CHAPITRE III

LES PRÉCURSEURS



L'intervention toujours inconditionnée de l'Absolu ne s'accomplit pas sur le plan humain sans une préparation. Les prophètes d'Israël et le Précurseur ont préparé le chemin au Fils de Dieu. De même des êtres, des événements ont ouvert la voie à cette manifestation de Dieu que fut la Rose-Croix.

Le moyen âge, du XIIIe au XIVe siècle, son esprit, ses aspirations, son destin, inconnaissable assurément mais plein d'espérance, son âme s'exprime dans l'oeuvre de Dante. Une forme de civilisation avait disparu ; une autre sortait de la nuit, que le christianisme orthodoxe, comme le christianisme hérétique, marquait de son empreinte. Dante a donné une forme à tous ces rêves.

L'oeuvre de Dante a donné lieu à d'innombrables commentaires, Pour rester dans les limites de notre étude, nous signalerons qu'E. Aroux (1) se pose la question : Dante fut-il catholique ou albigeois ? Il souligne les rapports que Dante eut avec des sectes gnostiques d'Albigeois, adversaires de la papauté et de l'Eglise de Rome ; et il rappelle que le huitième ciel du paradis, le ciel étoilé, est le ciel des Rose-Croix, que les parfaits vêtus de blanc y professent « la doctrine évangélique », celle de Luther, opposée à la doctrine catholique romaine.

Eliphas Lévi (9) déclare : « L'oeuvre du grand Gibelin est une déclaration de guerre à la papauté par la révélation hardie des mystères ; l'épopée de Dante est joannite et gnostique - et le héros de La Divine Comédie échappe à l'Enfer en prenant le contre-pied du dogme ». - Dans la réalité, Dante n'a jamais « révélé » de mystères ou, s'il l'a fait, c'est sous une forme si voilée que seuls ceux qui connaissaient ces mystères pouvaient comprendre. De même il n'a jamais pris « le contre-pied du dogme » ; il n'a jamais cessé d'être catholique, au sens traditionnel de ce mot. S'il s'est montré adversaire de la papauté, c'est uniquement sur le terrain politique et parce qu'il reprocha aux successeurs de saint Pierre de recourir trop fréquemment aux moyens temporels - ce qui est une considération d'ordre extérieur. Le désir, que Dante exprima parfois avec violence, de voir maintenus entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel des rapports conditionnés par ceux de leurs domaines respectifs, est une preuve de l'orthodoxie de son catholicisme.

Dante fut l'un des chefs de la Fede Santa, tiers ordre de filiation templière (2). Par ailleurs il y a un rapport certain entre Dante et la tradition musulmane, à laquelle, nous le verrons, la tradition rosicrucienne était apparentée. Miguel Asin Palacios (10) a souligné de très intéressants rapprochements entre La Divine Comédie et les thèses d'un des plus grands écrivains musulmans, Mohyiddin ibn Arabi.

L'année même (1265) où naquit Dante, Jean Clopinel dit Jean de Meung continua le Roman de la Rose qu'avait commencé Guillaume de Lorris quarante ans auparavant. Sous sa plume, le bel et délicat « Art d'aimer » imité d'Ovide qu'avait chanté son prédécesseur devint une encyclopédie où se succèdent des considérations sur toutes sortes de sujets, depuis les origines du monde, l'amour, la fortune, la nature, l'art, l'astronomie, l'alchimie, jusqu'à la religion et la morale. Avec une verve truculente Jean de Meung pourfend les superstitions, les hypocrisies, dit leur fait aux ordres mendiants, à la noblesse, même à la royauté. Il veut qu'on suive les lois de la Nature ; aux pratiques des moines il oppose la vertu laïque, la vie chrétienne toute simple.

Mais, si Jean de Meung est incontestablement un poète puissant, s'il manie la satire avec une belle et redoutable maîtrise, iI n'est pas un artiste. Entre Dante et lui il y a un abîme, Toutefois il occupe une place honorable dans la phalange de ceux, qui ont lutté contre l'hypocrisie et les excès et qui ont préconisé une vie loyale et saine.

Eliphas Lévi, recherchant les racines terrestres, humaines des Rose-Croix, s'exprime ainsi : « La rose, qui a été, de tout temps, l'emblème de la beauté, de la vie, de l'amour et du plaisir, exprimait mystiquement la pensée secrète de toutes les protestations manifestées à la Renaissance. C'était la chair révoltée contre l'oppression de l'esprit ; c'était la nature se déclarant fille de Dieu, comme la grâce ; c'était la vie qui ne voulait plus être stérile ; c'était l'humanité aspirant à une religion naturelle, toute de raison et d'amour, fondée sur la révélation des harmonies de l'être, dont la rose était pour les initiés le symbole vivant et fleuri.

» La rose, en effet, est un pentacle... La conquête de la rose était le problème posé par l'initiation à la science, pendant que la religion travailIait à préparer et à établir le triomphe universel, exclusif et définitif de la croix...

» Réunir la rose à la croix, tel était le problème posé par la haute initiation... La religion est la révélation et la satisfaction d'un besoin des âmes. Personne ne l'a inventée ; elle s'est formée par les nécessités de la vie morale ; elle est fatale à la fois et divine. Donc la vraie religion naturelle, c'est la religion révélée..

» C'est en partant de ce principe rigoureusement rationnel que les Rose-Croix arrivaient au respect de la religion dominante, hiérarchique et révélée. Ils ne pouvaient, par conséquent, pas plus être les ennemis de la papauté que de la monarchie légitime et, s'ils conspiraient contre des papes et contre des rois, c'est qu'ils les considéraient personnellement comme des apostats du devoir et des fauteurs suprêmes de l'anarchie. » (9).

Stanislas de Guaita insiste sur ce point dont l'importance n'échappera à personne. « Jamais les Rose-Croix n'ont renié le catholicisme... Eux (si attachés aux symboles chrétiens qu'ils nommaient leur collège suprême Chapelle du Saint-Esprit et Liberté de l'Évangile un de leurs plus occultes manuels) n'avaient garde de méconnaitre dans le souverain pontife le principe incarné de l'unité vivante... Mais les abus de la papauté les trouvaient impitoyables... Dans le pape les Rose-Croix distinguaient deux puissances, incarnées dans une seule chair : Jésus, César, et, lorsque, qualifiant d'Antéchrist le successeur de Pierre, ils menaçaient de briser sa triple couronne, ils ne visaient que le despote temporel du Vatican. » (7).

On ne sait généralement pas jusqu'à quel point le monde et l'Église profanes ont été travaillés par des courants occultes. Le catharisme avait pénétré très avant dans le clergé du moyen âge. Albert le Grand, son élève saint Thomas d'Aquin, Pierre le Lombard, Richard de Saint-Victor, saint François d'Assise, sainte Claire, le tiers ordre tout entier professèrent des doctrines gnostiques. « Le Tiers Ordre dure encore ; mais il a dû perdre - et, en effet, il a perdu complètement son premier caractère. À l'origine, tel que saint François l'organisa, tel que les empereurs d'Allemagne le combattirent, ce n'était pas seulement une confrérie pieuse destinée à réunir dans la même prière quelques âmes d'élite, c'était une association gigantesque, qui embrassa toute l'Italie, puis bientôt toute la chrétienté, et dans laquelle les membres, en s'astreignant à quelques rares pratiques religieuses, s'imposaient avant tout l'obligation de travailler vigoureusement et en commun à l'oeuvre politique (3). Et, en effet, on peut dire à bien des égards que c'est le Tiers Ordre qui a vaincu la féodalité, que c'est du Tiers Ordre qu'est sorti le Tiers Etat ».

Les romans de chevalerie sont une mine inexplorée de renseignements sur l'histoire mystérieuse de notre pays ; et René Guénon (4) pense que « l'origine réelle du Rosicrucianisme, ce sont les Ordres de chevalerie qui formèrent au moyen âge le véritable lien intellectuel entre ]'Orient et l'Occident ».

Mais les véritables précurseurs des Rose-Croix sont ceux qui ont créé l'ambiance spirituelle où la Rose-Croix a pu se manifester. Nous ne pouvons en mentionner que quelques-uns parmi les principaux.

Les ouvrages mystiques publiés au Ve siècle sous le nom de Denys l'Aréopagite enseignent que Dieu est l'Un, le non-manifesté. Toutes choses procèdent de lui, de son amour. Cet amour est une force unissante qui pousse les choses supérieures à prendre soin des inférieures et qui incline les inférieures à aspirer aux supérieures. L'homme atteint Dieu par l'intelligence, mais surtout par l'amour qui est le reflet de Dieu et par l'extase qui l'absorbe dans l'unité transformante. Cet amour pour Dieu se manifeste ici-bas par l'amour que les créatures doivent avoir les unes pour les autres.

Joachim de Flore (1132-1202) prêcha la réforme du clergé, affirmant que ce n'est pas par la connaissance que l'homme arrivera jamais à Dieu, mais par la pureté de la vie et par l'amour. Se fondant sur deux paroles de saint Jean (5), Joachim de Flore divisa l'histoire du monde en trois périodes: le règne du Père, qui va d'Adam à Ozias, roi de Juda ; le règne du Fils, qui va d'Ozias à l'époque où vivait Joachim ; alors doit venir le règne du Saint-Esprit, précédé par une révolution dans les âmes qui purifiera l'Eglise de ses souillures et au seuil de laquelle réapparaîtra le prophète Elie.

Ce troisième âge est la « quatrième monarchie » dont la Fama, nous le verrons, déclare que les Frères de la Rose-Croix « la reconnaissent comme leur chef et celui de la chrétienté ». Ce quatrième royaume est annoncé par le prophète Daniel (II, 40). Il aura la dureté du fer, mais il sera divisé et un royaume lui succèdera qui dominera sur tous les autres et ne sera jamais détruit (v. 44)

A la même époque le séraphique François d'Assise (1182-1226), l'époux de Notre-Dame la Pauvreté, l'être débordant d'amour, réalisa avec ses frères l'idéal de l'Evangile dans l'existence monastique la plus simple, la plus humble qui soit.

Maître Eckhart (1260-1328) enseigne que Dieu est l'unique réalité ; « personne ne peut dire ce qu'il est, si ce n'est l'âme où il est lui-même ». La pensée de Dieu, c'est le Verbe qui est Dieu parce que Dieu n'exprime que Lui-même. Dieu est la réalité, le Verbe est la vérité. La création est contenue idéalement dans le Fils. L'amour réciproque du Fils et du Père, de Dieu et du monde est le Saint-Esprit. La vraie connaissance de Dieu est ]'union avec lui. Cette union est donc la fonction la plus haute de l'esprit.

Jean Ruysbroeck l'Admirable (1293-1381), le disciple de Maître Eckhart, l'auteur illuminé entre autres de l'Ornement des Noces Spirituelles et du Royaume des amants de Dieu, emporte l'âme jusqu'à Dieu par la lutte pour la perfection. « Vous savez comment le fer est tellement pénétré par le feu que sous son action il fait ]'oeuvre même du feu, brûlant et éclairant comme lui. Cependant chaque élément garde sa nature propre, et le feu ne devient pas fer, pas plus que le fer ne devient feu. Mais l'union se fait sans intermédiaire puisque le fer est intérieurement dans le feu et le feu dans le fer ».

À un de ses moines qui lui faisait remarquer qu'en écrivant des choses aussi profondes il s'attirera bien des envieux et des détracteurs, il répondit : « En vérité, je n'ai jamais rien écrit de mes livres, sinon en présence de la Très Sainte Trinité ». - Chez lui l'inspiré n'éclipse jamais l'ascète ; il répète constamment que seule la préparation des vertus conduit à la connaissance. Surtout il connut la joie.

Michelet, dans une page célèbre, a ainsi caractérisé le moyen âge : « Foi, espérance, charité, ce sont bien trois vertus divines. Mais il faut ajouter cette vertu rare et sublime des coeurs très purs, rare même chez les saints. Faute d'un meilleur nom, je l'appelle la joie. La condamnation de tout le moyen age, de tous ses grands mystiques, est celle-ci : Pas un n'a eu la joie. Comment l'auraient-ils eue ? Ils ont gémi, langui et attendu, ils sont morts dans l'attente... Ils ont aimé beaucoup., mais ils restèrent tristes et inquiets ». Ruysbroeck eut la joie. Mais cette joie surnaturelle, il estime que le disciple du Christ peut la porter à son comble en étant prêt à y renoncer par amour pour ses frères. « Si vous êtes ravi en extase, dit-il, aussi haut que saint Pierre ou saint Paul ou qui vous voudrez, et si vous apprenez qu'un malade a besoin d'un bouillon chaud, je vous conseille de vous réveiller de votre extase et de faire chauffer le bouillon. Quittez Dieu pour Dieu ; trouvez-le, servez-le dans ses membres ; vous ne perdrez pas au change ».

Mentionnons enfin que l'organon mystique de l'enseignement chrétien résume ses plus merveilleux efforts dans le livre splendide de l'Imitation de Jésus-Christ, que les Rose-Croix de 1614 prendront comme leur bréviaire et proposeront à leurs néophytes comme un guide infaillible. (6)

LES ORIGINES



Nous reproduisons les documents qui suivent par un souci d'objectivité ; mais nous ne pensons pas qu'ils apportent quoi que ce soit d'utile pour la connaissance de la manifestation rosicrucienne.

Buhle affirme que les Thérapeutes et les Esséniens furent les véritables ancêtres des Rose-Croix ; le néo-platonisme d'Alexandrie, conservé par les Arabes, aurait également eu une part dans leur doctrine. La philosophie de l'Islam exerçait, vers la fin du XVIe siècle, époque où fut constituée la légende de Rosencreutz, sur les amants du mystère la même attraction que fait aujourd'hui la philosophie de l'Inde. L'étude de la langue et de la philosophie arabes était inscrite aux programmes de la science officielle.

Mackenzie, dans son Encyclopédie, parle en ces termes de la Fraternité hermétique d'Égypte - mais a-t-elle un rapport avec la Rose-Croix ? - : « Il est une Fraternité qui s'est propagée jusqu'à nos jours et dont l'origine remonte à une époque très reculée. Elle a ses officiers, ses secrets, ses mots de passe, sa méthode particulière dans l'enseignement de la science, de la philosophie et de la religion... Si l'on en croit ses membres actuels, la pierre philosophale, l'élixir de vie, l'art de se rendre invisible, le pouvoir de communiquer directement avec l'autre monde seraient une partie de l'héritage de leur Société. J'ai rencontré trois hommes seulement qui m'ont affirmé l'existence actuelle de cette corporation religieuse de philosophes et qui m'ont laissé deviner qu'ils en faisaient partie eux-mêmes, Je n'ai pas eu de raison de douter de leur bonne foi. Ils ne paraissaient pas se connaitre, ils avaient une honnête aisance, une conduite exemplaire, des manières austères, des habitudes presque ascétiques. Ils me parurent âgés de quarante à quarante-cinq ans, posséder une vaste érudition, avoir une connaissance parfaite des langues... Ils ne demeuraient jamais longtemps dans le même lieu et s'en allaient sans attirer l'attention ».

Karl Kiesewetter, dans un article de L'Initiation, donne les renseignements suivants :

« Dans le Theatrum Chemicum (ed. de 1613, p. 1028), un évêque de Trèves, le comte de Falkenstein, est nommé, au seizième siècle, illustrissimus et serenissimus princeps et pater philosophorum. Or il était un officier supérieur des Rose-Croix, ainsi qu'il résulte du titre d'un manuscrit actuellement en ma possession, et que voici : Compendium totius philosophae et alchymiae Fraternitatis Roseae Crucis, ex mandato serenissimi comitis de Falkenstein, imperatoris nostri, anno Domini 1574(7).

» Ce manuscrit contient des théories alchimiques dans le sens de ce temps et une collection de procédés précieux pour la connaissance de l'alchimie pratique. II ne faudrait pas y chercher une philosophie ou théosophie dans le sens attribué de nos jours à ces termes ; le mot philosophia n'y est pris que dans l'acception d'alchimia ou de physica. Toutefois, ce manuscrit offre encore un intérêt historique particulier en ce que ce comte de Falkenstein y est pour la première fois désigné par ce titre d'Imperator, qui devait subsister à travers les siècles, et surtout parce que la dénomination de Fraternitas Roseae Crucis y apparaît pour la première fois aussi. Il est vraisemblable que la Fraternité secrète des Alchimistes et des Mages avait consacré sa dénomination par le symbole, si fréquent dans ce temps, de Rosaria, comme l'écrivaient Arnaud, Lulle, Ortholain, Roger Bacon et d'autres encore. C'est celui qui est figuré par la Rosace où la plénitude de la magnificence s'ajoute au symbole de la foi chrétienne : la Croix ».

Robert Fludd cite une déclaration d'Agrippa (1486-1533) : « Il existe aujourd'hui quelques hommes remplis de sagesse, d'une science unique, doués de grandes vertus et de grands pouvoirs. Leur vie et leurs moeurs sont intègres, leur prudence sans défaut. Par leur âge et leur force ils seraient à même de rendre de grands services dans les conseils pour la chose publique ; mais les gens de cour les méprisent, parce qu'ils sont trop différents d'eux, qui n'ont pour sagesse que l'intrigue et la malice, et dont tous les desseins procèdent de l'astuce, de la ruse qui est toute leur science, comme la perfidie leur prudence, et la superstition leur religion ».

Fludd voit dans cette association une préfiguration de la Rose-Croix ; mais les paroles d'Agrippa sont trop générales pour qu'on puisse fonder sur elles la certitude d'une filiation.

Von Murr a eu entre les mains une correspondance chimique entre Crollius, Zatzer, Scherer et Heyden, chambellan de l'empereur Rodolphe II, s'étendant de 1594 à 1596. On n'y fait mention d'aucune Société rosicrucienne (11).

En 1608, l'alchimiste Benedict Figulus, dans la Thesaurinella chymica aurea tripartita, dédiée à l'empereur Rodolphe II, insère une élégie à Jean-Baptiste de Seebach, alchimiste, dans laquelle il prophétise, après Paracelse, la venue d'Elias Artista. Evénement qu'il considère comme de toute première importance, car il ajoute : « Alors le Christ établira sur la terre un état de choses nouveau ».

L'Apologie (12) montre qu'avant 1600 ou 1603 on connait des sociétés ou des fraternités hermétiques, mais pas de Fraternité rosicrucienne.

Stanislas de Guaita se base sur une ressemblance entre les symboles rosicruciens d'une part, un pentacle de l'Amphitheatrum sapientiae aeternae (13) où Khunrath, en 1598, a dessiné un Christ, les bras en croix, dans une rose de lumière et une figure de la Pronostication de Paracelse (1536) d'autre part, pour affirmer que « la Rose-Croix, dont les emblèmesconstitutifs nous reportent aux poèmes de Dante et de Guillaume de Lorris, a très longtemps fonctionné dans l'ombre avant de se manifester par des oeuvres de plein jour » (7).

Disons seulement que sur une similitude extérieure on ne peut fonder ni une identité ni une chronologie.

En tout cas, la seule chose que nous sachions de certitude certaine, c'est que la manifestation de la Rose-Croix a été publique seulement lors de l'apparition de la Fama, c'est-à-dire en 1614.

Il faut mentionner ici une déclaration d'Henri Neuhaus. Ce médecin de Dantzig a publié en 1618 un opuscule souvent traduit (14) où il affirme l'existence de la Société des Rose-Croix et le but qu'elle veut atteindre. Il y déclare qu'au moment de la guerre de Trente ans les Rose-Croix quittèrent l'Europe et se retirèrent dans l'Inde.

Aucun écrivain rosicrucien ne donne ce renseignement. Près d'un siècle plus tard, Sincerus Renatus le reproduit. Soulignons que la brochure de Neuhaus est écrite sur un ton badin ; sa traduction française a été souvent réunie au libelle de Gabriel Naudé dont nous parlerons plus loin. Les écrivains rosicruciens cherchèrent plusieurs fois à réfuter ces deux auteurs (15). Et le P. Jacques Gaultier, de la Compagnie de Jésus, le grand adversaire de la Fraternité, disait du livre de Neuhaus « qu'on ne savait pas s'il était pour ou contre les Rose-Croix ».


(1) E. AROUX : La Comédie de Dante, traduire en vers selon la lettre et commentée selon l'esprit ; suivie de la clé du langage symbolique des Fidèles d'Amour. Paris (Renouard), 1856, 2 vol. Aroux est également l'auteur d'un livre intitulé : Dante hérétique, révolutionnaire et socialiste.
(2) Il est à remarquer que Dante prend comme guide dans les plus hauts cercles du Paradis saint Bernard, qui rédigea la règle de l'Ordre du Temple.
(3) L'auteur ajoute en note : « Il s'agissait, dans le Tiers Ordre, de constituer une armée immense qui eût à coeur de faire régner plus de justice et d'égalité parmi les hommes ». Frédéric MORIN : Saint François d'Assise et les Franciscains. Paris, 1853.
(4) L'Ésotérisme de Dante. Paris (Ch. Bosse), 1925.
(5) « Je prie pour que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi ». (Evangile de saint Jean XVII, 21 . « Ils sont trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l'Esprit Saint et ces trois sont un ; et ils sont trois qui rendent témoignage sur la terre : l'Esprit, l'eau et le sang et ces trois sont un. » (1re Epitre de saint Jean V, 8).
(6) Jean ARNDT, un des principaux écrivains rosicruciens, traduisit en allemand l'Imitation de Jésus-Christ.
(7) Résumé de toute la philosophie et de l'alchimie de la Fraternité de la Rose-Croix, fait par ordre du sérénissime comte de Falkenstein, notre Imperator; en l'an du Seigneur 1574.