CHAPITRE X

COSMOLOGIE



Fludd enseigne qu'au commencement deux principes existaient seuls, procédant du Père : les Ténèbres et la Lumière, l'idée formelle et la matière plastique. Selon l'opération diverse de la lumière, la matière devint quintuple. Les mondes spirituel et temporel, soumis à l'action du type originel, devinrent, à la ressemblance de cette idée invisible, d'abord intelligibles, puis peu à peu manifestés par leur action réciproque. Ainsi fut produit l'être, ou la pensée à qui fut attribuée la création. Ceci est proprement le Fils, la seconde personne de la Trinité, qu'il appelle aussi le Macrocosme. II est divisé en régions Empyrée, Ethérée et Élémentaire ; elles sont habitées par des nations invisibles et innombrables ; la Lumière s'y répand et s'éteint dans les cendres obscures qui constituent ce troisième monde. Il y a trois hiérarchies ascendantes d'anges : les Téraphins, les Séraphins et les Chérubins ; par contre, trois hiérarchies sombres peuplées d'anges déchus. Le monde élémentaire est l'écorce, le résidu, la cendre, le sediment du feu éthéré. L'homme est un microcosme. Tous les corps renferment, comme autant de prisons, une parcelle d'esprit éthéré, un magnétisme intérieur, qui est leur vie. Ainsi tous les minéraux ont une certaine force végétative, toutes les plantes ont une sensibilité rudimentaire, tous les animaux un instinct presque raisonnable. L'alchimiste évolue donc les corps avec du feu matériel, le magicien opère par un feu invisible et l'adepte dissipe les erreurs au moyen du feu intellectuel.

Fludd enseigne que la lumière est l'agent de la vie universelle. C'est la cause de toutes les énergies et le médiateur ou, mieux, le ministre des volontés divines. Elle est au centre du monde, par conséquent derrière le soleil pour notre zodiaque ; elle est d'autant plus dynamique qu'elle est plus invisible.

Cette dernière idée semble empruntée à Dante, chez qui elle est la base de la constitution des neuf cercles de son Paradis et des neuf cercles de son Enfer.

Nous verrons plus loin comment s'explique l'Enfer. Tous les écrivains rosicruciens sont d'accord sur son existence mais, selon Gutmann, le Purgatoire est dans la conscience de chacun ; c'est donc d'une manière subjective, dont l'intensité est proportionnelle à la perfection selon laquelle nous obéissons à notre conscience.

L'existence de l'Enfer, par contre, est objective, et ceux que le Christ a rebaptisés peuvent le voir ; il provient, dans le développement cosmogonique, du royaume des Ténèbres.

II y a trois sortes de ténèbres : dans l'enfer, dans le ciel extérieur et sur la terre. Les deux premières sont les plus profondes. En outre, chaque créature contient des ténèbres, dont le degré constitue son opacité ou sa translucidité propre ; l'oeil de l'homme lui-même est enténébré, et l'obscurité qui le couvre ne se dissipe qu'au fur et à mesure de la purification morale.

Il faut, en outre, mentionner les ténèbres thaumaturgiques qui se produisent en dehors du cours ordinaire des choses et qui sont les signes d'une volonté particulière de Dieu. Il en est de même des éclipses de planètes.

Ainsi toute chose a ses ténèbres dans l'univers : et leur mère unique est la ténèbre du puits de l'Abîme, dont le grand Ange conserve la clef jusqu'au jour du jugement (1). L'homme intérieur est dans l'obscurité ; il passe dans la lumière quand il accomplit de bonnes actions, et le rayonnement de ces actes, quand il est assez fort, suffit à dissiper les ténèbres de l'homme corporel. Les pierres et les métaux peuvent aussi manifester leur lumière par l'opération de l'art ; c'est ce qu'enseigne l'alchimie.

Il ne faut pas croire que la partie ténébreuse de l'univers soit la création directe de Dieu. Dieu n'a jamais voulu le mal. Mais c'est la mauvaise volonté du diable qui a produit tout ce qu'il y a d'obscur et d'imparfait dans le monde. Ainsi l'homme n'est pas le maître des Ténèbres et, s'il ne renaît d'eau et d'esprit, il ne peut y porter la Lumière. Le gouverneur des Ténèbres est Lucifer, le prince de ce monde aidé par ses légions innombrables d'anges révoltés.

L'essence des Ténèbres est une chose déliée, insaisissable et incorporelle, beaucoup plus subtile que l'air et que l'eau ; leur remède est donc une chose de même nature, spirituelle et pénétrant tout ; c'est le rayonnement de la sainteté ; c'est la purification intérieure, par laquelle l'homme forme en lui-même une image de plus en plus ressemblante de la source de toute Lumière.

Rappelons que ces Ténèbres peuvent exister dans la nuit, dans le royaume des morts, dans les ténèbres extérieures.

Entre les cieux et la terre on compte sept choses, qui sont contraires l'une à l'autre et qui coexistent cependant : ce sont l'espace éthéré du firmament, l'air humide et l'air sec, la lumière, la chaleur, le froid et la terre ; la huitième sphère est la ténèbre.

Les êtres des trois mondes pris dans leur ensemble forment une échelle philosophique, kabbalistique et magique, la chaîne d'or qui retient l'oiseau hermétique, l'arbre de la science du bien et du mal, qui se développe selon les lois des nombres 4, 5 et 7.

 L'EVE UNIVERSELLE

C'est la Maha-Mariah, fécondée par dedans, et par suite toujours vierge (voir la Genèse). (Dr A. J.)

Dieu est un esprit éternel, incréé, infini, subsistant par soi-même ; il est devenu, dans la Nature et dans le Temps, un homme visible, corporel et mortel.

La Nature est un esprit créé, temporel, fini et corporel ; une image, une ombre de l'Éternel.

L'oeil de Dieu voit, crée et conserve toute chose. Le regard de cet oeil est la Lumière de la grâce qui est l'Ergon, l'Ève céleste, l'agent de la régénération. La circonférence de cette lumière est la teinture céleste, le sacrement par excellence, la Rose-Croix.

L'oeil de la Nature voit et régit toute la terre. Sa lumière vit, meurt, opère, se corrompt et renaît à nouveau ; elle est le Parergon, l'Ève terrestre, la naissance matérielle. Sa circonférence est la teinture physique, la sueur du soleil, le lait de cette vierge qui a six enfants et qui demeure cependant toujours vierge. C'est ici que doivent venir les philosophes.

Mais, pour voir toutes ces choses, il faut les contempler par ce que John Dee appelle la monade hiéroglyphique (59). C'est la Vierge Sophia. Son visage resplendit comme le soleil de justice ; dans sa poitrine brûle le feu divin de la Trinité, que figurent l'Urim et le Thummim. Par sa droite tous les êtres sortent de l'unité selon la loi de l'Ancien Testament ; par sa gauche les êtres rentrent dans l'unité selon la loi du Nouveau Testament. Son fils est le Verbe incarné, le microcosme, au centre duquel habitent simultanément le Temps et l'Éternité ; c'est par lui que l'on arrive au collège du Saint-Esprit, où l'on assiste à l'opération du Fiat de la Nature.

***

Il y a dans ce Fiat quatre sphères concentriques qui découlent l'une de l'autre. Nous n'exposerons pas la loi générale du quaternaire ; nous préciserons qu'elle exprime le double mouvement inverse de la Nature, ce qui veut dire que le grand oeuvre minéral, le grand oeuvre magique et le grand oeuvre spirituel s'accomplissent par des procédés analogues. Le Signatura Rerum de Jacob Boehme est consacré tout entier à prouver cette thèse. Cette loi générale du quaternaire a été révélée essentiellement dans les quatre lettres de l'inscription clouée au haut de la Croix.

Voici, d'après les livres hermétiques, la signification de ces quatre lettres I.N.R.I.

I (Iod) symbolisait le principe créateur actif et la manifestation du principe divin que féconde la substance.

N (Naïn) symbolisait la substance passive, moule de toutes les formes.

R (Rasit) symbolisait l'union des deux principes et la perpétuelle transformation des choses créées.

I (Iod) symbolisait à nouveau le principe créateur divin, pour signifier que la forme créatrice qui en est émanée y remonte sans cesse pour en rejaillir toujours. (2)

« La rose-croix, formant ainsi un bijou précieux, était l'attribut des anciens mages, qui le portaient suspendu au cou par une chaîne d'or. Mais, pour ne pas laisser livré aux profanes le mot sacré i,n,r,i, ils remplaçaient ces quatre lettres par les quatre figures qui s'unissent dans le sphinx : la tête humaine, le taureau, le lion et l'aigle. » (3)
Voici quatre sens de ces quatre lettres :
Sens matériel. - Jesus Nazaraeus Rex Judaeorum

(Jésus le Nazaréen Roi des Juifs)

Sens majeur. - Igne Natura Renovatur Integra

(La Nature purifiée est renouvelée - régénérée - par le feu).

Sens supérieur. - Inefflabile Nomen Rerum Initium

(Le Nom ineffable est le commencement des choses).
 

Ineffabile = 10, nombre de la perfection des Sephiroth.

Nomen = 5, l'Univers constitué dans son essence.

Rerum = 5, l'Univers constitué dans sa forme.

Initium = 7, double conscience que l'être prend de la forme et de la substance.
 

Lire aussi, au sens psychique : Intra Nobis Regnum Jehovah (Au dedans de nous (est) le règne de Jéhovah). (Jean Tabris)

À titre anecdotique nous mentionnerons quelques autres explications qui ont été relevées de ces quatre lettres :

Igne Nitrium Roris Invenitur

(Par le feu se découvre le Nitre de la Rosée) (hermétique).

Jamaïm, Nor, Rouach, Jabashah

(Eau, Feu, Air, Terre) (hébraïque).

Justum Necare Reges Impios

(Il est conforme à la justice de mettre à mort les rois impies)(jésuitique).

Ignatii Nationum Regumque Inimici

(Les disciples d'Ignace (sont) les ennemis des nations et des rois) (antijésuitique).

Indefesso Nisu Repellamus Ignorantiam

(Que par l'effort infatigable nous repoussions l'ignorance).

Infinitas Natura Ratioque Immortalitas

(La Nature (révèle) l'immensité et la raison l'immortalité).

Insignia Natures Ratio Illustrat

(La raison dévoile les merveilles de la Nature)

Justicia Nunc Reget Imperia

(Maintenant la justice régira les empires).
 

Enfin celle que nous considérons comme la plus significative :
D'où venez-vous ? De la Judée.

Par quelle ville avez-vous passé ? Par Nazareth.

Qui vous a conduits ? Raphaël.

De quelle tribu êtes-vous ? De Juda.


(1) GUTMANN, livre VIII.
(2) CHRISTIAN : Histoire de la Magie, du monde surnaturel et de la fatalité à travers les temps et les peuples. Paris (Furne Jouvet).
(3) Revue des Hautes Études, 1887, N° 5, p. 150