nous révéla? Le dieu des races slaves, celui de la Pologne opprimée, celui enfin de la France. Seul entre tous, ces trois peuples ont su ne pas déformer l'apparition surnaturelle. Si, parcourant leur histoire, nous en voyons les classes supérieures de nombreuses fois trahir leur destin providentiel, la masse profonde des Slaves, dans les ténèbres de son ignorance humaine, a gardé une lueur de sa science divine. Et, plus étonnante encore, la masse populaire française a gardé la même lueur malgré son affinement, son éducation mentale et son intellectualisme subtil.
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Ici, encore, la France est privilégiée. Quelle nation a si généreusement offert de soi-même aux autres? Laquelle possède à un égal degré le sens de l'idéal et le goût religieux par excellence, le goût du sacrifice? J'ai entendu des (...) prétendre que la Français n'est capable que d'une religiosité moyenne, d'une bonne religiosité bourgeoise, et que la France n'a pas fourni de grands mystiques comme l'Italie, l'Espagne l'Allemagne. Au contraire, c'est la France qui a engendré les hommes les plus proches de Dieu. Ses saints ne sont pas des déséquilibrés sublimes; ils gardent une santé intérieure admirable; ils sont souriants, aisés, forts avec de la grâce, surhumains sans raideur. Après avoir patiemment disséqué les visionnaires germaniques, après s'être ébloui aux flammes des moines italiens, aux extases des nonnes espagnoles, comme on aime revenir à l'abbé de Clairvaux. à l'évêque de Genève, à Pascal, à Vincent de Paul, au pauvre petit Curé d'Ars! Comme ceux-là nous montrent un Jésus ami; comme ils nous en facilitent l'approche; comme leurs méthodes sont excellentes et pour tout le monde! Et les saints inconnus, ceux qui vécurent tellement ensevelis dans leur humilité que ni la gloire humaine, ni la gloire ecclésiastique ne purent les apercevoir. Je vous raconterai quelque jour des histoires sur ces hommes. Et, en les mentionnant ici, je ne suis pas sorti de mon sujet.
Car je désire faire comprendre d'abord combien l'homme a besoin de Dieu, lorsqu'il cherche à hausser son coeur jusqu'au roc de la certitude. Le meilleur patriote sera le meilleur chrétien. C'est pourquoi le Français trouvera toujours en lui des ressources inattendues, dans des circonstances où n'importe quel autre homme désespérera. La science, la prévoyance, l'art d'organiser,. la discipline, toutes ces forces ont des limites; elles se rencontrent à un moment donné, face à face avec l'impossible. Celui des deux adversaires qui triomphe alors, c'est celui qui possède de la foi, une foi mystique, une foi surnaturelle. Le mot impossible» n'est pas français, a-t-on dit; ce n'est point tant parce qu'un Français saura mettre en oeuvre plus d'habileté ou d'énergie qu'un autre; c'est parce que le Français toujours s'appuie sur une foi; il en vit; il croit en un homme, en un principe, en un sentiment, et cela lui donne la victoire. Quelle ne doit pas être sa force lorsque c'est au Principe des principes qu'il croit; au Fomentateur omnipotent des tous les enthousiasmes, à l'Incarnation vivante de toute charité, au Libérateur universel?
Napoléon a dit: C'est la force morale qui gagne les batailles; tous les jours nous vérifions l'exactitude de cette sentence. Où prendre cette force morale? Quelle en est la source inépuisable? Comment nous l'assimiler? Voilà ce que je désirerait vous dire aujourd'hui.
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La réponse à ces trois questions est simple: c'est la même réponse. Il faut prendre la force morale dans exemple de Jésus; la source en est le coeur de Jésus; nous l'assimilerons en imitant Jésus.
De nombreux passages des Évangiles montrent l'importance d'Israël dans les préoccupations du Christ. C'est à la partie de son oeuvre accomplie en Israël qu'il a voulu donner une gloire universelle; Il Se dit envoyé seulement aux brebis perdues d'Israël; c'est à Israël qu'il délègue d'abord ses apôtres. L'argument du Grand-Prêtre qui décide de la mort du Juste, c'est qu' il vaut mieux qu'un seul homme meure plutôt que tout le peuple périsse ». Et cette lamentation sur la ville impénitente, comme elle palpite d'un amour profond: Jérusalem, Jérusalem, qui tue les prophètes et qui lapide ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu... »
C'est le souci de Son peuple qui d'abord courbe le front du Christ; ce sont les péchés de Son peuple qui d'abord meurtrissent Ses épaules; et dans Ses oraisons nocturnes sur les montagnes désertes, c'est d'abord le nom de Son peuple qui revient sur Ses lèvres. Et Il savait d'avance Ses efforts inutiles! Et, malgré cela, Il lui a tout donné tout; car le moindre de Ses dons renferme tout, parce que c'est Lui qui donne.
Veillons a ne pas imiter l'ingratitude d'Israël. La France est la patrie morale du Christ, la patrie d'adoption: le jour où
Il nous ouvrira les yeux. nous serons éblouis des splendeurs dont Il l'a comblée.
Tel est ce coeur immense, qui s'embrase d'un seul effort pour les créatures innombrables, et qui sait en même temps dispenser à chacune l'exacte mesure d'amour qu'elle est capable de contenir.
La contemplation du Béni effraie à la longue, et décourage. Il est trop haut, Il est trop splendide, Il écrase le contemplateur. Et cependant voici tout à coup le Très-Grand à nos côtés; Il s'est rapetissé presque à notre taille; Il s'est couvert de voiles; Il veut qu'on puisse Le regarder longtemps, attentivement, commodément; car Il veut que nous L'imitions. Et seul de tous les dieux, Jésus est imitable, parce que, plus haut que les plus grands, plus modeste que Les plus petits, Il demeure toujours réel, précis, tangible, pratique.
Ah! l'homme qui croit au Christ est plus fort que tout l'univers! Il porte constamment en soi l'idéal multiforme de tout ce que la vie peut lui demander à n'importe quelle minute; concentré dans les réalisations successives à chacune desquelles il se donne d'un total effort, il accomplit selon leur plénitude les heures de son existence, et, par la porte très étroite du Présent, il entre, encore sur terre, dans la béatifique Eternité.
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J'aimerais que nous puissions revoir ensemble notre histoire de France. Je sais que vous L'aimez, notre France; mais il me semble toujours qu'on peut l'aimer davantage, et encore davantage: on peut l'aimer à l'infini. J'aimerais que nous regardions ensemble passer les Celtes, les Druides, et la domination romaine; et le christianisme, et Geneviève, et Charlemagne; la Sorbonne, saint Louis, Jeanne d'Arc; et Henri IV, et Louis XIV, et la Révolution, -et le petit Caporal: tout enfin. Les moindres détails de notre histoire sont si révélateurs!
Et les lettres françaises, et l'art français, tous ces nobles monuments, vastes, non démesurés, d'une ordonnance libre et sobre; ce génie clair; ces ailes qui montent, et qui savent redescendre, d'un même élan où l'effort ne s'aperçoit point; tous ces chefs-d'oeuvre enfin, dont chacun des chefs-d'oeuvres étrangers ne paraissent plus ensuite que les simulacres: quels trésors de sensibilité, d'intelligence subtile, et de grâce ne dénotent-ils pas?
Il y a dans le Français un fonds inaliénable d'humanité, de générosité, de noblesse; il ne sait pas haïr. Je causais un jour dans un jardin d'hôpital, avec quelques blessés; j'étais parvenu à leur faire raconter des anecdotes; entreprise ardue, car ces hommes d'action n'aiment point parler, sauf de leurs champs, de leur commerce, de leur famille, de ce qui était leur vie, et que la guerre à éparpillé; ils ignorent qu'ils sont des héros. L'un d'eux, un vigneron champenois, s'était trouvé, après la bataille de la Marne, repasser par son village. Il avait couru vers sa maison, il l'avait trouvée en ruines, et dans la cave, sa femme et sa petite fille, sans sépulture, dormaient leur dernier sommeil. Mais le rassemblement avait sonné, l'homme avait rejoint son escouade; il avait continué à se battre; et il était là maintenant, blessé, veuf et seul dans le monde. Il racontait cela aux camarades. Et l'un d'eux lui dit. Quand on va rentrer chez eux, tu sais, on leur rendra tout cela, va, as pas peur! » Mais le vigneron répondit en hochant la tête: On dit cela, oui, je sais bien; mais quand on y un sera, on aura jamais le coeur, on pourra jamais toucher à des femmes ou à des enfants. » Ce paysan soldat, c'est toute la France, terre de chevalerie, fief du Christ.
La France, avant-garde des nations, est aussi à leur arrière-garde. Comme le chien du Berger, elle s'élance pour entraîner le troupeau; elle en fait le tour, elle harcèle ses retardataires, et elle recommence, infatigablement. Et quoique le chien garde les moutons des loups et des voleurs, les moutons ne l'aiment pas, parce qu'il les empêche de flâner.
Je juge autrement que l'historien les guerres et les conquêtes. Les grands capitaines, les hommes d'Etat croient agir librement, en toute connaissance de cause: ils sont menés par les génies et les anges nationaux. Les grandes entreprises politiques ont toujours produit des résultats inattendus. Un exemple seulement: Napoléon croyait ne travailler que pour la France; certes, il a redonné à la patrie son unité, sa cohésion; mais aux peuples vaincus il a été aussi utile. C'est grâce à Lui que l'Allemagne a commencé à être une; et à son tour, aujourd'hui, l'Allemagne, par la rage de sa haine, fait que la France se replace d'un élan à la tète des nations.
L'Etat spirituellement inférieur est presque toujours celui qui attaque parce qu'il se croit matériellement le plus fort.
C'est ainsi que nous avons été si souvent des dupes dans les arrangements internationaux. Cela est bien: être dupe ou victime, voilà la meilleure manière d'éclairer le fourbe ou l'agresseur. L'Evangile le dit; c'est le destin providentiel de la France. N'en déduisez pas que je vous conseille de ménager nos adversaires actuels. Tout au contraire; il faut que notre victoire soit éclatante, définitive, écrasante. Le contraste entre le triomphe extérieur et la clémence intérieure augmente l'effet spirituel de celle-ci. Notre devoir unique est de lutter contre l'ennemi jusqu'à la mort, et tout le monde, les femmes comme les hommes, les civils comme les soldats.
L'âme de la France n'est pas vindicative; nous pardonnerons toujours assez tôt. - je dirais: trop tôt, si je ne me souvenais que nous avons avec nous Quelqu'un de plus fort que tous les canons et de plus sage que toutes les diplomates. L'âme de la France ne peut tomber dans la fange; elle est une étincelle insigne de 1'âme de Jésus; elle est son ange parmi les nations; quand apparaît en ce bas monde un de ces hommes qui sont le sel de la terre », qui arrêtent la corruption universelle, qui rassemblent les soldats » du Christ, et qui sèment à pleines mains les preuves éclatantes de la sollicitude divine, c'est toujours la France qu'ils choisissent pour patrie.
Nous pouvons donc nous battre de toutes nos forces: jamais nous n'abuserons de la victoire.
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Le Christ semble condamner la guerre, puisqu'il ordonne: Aimez-vous les uns les autres. » Mais si nous nous aimions comme Lui nous a aimés, aucun État ne pourrait nous attaquer; notre patrie serait comme le saint dam la forêt: non seulement les fauves lui sont inoffensifs, mais encore ils viennent lui rendre hommage à leur façon.
Voici la diplomatie divine; d'une part: Aimez-vous »; d'autre part; Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la
guerre. » La méthode providentielle de gouverner le monde apparut-elle jamais plus clairement? Jésus donne le précepte
et fournit l'obstacle grâce auquel l'obéissance au précepte demande quelque effort; comme dira plus tard saint Paul: Sans la loi, pas de péché. Sentez-vous bien qu'il s'agit d'une école, d'une période d'exercice, au bout de laquelle un examen vous ouvrira de paisibles et joyeuses vacances?
Pourquoi nous alarmer? Toute épreuve n'aura qu'un temps. Le Père a donné au Mal la même force qu'au Bien, de façon que la lutte se perpétue et se propage jusque dans les dernières retraites où l'adversaire puisse se réfugier. Mais Il a donné au Bien quelque chose dont le Mal est dépourvu, une toute petite chose, presque imperceptible. C'est une certaine lueur, que l'on devine plutôt qu'on ne la voit; cela ressemble à ces minutes d'avant l'aurore, où les ténèbres nocturnes sont tout à coup moins opaques, bien qu'il fasse encore nuit noire; les ténèbres ondulent, comme une grande tenture que l'esclave s'apprête à écarter. Et ce frémissement, puisqu'il faut lui donner un nom, c'est la douceur de la Sagesse éternelle. Par cela, le Bien triomphera.
Jésus est le grand Guerrier; Jésus a promis le Royaume aux violents; Jésus est venu mettre le feu sur la terre; Il l'affirme; Il insiste: Qu'il me tarde jusqu'à ce que ce feu soit allumé. » Mais c'est avec les armes de l'Amour qu'il combat; avec la patience, avec l'indulgence, avec le sacrifice. Jamais Jésus ne s'est mis en colère; Il a fait quelquefois les actes de la colère, par exemple, en chassant les vendeurs du Temple; jamais cette folie n'a entamé son calme; et Sa puissance de combattre n'est devenue que plus forte et plus invincible par cette constante maîtrise de soi.
On ne s'imagine pas quelle vertu confère aux gestes de la haine d'être exécutés dans l'esprit de l'Amour; leur énergie de rayonnement s'en trouve décuplée. L'homme assailli par la tentation succombera presque fatalement s'Il s'irrite et se débat; de même un pays, surtout quant l'agresseur est barbare, triomphera certainement, si sa défense, quelque meurtrière qu'elle soit, reste calme et noble. Ne pas s'opposer à des hordes d'assassins, sous prétexte d'humanitarisme, est une pure insanité; laissera-t-on un ivrogne à son absinthe parce que la privation le ferait trop souffrir? Non, le Christ n'a jamais rien enseigné qui ne soit d'accord avec le plus simple bon sens. Si nous ne pouvons arrêter les bandits qu'en les tuant, il faut les tuer, le plus possible et au plus vite; si nous nous soucions de ce qui leur tient lieu d'âme, l'absence de haine dans nos coeurs pendant que nous les châtions, suffit à implanter en eux le germe du remords, et à préparer leur lointaine amélioration.
Combattons comme Jésus. Dans les mondes où Il passe, Il sème le bien à poignées,. surabondamment. Le mal
s'irrite, bouillonne, et attaque les serviteurs du bien. Il s'enrichit de leurs dépouilles, il s'en alimente, et grandit, jusqu'à sa limite. A ce moment Jésus reparaît comme juge; Il reprend toutes ces flammes, devenues ardentes: celles de la Lumière, capables d'éclairer davantage; celles des Ténèbres, ayant atteint le paroxysme de leur fureur. Et il suffit alors au Juge de prononcer la sentence pour que l'axe de la planète subisse une révolution, que toute sa biologie soit transformée, que ses habitants soient transférés ailleurs et remplacés par de nouveaux venus.
Nous aussi, en nous sacrifiant au salut commun, nos esprits, dressés dans la Lumière, répandront la Lumière. Et de la violence sortira la douceur; de la bataille naîtra la paix.
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Car ce Jésus, en apportant la guerre, dispose les fondements de la paix. Dans les sillons creusés par 1es obus, des anges répandent les semences de concorde. Les conflagrations comme celles où nous sommes témoins et acteurs, sont, en vérité, des jugements. Le Pacifique y assiste; Il est là, entouré de Sa Mère et de Ses Amis, ces saints et ces anges que les croyants invoquent, d'autres encore que peu d'hommes connaissent. Comme dit le prophète, Il ne dispute pas, le fabricateur de la Paix; Il ne crie pas; on n'entend pas sa voix sur les places publiques; Il se montre très patient; Il accorde aux créatures tout le temps nécessaire pour se ressaisir et se tourner vers Lui: Il ne brise pas le roseau froissé; Il n'éteint pas la mèche encore fumante; certain de Sa victoire; Il la désire seulement pour le repos qu'elle procurera au monde.
Ainsi devons nous procéder: servir la France en tout, par les fatigues militaires et par les labeurs civils, silencieusement, tenacement, jusqu'à la limite de nos forces. Quand les muscles n'en pourront plus, les nerfs marcheront; quand la machine physique sera épuisée, les innombrables ressources de la force morale donneront; et l'effort continuera.
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Ceci est au-dessus des énergies humaines. Le Christ en élisant notre patrie comme Sa Patrie, s'est engagé implicitement à la pourvoir de vertus suréminentes. De ses grèves à ses montagnes, de ses villes à ses forêts, de ses campagnes jusqu'aux plus subtils rayonnements de son peuple, courent des souffles de l'Esprit. Et chacun des fils de France, dès que le danger collectif réveille en son coeur la flamme patriotique, reçoit de ce même Christ, dispensateur de l'Esprit, l'illumination nécessaire pour se hausser aux gestes héroïques.
Dans une société, tout s'appuie sur l'individu; évidence certes; mais on a besoin de se redire les évidences. Dans une
organisation seulement humaine, les seuls efforts individuels qui lui profitent sont ceux qui vont au but de cette organisation: un artiste ne peut pas faire servir directement son art à un syndicat de terrassiers. Mais dans le collectif: France, à cause du Christ, une porte s'y trouve ouverte sur l'Absolu, et à cause de cette porte, l'énergie la plus insignifiante, ou la plus disparate, peut servir et sert à l'ensemble, parce que, elle aussi, toute petite, toute seule, peut rejoindre cet Absolu, son auteur. Le Christ est sur le chemin; Il accueille et Il recueille. Il transfigure et Il renvoie tout, sublime, sur ce peuple qu'Il a, dès l'origine, élu.
Mais prenons garde; le Christ ne joue pas au despote: notre libre arbitre est le don le plus précieux de Son Esprit; jamais Il n'use de contrainte; il attend notre bon vouloir; Il lance ses lumières, il envoie Ses cohortes angéliques; à nous d'ouvrir les yeux, à nous d'écouter les appels ineffables; à nous de répondre par les signaux de secours. Tous nos soins sont nécessaires pour que rien en nous n'arrête l'influence divine, car elle ne s'impose jamais, sauf au jour du jugement. Ceci est la pratique de l'ascétisme: une lutte sévère contre notre paresse, notre avarice, notre indifférence, contre nos égoïsmes, surtout contre les plus petits.
Le souffle de l'Esprit est descendu: nous devons maintenant l'assimiler. D'abord le recevoir pleinement, qu'il pénètre jusque dans les plus profonds replis de notre personnalité, que nous nous en saturions. Il faut pour cela nous faire humbles. L'humilité est la ménagère diligente, elle balaie en nous, elle lessive, elle met aux ordures tout le superflu, tout le laid, tout ce qui n'est pas Dieu. Les chambres intérieures une fais nettes et vides, Jésus les meublera selon son goût, selon l'usage auquel Il les destine; et tout sera bien. Etre humble, c'est la première condition de la santé morale.
Après, il faut que les souffles de l'Esprit christique s'incorporent à la substance de notre esprit. Il faut que celui-ci désire celui-là,. qu'il en ait faim et soif, qu'il le réclame ardemment., Cela, c'est la prière. Non pas le marmotter de patenôtres, mais le cri du coeur, spontané, sans forme, sans règle ni mesure, l'appel au secours. Je vous ai dit plusieurs fois que la prière force le miracle; bien des soldats savent cela, maintenant par expérience; parmi ceux qui me font l'honneur de se dire mes amis, il en est dont le coeur fut assez ferme pour pouvoir prier avec calme sous le tonnerre des artilleries, dans la ruée des assauts, ou l'éclair des baïonnettes ennemies devant eux. Ceux-là, qui surent deux secondes reprendre leur sang-froid pour jeter à Jésus l'appel dernier, ceux-là sortirent indemnes de l'infernale cohue; les balles suivirent dans leurs vêtements des trajets inexplicables. Car cette guerre fait fleurir les miracles, comme le printemps fleurit à foison les talus des tranchées.
Portant ainsi en soi le don du Christ, mêlé à la chair et au sang, le mystique patriote n'a plus qu'à surveiller les occasions de travail. Les soldats veillent; inutile de le leur recommander; mais les civils?
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Récapitulons les précédentes idées. Elles sont importantes: elles doivent faire corps avec notre conscience; il faut qu'elles soient là, toujours prêtes, sans que la mémoire aie besoin de les chercher.
Se faire humble, et veiller, c'est la base double et constante de l'attitude mystique. La prière et l'action alternent; prière très attentive et très humble; action très soigneuse et silencieuse.
La prière, ces temps-ci, est chose particulièrement grave: je vais essayer de vous le montrer.
Jésus est là, tout prés, puisque nous sommes dans l'affliction; Il nous sollicite; Il nous attend. Les obstacles que les diables et nous mettent en travers de Ses projets ne l'impatientent pas. Il nous plaint; Il s'ingénie à utiliser pour notre avantage nos fausses manoeuvres. Toujours il atteint son but et nous rapproche de celui qu'il a désigné pour nous, même lorsqu'Il paraît les avoir l'un et l'autre complètement manqués.
Une indulgence aussi riche en ressources réduit singulièrement le domaine de la Fatalité. On voit pourquoi la prière est si puissante. Dès que l'un de Ses enfants L'implore, le Père trouve toujours sur l'heure le moyen de changer de fond en comble Ses projets les plus complexes. Mais Il ne cède qu'à la voix de Ses enfants, de ceux qui ne travaillent que pour Lui, c'est-à-dire pour les autres, ou qui, au moins, s'y efforcent de leur mieux. Je vous ai longuement parlé de cela autrefois: je vous ai dit ce que sont les disciples, les serviteurs, et les amis du Christ, les laboureurs, les soldats et les chefs. Vous en savez assez pour sentir les immenses avantages que l'humanité entière retire de rentrée d'un seul d'entre nous dans l'une de ces phalanges. Et jamais les circonstances ne vous presseront plus imperieusment qu'aujourd'hui de suivre une telle carrière.
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Un mot encore, pour rectifier une théorie fausse, qu'on voit se répandre actuellement.
Le danger fait revenir vers Dieu beaucoup d'hommes indifférents ou incroyants. D'autre part, chez les civils, les diverses Églises recommandent la prière collective comme plus puissante devant Dieu:. plus il y aurait de Français priant pour la victoire, plus vite elle nous serait donnée. Sous cette forme, la théorie est fausse; tout au moins elle prête à équivoque. Cela voudrait dire que la quantité de prières importe; cela ramènerait aux milliers d'invocations quotidiennes du bouddhisme, du brahmanisme, de l'islamisme; ce serait ne voir dans l'acte de prier qu'un dégagement magnétique; ce serait de l'occultisme. N'oublions pas le conseil de Jésus: En priant, ne multipliez pas les paroles comme font les païens; ils s'imaginent en effet, que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer. Ne les imitez point, car votre Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez. »
La prière n'est pas un fluide ou un psychisme qui augmente avec le nombre de récitants comme augmente avec la nombre de tours l'intensité d'un dynamo. C'est la qualité qui importe dans la prière, et non la quantité. Une minute de la prière d'un saint dépasse infiniment des heures de litanies récitées par une multitude de fidèles médiocres.
Parmi ceux qui m'écoutent, deux ou trois au moins savent par expérience ce que c'est que la patrouille avancée, la contre-attaque et l'assaut. Ils savent que s'ils sont là maintenant, c'est sans doute en vertu d'une prière. Et cet appel sauveur, ils l'ont lancé tout seuls, n'importe comment, mais, à coeur perdu: dans ces minutes-là, les formes tombent en morceaux, et la Vérité essentielle apparaît. J'entends encore un jeune soldat blessé,. en traitement dans un hôpital où je fréquentais, me dire, avec quel accent de ferveur heureuse, les prières uniques qu'il avait faites, et ses minutes d'extase dans ses nuits de garde, seul, avec la mort rôdant alentour. Oui, la vérité est simple, notre coeur est simple, notre Jésus est simple; et lorsque ces trois deviennent Un, nos prières sont entendues.
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Reprenons notre exposé.
Le mystique patriote a nettoyé la chambre secrète de son coeur; Il s'est offert à la visite divine, il l'a reçue, il en a profité. Il est prêt pour l'action.
Comment va-t-il sortir à la suite du divin Voyageur? Comment pourra-t-il Le suivre?
En L'imitant; en copiant Ses gestes: semer le bien; subir le mal; donner à autrui son temps, ses forces, son intelligence, son affection; supporter les maux d'ancienne provenance, et les maux récents que les bonnes actions nous amènent à coup sûr. Voilà une autre sorte de prière, la prière de l'exemple; voilà le véritable humanitarisme, la charité vivante, le travail du soldat du Ciel.
Remplacez le mot Ciel par le mot Patrie: vous avez le travail actuel de chaque Français. Remplacez le mot: Enfer par les noms de nos ennemis; vous aurez, dans les maximes évangéliques ainsi traduites, le code du plus pur héroïsme patriotique. De même que le mystique tire toute sa force de Jésus, s'incorpore à l'esprit de Jésus, et soulage Jésus dans son martyre perpétuel, - de même le patriote ne vit que par la Patrie; son coeur est une étincelle de l'ange de la Patrie; et ses fatigues augmentent la force de cet ange.
De même que le Chrétien aperçoit son Christ en tout homme, le patriote aperçoit en tout compatriote le génie même de son pays. Comme Jésus, dans un certain sens, est le Fils de l'homme, la France est la fille des Français. C'est par l'Ame et par l'ange de la France que les dons du Christ descendent sur nous. Comme Jésus en envoyant Sa Lumière à Ses serviteurs, les modèle peu à peu à Son image, la France, par tout ce qu'elle donne à ses enfants, transforme leurs coeurs en son coeur. Jésus, ayant souffert pour chaque homme, chaque homme depuis le Calvaire, porte en soi la lumière d'une des larmes de Jésus. De même, notre France a souffert et souffre encore pour chacun de nous; par suite, chacun de nous contient une étincelle de l'âme de la France.
Le mystique est humble: que le patriote ne se propose pas aux honneurs; je connais des soldats qui cachent leurs exploits.
Le mystique est charitable: que le patriote mette tout en commun avec ses frères; cela, on commence à le faire.
Le mystique est doux: que le patriote domine ses colères légitimes. Toute colère qu'un refrène se transmue en une énergie invisible infiniment plus active et plus durable.
Le mystique ne hait pas les démons qui l'assaillent; il les arrête invinciblement, et les repousse. Le patriote ne haïra pas non plus les ennemis; sa haine retomberait plus tard sur son pays. Il les mettra dans l'impossibilité de nuire, il les rejettera dans leurs repaires.
Le mystique pardonne enfin: le patriote pardonnera aussi à ceux qui lui ont nui personnellement. Mais de même que l'envoyé de Dieu sait réduire les oppresseurs et les tyrans, le patriote aussi saura défendre et son pays et ses frères trop faibles; par les armes, d'abord; par des lois prohibitives, par des mesures économiques, par des barrières industrielles et commerciales. Défendre la France, c'est défendre l'instrument ethnique des desseins providentiels.
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Et en prononçant ces derniers mots, je sens tout à coup comme les comparaisons que je viens d'établir entre le mystique et le patriote sont inexpressives. Ces deux types sont plus proches que je ne le dis. Regardez le monde des astres. On y voit des planètes qui tournent par des groupes autour d'un plus petit nombre des soleils. Ceux-ci évoluent autour de certaines étoiles immenses; et tout l'énorme système se dirige vers un centre inconnu, quelque part, dans les ténèbres des sommets firmamentaires. Or, il y a une route droite - la Colonne du Monde - qui va du Centre inconnu à une certaine étoile, puis à un certain soleil, puis à une certaine planète, puis sur cette planète, et successivement, à l'âme d'une certaine race, d'un certain peuple dans cette race, à un certain individu dans ce peuple. Et cela continue jusqu'au siège de Lucifer dans le centre des Ténèbres Extérieures.
La France est située là où le rayon direct traverse la terre. Plus bas commence le royaume du grand Révolté. L'individu, dans ce peuple de France, que touche ce même rayon, je vous en parlerai plus tard; ou mieux, vous en entendrez parler. Mais, ce qui importe, c'est que cette relation singulière soit renforcée par nos soins. Et cela n'est possible que si le patriote devient serviteur du Christ.
La patrie de la science matérielle nous a attaqués, comme un bandit en embuscade; l'univers a besoin d'un spectacle réconfortant; la France doit montrer au monde qu'elle est la patrie de la liberté, de la loyauté, de l'amour fraternel.
Regardez un amour véritable; il donne son argent, son pain, sa santé, tout pour procurer à celui qu'il aime le moindre soulagement. Faites cela; faites cela aux inconnus d'abord, à vos amis ensuite, à vos proches en dernier lieu: car ceux-ci, vous les aimez naturellement; les inconnus, vous ne pouvez pas les aimer d'abord. Voilà le véritable humanitarisme. Prenez le passant, le miséreux au physique ou au moral; parlez-lui; donnez-lui ce qu'il y a de bon chez vous et en vous. C'est à Jésus même que vous parlerez et que vous donnerez.
Si vous saviez le bonheur que le Père réserve à Ses enfants! Les plus terribles souffrances, la maison incendiée, les siens égorgés, la ruine, l'agonie du soldat dans la glaise glacée, les longs mois de prison, avec la famine et la maladie: tout cela, un certain jour, ne vous paraîtra plus qu'un songe. Vous aurez acheté d'une piqûre d'épingle la plus pure allégresse, la plus sublime béatitude. Ah! si vous saviez ce que c'est que le Ciel! Il y a des hommes qui en out eu l'espace d'une seconde, un lointain avant-goût: et cette seconde leur a suffit pour emparadiser leur existence sur terre et pour leur donner la force ensuite d'accomplir dans des lieux inférieurs, la tâche que Jésus leur avait confiée.
Or, s'il est vrai qu'en luttant pour la France on lutte pour Dieu, Il est encore,. si possible, bien plus vrai, plus direct en tout cas qu'en accomplissant de toutes ses énergies la loi de Dieu, on aide la France efficacement, on donne à notre pays une force supérieure à toutes les forces.
Essayez, tentez l'expérience. Le Père ne nous demande que Cela: des tentatives. Aussitôt, Son Fils descend, et Ses ange; et c'est eux qui, par notre intermédiaire, accomplissent l'oeuvre. Soyons les instruments de Dieu pour l'oeuvre de la Victoire.