L'ECHEC



Si la Lumière est une flamme triomphatrice, elle est aussi comme l'assaut toujours repoussé des vagues qui battent un récif; combien de milliards de fois le roc n'a-t-il pas réduit la lame en écume impuissante ? Mais la nuit vient sûrement où, miné par en dessous, il s'effondrera en poussières dans le sein profond de sa patiente ennemie.

Cycles après cycles, races après races, années après siècles, minutes après jours, le Ciel S'offre, sans lassitude, à l'homme et au diable, et ceux-ci s'emparent avec avidité de cet aliment et de cette boisson, et ils usent de leurs forces rajeunies pour satisfaire leur bien-être.

Mais l'Amour, sans cesse immolé se débat dans les ténèbres de l'égoïsme : et, un beau jour la créature sent bouger quelque chose en elle : c'est le remords et c'est l'aube du triomphe de la Lumière. Ce soleil mettra peut-être des milliers d'années à percer les nuages, mais il les percera.

La victoire du Ciel revêt donc, pour des yeux prévenus, les apparences de la défaite. Parce que Son opération dépasse l'entendement, elle nous est déraisonnable et incompréhensible; c'est pour cela qu'elle ressortit au domaine de la foi, et que l'incrédulité des compatriotes du Christ empêche le miracle.

La foi, en effet, s'appuie sur le mystère et sur l'inconnu. Un thaumaturge qu'on a vu jouer avec les autres enfants sur les places publiques, dont on connaît la maison, la famille, perd de son prestige. La raison des spectateurs ferme la porte aux secrets intuitifs; ils se scandalisent de cette dérogation aux habitudes, de ce renversement de l'ordre établi; ils construisent une digue pour détourner d'eux le cours du fleuve de la grâce.

Or, quel est le travail du missionné ? Comme Isaïe l'explique, il est sextuple. Celui qui a reçu le baptême de l'Esprit doit redonner du courage et de l'espoir à ceux qui végètent dans les privations, que personne n'essaie de tirer de l'indigence, de l'ignorance et de l'isolement; à ceux-là il apporte la clef du Trésor céleste.

A ceux qui ont le coeur brisé il suscite le désir, l'enthousiasme et la foi; il les rend capables de se remettre au travail; il leur fait pressentir le goût de la béatitude pour leur enlever l'amertume des amours temporelles qu'ils ont perdues.

Ceux qui n'ont point de monnaie morale, de mérites, et que les gendarmes font travailler sans salaire pour éteindre leurs dettes, il leur donne le prix de ses propres souffrances, et les met à même de se remettre à l'ouvrage pour leur compte.

Il y en a d'autres qui ont détourné leur regard, aussi bien celui des yeux que celui du coeur, de la Lumière; comme un organe qui n'est pas exercé s'atrophie, ils ont perdu la faculté de voir. Cure difficile que celle-là, et possible seulement au véritable thérapeute.

Il faut aussi faire cesser l'injuste persécution que subit le petit nombre des hommes de bien qui n'ont pas voulu rendre un culte aux dieux de l'argent, de la gloire et de la ruse. Ces serviteurs obscurs du Ciel ont droit, de temps à autre, à un peu de répit; il faut leur préparer la halte, non pas en pensée, mais physiquement; il faut leur arranger un petit coin de terre où ils puissent vivre à l'aise, eux et leur famille.

Enfin, il n'y a pas que le genre humain dont le Ciel S'occupe; d'innombrables hiérarchies réclament Son assistance. La réfection de tous ces êtres, leur réorganisation, le redressement des forces directrices, la culture des terres spirituelles, la recherche des hommes dont le nom est inscrit sur le Livre de Vie, leur répartition dans des familles appropriées, la possibilité d'une science convenable, tels sont quelques-uns des objets que doit régler celui que le Ciel charge d'établir les bases de Son règne.

Pour suffire à cette besogne formidable, il faut un organisme solide et un tempérament de fer. Et encore la nature humaine n'y résisterait pas si elle n'était aidée; mais ce ne doit pas être là notre souci pour le moment. Cherchons seulement autour de nous s'il est quelqu'un à qui tout le monde prodigue des calomnies; il y aura de bien grandes chances, alors, pour que ce soit un envoyé de Dieu.