LA MUNDlFlCATlON
Si l'on a compris qu'en réalité la mort ne peut transformer que l'enveloppe d'un être, et que l'âme échappe à sa faux, on ne s'étonnera point de voir Moïse avec Elie apparaître, aux côtés de Jésus dans la transfiguration, même en admettant qu'Elie et le Baptiste soient deux formes du même esprit.
Le pays des morts, en effet, n'est séparé du nôtre que par un simple voile; si le nouveau corps des défunts nous est invisible, le nôtre aussi leur est imperceptible. Mais, que les pays des organismes externes diffèrent n'empêche pas que si les volontés poursuivent le même but, par les mêmes moyens, elles restent compatriotes, elles demeurent ensemble. C'est là le fait qui légitime le dogme ecclésial de la communion des vivants et des morts. Tous les esprits qui servent le même idéal se rassemblent naturellement; et, si leur énergie persiste sans défaillances, ils arrivent même à se grouper quant à leurs corps terrestres.
Nos morts, que nous avons aimés, dans le sens divin du mot, je veux dire avec lesquels nous avons poursuivi le même idéal, restent donc près du foyer. C'est pour cela que les pratiques spirites sont au moins inutiles; car les témoignages qu'elles nous fournissent ne sont rien si la certitude psychique ne les confirme. Le défunt peut avoir reçu un corps sur une planète qui roule à l'autre bout du monde; il lui suffit d'avoir mené une vie bénéfique pour que les survivants qu'il aima sentent sa présence réconfortante en eux et parfois autour d'eux.
Les espaces dans lesquels se meuvent les corps et celui dans lequel se meut le moi sont très différents. Pour toutes ces raisons et pour d'autres encore, la présence du Législateur et celle du Précurseur aux côtés de Jésus ne sont pas extraordinaires.
Pour que des plans de qualité différente soient simultanément perceptibles, il suffit qu'une main assez puissante tire le rideau qui les sépare, et que quelqu'un paie le prix de ce spectacle.
Or, un chef aime à voir ses compagnons de fatigue prendre leur part au retour de l'accueil triomphal; et il les fait entrer avec lui dans le palais du Roi. Ainsi fera l'homme pour ses corps serviteurs. Ainsi fait le Verbe pour les meilleurs de Ses mandataires.
Le travail de Moïse fut colossal; enrégimenter les Hébreux, concevoir les cadres d'une organisation qui prévoit depuis les petits détails de la vie commune jusqu'aux plus vastes éventualités de la psychurgie, ourdir une philosophie, une symbolique et une sociologie qui fussent une image assez exacte de l'Univers, pour que le grand fait de la venue du Messie en soit le triple couronnement dans l'intellect, dans la religion et dans l'état; telles sont les grandes lignes de son oeuvre.
Quant aux prophètes ils furent des rectificateurs; et le plus puissant d'entre eux, celui qui parla le moins, mais sous les pas duquel germaient les miracles, ce fut Elie. Il ne discourut pas sur le Christ futur, mais il en préfigura les oeuvres. Avant de mettre de l'huile dans la lampe qui s'éteint, il faut la nettoyer. Ce lavage externe fut le travail du Baptiste, comme la purification interne est le travail de Jésus; Celui-ci est l'illuminant; celui-là est le pénitent. Le Précurseur répare, remet les choses en état, laboure; le Messie régénère, sauve, sème, achève. Le premier obéit totalement à la Loi publiée par Moïse, sur cette terre et dans l'invisible; le second parfait cette loi par la publication de la vie, jusqu'alors cachée, qui en soutient la charpente. Et tous les deux reçoivent des hommes un accueil analogue; les persécutions, les railleries, la mort.
Avec notre attachement aux apparences, nous imaginons mal que la vie d'un ermite retiré, comme le Baptiste, dans le désert, puisse avoir une influence aussi générale que le Christ semble l'indiquer. De même que l'herbe la plus commune contient souvent la plus haute vertu médicatrice, de même, dans une existence anonyme, humble et prosaïque se cachent parfois de merveilleux joyaux.
Les énergies naturelles agissent du dehors au dedans; mais la Lumière rayonne du centre à la circonférence; et tout objet que touche un homme au coeur pur, toute parole qu'il prononce, toute compassion qu'il accueille, toute idée qu'il médite sont des graines fécondes qu'il sème, des ferments régénérateurs qui se répandent dans les coins les plus cachés du physique, du fluidique et du mental, comme de très actives fourmis.
Les groupements humains dans le visible devraient correspondre aux groupements des âmes dans l'invisible. La discordance de ces deux hiérarchies provient de nos fautes qui démembrent l'être collectif; mais une loi générale gouverne l'envers et l'avers du monde. Plus l'être est jeune, plus sa famille est nombreuse; à mesure qu'il avance, il s'esseule et, si on pouvait se promener librement dans les espaces cosmiques, on rencontrerait parfois des voyageurs solitaires; ce sont les grands porteurs de flambeaux, les pionniers, ceux qui défrichent les forêts vierges et qui fertilisent les déserts; ils avancent en traînant après eux d'un effort surhumain la foule moutonnière; ils affrontent la détresse et la haine et la terreur. Aucun être ne les comprend, et l'amour qu'ils suscitent n'est pour eux qu'une source nouvelle de blessures. Aussi tendent-ils toujours vers le haut, la passion de l'éternel flambe en eux, leur arrivée est une aurore très pure pour les mondes qu'ils approchent, et leur départ, splendide comme les feux du couchant, insuffle aux êtres la nostalgie indicible de l'Idéal.
Notre Jésus est le prince de cette aristocratie de solitaires et Ses amis, dispersés çà et là, en sont les chevaliers. Leur vie extérieure peut être insignifiante et misérable; leur vie intérieure est un foyer d'où jaillissent, au souffle de l'Esprit, des gerbes incessantes d'étincelles.
Notre société invisible se raréfie à mesure qu'on approche du centre; et, en même temps, les actes de cette âme acquièrent une importance plus puissante, puisque c'est l'occulte qui meut le manifeste, et le supérieur qui dirige l'inférieur. La voix d'un Précurseur éveille donc, sans effort spécial, de multiples échos, parce qu'il se tient sur les sommets; ainsi s'explique l'influence universelle d'un Jean-Baptiste. Et les humains l'entendent et le regardent, parce qu'il est de leur race; sorti des mêmes fondrières où ils piétinent encore, ce frère aîné, parvenu au zénith de son expansion, leur parle une langue qu'ils comprennent, parce qu'elle vibre des mêmes douleurs, parce qu'elle frémit des mêmes espoirs.