CONDUITE DU MOISSONNEUR
Si nous sommes très courageux, recherchons les malades, les désespérés, les ignorants, les incrédules, et tâchons de les guérir d'abord par notre force, notre espoir, notre science ou notre foi, et ensuite par la prière. Si nous sommes moins courageux, si nous craignons les contrecoups inévitables que provoquera la descente de la Lumière dans les ténèbres, attendons que les souffrants nous demandent du secours. Mais, quoi que nous fassions, il se peut que la maladie nous contamine, que le désespoir et le doute nous atteignent. Cela ne fait rien; prions alors en secret, et toutes les forces avec tous les courages nous reviendront. Celui qui agit par la vertu du Ciel n'a pas le droit d'exiger un salaire pour ses cures ou ses leçons; il n'a acquis par ses propres efforts ni ses pouvoirs, ni sa science; il doit donc en faire part gratuitement; tout au plus peut-il accepter l'argent qu'on lui offre. Entendez bien que ces règles, et les suivantes, ne s'adressent qu' aux hommes qui ont reçu physiquement un ordre de la bouche même du Christ incarné. Ne vous fiez pas à votre clairaudience, ni à votre clairvoyance; le discernement des esprits est une faculté très rare; nous ne pouvons pas connaître avec certitude l'origine de nos sensations hyperphysiques. Tenons-nous-en, nous la masse, à l'accomplissement du devoir terre à terre; vouloir imiter le genre de vie des " soldats " est une besogne trop difficile; avec la meilleure volonté du monde nous nous tromperions et nous tromperons les autres. Mais celui à qui Dieu parle, de bouche à oreille, n'a pas de prudence à garder. Qu'il ne se préoccupe ni de monnaie, ni de vêtements, ni de logis; il ne faut pas que rien en lui appartienne au Prince du monde; des invisibles sont commis d'avance à tout préparer pour lui, et si les hôtes choisis ne se conduisent pas convenablement envers l'ouvrier du Seigneur, leur responsabilité est grande à cause de l'éminence du Maître. Car ce n'est pas la forme de l'acte qui en fait la gravité, mais bien sa direction; et la moindre visite du Ciel vaut plus que tous les trésors de la Nature. Au milieu du monde, les apôtres sont réellement " comme des brebis au milieu des loups ". La vie de la matière est de s'entr'égorger, de s'accroître à n'importe quel prix; les enfants de la Nature convoitent toutes les formes de l'énergie, surtout lorsqu'ils les devinent aussi splendides que celles dont les serviteurs de Dieu sont revêtus; et ils cherchent à dépouiller ceux ci avec le même acharnement qu'ils apportent à étouffer la voix de leur propre conscience.
Ceci n'est pas trop difficile; mais il faut de plus être simple. De notre simplification découle notre unité, et de notre unité notre puissance. Le rôle de l'homme est grand; par lui influent les forces supérieures; à lui affluent les forces inférieures; il est le carrefour où se rencontre l'involution avec l'évolution. Il faut donc qu'il puisse recevoir des six coins de l'espace, comme disent les anciens hiérogrammes; il doit être une ville ouverte tout à la fois et diligemment défendue, car il ne peut transmettre vers le haut ou le bas qu'après avoir teint à sa propre lumière ce qu'il a reçu du bas ou du haut. Et si toutes les avenues de l'être humain, et tous les monuments de la Cité-aux-sept-Portes doivent ne voir que des visiteurs animés du même esprit, c'est par la pratique de la simplicité que l'homme obtiendra cette paisible harmonie intérieure. Ce qui nous émiette, ce n'est pas la variété des travaux, c'est la diversité des volitions. Accomplir vingt tâches dans une seule intention unifie; changer vingt fois de but pour un seul travail disperse et délabre. Se plier à toutes les exigences de la vie en gardant au fond de soi la seule passion du Ciel, c'est la plus haute tenue de l'homme simple; il conserve par elle la plus claire lucidité intellectuelle et la plus puissante énergie réalisatrice. La brebis au milieu des loups se sent perdue, s'affole et se comporte exactement comme il faut pour qu'elle soit plus vite dépistée, puis dévorée. La prudence et la simplesse que Jésus recommande sont, dans de tels cas, nos armes les meilleures; la prudence, puisque nous ne devons pas éveiller les convoitises hostiles de ceux qui n'appartiennent pas à notre Maître, en leur laissant apercevoir nos privilèges d'intimité mystique; la simplicité, parce que c'est elle qui, sans apprêts, déjoue le mieux les embûches de la ruse. La première application pratique de ce conseil, c'est que notre qualité de disciples, ou d'apprentis-disciples, ne nous oblige pas à nous laisser exploiter, car ce n'est pas nous-mêmes que nos ennemis atteignent, c'est, indirectement, les nôtres dont nous avons la charge; c'est, directement, notre corps et nos facultés diverses, dont nous avons la gérance et que nous devrons rendre, au jour du jugement, accrus et enrichis. Plusieurs d'entre vous s'imaginent qu'il n'y a qu'à s'asseoir et à attendre, comme disent les bonnes gens, que les alouettes leur tombent toutes rôties. D'autres pensent qu'il leur suffit de consacrer à leur gagne-pain le minimum d'efforts; ils s'étonnent et se découragent si le Ciel n'ajoute pas un peu de superflu à leur maigre nécessaire. Tout cela, c'est du faux mysticisme, c'est du quiétisme. C'est un devoir, c'est une obligation stricte de se donner du mal, de peiner dans le travail manuel, de se remuer dans le travail commercial, de combiner, d'inventer, dans les professions libérales, encore davantage que ne font ces volontés positives et utilitaires qui ne comptent que sur elles-mêmes pour faire fortune ou pour monter aux honneurs. Le disciple ne doit pas restreindre les bénéfices de ses activités pratiques, parce que, ce faisant, il restreindrait les possibilités d'amélioration matérielle ou intellectuelle de sa famille, de ses serviteurs, de ses employés; il restreindrait la petite circonscription de vie sociale sur laquelle il influe; et, presque toujours, un tel détachement n'est que la peur paresseuse de l'effort. Il est bien moins dur, en effet, de soupirer que de se fatiguer les bras ou la tête à un labeur soutenu. Votre devoir de disciples, c'est de ne vivre aux dépens de personne; or, vit aux dépens de la société, outre celui qui mendie, ou dont la gêne sollicite la bienfaisance, celui qui n'augmente pas le capital monétaire, industriel, commercial, intellectuel, artistique de sa patrie. Essayez donc de gagner un peu plus que l'indispensable. Quand votre femme et vos enfants auront ce qu'ils demandent raisonnablement, quand vous leur aurez donné le confort, l'éducation et l'instruction utiles, selon votre rang, le reste sera pour vos charités; ne faites de l'ascétisme que sur vous-mêmes, sans que vos proches en souffrent. Votre devoir de disciples, c'est que vos charités ne soient qu'aux dépens de vos aises personnelles, et de les faire vous-mêmes, de ne pas les faire faire à d'autres. J'ai vu des spiritualistes qui, par naïveté sans doute, faisaient donner de l'argent à des pauvres notoirement peu honnêtes, acheter des tableaux faux, placer des incapables, par des gens plus riches qu'eux, mais que cette manière d'agir dégoûta pour toujours de la charité. Ces spiritualistes étaient dépourvus de bon sens; ils se figuraient avoir bien agi; l'idée ne leur venait pas que, à défaut de billets de mille francs, ils auraient pu s'imposer toutes sortes de privations pour appuyer leurs prières en faveur de leurs protégés. Vous savez tous, cependant, que la prière peut provoquer le miracle le plus physique, lorsqu'elle est valide; quelques-uns ont expérimenté cela. Votre devoir de disciples enfin, dans cette même ligne économique, c'est de ne pas enfouir votre superflu, mais au contraire de le faire fructifier, soit matériellement en l'employant à des entreprises nouvelles, soit spirituellement par l'aumône. La volonté du Ciel est que nous augmentions la vie, en tout et partout. En un mot, donnez-vous du mal, comme le plus ambitieux des arrivistes, tout en vous privant personnellement comme les avares, en vous détachant de la réussite comme les ascètes, en vous montrant généreux comme si ce que vous donnez ne vous avait coûté rien à acquérir. L'habitude d'un tel état d'esprit est le meilleur apprentissage de la prudence et de la simplicité. En général, vous êtes simples dans le bon sens du mot; mais la prudence vous manque et le sens des réalités pratiques. Vous entreprenez trop souvent des affaires sans les avoir d'abord étudiées; vous ignorez trop la technique de vos réalisations, ce que d'autres ont fait dans le même genre, les concurrences possibles et les moyens de succès. C'est de la paresse. Vous vous dites presque inconsciemment : " Je ne sais pas trop où je vais, mais, bah ! le Ciel m'aidera ". Non, Il ne vous aidera pas. L'adulte ne peut marcher que parce qu'il a trébuché de longs mois quand il était petit enfant. Nous sommes sur la terre pour développer toutes les possibilités terrestres, et non pas seulement nos possibilités célestes; d'ailleurs, celles-ci, c'est le Ciel qui les développe Lui-même en nous. Les premières, c'est à nous à les cultiver. Il faut vous instruire, quelle que soit votre profession; il faut voir les faits tels qu'ils sont, et non pas tels que vous vous imaginez ou que vous désirez qu'ils soient. Il y a la paresse du corps, il y a aussi la paresse de l'intelligence, et la paresse du vouloir. Secouez tout cela. Si Dieu vous donnait tout, parce que vous avez de bonnes intentions, Il vous rendrait un bien mauvais service; votre avenir spirituel serait perdu. Avant qu'Il ne réalise l'impossible en notre faveur, nous devons avoir essayé tout le possible. Qui de nous peut dire : " J'ai fait mon possible " ? Simultanément, gardez cette simplicité précieuse, présent inestimable du Ciel. Après avoir bien préparé vos plans, bien étudié l'entreprise sous toutes ses faces, pesé le pour et le contre, aligné les devis, prévu les obstacles, évalué les concurrences, supputé les bénéfices, mettez-vous à l'ouvrage de tout votre coeur, et remettez le tout à Dieu; cela, c'est de la simplicité. Quand s'ouvrent les longues discussions avec des compétiteurs adroits qui vous tendent des pièges et vous étourdissent de leurs phrases, ne leur répondez que l'indispensable; cela, c'est de la simplicité. Conservez toujours votre sang-froid le plus lucide et le plus réaliste; ce sera de la simplicité. Ne pas perdre son but une seconde, en dépit de toutes les manoeuvres; c'est de la simplicité. Ne pas mentir; c'est de la simplicité. Réunir tous les tracas en un seul faisceau d'obéissance à Dieu et de confiance; c'est la simplicité suprême. La grandeur, la force, la noblesse sont simples. Simple est la Vérité. La Beauté n'est qu'une simplification subtile et riche d'éléments hétérogènes. La simplicité diffère essentiellement de l'ignorance, de la bêtise ou de la grossièreté; synthèse lente de mille forces diverses, elle demande un énorme travail intérieur, une foule de notions expérimentales et quotidiennes, dont la prudence ordonne la suite et coordonne les résultats. La prudence régit les actes, l'externe; la simplicité régit votre interne. Vous pouvez montrer votre prudence; mais, si vos adversaires s'aperçoivent que vous êtes simples, ils vous attaqueront avec un cynisme accru. La sagesse, c'est la conciliation réaliste et pratique de tous les couples de facultés contraires et de vertus opposées. Compulsez l'Évangile dans cet esprit, et vous verrez vos incertitudes disparaître. Le tout, c'est de vouloir suffisamment. * La simplicité spirituelle est une droiture du jugement qui supprime les retours inutiles sur soi-même et sur nos actes. On peut être sincère sans être simple; on peut ne pas mentir et craindre maladivement de se tromper; le scrupuleux n'est pas simple, il n'est pas à l'aise, il ne met pas à l'aise; ou bien l'extérieur l'entraîne, ou bien le souci de son interne l'absorbe. Le disciple qui marche vers la simplicité commence par se déprendre des objets externes pour s'occuper de son amélioration; il se met ensuite à s'occuper de Dieu, à Le craindre et à s'inquiéter de ne pas le craindre assez; cette inquiétude est d'ailleurs utile et lui apprend à se mieux connaître. Mais dès que Dieu lui donne un peu de tranquillité, il doit la prendre et essayer de la garder, il doit tendre à s'occuper moins de lui-même et plus de Dieu; et Dieu lui distribue progressivement la connaissance de ses fautes. Ainsi le disciple se libère et se simplifie; il ne se compose plus un personnage artificiel; il évite et la crainte et la présomption. Le principal effort, c'est de bien vouloir abandonner tout intérêt personnel et de se convaincre que ce que arrive est juste ce qu'il nous faut pour notre exercice. C'est l'acquiescement qui procure la simplicité. Et, d'abord, il ne faut pas vouloir être simple, ni parler de soi avec une modestie affectée. Ni fausse honte, ni complaisance; la vanité se cache facilement sous des paroles humbles. Il faut travailler avec courage, vivre avec optimisme, et s'en remettre à Dieu. La sécheresse, l'indifférence, le dégoût, la langueur, la distraction nous donnent les meilleurs fruits quand, malgré ces obstacles, on accomplit tout de même ses devoirs. En définitive, la simplicité est un fruit de l'abandon. Tout se tient : l'acceptation des souffrances, le renoncement, la confiance, l'obéissance, la prière, la simplicité, la persévérance, toutes ces manières de marcher vers Dieu s'appellent et s'engendrent les unes les autres. Les plus gros obstacles à cette marche viennent de nous-mêmes : nous ne sommes pas assez attentifs, et c'est la dissipation; nous sommes trop attentifs, maladivement scrupuleux et guindés, et c'est la mélancolie. On ne se guérit pas de la dissipation par la contention ni par des méditations forcées. Notre nature est incurablement dissipée; c'est Dieu seul, et non elle-même, qui lui administre le remède. Il faut, en ces occurrences, d'abord se donner à Dieu; ensuite accepter nos infirmités mentales et les souffrir jusqu'au bout. On n'arrive à la fixité du coeur qu'après avoir subi son agitation. Il faut concentrer ses énergies sur l'effort actuel; l'heure prochaine aura soin de ce qui la regarde. Que l'imagination erre sur mille objets, il n'importe, pourvu que le fond du coeur se reporte sans relâche vers Dieu; laissez tomber vos distractions, comme vous passez votre chemin malgré les aboiements d'un chien hargneux. Chaque fois que vous sentez qu'un objet va vous attirer. détournez votre regard, fermez votre oreille et appelez Dieu; ce n'est pas vous qui vous procurerez le recueillement parfait, c'est Dieu. Sinon, vous deviendrez contraints, mélancoliques et quinteux. Quand le Verbe retire la sensation de Sa présence, n'en soyez pas inquiets; c'est le moment de faire travailler votre foi. Car ce dont il faut se garder, c'est de créer artificiellement en soi, par l'effort du raisonnement, par l'auto-suggestion, une image de cette présence divine. Contentez-vous, au cours de la journée et dans le détail de vos occupations, d'un souvenir général, d'un regard paisible vers Dieu. On se distrait souvent par la crainte des distractions, puis par le regret de les avoir eues. Un voyageur prend le matin les mesures d'hygiène et d'équipement qu'il croit utiles et il ne s'arrête point à chaque pas pour examiner s'il pourra continuer. Ne regardez pas en arrière et, si vous tombez cent fois, relevez-vous cent fois; faites tout pour Dieu; l'amour de Dieu, c'est la force de marcher. Ceci paraît trop simple : c'est que notre moi aime la complication. Il lui semble que, pour avancer, il lui faut se démener; il se trompe; Dieu Se charge de nous faire avancer; nous n'avons qu'à obéir à Ses impulsions. Quelque nombreuses que soient nos charges professionnelles, nous devons d'abord y subvenir, mais à cause de Dieu, en vue de Dieu; ainsi elles nous serviront pour l'avancement spirituel. On se trompe encore lorsque l'on croit notre prière nulle quand une certaine douceur ne l'accompagne pas. Au contraire, la prière aride et pénible va plus loin. Ne confondez pas l'ardeur de l'imagination, la sensitivité psychique, avec cette offrande totale de notre moi, qui constitue seule la prière. Toute joie spirituelle est un don gratuit, immérité, auquel nous n'avons pas droit; l'amour est au delà de tout ceci; l'amour vit de privations. Si l'on faisait usage de toutes les bonnes pensées qui naissent spontanément, si on les utilisait entièrement, nos étourderies diminueraient et le Père nous donnerait davantage. Nous ressemblons à ces enfants gâtés qui se lassent de leur dernier jouet pour en désirer tout de suite un autre qu'ils délaisseront aussitôt. Et puis, on ne doit se laisser abattre par rien; il faut vivre dans l'absolu; toute la religion consiste à sortir de soi et à entrer en Dieu, à extraire de soi le Je, afin que Dieu S'installe à sa place.
Je le reconnais, de tous les états intérieurs, le plus pénible est cet état de foi nue, sans rien de sensible ni de plaisant; mais c'est l'état le plus sûr et le plus fécond. C'est une pénitence plus saine que toutes les austérités voulues; c'est quand Dieu paraît nous abandonner qu'il faut le plus nous abandonner à Lui. C'est seulement ainsi que l'on surmontera la tristesse ou le dégoût. Sans doute, bien souvent on voudrait voir ses progrès; notre orgueil s'offusque de nos échecs dans la lutte contre nos défauts; on est de mauvaise humeur avec soi-même et on le devient avec les autres. Or, sachons-le, l'oeuvre de Dieu ne s'accomplit pas dans le tourment; elle demande la paix intérieure, c'est-à-dire la confiance, c'est-à-dire l'amour, et la renonciation une fois pour toutes à tout ce qui ne la concerne pas. Un seul jour passé dans la volonté de Dieu, c'est un résultat important, et possible; il suffit donc de renouveler l'effort chaque matin. Qu'on se croie capable du pire et qu'on se jette aux bras cléments du Père. Qu'on supprime les inquiétudes et les agitations fébriles; c'est cela l'anéantissement de l'amour-propre. Le coeur alors se soulage, s'élargit, s'allège; on est surpris de voir tout facile et simple, alors qu'on croyait tout malaisé et compliqué; on s'aperçoit combien il y a peu à faire pour que tout marche bien; on regrette ses fautes, certes, mais sans aigreur, sans impatience, sans dépit; on invite Dieu à toutes nos décisions, on lui retourne tout, on lui fait hommage de tout. D'accord avec soi-même et d'accord avec Dieu, on ne désire rien de ce qu'on ne possède pas, on ne veut se débarrasser de rien de ce que l'on souffre, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu d'enlever les croix qu'Il nous a imposées; au milieu des tribulations, on reste dans la joie la plus profonde, la plus intime, la plus pure. Les gens du monde souffrent sans cesse au milieu des plaisirs parce qu'ils veulent toujours autre chose que ce qu'ils possèdent; les disciples ont une volonté qui accepte tout et qui se contente de tout; aussi leur coeur vit-il au large, dans l'épanouissement de la paix et leur visage même est-il éclairé par la joie lumineuse de l'Esprit. Encore une précaution, pour tout dire, des expériences que vous allez avoir à poursuivre ces temps-ci, à ce qu'il me semble, du moins. Quel que soit le nombre et le poids de vos occupations, gardez-vous toujours du temps le matin et le soir pour vous recueillir devant Dieu. Au cours de la journée, quand la fatigue se fait sentir, prenez quelques moments pour vous remettre en Dieu. Ces minutes serviront même à vos affaires temporelles, redonnant de la fraîcheur à votre esprit et de la force à votre attention, et vous procurant des vues nouvelles sur votre travail. Dieu Se cache derrière les importuns et les fâcheux puisqu'ils servent à rompre notre volonté et à nous dégoûter du monde. Dans vos débuts, ne prolongez pas vos prières beaucoup au delà de votre attrait; ne tendez pas votre intelligence; dirigez plutôt votre coeur doucement vers Dieu; ne quittez pas un sentiment pieux sans l'avoir bien épuisé; parlez à Dieu plutôt que de réfléchir sur Lui; ne donnez aucune importance aux distractions; toutefois ne vous abandonnez pas aux vaines rêveries; ne vous analysez pas à perte de vue, mais tendez vers Dieu d'un effort constant; contentez-vous de supprimer l'inquiétude. Essayez pendant la journée de vous tenir à peu près tel que vous souhaitez vous trouver pendant la prière, tout en vous livrant paisiblement aux travaux de votre profession. L'essentiel, en somme, c'est d'aimer Dieu et le prochain jusque et surtout dans nos traverses et nos épreuves. Et ici aimer Dieu ne signifie pas tant s'élancer vers Lui avec transport que de se sentir uni à Lui avec joie en toute occasion. La prière la plus imparfaite reste toujours utile; la prière non exaucée n'est jamais perdue; il faut prier jusqu'à la mort, en s'efforçant chaque fois de faire mieux que la précédente, et en se tenant humblement à la prière ordinaire, de pure foi. Nous sommes des serviteurs inutiles; nous devons rester toujours satisfaits du peu que Dieu nous donne. Allions la patience à supporter nos défauts avec la vigilance pour les corriger; ceci est une chose difficile et pour laquelle chacun doit se travailler assidûment. Ne pas s'impatienter, ne pas se décourager. On y parvient en méditant sur l'amour que Dieu ressent pour nous, sur Sa patience envers nous et sur la joie que nos efforts Lui donnent; c'est ici l'activité propre de l'espérance. Allions aussi l'ardeur au travail et l'abandon à Dieu; c'est une autre antinomie psychologique résolue par une distinction facile entre l'inquiétude et le zèle. L'inquiétude est un manque de confiance; il lui faut un zèle robuste et sain, tranquille et incessant, en vue d'autrui et non de nous-mêmes. Ainsi, le goût de la prière naît tout seul; et nos demandes s'élancent de nos coeurs, spontanées, vivantes, aisées, simples et de bon aloi. Pour bien prier, retranchons encore le goût très vif qui nous pousse à blâmer les défauts d'autrui. Nous ne sommes pas chargés de les corriger; mêlons-nous seulement, lorsqu'il y a lieu, d'en atténuer les conséquences, mais ne critiquons jamais les auteurs de ces maux. Plus on est parfait, moins l'imperfection nous choque. C'est pour cela que le Christ nous ordonne de demander au Père qu'Il nous traite comme nous traitons les autres. Les leçons de l'expérience nous instruisent seules. |