CHAPITRE IV

SYMBOLISME DE LA ROSE-CROIX

RÈGLES DE L'ORDRE



On a proposé plusieurs hypothèses pour expliquer le titre de Rose-Croix.

Selon la première, ce nom viendrait du fondateur légendaire de la Fraternité, Christian Rosencreutz. Nous l'examinerons ci-après.

La seconde hypothèse fait venir le mot du latin Ros, rosée et Crux, croix. Elle est due à Mosheim, ainsi que nous l'apprend Waite (1), et on la retrouve dans l'Encyclopédie de Ree et dans d'autres publications. « Parmi tous les corps de la nature, la rosée était celui qui possédait le plus grand pouvoir dissolvant sur l'or ; la croix, en langage alchimique, représentait la lumière, Lux, parce que toutes les lettres de ce mot peuvent se retrouver dans la figure d'une croix. Or la lumière est appelée la semence ou le menstrue du dragon rouge, lumière grossière et matérielle qui, digérée et transformée, produit l'or. Si l'on admet tout ceci, un philosophe rosicrucien sera celui qui cherche, par le moyen de la rosée, la lumière ou pierre philosophale » (16)

Nous ne nous arrêterons pas à cette seconde explication. Nous avons déjà souligné le caractère secondaire que les Rose-Croix attribuaient à l'alchimie. Ils n'auraient pas choisi une image alchimique pour en faire le symbole de leur Fraternité.

La troisième hypothèse explique cette dénomination par la rose et la croix. C'est elle qui a conquis le plus de partisans et qui fournit le plus grand contingent d'explications symboliques.

« La rose, dit Eliphas Lévi, dans un passage que nous avons déjà cité, qui a été de tout temps l'emblème de la beauté, de la vie, de l'amour et du plaisir, exprimait mystiquement toutes les protestations manifestées à la Renaissance... Réunir la rose à la croix, tel était le problème posé par la haute initiation ».
La rose blanche, plus particulièrement consacrée à la Vierge Marie, à Holda, à Freia, à Vénus-Uranie, était le symbole du silence et de la prière (17).

A.E. Waite nous apprend que la rose était déjà employée dans le symbolisme des légendes brahmaniques. Dans l'un des paradis indous, il y a une rose d'argent qui contient l'image de deux femmes brillantes comme des perles. Elles apparaissent unies ou séparées suivant qu'on les regarde du ciel ou de la terre. Au point de vue céleste, on l'appelle la déesse de la bouche ; au point de vue terrestre, la déesse ou l'esprit de la langue. Dieu réside au centre de cette rose.

Selon Michel Maïer (18), l'explication des deux lettres R.C. se trouverait dans les symboles de la sixième page de la Table d'Or. Exotériquement, ces lettres désignent le nom du fondateur ; ésotériquement, le R représente Pégase et le C, si l'on en néglige le son, représente le lis. On sait que la rose rouge germa du sang d'Adonis, que Pégase naquit du sang de Méduse et que la fontaine d'Hippocrène jaillit d'un rocher frappé par le sabot de Pégase.

L'auteur du Summum Bonum (19). que l'on a de bonnes raisons de penser être Robert Fludd, dit que les lettres F.R.C. signifient Foi, Religion, Charité et que le symbole de la Rose-Croix représente le bois du Calvaire vivifié par le sang du Christ.

Le Dr Ferran donne les précisions que voici:

« Après les emblèmes en triangle, le sceau du Brahatma et le triangle de la sainte syllabe, l'emblème maçonnique le plus ancien que nous ait légué le sacerdoce antique est celui de la Rose-Croix.

» Ce dernier, attribué à Hermès Thot, nous est venu des temples de l'Egypte en passant par la Chaldée, intermédiaire forcé, attendu que c'est parmi les mages, sur les confins du Tigre et de l'Euphrate, que Cambyse, après la conquête de l'Egypte, transporta tous les prêtres de ce pays, sans aucune exception et sans retour.

» La Rose-Croix personnifiait pour les initiés l'idée divine de la manifestation de la vie par les deux termes qui composent cet emblème. Le premier, la rose, avait paru le symbole le plus parfait de l'unité vivante ; d'abord parce que cette fleur, multiple dans son unité, présente la forme sphérique, symbole de l'infini ; en second lieu, parce que le parfum qu'elle exhale est comme une révélation de la vie.

» Cette rose fut placée au centre d'une croix parce que cette dernière exprimait pour eux l'idée de la rectitude et de l'infini ; de la rectitude, par l'intersection de ses lignes à angle droit et de l'infini, parce que ces lignes peuvent être prolongées à l'infini et que, par une rotation faite par la pensée autour de la ligne verticale, elles représentent le triple sens de hauteur, largeur et profondeur » (20).

Les mêmes idées sont exprimées par le voyant que fut Villiers de l'Isle-Adam, en l'âme de qui ont fleuri, ce semble, toutes les lumières appelées par les travaux d'une longue ascendance d'ancêtres chrétiens.
« Ce talisman de la Croix stellaire est pénétré d'une énergie capable de maîtriser la violence des éléments. Dilué, par myriades, sur la terre, ce signe, en son poids spirituel, exprime et consacre la valeur des hommes, la science prophétique des nombres, la majesté des couronnes, la beauté des douleurs. Il est l'emblème de l'autorité dont l'Esprit revêt secrètement un être ou une chose. Il détermine, il rachète, il précipite à genoux, il éclaire !... Les profanateurs eux-mêmes fléchissent devant lui. Qui lui résiste est son esclave. Qui le méconnaît étourdiment souffre à jamais de ce dédain. Partout il se dresse, ignoré des enfants du siècle, mais inévitable.

» La Croix est la forme de l'Homme lorsqu'il étend les bras vers son désir ou se résigne à son destin. Elle est le symbole même de l'Amour, sans qui tout acte demeure stérile. Car à l'exaltation du coeur se vérifie toute nature prédestinée. Lorsque le front seul contient l'existence d'un homme, cet homme n'est éclairé qu'au-dessus de la tête ; alors son ombre jalouse, renversée toute droite au-dessous de lui, l'attire par les pieds, pour l'entraîner dans l'Invisible. En sorte que l'abaissement lascif de ses passions n'est, strictement, que le revers de la hauteur glacée de ses esprits. C'est pourquoi le Seigneur dit: « je connais les pensées des sages et je sais jusqu'à quel point elles sont vaines » (21).

Quels magnifiques pensers ! Ne contiennent-ils pas virtuellement tout ce que l'on peut dire sur le symbole mystérieux ? Et les documents qui suivent ne font plus alors que satisfaire notre curiosité.

La Germanie, où est situé le quartier général des Rose-Croix, n'est pas, selon Michel Maïer, le pays géographiquement connu sous ce nom, mais la terre symbolique qui contient les germes des roses et des lis, où ces fleurs poussent perpétuellement dans des jardins philosophiques dont aucun intrus ne connait l'entrée.

Christophe-Stephane Kazauer (8) rapporte une tradition d'après laquelle la Fraternité rosicrucienne viendrait de ce texte du prophète Osée : Israël ut Rosa florebit et radix ejus quasi Libanon (XIV.6) (2)

Rappelons les armoiries rose-croix de Luther : un coeur percé d'une croix entouré d'une rose avec la devise: Le coeur des chrétiens repose sur des roses lorsqu'il est au pied de la croix (3) ; celle de Jacob Andreae : une croix de Saint-André avec une rose dans chaque angle ; et le récit des Noces Chymiques suivant lequel Christian Rosencreutz, au moment de s'en aller au mariage du roi, noue en croix sur sa robe de bure un ruban rouge en souvenir de Jésus-Christ et pique quatre roses à son chapeau en signe de reconnaissance.

Robert Fludd (19) dit que les Rose-Croix s'appellent Frères parce qu'ils sont tous fils de Dieu, que la Rose est le sang du Christ et que, sans la Croix interne et mystique. il n'y a ni abnégation ni illumination.

Georges Rost (22) explique que la Rose est le symbole de leur multiplication et du paradis de fleurs en quoi ils veulent transformer la terre.

Tous les Ordres de Chevalerie, dit Maïer, qui combattent pour Dieu ont, comme sceau, les deux lettres R.C. ; mais le véritable Rose-Croix porte ce sceau en or. En outre, la valeur numérique de ces deux lettres constitue la clef véritable de leur signification. Si on met le soleil entre le C et le R, on obtient le mot COR, organe premier de l'homme et seul sacrifice digne du Seigneur (18).

Le même Michel Maïer dit : « Ils se reconnaissent par le symbole que le fondateur leur a donné en deux lettres R.C. ». Valentin Tschirness, philosophe et licencié en médecine à Gcerlitz, déclare : « Le public n'est pas dans le vrai quand il nous appelle Rosencreutzer, du nom du père de notre secte. La raison pour laquelle notre fondateur fut ainsi nommé, nous la tenons secrète et nous ne l'avons jamais publiée » (23).

Dans Themis aurea (18) Michel Maïer dit : « On explique R.C. par Rosencreutz et cependant les Frères eux-mêmes ont déclaré qu'on les appelle à tort rosicruciens, car les lettres R. C. ne désignent le nom de leur fondateur que symboliquement ».

Et Irenoeus Agnostus : « Notre Ordre a existé longtemps avant Christian Rosencreutz ; il l'a réorganisé. Il a tout su dans la philosophie temporelle ; mais il lui manquait dans les choses de la foi. Ainsi, il n'est pas plus que Salomon le fondateur de cette Société, car les doctrines existent avant leur représentant humain. » (24) .

Au reste, Maïer (Silentium post clamores) (25) fait remonter les Rose-Croix aux Brahmanes, aux Eumolpides d'Eleusis, aux Gymnosophistes d'Ethiopie, etc.

L'ouvrage anonyme Colloquium Rhodostauroticum (26) déclare : « toutefois à son avis » : « Si leur fondateur n'a pas été Christian Rosencreutz et s'ils ont inventé son nom, c'est que pour eux, fils de Dieu, la croix a été changée dans cette existence en une belle rose fleurie ».

Quant à leur lieu de réunion, la Fama avait dit : « Bien que nous ne révélions ni nos noms, ni le lieu de nos réunions, les messages qui nous sont adressés, quelle qu'en soit la langue, nous parviendront ».

Julianus de Campis, dans une Lettre qui a été insérée dans l'édition de 1616 de la Fama, dit : « Il n'y a pas d'assemblée réunie en un lieu » . Plus loin il ajoute : « Nous résidons dans un monastère que le père a construit et appelé Sancti Spiritus. Nous y vivons en commun, portant un vêtement qui nous cache, au milieu d'arbres et de forêts dans des champs et un fleuve silencieux et bien connu. Au delà il y a une ville célèbre où nous trouvons tout ce dont nous avons besoin ».

Théophile Schweighardt (Speculum sophicum) (27) confirme que les Frères de la Rose-Croix ne s'assemblent pas en un lieu donné ; mais qu'un homme de bonne foi peut facilement entrer en rapports avec eux : « Toutefois il est vain que tu parcoures toutes les villes de l'Empire ou de la mer si tu n'es pas digne d'être reçu ; même si tu vois les portes ouvertes devant toi, tu ne pourras pas entrer. Le danger est non pas dans la temporisation, mais dans la précipitation. Si tu observes mon enseignement, je t'assure qu'un Frère sera bientôt près de toi».

Fludd (Clavis philosophiae) (28) déclare que les Rose-Croix habitent sur la montagne de la Raison, dans le temple de la Sagesse, bâti sur le roc, qui est le Christ, qu'ils sont enseignés par le Saint-Esprit et qu'ils sont les pierres spirituelles de l'Edifice.
 


RÈGLES ET PRÉCEPTES



Il faut nous faire maintenant une idée de ce qu'on entendait au XVIle siècle par la Rose-Croix.

Voici d'abord les déclarations nettes de la Fama:

Chacun des Frères est tenu de suivre les règles suivantes

1 °) Utiliser les travaux du père ;

2°) Poser un nouveau fondement sur l'édifice de la Vérité ;

3°) Chacun peut en être ;

4°) Reposer dans l'unique vérité, allumer le sixième candélabre ;

5°) Ne pas se préoccuper de la pauvreté, de la faim, de la maladie, de la vieillesse ;

6°) Vivre à toute heure, comme si l'on était là depuis le commencement du monde ;

7°) Se tenir dans un lieu ;

8°) Lire le Liber Mundi ;

9°) Enchanter les peuples, les esprits et les princes ;

10°) Dieu augmentera en ce temps le nombre de nos membres.

Voici les motifs qu'ils donnent de se joindre à eux :

1 °) Fuyez les livres alchimiques et leurs sentences, et les souffleurs qui cherchent votre argent ;

2°) Les Rose-Croix cherchent à partager leurs trésors ; mais ceux qui veulent les dérober tombent sous la puissance du Lion (4) ;

3°)Ils conduisent à la science de tous les secrets avec simplicité et sans phrases mystérieuses ;

4°) Ils offrent plus que des palais royaux ;

5°) Ils le font non par leur propre volonté, mais poussés par l'Esprit de Dieu ;

6°) Eveiller les dons qui sont en vous par l'expérience du Verbe de Dieu et par une considération appliquée de l'imperfection de tous les arts ;

7°) Se tenir en Christ, condamner le pape, vivre chrétiennement ;

8°) Appeler à notre Société beaucoup d'autres à qui la lumière de Dieu est aussi apparue;

9°) Tous les trésors disséminés dans la nature seront partagés entre eux ;

10°) Saisir tout ce qui est obscur à l'entendement humain.

Ils déclarent que leur panacée ne préserve pas de la mort fatale.

Et, bien qu'ils puissent rendre chacun heureux et diminuer la misère du monde, ils ne le font pas, parce qu'on ne peut les trouver qu'après un grand travail et étant envoyé par Dieu.

Leurs pouvoirs : guérir et éviter la maladie ; la science occulte, l'embaumement, les lampes perpétuelles, la prophétie, les chants artificiels, la transmutation, etc., constituent ce qu'ils appellent un parergon.

Mais leur oeuvre réel n'est pas indiqué.

Michel Maïer a consacré sa Themis aurea (18) à l'exposé des lois plébiscitaires adoptées par les Rose-Croix. Comme le senaire est un nombre parfait, ni trop grand pour créer de la

confusion, ni inférieur à l'harmonie, et que celui qui suit la nature doit obéir à des lois simples, les adeptes ont accepté six règlements, à savoir

1°) Que nul d'entre eux, s'il est en voyage, ne déclare d'autre profession que celle de soigner gratuitement les malades ;

2°) Que nul ne doit être forcé, à cause de son affiliation, de revêtir un costume spécial, mais qu'il s'accommode des habitudes du pays où il se trouve ;

3°) Que chaque Frère est tenu chaque année, au Jour C(5), de se rendre au Temple du Saint-Esprit, ou de déclarer par lettre les causes de son absence ;

4°) Que chaque Frère doit choisir avec soin une personne habile et apte à lui succéder après sa mort ;

5°) Que ce mot R.C. leur serve de sceau, de mot de passe et de signature ;

6°) Que cette Fraternité doit être cachée cent ans.

Et il poursuit : « Les règles fondamentales de cette Société sont de révérer et de craindre Dieu par-dessus toute chose; de faire tout le bien possible à son prochain ; de rester honnête et modéré ; de chasser le diable ; de se contenter des moindres choses dans la nourriture et le vêtement et d'avoir honte du vice... II est puéril de leur reprocher de ne pas tenir leurs promesses, car il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus ; les maîtres de la Rose-Croix montrent de loin la Rose, mais ils présentent la Croix... Ils désirent plus la réforme des sciences et du monde qu'ils ne l'attendent ; leur étude principale, la thérapeutique, à trois objets : le corps, l'esprit et l'âme ».

D'après Fludd, les Frères étaient divisés en deux classes la première, intitulée Aureae crucis fratres, comprenait les théosophes ; la seconde se composait des Rosae crucis fratres, qui bornaient leurs recherches aux choses sublunaires. Fludd aurait appartenu à la première catégorie (12).

A la tête de la Fraternité est un Imperator, élu par les Frères pour dix ans. Le Clypeum veritatis (29) fait remonter jusqu'à Adam l'ordre de la succession des Imperatores.

L'auteur ajoute, en guise d'avertissement : « Beaucoup de nos clients et de nos disciples se sont ensuite élevés contre nous ; nous avons eu dans notre Fraternité, nous avons actuellement et nous protégeons des papes, des cardinaux, des évêques, des abbés, des empereurs, des seigneurs. Notre paix est le témoignage de notre conscience, qui nous donne une joie semblable à un avant-goût du Paradis. (Tunis, 21 février 1618) »


(1) ARTHUR EDWARD WAITE: The real history of the Rosicrucians, founded on their own Manifestoes and on Facts and Documents collected from the Writings of Initiated Brethren. Londres (Redway), 1887.
(2) Cette traduction de la Vulgate renferme plusieurs erreurs. Dans le texte hébreu, c'est Yahveh qui déclare : « Je serai ketal pour Israël ». Or Tal signifie rosée et non pas rose. Le texte d'Osée dit: « Je serai comme une rosée pour Israël » . D'autre part, le nom de la fleur mentionné dans le texte d'Osée est hypothétique et est toujours traduit par narcisse ou par violette. Les langues sémitiques n'ont pas de terme propre pour désigner la rose : la fleur et son appellation sont partout d'importation, d'importation égéenne aux dires des linguistes. Le latin avec rosa, le grec avec rhodon, le copte avec ouert, l'arabe avec march, l'arménien avec vard, etc., ont tous puisé séparément à une même source et lui ont emprunté le symbolisme de la fleur : le secret de l'adeptat. Apulée s'en souviendra quand son héros, Lucius, magiquement transformé en âne, recouvre la forme humaine et, simultanément, atteint à l'initiation pour avoir brouté des roses au temple d'Isis. Ainsi, sans préjuger de leur filiation, ceux qui prirent le nom de Rose-Croix pour se manifester au XVIIe siècle choisirent alors un symbole floral étranger au fonds sémitique.
(3) Der Christen Herz auf Rosen geht, Wenn's mitten unterm Kreuze steht.
(4) Symbole du Prince de ce monde.
(5) Jour de la Croix (?).