LES FATIGUES DU MOISSONNEUR


La terre aime les plantes qu'elle a nourries; elle s'en sépare à regret; de même la Nature, qui a fourni aux hommes leurs forces physiques et mentales, fait tout ce qu'elle peut pour qu'elles lui reviennent. Les ouvriers du Ciel se voient donc forcément en butte à toutes les animosités familiales, sociales, puisqu'ils déracinent les plantes humaines de leur sol natal pour les remettre dans le sol céleste, puisqu'ils les retirent de la chaleur des soleils créés pour les exposer à la lumière du Soleil incréé.

Ces ouvriers, tout en se refusant à la crainte pour eux-mêmes, doivent se garder parce qu'ils sont les instruments de l'action divine; il ne faut pas qu'ils fournissent aux pouvoirs temporels le moindre prétexte d'attaque; ils obéissent scrupuleusement aux lois et aux coutumes, à moins qu'elles ne contredisent à quelque précepte du Maître.

Montrer le bon exemple aux hommes, c'est un blâme implicite de leur conduite commune, et cela les indispose à priori; c'est faire le bien d'une façon plus profonde, c'est marcher sur les traces du Christ, c'est avancer plus vite, c'est prendre un chemin plus direct. Tout ceci équivaut à gagner du temps, et ne peut se faire sans que l'on ait à payer en quelques années des échéances qui auraient pu se répartir sur plusieurs incarnations .


Les ouvriers de Dieu ont donc à souffrir beaucoup pour eux-mêmes, pour devenir capables de faire leur travail; ils assument aussi les fatigues inhérentes à leur mission et, en outre, il leur arrive de prendre à leur compte les dettes de quelques-uns.

Il y a des limites au pouvoir de souffrir, aussi bien pour le corps que pour l'esprit. Ces victimes volontaires reçoivent en conséquence une aide constante du Ciel, afin qu'elles puissent supporter la douleur. Chez quelques-uns, qui sont les chefs, les organes physiques et psychiques sont assez purs pour que la Lumière habite en eux d'une façon permanente. Chez les autres, cet influx spécial n'a lieu que pour les facultés capables de le recevoir, ou bien exceptionnellement, dans le cas, par exemple, que cite l'Évangile d'une comparution devant un tribunal.

En résumé, le travail de l'apôtre est son identification progressive avec son Maître. De même qu'il se conduira envers les créatures comme Jésus l'a fait, de même les créatures se conduiront envers lui comme elles le font envers Jésus. La durée de ce travail n'importe pas, en somme, puisque le disciple, n'ayant que Dieu en vue, vit dans l'éternel.

A dire vrai, la relation de grandeur entre le serviteur et le Maître est comme zéro à l'infini; et la puissance du premier est dans le même rapport avec celle du second. Mais pratiquement parlant, c'est-à-dire dans le relatif, le Maître renouvelle envers le disciple le miracle incompréhensible de la limitation de cet infini; le serviteur, dont la vie est relative, conditionnée, temporaire, locale est saturé de l'existence absolue, libre, éternelle et universelle. L'intelligence ne peut concevoir cet arcane, mais le coeur l'expérimente avec certitude.

Aussi tout ce que Jésus a subi. souffert et vécu, Ses amis le subiront et le souffriront également. Je ne veux pas dire qu'ils vivront les mêmes formes de douleur; mais ce sont les mêmes anges tortionnaires qui les viendront visiter.