LA BONTÉ DU PERE



Le berger qui a plus de joie d'avoir ramené une brebis perdue que d'avoir gardé les quatre-vingt-dix-neuf autres, la femme qui se réjouit plus d'avoir retrouvé une drachme que d'en avoir conservé neuf, le père de famille qui fête l'enfant prodigue tandis qu'il ne donne rien de spécial à son autre fils vertueux sont des exemples de l'amour du Père pour l'homme. Ce n'est pas juste, diront les métaphysiciens. Non, ce n'est pas de la justice, c'est de l'amour. Nous n'avons rien en nous dont le prototype ne préexiste dans le Ciel. Si nous étions traités suivant une justice mathématique, jamais nous n'arriverions à réparer nos fautes, encore bien moins nous ne pourrions terminer notre travail. L'homme vertueux ne s'acquiert pas de mérites, selon la Justice, puisqu'il ne fait que son devoir; mais l'Amour lui en reconnaît et le récompense, comme il fait fête au pénitent.

Il est incompréhensible, il paraît inouï que l'Etre, dont une partie infime suffit à remplir l'immensité de la création, S'occupe de nous avec plus de sollicitude que la plus tendre des mères, qu'Il Se penche pour écouter nos prières balbutiantes. Sait-on ce qu'est le péché, dans son essence intime ? Sait-on ce que c'est que le mal dans sa racine spirituelle ? A côté de combien d'abîmes ne passons-nous pas tous les jours ? Mais peu d'hommes ont la tête assez solide pour scruter certains mystères. Contentons-nous de savoir que le Père nous aime; si nous pouvions répondre à la millionième partie de cet amour, nous serions tous des saints extraordinaires.

Les docteurs de l'Église, saint Irénée et saint Ambroise entre autres, enseignent que les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent les bons anges, et la centième l'humanité. C'est elle aussi que symbolise la dixième drachme et l'enfant prodigue; la femme est la communauté de la cour céleste, Sion; le père de famille, c'est Jésus; mais le fils aîné marque une race d'êtres inconnus à toutes les mythologies, qui vit cependant tout à côté de nous, qui travaille, mais pas selon le même mode que nous.

Bien qu'Il nous aime, ou plutôt parce qu'Il nous aime, le Père veut que nous travaillions. C'est ce second aspect de Son amour que nous montre la parabole de l'économe infidèle.

L'homme riche, c'est le Père ou la Providence vivante. L'intendant, c'est l'homme, à qui des organes pour agir dans tous les plans ont été confiés, afin qu'il fasse croître la vie, qu'il fasse fructifier les graines spirituelles déposées, soit dans son être intérieur, soit dans le domaine extérieur qui lui a été attribué dès l'origine. En se conduisant mal, il gaspille ses forces, et n'ensemence point. Pour échapper à la punition, il cherche des arrangements avec d'autres êtres qui ne dépendent pas de lui, bien que sujets du même Maître. Ces contrats qu'il passe, soit par force, soit par ruse, quoique illégitimes, deviennent obligatoires. De sorte que ses créanciers, les dieux de la richesse, de la gloire, de la science, par exemple, gagnent toujours quelque chose à ce commerce.

Telle est, en général, la conduite des humains. Mais elle n'est pas conforme à la vraie sagesse.


De là le conseil : " Faites-vous des amis avec les richesses injustes ". Selon le plan primitif de la Création, les bonheurs temporels devaient concorder avec le vrai mérite spirituel; mais les diables et les hommes ont faussé cette correspondance. De sorte que les prérogatives précitées sont des écueils où la vertu des hommes sombre presque toujours. Richesse, santé, réussite, gloire sont détenues injustement par Mammon. Si on administre fidèlement ceux d'entre ces biens que les Moires nous distribuent, je veux dire si on les regarde comme n'étant ni notre acquit, ni notre propriété, comme de simples dépôts, nous en ferons profiter fraternellement les autres. Si même le disciple est courageux, il cherchera l'épreuve, l'adversité, pour l'éviter à l'un de ses frères; mais il ne doit tenter cela que par amour, car " qui veut sauver sa vie la perd ".

Les amis que l'on se fait ainsi sont les serviteurs invisibles du Ciel, non seulement ceux que l'Église appelle les bons anges, mais bien d'autres êtres encore, dont l'ésotérisme ignore l'existence.

Ces épreuves, quelque terribles qu'elles peuvent paraître à notre point de vue, sont " de petites choses "; gloire et richesse et science terrestre ne sont rien en effet. Notre fidélité dans ces modestes travaux nous permettra d'être consciencieux quand l'Ami nous confiera " de grandes choses ", plus tard, c'est-à-dire un pouvoir, un secret, ou une mission. C'est là les " véritables richesses ", à la distribution desquelles nous sommes tous appelés. Comprenons-le bien, " ce qui est à autrui ", c'est tout ce que nous possédons, dans tous les plans; " ce qui est à nous ", c'est l'étincelle de Lumière divine.

Là, il faut choisir; vouloir être à la fois de la Lumière et des Ténèbres, c'est chercher le clair-obscur, l'équilibre; or, rien dans la Nature ne demeure en équilibre stable, s'il n'est immobile. Et l'immobilité, c'est l'état anti-vital, c'est le véritable Enfer, c'est la porte du Néant.

Eloignez-vous des hommes qui prêchent cette immobilité et qui prétendent y être parvenus pour s'assurer par là la possession des prérogatives les plus élevées qu'il soit possible de conquérir. Ecoutez l'auteur de l'Église intérieure;

" Nous pouvons, en contrariant notre propre volonté et en la subjuguant même, n'avoir d'autre but qu'à y trouver un aliment à notre orgueil spirituel et un puissant agent pour accomplir nos propres désirs. On en voit aujourd'hui un exemple frappant dans ces plus habiles opérateurs du magnetisme.


Ils vous disent... de vous tenir dans une parfaite inaction. Mais qui ne voit qu'ils se servent de cette inaction même pour arriver au but qu'ils s'étaient d'abord proposé ? C'est ce but qui les rend plus actifs, dans le temps même qu'ils ne prétendent être que passifs ".

L'histoire de Lazare et du mauvais riche montre que les frontières des mondes sont infranchissables. La tradition ecclésiastique enseigne que, de la circonférence de la terre à son centre, se trouvent les limbes des saints de l'ancien temps, que le Christ a libérés, puis le purgatoire, puis les limbes des enfants non baptisés, puis l'enfer. Il n'y a pas que de l'imagination dans cette cosmographie, de même que dans les doctrines occultes des différents peuples. Mais nulle part on ne trouvera une description exacte et complète du pays des morts et des autres mondes invisibles avoisinant notre planète. Aussi bien, ces connaissances n'auraient guère pour notre culture, d'utilité réelle. On peut dire toutefois que le paradis, le purgatoire et l'enfer des catholiques existent; comme existent le schéol, le puits de l'Abîme des Hébreux, les quatorze lieux cosmiques des brahmanes, les innombrables cieux et enfers bouddhistes. Une théologie est toujours l'histoire naturelle d'un aspect de l'invisible, et non pas un simple symbole philosophique.