L'IDEAL



Le Ciel est réellement, comme le célèbre la liturgie, une vierge que les désirs désespérés de l'âme humaine violent sans cesse; chaque stupre qu'Il subit engendre une forme nouvelle du Verbe; et l'impossible redevient vierge, s'offrant de nouveau à toutes les audaces de la foi.

Tout ce qu'enseigne le Christ, c'est pour affamer notre foi, afin que nous comprenions -- en les vivant -- des aspects de plus en plus vastes de ce mystère, en lui-même sans fond, qu'on appelle Dieu. Depuis la venue de Notre Seigneur, le monde possède, outre sa force innée, une force nouvelle qu'il peut, s'il veut, puiser dans l'infini Trésor de la Lumière divine. Il n'y a rien qui ne soit perfectible sans limites.

Tout en nous, aujourd'hui, porte les chaînes de l'espace et du temps; nos idées les plus hautes sont tout de même prisonnières; si elles étaient libres, ne pourrions-nous pas en suivre plusieurs à la fois ? C'est par la matière que nous souffrons cet opprobre, mais Dieu veille, et nous en délivre petit à petit, grâce à l'infusion de la vie éternelle, de Son Fils en nous. Jésus est maître du monde; Il accomplit Son devoir de roi en Se donnant à tous, mais Il choisit l'heure de ce don.

En ce cas, dit le faux mystique, à quoi sert de se fatiguer, si le temps de l'épreuve est fixe, immuablement ? Ce n'est pas un serviteur dévoué qui raisonne ainsi, c'est un serviteur vénal. Et si nous avons la moindre conscience de l'inestimable trésor que Jésus nous apporte, aucune agonie ne nous coûtera pour hâter, ne serait-ce que d'une seconde, l'instant de Sa venue.


Ce résultat merveilleux n'exige ni régimes, ni entraînements, ni sciences abstruses; il suffit que notre vouloir, mieux encore notre amour soit vers le Ciel. Déplacez le centre de gravite d'un objet, vous en déplacez toute la masse. Déracinez le cep de notre esprit, replantez-le dans la terre des vivants, et toute la plante se renouvellera. Inutile de changer d'existence extérieure; changeons simplement le but de nos oeuvres journalières, cela suffit pour que nous entrions dans l'un des nombreux chemins que le Christ fraya voici deux mille ans, et qui coupent au plus court vers la divine patrie.

Seule l'intention qui, du fond du coeur, vivifie nos actes, vaut dans l'éternel, et subit le jugement. Nous ne connaissons rien à rien; il ne serait pas juste que nous soyons responsables du mal que nous commettons en croyant bien faire, et que nous recevions une récompense pour le bien qui peut ressortir quand nous avons voulu le mal.

Il est sage que ce soit le possesseur de la Lumière qui la dispense. Le Christ la donne à ceux qu'Il veut, c'est-à-dire à ceux que le Père Lui désigne. La viande qui nourrit un homme peut tuer le nourrisson; si ceux qui désirent la Lumière l'obtenaient sur l'heure, ils endureraient des souffrances atroces. La vie éternelle est le plus terrible corrosif pour toutes les formes de la vie naturelle. Combien de gens n'ai-je pas entendu demander un progrès spirituel qui s'étonnaient, se désespéraient, et se répandaient en reproches amers lorsque la pauvreté, la maladie ou le chagrin venaient, le mois suivant, les visiter ! Plus le médicament est actif, plus son effet est violent. Or, qui nous connaît à fond ? qui fut témoin de nos naissances et de nos morts sans nombre ? qui a maintes fois arrêté notre bras criminel ? qui nous a soutenus dans la fatigue ? Celui-là même, notre Ami, à qui il est juste de laisser le soin de notre avancement. Tout vit. Un progrès spirituel s'exprime, dans le coeur du monde, par un drame complet. On ne peut pas jouir des avantages d'un groupe social sans donner à ce collectif quelque chose en échange. Pour que notre moi ait licence de franchir la frontière d'un pays plus beau, les gardes exigent qu'il dépose les vêtements salis par le voyage, et qu'il prouve à quoi il sera utile. Cette mundification et cette preuve se traduisent sur le plan terrestre par les souffrances. Encore faut-il que nous possédions la vigueur nécessaire à ces travaux.

Or, un seul connaît notre histoire à chacun; un seul a suivi toutes les cellules de notre corps, et toutes les forces de notre psyché depuis le jour de leur première naissance; un seul sait leur avenir; un seul peut éprouver de quelle tension l'arc du vouloir est capable; Celui là même, l'Ami, qui ne nous quitte jamais.

Un jugement exige la comparution du prévenu. Or, aucune créature ne pourrait subsister devant le Père pour cette raison, le Fils nous juge, car Il est l'Ange de la Compassion; ayant souffert toutes nos douleurs, Il peut les apprécier.

D'autre part, la justice veut que le voleur restitue; il faut donc payer nos méfaits là où nous les avons commis. Et la bonté de Dieu, direz-vous ? Voici où elle s'exerce. Un gamin a déniché des merles, et il s'amuse à leur arracher les plumes; promeneur indigné, vous lui faites un sermon; il n'y comprendra rien : " C'est des oiseaux ", dira-t-il. Mais si vous le prenez entre vos genoux, et que vous lui tiriez les cheveux, il se rendra tout de suite compte de la souffrance de l'oiseau; et encore ne se corrigera-t-il pas, parce que vous ne serez pas présent à ses prochaines cruautés.

L'homme fait ainsi le mal, sans savoir, pour le plaisir; nous sommes un peu des brutes stupides. Nous seuls existons, sentons et souffrons; les autres, ce n'est rien. Alors la Nature nous montre, par l'expérience, qu'ils existent; et, comme elle a des gendarmes vigilants, chacun de nos méfaits devient immanquablement le thème d'une correction vécue. L'indulgence du Ciel diminue toujours la pénalité; jamais, jamais on ne subit l'équivalent de ce qu'on a fait souffrir aux autres; la différence est payée, selon la formule liturgique, par les mérites de Jésus-Christ Notre Seigneur.

Nous avons ensemble assez discouru de la foi pour qu'il soit utile de redire l'impavidité que sa possession confère. Celui en qui brûle cette flamme est au-dessus de l'océan du destin; il a passé le point mort sur lequel pivotent les univers. La vie éternelle où il séjourne l'immunise; il est au-dessus de toute loi, puisqu'il fait partie de l'être même du Législateur. Bien plus, il devient l'incarnation vivante de cette loi là où il plaît au Père qu'il redescende.