LE DISCIPLE ET LE TEMPOREL
Lorsque notre Maître refuse de trancher un différent d'héritage, Il rappelle un phénomène commun à tous les plans d'existence, mais visible surtout dans la vie sociale : les lois que les hommes ou les dieux instituent laissent toujours à la liberté individuelle de la place pour passer entre leur mailles. Ce sont ces interstices qui constituent l'épreuve du libre arbitre; le Ciel se borne à nous indiquer, par une parole intérieure, sinon par une extérieure, quel est le parti licite.
En tout cas, une constatation générale peut nous guider : c'est que l'ordre de la nature est le mouvement. Tout passe dans un perpétuel transformisme. L'immobilisation de quoi que ce soit est donc contre nature. Par conséquent, il faut travailler : avec l'intelligence, avec le coeur, avec le corps; ne vous refusez à aucune dépense d'énergie; n'accumulez, pour une joie solitaire, aucun superflu d'argent, de sensibilité ni d'intelligence.
Tout ce que notre travail, notre destin et la bonté de Dieu nous apportent, nous avons le droit d'en prendre une part raisonnable et nécessaire; mais le surplus, il faut le reverser dans le courant général analogue, soit en le faisant fructifier, soit en le distribuant. Aussi, le savant n'a pas le droit de garder pour lui seul ses découvertes théorique ou pratiques; l'artiste doit oeuvrer, n'y aurait-il dans son époque qu'un seul individu capable de le comprendre; le riche n'a pas le droit d'enfouir ses capitaux dans ses coffres-forts. Nous ne sommes que des gérants. Aucune possession matérielle ne fait grandir l'âme; mais les possessions intellectuelles, esthétiques ou fluidiques ne la font pas grandir non plus; ce sont des charges supplémentaires; et seul l'usage que nous en faisons influe sur la partie spirituelle de notre être.
Le Maître des maîtres, Le Verbe, est présent à toute heure et en tout lieu. Toutefois, Il habite en particulier le coeur pur et l'esprit en éveil : l'homme dont les reins sont ceints et qui tient le flambeau allumé. Là où Il va, Il dispense une extase de béatitude, dans les univers et dans les individus; cette joie ineffable est le reflet subjectif de ces cérémonies théurgiques invisibles que les Écritures appellent des noces.
Et Il parcourt la création, inlassablement, afin de Se donner aux êtres, immenses ou minuscules, qui ont assez travaillé pour Le recevoir sans dol.
Voilà pourquoi il est dit : Veillez et priez. Il faut être patient. Le Maître peut ne venir qu'à la seconde ou à la troisième veille : deux ou trois incarnations peuvent passer dans cette attente nocturne; car partout où ne resplendit pas le soleil des esprits, c'est la nuit. Mais heureux celui qui ouvre la porte de son coeur la première fois que heurte le Verbe; car il va être à son tour servi et réjoui par Celui au nom de qui tout se prosterne dans la Création et de qui une seule parole donne toute joie, tout savoir et toute puissance à qui la sait entendre.
Jésus dit ici pour la seconde fois : Je viendrais comme un voleur, à l'improviste et pendant la nuit. À l'improviste, parce que Sa logique est infiniment plus vaste et plus complexe que la nôtre; nul ne peut prévoir ni l'heure où il mourra, car la mort corporelle n'est pas toujours la mort vraie, ni l'heure où une race, un continent, une planète disparaîtront. Pendant la nuit, parce que la mort physique est la disparition du soleil de la vie physique; parce que la mort cosmique est la disparition pour telle planète de son soleil visible; parce que la régénération mystique est le lever dans les cieux psychiques du Soleil des esprits. Ceci a lieu pour tous les hommes quel que soit l'âge de leur âme, ainsi que la question de Pierre le fait supposer.
Car nous sommes tous, selon la nature, serviteurs et maîtres, dirigés et dirigeants. Nous avons chacun des devoirs et des responsabilités, non seulement vis-à-vis de nos inférieurs sociaux, familiaux, civiques et domestiques, mais encore vis-à-vis d'autres êtres, pour le moment inconnus ou invisibles, dont nous sommes les soleils et les dieux. La connaissance suit en nous le progrès de la sagesse; nous ne sommes donc toujours conscients que de la partie du monde que nous pourrions être assez sages, si nous le voulions, pour diriger avec rectitude. Par suite, une formule de notre devoir qui embrasserait nos charges conscientes et inconscientes serait de dire qu'il faut être toujours prêt à accomplir l'acte juste et opportun, quelque effort que cela nous puisse coûter. Être prêt à subir le choc de la mort est le signe de cette maîtrise; c'est pour cela que le Christ choisit l'exemple que l'on vient de voir. Et Sa parole est à comprendre littéralement lorsqu'il affirme " en vérité que le Seigneur établira sur tout ce qu'il a l'économe qu'il aura trouvé vaquant avec fidélité à son intendance ". Le Père, en effet, ne nous demande que de Lui être des intendants probes.
La durée totale des incarnations d'une âme se chiffrerait-elle, comme le disent aujourd'hui les brahmanes, par des centaines de milliards d'années terrestres - et cela n'est pas, parce que d'abord il n'y a qu'une seule âme qui reste présente du commencement à la fin d'une création, et parce qu'ensuite les existences ayant lieu un peu partout, la durée du temps change avec les planètes où il est subi - ce chiffre, qui dépasse notre compréhension, ne vaut pas un centième de seconde en face de l'éternité. Or, l'homme qui se montre fidèle pendant ce clin d'oeil divin est fait ensuite libre, c'est-à-dire réellement, pratiquement maître des créations futures et participant au Trésor de Lumière. Il a servi son Dieu pendant une durée minuscule, son Dieu le sert à son tour tout au long de l'éternité.
Il ne s'agit donc pas, pour l'homme, de satisfaire ses propres désirs, de quelque nom pompeux que les sages de ce monde les habillent; l'histoire de la mystique conventuelle abonde en traits qui montrent que l'orgueil, la complaisance. l'auto-admiration engendrent des états extatiques et thaumaturgiques; le solitaire d'une tour d'ivoire n'est sage que pour la courte sagesse humaine.
Il est tout logique que plus on connaît dans ses détails la volonté de son Maître, et plus on a reçu en dépôt de richesses d'auxiliaires, de facultés, d'intelligence, de volonté, plus on est responsable; plus le mérite ou le démérite seront grands. Ainsi, comme on ne sait rien, ni sur soi-même ou sur les autres, que des apparences et des approximations, comme tout ce que l'on sait faire peut être encore mieux fait, il est prudent de prier avant chaque travail, avant chaque acte, avant toute étude. On appelle ainsi cet Être surhumain, venu sur terre et dans tous les plans de la vie terrestre, qui alluma Son feu régénérateur, sépara la lumière de la ténèbre, et fut baptisé de ce baptême unique, inédit, inimitable, qui est Sa propre mort par holocauste.
Appelons-le donc, à tout instant, à tout propos, par l'acte et par le désir, afin qu'Il soit le véritable ouvrier de notre oeuvre, l'accent dans notre parole, le regard dans nos yeux, la vie dans tout notre être. Ce feu, dont nous parlions tout à l'heure, que Jésus devait allumer, a modifié les courants généraux des mers fluidiques sur lesquelles nagent les mondes. Ainsi, l'Est et le Nord étaient, autrefois, les directions cardinales bénéfiques et sacrées; depuis le Christ. c'est le Sud et l'Ouest qui ont reçu les propriétés des deux points précédents; l'un comme centre des réalisations divines sur terre, l'autre comme centre des réalisations humaines; mais les vingt siècles qui vont finir n'auront été dans ce plan qu'une période de transformation dont les résultats ne seront nettement perceptibles que plus tard.