LA FRATERNITE CHRETIENNE
La pacification est le signe d'une santé parfaite dans les rapports mutuels des êtres; c'est la splendeur des processions ontologiques, dont l'ordonnateur est le souffle qui circule sans arrêt entre le Père et le Fils. Cet Esprit est l'Artiste divin, parce qu'il harmonise, unifie et restaure. Il exalte les êtres au-dessus des formes, parce qu'il est l'Ange du Beau. Il purifie, car en Sa présence la matière s'évapore dans l'inane. Il est la gnose totale, parce qu'Il pénètre partout. Il est le Consolateur, puisqu'il apporte la certitude. Il est le Pacificateur, parce qu'Il volatilise le diamant de l'égoïsme que tient dans sa gueule l'antique dragon. Il est l'omnipotent, parce qu'Il Se déploie dans la liberté ineffable de l'Amour.
Cependant Jésus, les rares fois où Il parle de l'Esprit, reste muet sur les moyens qu'on pourrait connaître de Le faire descendre. C'est que, là où est le Fils, les autres Personnes divines sont aussi présentes. Et, s'il est permis d'employer à éclaircir ces arcanes une grossière image, puisque l'Esprit est l'atmosphère qui relie le Verbe à Dieu, Il accompagne pas à pas les volontés vivantes du Père et Se répand à leur suite dans tous les lieux où elles passent, car le Christ a promis la venue du Consolateur pour après Sa mort.
L'obéissance aux enseignements du Sauveur est donc le seul secret pour l'évocation de l'Esprit, puisque l'acte à l'essence droite est, en petit, une incarnation du Verbe et que la présence de Celui-ci implique toujours celle des deux autres séités divines.
Cette plénitude synchronique des gestes de l'Absolu est la seule raison de leur harmonie. Il faudrait que notre existence la reflète, et c'est à quoi tendent les conseils évangéliques. Ils se réfèrent à un plan où la volonté, l'acte et son ange inspirateur concordent. Ce n'est que si l'homme le chasse que cet ange s'abstrait; et il arrive trop souvent que la volonté désire une chose, et le corps une autre; quelle vertu pouvons-nous avoir alors, puisque " tout royaume divisé contre lui-même périra " ?
Aussi Jésus insiste sur l'importance de cet accord total. Il recommande à notre bienveillance tout ce qui est faible, petit, pitoyable, puisque Lui-même S'est donné aux êtres " perdus " que tout le monde négligeait.
Transposez dans notre sphère minuscule ces exemples universels, vous verrez qu'il vaut mieux, même en dépit du scandale, paraître pusillanime que d'intenter un procès, paraître dupé que dupeur. Malgré tout, l'homme qui agit en vertu d'une conviction profonde impose toujours enfin le respect, quelles que soient les formes de ses actes. Notre idéal arrange toujours nos maladresses de réalisations.
Jésus ordonne ensuite la conciliation par l'initiative individuelle; deux hommes qui causent sans apparat se comprennent toujours mieux que devant un auditoire ou un tribunal. L'Évangile montre à toute occasion le souci de faire abstraction des formes, de ménager à la Lumière un chemin direct jusqu'aux plus petits, de ne pas l'arrêter aux hiérarchies naturelles ou sociales; et le Ciel S'accommode de cette descente rectiligne, puisque l'Esprit est libre.
La société que le Christ souhaite établir comporte vraiment l'égalité, la fraternité, la liberté. Ses rouages y sont réduits au strict nécessaire; il n'y a pas de code pénal, pas de législation, pas de police; tout s'y base sur la parole donnée; la morale est seule juge; il n'y a pas de règlements commerciaux ou financiers, puisque tous doivent être les serviteurs de tous.
Dieu est l'unique idéal de ces frères. Par suite ils sont individuellement et collectivement, en union constante avec Lui; et, comme ils ne font rien ici-bas qui ne soit conforme à la volonté du Père, ce qu'ils lient ou délient sur la terre est, à la lettre, lié ou délié dans le Ciel.
Ces idées seront encore longtemps des utopies. Retenons-en que le principe vrai de l'association est spirituel et non matériel; c'est la qualité des éléments et non leur quantité qui en fait la force et, si les composants d'une collectivité sont infidèles à son esprit, tous les privilèges dont ils jouissaient s'évanouissent. De ce que Pierre et ses successeurs ont eu des pouvoirs spéciaux, il ne s'ensuit pas forcément que tous les prêtres les possèdent, quoi qu'en dise la théologie; s'il se trouve, par extraordinaire, que l'un d'eux ne mène pas la pauvre vie sacrifiée du vrai disciple, l'Esprit S'envolera d'au dedans de lui.
Puisque le sacrement est un signe institué par Notre Seigneur Jésus-Christ pour faire descendre la grâce dans nos âmes, sa vertu essentielle est la lumière que le Ciel a mise dans l'acte par lequel le Sauveur institua ce sacrement. Il comporte de plus une vertu qui provient du coeur du sacerdoce, une force constituée par l'agrégat de tous les récipiendaires et de tous les prêtres qui l'ont reçu ou conféré, une aura enfin rayonnant de sa forme rituelle : parole, gestes, parfums.
La vertu essentielle demeure si le prêtre reste saint; sinon elle s'en retourne vers l'Esprit. Et souvent les deux dernières des forces mentionnées plus haut sont, hélas ! les seules dont bénéficie le fidèle.
D'ailleurs, il faut bien se le dire, les promesses de Jésus relatives à la demande en commun et à Sa présence dans une assemblée sont dites à Ses disciples, à Ses fidèles de fait, et non à Ses sectateurs d'étiquette. Car il y a toujours une majorité qui préfère la grande route; le chemin de traverse, le sentier étroit ne tente que les courageux.
Le disciple est un être rare. Nous sommes des marmots qui pouvons juste nous tenir debout; les saints, les adeptes sont des adolescents; mais des hommes, il y en a peu. Si loin que nous soyons du vrai discipulat, il faut s'y essayer, à coeur perdu, à toute occasion; car ceci prépare quelque chose de très grand.
Là où deux personnes peuvent être le plus facilement réunies au nom du Verbe, c'est dans la famille. Bien entendu, cette union doit être surtout cordiale et volontaire; deux êtres séparés de tout le diamètre de la terre, s'ils nourrissent le même idéal, sont plus unis que des amants charnels.
Deux misérables même qui prient ensemble maladroitement, leur demande est une évocation irrésistible du Verbe, et Jésus Se tient pour engagé de venir à eux, prendre leur plainte et la porter au Père.
La famille est la plus simple des unités organiques que l'homme ait à bâtir. Ensuite viennent les divisions de la patrie, puis celles de l'humanité. Et le grand oeuvre de la création ne sera complet que par l'harmonie de toutes les races cosmiques.
Enfin, nous avons à construire notre propre unité intérieure. Il y a en nous aussi diverses personnes qui sont enfermées dans la prison de la chair; il s'agit de transformer cette incarcération subie en union libre et désirée. Pour cela, que notre coeur obéisse à Dieu, l'intelligence au coeur, et le corps à la raison. Mais, ne connaissant la réelle nature ni du coeur, ni du corps, ni de l'intellect, cette harmonisation s'opère en dehors de notre contrôle; pour ce résultat, comme pour bien d'autres, il suffit de soumettre à l'obéissance cette partie de nous-mêmes dont nous sommes conscients.
Mais, quel que soit le plan où ait lieu cette réunion, le Christ préside parce qu'Il est le principe et le but de tout organisme harmonieux.