CHAPITRE V
 

LES DOCUMENTS FONDAMENTAUX



La manifestation rosicrucienne se fit en particulier par de petits pamphlets, le plus souvent anonymes, distribués aux foires de Leipzig et de Francfort, véritables expositions universelles de ce temps, par des affiches, dont nous parlerons plus loin, et par les écrits suivants que nous nous proposons d'analyser :

La Reformation,

la Confessio,

auxquels il convient d'ajouter Les Noces chimiques de Christian Rosencreutz.

En 1614 parut à Cassel, à l'imprimerie de Wilhelm Wessel, un écrit anonyme de 147 pages in-8° intitulé : Allgemeine and General Reformation, der gantzen weiten Welt.Beneben der Fama Fraternitatis, Dess Löblichen Ordens des Rosenkreutzes, an alle Gelehrte und Häupter Europea geschrieben: Auch einer kurtzen Responsion, von dem Herrn Haselmeyer gestellet, welcher desswegen von den Jesuitern ist gefänglich eingezogen, and auff eine Galleren geschmiedet : Itzo öffentlich in Druck verfertiget, and alien trewen Hertzen communiciret worden(1).

Cette « réformation générale » est une histoire satirique qui est censée se dérouler à l'époque de l'empereur Justinien. Les sept sages de la Grèce, avec Caton et Sénèque, sont appelés à Delphes par Apollon sur le désir du souverain, pour proposer un remède à la misère des humains. Les programmes réformateurs qui avaient cours à la fin du XVIe siècle sont tournés en ridicule par les interlocuteurs.

Le morceau principal de cette Reformation, la Fama Fraternitatis, est la partie originale de l'écrit. Dans l'édition première de la Reformation, elle comprend les pages 91 à 128 et est intitulée : Fama Fraternitatis, Oder Brüderschafft, des Hochlöblichen Ordens des R.C. An die Häupter, Stände and Gelehrten Europae.

Le titre, plus complet, de ce document, qui se trouve dans une édition de 111 pages in-8° parue également à Cassel, chez W. Wessel, en 1615, est le suivant : Fama Fraternitatis R. C. Das ist Gerucht der Brüderschafft des HochlöblichenOrdens R. C. An alle Gelehrte and Heupter Europae. Beneben deroselben Lateinischen Confession, Welche vorhin in Druck noch nie ausgangen, nuhnmehr aber auff vielfältiges nachf ragen, zusampt deren beygefügten Teutschen Version zu freudtlichen Befallen, allen sittsamen guthertzigen Gemühtern wolgemeint im Druck gegeben and communiciret. Von einem des Liechts, Warheit, and Friedens Liebhabenden and begierigen Philomago (2).

La Fama commence ainsi : « Nous, les Frères de la Fraternité de la Rose-Croix, offrons notre salut et nos prières à tous ceux qui liront notre Fama d'inspiration chrétienne ». Puis elle déclare qu'en vue d'une réforme générale a été fondée deux cents ans auparavant une Fraternité secrète par le Père Fr. R.C. (3) dont elle raconte la vie.

De nationalité allemande, né d'une famille noble mais appauvrie, Christian Rosencreutz devint de bonne heure orphelin. Il fut élevé dans un couvent où il apprit le grec et le latin et qu'il quitta dès l'âge de seize ans pour se rendre, avec un frère ecclésiastique, à Damas, puis à Jérusalem, puis à Damcar en Arabie, où il resta trois ans ; ensuite il alla en Egypte, en Libye et à Fez où il demeura deux ans.

Il apprit dans ces voyages, dans les conseils des sages qu'il fréquenta, une science universelle harmonique, dont se moquèrent les savants européens auxquels il voulut la communiquer. Il puisait cette science dans le Liber M. (Livre du Monde) que les sages arabes lui firent connaitre, qu'il traduisit de l'arabe en latin, qui renferme la sagesse d'Adam, de Moïse et de Salomon, et qu'a connu aussi un certain Th. B. Théophraste, lequel n'était pas membre de la Fraternité, mais seconda beaucoup le fondateur dans ses efforts

Il conçut un plan de réforme universelle : politique, religieuse, scientifique et artistique, pour l'exécution duquel il abandonna toutes les richesses obtenues par la transmutation des métaux. Après avoir travaillé seul pendant cinq ans, il s'associa trois frères de son ancien monastère d' Allemagne: G.V., I.A. et I.O. Il instruisit ses collaborateurs dans une maison nommée Sancti Spiritus. Là ils guérissaient les malades et faisaient connaitre les principes et le but de leur Société. Plus tard, le père leur adjoignit le fr. R. C. fils du frère de son père mort, le fr. B., peintre, les fr. G.G. et P.D., écrivains, tous Allemands, sauf I.A. Il leur communiqua sa langue magique et leur demanda le voeu de chasteté. Ils écrivirent ensemble un livre contenant « tout ce que l'homme peut désirer, demander et espérer » c'est-à-dire la vie en Dieu. Au reste, parmi les livres de leur bibliothèque philosophique, Axiomata resteront immuables jusqu'à la fin du monde ; Rotae mundi décrivent le chemin de ce monde depuis le jour où Dieu a dit : Fiat jusqu'au jour où il dira : Pereat.

Ensuite les frères parcoururent le monde, après avoir déclaré se soumettre à six obligations, que nous avons énumérées au chapitre précédent (4) ; mais ils décidèrent de communiquer entre eux afin d'éviter les opinions erronées.

Le père garda un an les fr. B et D : puis ce fut le tour de son cousin et du fr. I.O. Le fr. I.). mourut le premier en Angleterre où il avait guéri de la lèpre un jeune comte de Nortfolgt. Puis le fr. A. mourut en Gaule narbonnaise : il avait succédé au fr. D., le dernier de la première souche.

Leurs tombes sont inconnues.

Le fr. N.N. le remplaça et prêta solennellement le serment de fidélité et de secret (Fidei et silentii juramentum). Alors le père prépara sa propre tombe, laquelle ne fut découverte que cent vingt ans après sa mort et par hasard, dans une crypte sur la porte de laquelle était écrit ; Post CXX annos patebo(5) et derrière laquelle on pouvait voir un mausolée.

Ici la Fama fait le récit allégorique de la découverte du tombeau, allégorie sous le voile de laquelle elle présente les desseins de la Fraternité. En effet, c'est seulement à ce moment que celle-ci se manifesta publiquement.

Le tombeau du père occupe le centre de la Maison du Saint-Esprit. Le sépulcre est à sept côtés ; chaque côté est large de cinq pieds et haut de huit. En haut est suspendu un soleil artificiel qui a emprunté au soleil physique le secret de l'éclairage. Au milieu, en guise de pierre tombale, un autel circulaire sur lequel est posée une plaque ronde, de cuivre, avec cette inscription :

A.C.R.C. Hoc universi compendium vidus mihi sepulchrum feci(6)

Autour du premier cercle: Jesus mihi omnia(7). Au milieu, quatre figures inscrites dans des cercles, portant chacune l'une des devises suivantes :

Nequaquam vacuum.

Legis jugum.

Libertas Evangelii.

Dei gloria intacta.(8)

 
Le plafond est divisé en triangles, remplis de figures secrètes; chaque côté, en dix carrés, avec des sentences et des figures tirées du livre Concentratum. Sous l'autel, le corps du père, intact. La momie tient dans ses mains le Livre T., celui qui représente, après la Bible, le plus grand trésor de la Fraternité, et qui se termine par un éloge du père commençant par ces mots : « Un grain de semence semé dans le coeur de Jésus,,, » À ses côtés sont sa Bible, son Vocabulaire, son Itinéraire et sa Vie(9).

Le tout est terminé par la devise :

Ex Deo nascimur,

In Jesu morimur,

Per Spiritum Sanctum reviviscimus (10).

Les frères prirent quelques livres qu'ils avaient le projet de publier, puis ils se retirèrent après avoir fermé et scellé la porte du tombeau.

Cette tombe s'ouvrira à ceux qui en seront dignes ; elle serait inutile aux indignes.

***

Pour que chaque chrétien connaisse la croyance et la foi des Frères, la Fama déclare que ceux-ci ont la connaissance de Jésus-Christ « dans les termes où celle-ci est devenue brillante et claire ces derniers temps, spécialement en Allemagne, et comme encore aujourd'hui (à l'exclusion de tout rêveur, hérétique et faux prophète) elle est dans certains pays conservée, discutée et répandue ». Elle ajoute que les Frères pratiquent « les deux sacrements... de l'Église primitive rénovée ». En politique, ils reconnaissent le Saint-Empire romain et « la quatrième monarchie » (11) comme leur chef et celui de la chrétienté. Leur philosophie « n'est pas nouvelle, mais telle qu'Adam l'a reçue après la chute et que Moïse et Salomon l'ont pratiquée. Donc elle ne doit pas être mise en doute ni opposée à d'autres opinions ». De plus, « l'art maudit et impie de fabriquer de l'or » n'est pas du tout la chose importante, il n'est qu'un parergon. Assurément, la pierre philosophale est non seulement un joyau de lumière, elle est aussi un remède parfait qui chasse de l'homme toutes les maladies ; mais les Frères ne font aucun cas de la transmutation des métaux ; la nature a bien d'autres secrets. Leur but le plus élevé est de se consacrer au salut des âmes, de montrer la voie vers la vraie sagesse ; l'essentiel est, « comme dit le Christ, de pouvoir commander aux démons, de voir le ciel ouvert et les anges de Dieu y monter et en descendre et d'avoir son nom écrit sur le Livre de Vie ».

Cet écrit fut répandu en cinq langues, « y compris l'opuscule Confessio, selon notre voeu ». Les savants d'Europe sont invités à expérimenter les suggestions qu'il renferme et à publier leurs réflexions. Les Frères demandent qu'on étudie leurs arts et leurs sciences, qu'on leur écrive et qu'on les juge : alors ils se montreront. Et les gens de bien sont sollicités de se réunir en une Société inconnue du monde. Ceux qui répondront à cet appel seront mis en relation avec la Société, car l'Édifice ne restera pas invisible à jamais. Lorsque quelqu'un est digne d'être admis parmi eux, les Frères le reconnaissent par révélation.

Et la Fama se termine par la devise : Sub umbra alarum tuarum, Jehova !(12).

À l'édition de 1614 de la Fama est jointe une « réponse » adressée par Adam Haselmayer, secrétaire public de l'archiduc Maximilien, aux membres de la Rose-Croix (13). Il dit qu'étant au Tyrol en 1610, il avait reçu une copie manuscrite de la Fama. II parle avec enthousiasme de la Fraternité, demande aux Frères de se manifester afin d'enseigner au monde la connaissance du Messie et d'annoncer la lumière qui doit venir au temps du règne du Saint-Esprit, car dans des temps prochains doivent se produire de graves événements : la chute du pape, adversaire de Jésus-Christ, et de ses partisans, et l'avènement du Christ triomphant.

Ajoutons que, dès la parution de la Reformation, on releva que le projet de réforme universelle n'est pas une pensée originale des Rose-Croix, mais qu'elle n'est qu'une traduction du pamphlet de Trajano Boccalini : Ragguagli di Parnasso (Nouvelles du Parnasse), publié à Venise en 1612. En tout cas, à l'époque où parurent les plus anciens documents rosicruciens, la croyance était courante en une révolution générale prochaine. On parlait même d'une réforme plus complète que celle de Luther, laquelle précéderait la fin du monde.

Comme complément de la Fama parut en 1615 une seconde brochure : Confessio Fraternitatis Rosae Crucis. Ad eruditos Europae(14), éditée également à Cassel, chez Wilhelm Wessel, accompagnée de la Fama, d'abord en latin, puis en traduction allemande. Dans l'édition que nous venons de mentionner, la Confessio comprend, dans son texte latin, les pages 43 à 64 et, dans sa traduction en allemand, les pages 67 à 111.

Son contenu est conforme à celui de la Fama, quoique avec une pointe plus accentuée à la fois d'apocalypse et d'antipapisme. Elle parle avec plus de précision de la réforme du monde, et surtout elle révèle le nom du fondateur de la Fraternité : elle l'appelle Christian Rosencreutz et déclare qu'il naquit en 1378 et qu'il vécut cent six ans.

Formée sous l'impulsion de l'Esprit, la Société a pour objectif de ramener l'âge du bonheur après la nuit saturnienne. Alors ce qui aura été secret sera révélé ; le mensonge, la fausseté disparaîtront. La Fraternité produira au grand jour tous ses secrets. Elle veut vivre en bons termes avec l'État, car elle offre au chef suprême de l'Empire romain ses prières, ses secrets et tous ses trésors. La science ne sauvera pas le monde : au contraire, elle ne fait qu'accroître l'orgueil. Dieu allumera pour les Frères un sixième flambeau, il en résultera des merveilles. Ils ne souffriront plus ni de la faim, ni de la pauvreté, ni de la maladie ; leur vie se prolongera sans fin. Ils communiqueront avec les Indes et le Pérou ; et pourront lire dans un livre unique tout ce que renferment les livres passés, présents et futurs. Ils métamorphoseront, par le moyen du chant, les rochers en pierres précieuses et parviendront à émouvoir et le dieu des enfers, Pluton, et les grands de la terre. Avant la destruction du monde, Dieu a résolu de lui envoyer encore une fois autant de lumière, de vie et de magnificence qu'Adam en avait reçu avant le péché originel. Et ce temps approche.

La Confessio exhorte les lecteurs à lire la Bible, « le livre le plus extraordinaire, le plus salutaire, le plus admirable qui ait été donné aux hommes depuis la création du monde » et surtout à en faire la règle de leur vie. Ce faisant, ils s'unissent en esprit à la Fraternité. II n'y a rien à attendre des réformes sociales ou morales ni de la philosophie : c'est par le dedans que s'opérera le salut, par le renoncement à soi-même, par la purification intérieure, par l'amour du prochain. Celui qui est compatissant à la souffrance humaine est près de Dieu qui élève les humbles et mortifie les orgueilleux ; Dieu lui fait entendre la voix de ses anges.

La Confessio donne également quelques explications sur le but et l'esprit de l'Ordre. Celui-ci comprend différents grades ; non seulement les grands, les riches et les savants, mais les petites gens peuvent être choisis, s'ils y sont aptes, pour les travaux de la Fraternité, laquelle a plus d'or et de trésors que tout l'univers peut en donner. Ceci toutefois ne constitue pas le but principal de l'Ordre ; avant tout, les Frères confessent le Christ d'un coeur sincère, ils professent la vraie philosophie et mènent une vie chrétienne.
 
 

LES NOCES CHYMIQUES

DE CHRISTIAN ROSENCREUTZ



En 1616 parut, sans nom d'auteur, les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz (30). Jean-Valentin Andreae, dans son Autobiographie (31), déclare qu'il composa ce livre alors qu'il avait quinze ans, soit vers 1601.

Dans sa lettre, ce traité est un exposé de l'oeuvre métallique, assez détaillé ; dans son esprit, il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés, vers l'illumination.

Ce livre est attribué à Christian Rosencreutz qui l'aurait écrit en 1459. Il raconte, en sept journées, le mariage du roi, puis sa décollation et enfin sa résurrection.

C'est sur une invitation que le roi lui adresse d'assister à ses noces que Rosencreutz se met en route, dans le sentiment profond de son indignité. En souvenir du Christ, il noue en croix un ruban rouge sur sa robe de bure ; il pique quatre roses à son chapeau (15) et prend comme viatique du pain, du sel et de l'eau.

A l'entrée de la forêt il distingue trois voies : une courte, mais dangereuse ; la seconde est la voie royale réservée aux élus et la troisième est agréable mais très longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne pourra plus revenir en arrière. Il demande à Dieu, qui lui fait prendre le second chemin. Celui-ci le mène au château royal construit sur une montagne. Là, à un personnage qui lui demande son nom, il répond : Frère de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats aux noces du roi sont « pesés » (16). Rosencreutz est le plus pur ; il est reçu avec tous les honneurs, on lui remet la Toison d'Or (17) ornée d'un Lion volant.

Quant aux intrus, une coupe leur est donnée, remplie du breuvage d'oubli avant qu'ils soient chassés, avec l'ordre de ne plus revenir au château du roi pendant leur vie.

Suivent d'autres épreuves symboliques ; et la représentation d'une comédie en sept actes. Devant la reine est un gros livre renfermant toute la science réunie dans le château. Les élus sont au nombre de neuf et ils tiennent chacun une bannière portant une croix rouge.

Enfin le devoir est notifié aux élus de penser à Dieu et de travailler pour sa gloire et pour le bien des hommes.

Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que quatre rois et reines présents. Les six personnes sont ensevelies et leur sang est recueilli dans un vase d'or. Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité à son tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus que : « la vie de tous ces êtres est entre leurs mains et qu'ils doivent garder une fidélité plus forte que la mort ».

La nuit, les six cercueils sont emportés par des navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques des souverains et sont invités à chercher le médicament qui rendra la vie aux rois et aux reines décapités. De longues opérations alchimiques sont décrites.

Le roi et la reine ressuscitent. Its travailleront avec les élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci « chevaliers de la Pierre d'Or », avec le pouvoir d'agir sur l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à surmonter avant d'arriver au terme. Il lui a été dit : « Tu as reçu plus que les autres ; efforce-toi donc de donner davantage également ». La signature de chacun est demandée. Notre héros écrit :

La plus haute science est de ne rien savoir (18)

Frère Christian Rosencreutz

Chevalier de la Pierre d'Or.

Année 1459.
***
L'auteur des Noces Chymiques, Jean-Valentin Andrea (1586-1654) , fut un des hommes les plus savants de son temps. Son grand-père Jacob avait été un des théologiens les plus illustres du XVIe siècle et l'un des auteurs de la « Formule de Concorde » : on le surnomma « le second Luther ». Jean-Valentin fut toujours très fier de descendre d'un tel ancêtre.

De bonne heure il perdit son père et fit, dans des conditions matérielles très difficiles, de solides études au séminaire de Tubingen. Il acquit une rare culture dans les langues anciennes et modernes, les mathématiques, les sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la théologie. Il laissa une oeuvre considérable et un grand renom.

Il subit profondément l'influence de son maitre Jean Arndt (1555-1621), le grand prédicateur mystique, disciple spirituel de Jean Tauler, influence que confirmèrent et approfondirent ses amis très proches Christophe Besold et Wilhelm Wense dont la vie voulait être une imitation de Jésus-Christ. Nourris des grands mystiques que nous avons mentionnés, ils prêchaient, par réaction contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église officielle, la nécessité d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte opiniâtre contre les tendances mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des moeurs, la charité, la justice, affirmant que seule une vie sainte permet l'entrée dans le coeur humain du Saint-Esprit qui unit l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils reprenaient dans leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter avec le Christ.

Andreae voyagea par toute l'Europe et les experiences qu'il fit au cours de ces périples le confirmèrent dans sa décision de n'attendre que de la vertu de l'Évangile la réalisation de ses généreux plans de réforme morale et sociale.

Pendant la guerre de Trente ans, la ville de Calw où il avait été nommé diacre fut détruite. Il se montra infatigable dans la création d'oeuvres de charité et se prodigua à ses concitoyens avec un admirable dévouement.

Sous le titre de Théophile, paru en 1649, il réunit en trois dialogues un remarquable programme de renouvellement, de conversion pour son Eglise. Et, quand parurent les premiers manifestes de la Rose-Croix, il publia Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz.

Qui a composé la Fama et la Confessio ? Cette question a fait couler beaucoup d'encre tout au long de ces trois siècles et demi.

II paraît certain que ces deux écrits ne sont pas l'oeuvre d'un seul et même auteur. Ils expriment les idées et les espérances d'une collectivité.

Gottfried Arnold, dans ses Kirchen- und Ketzerhistorien (32), affirme que Jean Arndt aurait révélé à son ami Christophe Hirsch, théologien de renom, que Jean-Valentin Andreae et trente autres personnes du pays de Wurtemberg auraient composé la Fama et l'auraient publiée dans l'espoir d'apprendre, par le moyen de cette fiction poétique, s'il existait, dispersés en Europe, des amis cachés de la véritable sagesse, qui pourraient alors se manifester.

D'autre part, le style et la langue de la Fama et de la Confessio sont différents du style et de la langue des ouvrages connus de Jean-Valentin Andreae, notamment des Noces Chymiques dont lui-même a revendiqué la paternité.

De nombreux noms d'auteurs ont été mis en avant.

La question est loin d'être résolue.

***

La Reformation, la Fama, la Confessio, ainsi que les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz sont les seules manifestations écrites originales des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve le nom de la Fraternité.

Ces écrits, principalement la Fama, furent souvent réimprimés et traduits. Ils eurent un retentissement prodigieux. Quantité d'êtres, des malades, des inquiets, lancèrent vers la Fraternité l'appel de leur détresse et de leurs espoirs. D'autres crièrent à l'imposture et à l'hérésie. La promesse d'un remède supprimant la maladie, d'une vie se prolongeant sans fin, d'un livre unique renfermant toute la science du monde souleva la fureur des médecins et des philosophes.

Un des résultats immédiats de l'apparition de la Fama fut, d'autre part, de susciter une foule de charlatans qui se donnèrent comme membres de la Fraternité, promirent des cures merveilleuses et des secrets alchimiques, et ne surent jamais que ruiner la santé et la fortune des naïfs qui crurent leurs hâbleries. Trois de ces aventuriers, à Wetzlar, Nuremberg et Augsbourg, poussèrent si loin l'audace que la justice séculière s'émut et que l'un d'eux fut pendu. (23)

Fludd flétrit certaines gens qui ont usurpé le titre de Rose-Croix et qui professent des théories mensongères. De même il y eut des livres fort peu estimables publiés sous leur nom.


(1) Universelle et générale Réformation du vaste monde tout entier. Avec la Fama Fraternitatis de l'illustre Ordre du Rose-Croix, adressée à tous les savants et souverains de l'Europe. Avec, également, une courte réponse par M. Haselmeyer, qui, pour cette raison, a été emprisonné par les Jésuites et envoyé aux galères. Maintenant préparée pour l'impression et la publicité et communiquée à tous les coeurs fidèles.
(2) Gloire de la Fraternité des R. C. c'est-à-dire la renommée de la Fraternité de l'Ordre très illustre du Rose-Croix, à tous les savants et souverains de l'Europe. Avec, en latin, la Confession de la même Fraternité, qui n'a jamais été éditée jusqu'ici, mais qui est maintenant demandée de multiples côtés, accompagnée d'une traduction allemande, pour être amicalement agréable aux lecteurs. Donnée à imprimer et communiquée dans une intention humblement charitable par un Philomage ami passionné de la lumière, de la vérité et de la paix.
(3) Le nom de la Fraternité et le nom du fondateur ne sont pas mentionnés dans la Fama ; ils sont désignés par les seules initiales R.C. et Fr. C. R.
(4) Vide supra, p. 44.
(5) Après cent vingt ans je m'ouvrirai. - La Fama ajoute ici: En même temps une porte s'est ouverte en Europe.
(6) De mon vivant je me suis fait pour tombeau ce résumé de l'univers.
(7) Jésus est tout pour moi.
(8) Le vide (n'existe) en aucune manière.
         Joug de la loi.
         Liberté de l'Evangile.
         La gloire de Dieu est inattaquable.
(9) Soit cinq livres ; de même que les Chinois ont cinq Kings, les Hindous, quatre Vedas et le Manava-Dharma , Shastra ; les Israélites, le Pentateuque ; les Chrétiens, les Évangiles et l'Apocalypse.
(10) De Dieu nous naissons, en Jésus nous mourons, par l'Esprit Saint nous revivons.
(11) Vide supra, p. 31.
(12) À l'ombre de tes ailes, ô Jéhovah !
(13) De cet Adam Haselmayer nous ne savons rien.
(14) Confession de la Fraternité de la R. C. Aux savants de l'Europe.
(15) C'est déjà le symbole de la Rose-Croix.
(16) Référence au Méné-Téqet-Oupharsin (compté-pesé-divisé) de Daniel V. 25-28.
(17) La Toison d'Or est le nom symbolique du grand oeuvre.
(18) Summa scientia nihil scire.