LES TEMOINS DE JESUS-CHRIST


Ce sont d'abord ceux qu'Il a sauvés, ceux qu'Il a guéris, ceux qu'Il a jugés.

Le Père semble, dans Son amour, prendre conseil de nous pour l'ordonnance de notre destin. Dans l'esprit de l'homme s'agite une foule qui tend vers l'idéal ses bras suppliants; nous désirons toutes les forces, toutes les candeurs, toutes les beautés; nous crions vers la science, vers l'harmonie, vers l'amour. Nos angoisses reçoivent leur apaisement dans la personne du Fils. De sorte que c'est nous qui Lui donnons le droit de nous juger.

C'est pourquoi Il est descendu dans tous les domaines de la mort, en y apportant la Vie à ceux qui veulent bien la prendre. Ces derniers sont choisis d'avance par Lui, à chacune de Ses visites, en toute connaissance de cause; c'est de Lui qu'ils tiennent la faculté d'écouter, sans cesse, profondement, de toute leur attention; c'est Lui qui prolonge en eux Sa Lumière, jusqu'aux limites de leurs individus, jusqu'à l'acte.

Cette vie qu'Il dispense aux mourants, matériels et spirituels, c'est l'aspect compréhensible du Père, répondant à l'idéal de l'humanité. C'est pour cela que Jésus S'intitule Fils de l'homme, et qu'Il est le canon d'après lequel on nous apprécie, on nous juge. Si l'on considère le Verbe dans l'universel, Il en est la loi et, par suite, Il règle la marche des créatures; si on Le regarde dans l'individuel, Il en est la perfection; c'est donc d'après Lui que se mesurent les progrès accomplis.

Ces versets, que nous étudions, ne sont pas allégoriques; ils retracent des phénomènes réels; c'est d'ailleurs ainsi que les comprend la foi du charbonnier, et que le regard du voyant les vérifie.

Toute parole du Verbe est un acte; chacun de Ses actes est une parole.

Écouter, c'est plus qu'une sensation auditive; le mot entendu doit s'incorporer à notre esprit comme un morceau de pain se transforme en cellules organiques. Il faut, en cela, une parfaite maîtrise de soi, car tout parle autour de nous, et tout a des oreilles en nous.

Et, si le bruit des éléments émeut parfois le voyageur jusqu'à déchirer des voiles dans son intime, combien plus la voix de Jésus, faite de toutes les harmonies, palpitante de toutes les douleurs, sonnante de toutes les audaces, ne peut-elle pas faire jaillir la flamme qui couvait, presque éteinte, sous les cendres de nos vieilles idolâtries ?

Et voici vingt siècles que cette voix, toujours actuelle, nous adjure.

Aujourd'hui, personne ne mérite le titre de vivant. Notre existence est faite de mille morts, et nous n'y pouvons rien - sauf nous rendre accessibles à la guérison. Le corps meurt et renaît sans cesse, jusqu'à ce qu'il aille à la grande nuit, pour revenir ensuite où son Juge lui a donné l'ordre de reprendre le travail. Chaque déception est la mort d'un de nos sentiments, jusqu'à ce que notre coeur, ayant épuisé les cultes des dieux, se rende enfin au joug léger de son véritable maître. Notre intelligence ne s'agrandit que par des morts innombrables; dans les livres, il y a l'erreur de conception propre à l'écrivain, la trahison de la plume qui presque jamais n'exprime juste la pensée, l'incompréhension de l'étudiant qui mêle toujours son équation personnelle à l'opinion de l'auteur. Les acquis cérébraux demeurent provisoires jusqu'à ce que nous soyons capables de regarder en face le soleil du vrai, l'auguste stature de Jésus. Pour cela, il faut s'habituer à l'air de ce pays, soit sentir avec sincérité et agir avec vérité; les erreurs et les illusions s'évanouissent alors d'elles-mêmes, comme les vapeurs du marais au lever de l'aurore.

Ce que nous appelons le mal, c'est tout de même une créature du Père. Quels sont les vrais morts, quels sont les autochtones des ténèbres, sinon les pécheurs et les diables ? Et c'est surtout pour eux que le Christ est venu. Ce sont des êtres consumés d'une ardeur dévorante, ils sont affamés de tout; et leur violence les revêt d'un éclat qui éteint les trop pâles vertus des honnêtes gens. Qui dompte le vertige des abîmes peut affronter le vertige des étoiles. Qui s'enfonce très bas dans le mal pourra s'élever très haut dans le bien.

Le Christ aux yeux doux va donc vers ceux-là. Et ils L'assaillent, ils se revêtent de Sa robe, ils Lui arrachent Sa science et Son charme, ils Le traînent pour inspirer la terreur autour d'eux. Et Lui Se laisse faire; Il sait que les gouttes de Son sang qui arrosent ces révoltés vont agir à leur insu, Il sait que le parfum de Ses vêtements adoucira à la longue leur colère; Il a l'éternité pour Lui. Ainsi la voix du Verbe ressuscite les morts.

Quant à notre vouloir, tout ce qui ne lui est pas une agonie le diminue. Que je conquière, par exemple, de vive lutte une place lucrative, si je m'y attache, j'en deviens l'esclave; si je la dédaigne pour une ambition plus haute, je reste esclave en changeant de maître. Ainsi le triomphe de la volonté se célèbre par le total renoncement; ce n'est plus la créature qui veut alors, c'est Dieu qui agit par elle.

Tels sont, en ébauche, quelques-uns des modes selon quoi le Verbe donne la Vie royale à Ses tenants. Chacun d'eux la reçoit au complet, selon l'entière capacité de son esprit et même de son corps. Rien de ce que fait le Ciel n'est tronqué; Ses faveurs aboutissent toujours au plan physique, et il y aura réellement une résurrection des morts, une levée de poussières, une réorganisation de squelettes et de tissus. Nous connaissons un peu la matière; c'est pourquoi la difficulté apparente de ceci nous effraie; la conversion d'un coeur est un miracle bien plus compliqué, mais il ne nous étonne pas, parce que nous ne savons rien de l'esprit de l'homme.

Retenez que la résurrection est promise à tous. Or tout est partout; si les plans de la Nature, du créé ne s'interpénètrent que dans certaines limites, dont les données de la géométrie à n dimensions nous procurent un symbole, les plans de l'Esprit, les états du coeur humain sont imbus d'une liberté pour laquelle il ne se trouve ni barrières, ni voiles, ni précipices. L'Enfer est donc partout où domine le moi. Le Ciel est partout où règne le sacrifice.

Et, après les jugements, les êtres sont répartis selon leurs convenances individuelles et selon les convenances du milieu, en dedans ou en dehors de l'espace, plus ou moins haut. Mais, à la fin, toutes les créatures seront admises dans les palais du Père.

Tout le monde peut devenir un auxiliaire du Verbe; cette collaboration qu'Il sollicite de nous constitue l'essence de notre travail, et porte avec soi sa récompense; car Jésus est partout, Il revêt toutes les formes et les modes de Son activité se multiplient infiniment.

Rendez-vous compte que les pages les plus sublimes qu'on ait pu écrire et qu'on écrira jamais sur le Christ ne valent que comme de très vagues approximations; c'est l'enquête de l'astronome qui tient une étoile au bout de sa lunette, mais qui ne peut rien savoir de vrai sur l'être de cette étoile. Il est tout simple de dire; le Verbe est descendu sur terre et Il y aide Ses amis; mais quel travail effrayant ces mots ne représentent-ils pas ! Qu'un empereur décide de remplir à fond tous ses devoirs, il lui est matériellement impossible de tout examiner par lui-même. Et Jésus fait cela, non plus pour une poignée d'hommes, mais pour les peuplades sans nombre des créatures. Purifier toutes les formes de la matière, remettre chacun à une meilleure place, rectifier les orbes des astres, des comètes et des événements, distribuer les sciences, les arts et les inventions, ouvrir des routes plus commodes entre les villages et les villes cosmiques, guérir, répandre l'espérance, nourrir le dieu et le vermisseau, retenir les démons ou leur rendre la main, célébrer ces fêtes zodiacales qui marquent les périodes des cycles universels, combiner les naissances et les morts, faire les semailles dans toutes les terres, dans tous les fluides, dans tous les esprits; voilà le travail du Christ; nul n'y peut suffire que Lui.

Car Il n'oeuvre pas de Son propre mouvement; Il répète dans la Nature ce qu'Il voit effectuer par le Père dans l'Absolu; et, par suite, Il ne violente aucune liberté; Il laisse les êtres agir, même de travers; Il Se contente de les retenir quand ils glissent sur le flanc de la montagne; Son bras secourable se nomme l'ange gardien.

Quant à Lui, Il ne veut pas avoir de volonté; c'est pour cela que tous lui obéissent; Il n'est pas curieux, c'est pourquoi la voix des choses ne peut pas ne pas Lui dire la vérité; et Il aime toute créature, d'une tendresse égale et sapiente. En conséquence, Il a le droit de tout juger; sans cesse Il remet de l'ordre dans cet Univers, sans découragement, sans colère, sans mépris. Voyez ici, une fois de plus, l'opposition radicale entre les procédés humains et les divins du savoir et de l'agir.

Or, qui prouvera la légalité spirituelle de la mission christique ? En tant qu'homme, le divin Missionnaire subira la critique et la discussion; en tant que Dieu, Son témoignage serait irrésistible, mais Sa tendresse Lui clôt les lèvres pour ne pas écraser les incrédules. Jésus cite trois témoins. Le premier est le Précurseur, dont les déclarations furent sincères puisqu'il les cimenta de sa pénitence et de son sang. En outre, elles étaient véridiques, parce que si, en Israël, il ne se rencontra qu'une fois avec son Maître, son esprit L'avait accompagné bien souvent au cours de Sa longue et douloureuse descente. La voix du Baptiste s'adressait à la foule, en général.

Le second témoignage, c'est les oeuvres que le Christ déclare avoir reçu du Père la puissance d'accomplir. Qu'il enseigne, qu'Il guérisse ou qu'Il prophétise, Il ne manque jamais de rendre grâces à Son Père, au préalable -- parce qu'Il est certain de la réussite -- , pour donner l'exemple, et pour souligner l'original de Son action. Mais tous ne peuvent pas comprendre ce caractère de souveraine maîtrise que possèdent les oeuvres de Jésus; Il est roi, Il n'a qu'à commander pour être obéi toute créature Le sert, toute force est malléable entre Ses mains. Mais la plupart des hommes ne voient pas la force de Sa parole; ceux-là seuls s'en doutent chez qui l'Amour a développé sa seconde vue.


Le troisième témoin du Fils est le Père Lui-même. Cependant aucune créature n'a jamais entendu la voix de Dieu ni contemplé Sa face; en toute créature il y a une racine ténébreuse qui ne pourrait subsister devant la Lumière absolue. Aussi Jésus invite-t-Il Ses auditeurs à rechercher le témoignage de Son Père dans les Écritures, puisqu'elles transmettent les déclarations reçues par quelques privilégiés. Cette preuve s'adresse à l'intelligence; c'est par elle que les anciens recevaient de l'espoir et, quand la flamme intérieure vacille, c'est par elle que l'Esprit l'avive de Son souffle.

Or, ce n'est pas pour une satisfaction personnelle que le Christ S'inquiète des suffrages humains; Il sait que ce que nous glorifions dans nos grands hommes, c'est nous-mêmes; sans nous douter que ceux-là que nous portons en triomphe deviendront bien des fois nos accusateurs. Il sait que si nous ne venons pas à Lui, c'est par incompréhension; le sens des choses du Ciel ne se développe dans le mental, puis dans le fluidique, puis dans le physique, que lorsque l'amour de Dieu existe déjà dans le coeur; et cette dernière flamme ne s'engendre que d'une transformation de la charité. Ces chefs-d'oeuvre de l'architecture intérieure sont le couronnement de très longs travaux; mais ceci n'est rien. L'essentiel, c'est de rendre possible la collaboration divine. Comprenez bien qu'une plante ne vit que si elle a des racines; nos facultés, nos pouvoirs, nos vertus sont des graines, et leur sol nourricier, c'est cette existence terrestre. Ainsi contraignez-vous d'agir. Ne laissez aucune pensée, aucun élan, aucune intuition à l'état de rêverie; donnez-leur corps, si ce n'est par l'action, tout au moins par la parole ou par l'écriture.

Un initiateur religieux ordinaire, un Krichna, un Lao-tseu, un Bouddha, un Moïse, quoique dépassant de loin la stature commune, reste une créature, un être circonscrit. Le trésor qu'il apporte est donc limité et réclame en échange des efforts de la part de ses bénéficiaires; c'est, peut-on dire, une transaction commerciale, un contrat. Si le fidèle, qui a reçu sa part, ne s'acquitte pas des devoirs qu'implique ce don, il est passible d'une pénalité. Tandis que le Verbe apporte un trésor sans limites. C'est pourquoi, quand Il juge, Il n'accuse pas; au contraire, les autres protagonistes religieux, qui ne sont, après tout, que des hommes, accusent, mais ne peuvent juger.

Aucune illumination n'est soudaine qu'en apparence; regardez un à un les innombrables phénomènes de la Nature, ils sont tous les résultats d'un travail occulte long et lent.

Seule une descente du Verbe peut être parfois subite. Mais si toute la création avait compris le Christ instantanément, que d'êtres en seraient morts ! C est pour cela que Jésus spécifie à Pierre que ce n'est pas les facultés naturelles qui lui ont permis de Le reconnaître, mais bien la grâce divine.

Cependant les catholiques ont eu tort de se prévaloir si tôt de la promesse faite, à cette occasion, au chef des apôtres; et les protestants ont également tort de la rejeter. Le Christ dit; " Je te donnerai les clefs du royaume ". Pouvait-il les confier à celui qui, quelques jours ensuite, Le reniera ? La fonction et le pouvoir qu'Il promet à cet homme lui seront dévolus sûrement, mais plus tard, quand les matériaux de la véritable Église seront rassemblés. Cette Église idéale n'existe pas encore; les sanctuaires de toutes confessions ont servi à trop de crimes pour que l'Esprit S'y puisse reposer. Et l'Église intérieure, prévue par certains Pères. par les Rose-croix, par Lopoukhine, Swedenborg, Eckartshausen, n'est que la préparation de l'assemblée sainte par quoi notre terre sera un jour une dépendance du Ciel.

Avant que les fondations de ce temple ultime pussent être creusées, il fallait que le sol même en fût lavé, par le sang innocent du Prince très pur, par la mort de Jésus. Avant qu'une planète soit rédimée, il est indispensable que tous les êtres qui la constituent et qui l'habitent. depuis ses abîmes souterrains jusqu'à ses cieux psychiques, reçoivent la visite de la Lumière; et celle-ci ne peut entrer dans les ténèbres sans souffrir; et c'est pourquoi la vie de Jésus ne fut qu'une suite de douleurs bien plus nombreuses que le récit évangélique ne le dit, couronnées par le martyre de la Passion.

D'ailleurs, il est promis à Pierre d'être la base de cet édifice vivant, et non pas le sommet. Le fronton, tout le monde le voit; il se déploie au soleil, et c'est bien ce que seront les successeurs temporels de l'humble pêcheur galiléen. Mais les assises, enfouies dans la terre froide et obscure, personne ne s'en occupe, et elles supportent cependant tout l'édifice. Ne serait-ce pas là le vrai travail de ce robuste esprit, grâce à l'invisible dévouement duquel, pendant vingt siècles, tout ce qu'il y a de beau et de grand dans le catholicisme a pu tout de même resplendir et se répandre, malgré les clergies avides et les prélatures orgueilleuses ?

Je vous l'ai dit bien des fois, tout est vivant; ce que l'on appelle abstractions, idées, psychismes, ce sont là par excellence des personnes vivantes. Toute forme terrestre est le vêtement d'un génie; et l'être du Christ accueille tous les êtres. Ainsi la fin de Sa mission n'est pas la douleur en soi; Il a subi toutes souffrances, connues et inconnues, pour nous apprendre de quelle façon il faut les recevoir, et pour que le génie universel de la douleur puisse, lui aussi, un jour, entrer dans le Royaume.