APOLOGETIQUE



La science d'amener les intelligences à Dieu se nomme l'apologétique des théologiens; l'art d'amener à Dieu les coeurs, c'est l'apologétique des mystiques. Et le seul maître de cet art, c'est l'Esprit. Pour entraîner l'homme à la recherche du Royaume de Dieu, il faut savoir le manier tel que le voici, dans son état terrestre, avec ses tares, ses impuissances, ses délicatesses, ses grandeurs. Il faut un peu du don de Science, il faut beaucoup du don des Larmes, car on ne connaît que ce pour quoi on a pleuré. Il faut savoir que l'homme, tel que le voici, n'est pas bon; il faut savoir cela contre Rousseau, contre tous les rationalistes du XVIIe siècle, les socialistes de 1848 et les humanitaristes de maintenant; il faut savoir que l'homme ne peut pas par lui-même se faire bon; il faut savoir que le Christ peut seul améliorer la racine essentielle. Il faut faire la distinction du naturel et du surnaturel en nous; et dissiper les prestiges des grandeurs qui séduisent les foules. Sésostris, Alexandre, César, Napoléon; Pythagore, le Dante, et les autres penseurs de génie; Giotto,


Léonard, le Poussin; Pierre de Montereau, Shakespeare, et tous les artistes de génie sont grands par leurs grandeurs humaines et naturelles; ils sont petits devant Dieu par ces mêmes grandeurs de leur intelligence, de leur vouloir ou de leur sensibilité, à moins que des sacrifices secrets et humbles ne leur aient ouvert la porte du Royaume des Cieux. Je sais bien que le génie de ces géants, c'est Dieu qui a permis aux dieux de le leur donner et que, par suite, nous, les médiocres, devons aux grands hommes notre étude admirative et notre déférence. Mais qu'ils ne nous cachent pas Notre Père.

La raison, les témoignages des Livres saints, la parole des grands disciples du Christ peuvent conduire à la foi, c'est-à-dire au Royaume de Dieu, mais non point en ouvrir la porte. Ce Royaume est au-dessus de toutes les démonstrations et peut paraître contraire à elles. Pour y entrer, il faut vouloir, mais ce n'est pas le vouloir qui ouvre la porte. Dès le seuil franchi, on possède des certitudes sur les objets surnaturels et, quand la personne entière est acclimatée, on reçoit aussi des certitudes sur les objets naturels.

Ce n'est pas que l'être humain soit entièrement corrompu; il est seulement plus matière qu'esprit, beaucoup plus égoïste qu'altruiste; c'est pourquoi il s'adonne au mal bien plus qu'au bien. Aussi ne doit-on pas se prendre en exécration, mais, d'une humeur modérée, se connaître comme capable de vices envahissants, de minuscules vertus et, à cause de cette énorme disproportion, user envers soi d'une rigueur impitoyable, sans jamais se permettre ni de désespoir ni d'outrecuidance.