Le Christ, Fils de Dieu


     Tous les événements de l'histoire du monde, les fastes et les néfastes, sont des signes qu'il faut comprendre. Pour ne parler que de ces derniers, en un temps où, comme il est écrit, « on entend parler de guerre et de bruits de guerre », il est utile, il est nécessaire de connaître exactement le mécanisme invisible des rivalités internationales, des bouleversements sociaux ou économiques. Par exemple, la cause effective de toute bataille militaire, c'est une bataille immatérielle. Les compétitions territoriales et financières, les antipathies de race ou de religion, voilà les motifs visibles des guerres. Ils ne sont que les effets de causes spirituelles et celles-ci, à leur tour, cachent une seule cause mystique, la même pour tous les conflits imaginables : la reconnaissance ou la méconnaissance de Jésus-Christ, Fils unique de Dieu.
     Cette déclaration n'est pas un paradoxe. Sans apporter ici un appareil ennuyeux d'arguments abstraits, je me propose de vous offrir, à l'appui de ma thèse, quelques faits de la vie intérieure de l'homme et de la vie spirituelle du monde. je ne vous présenterai pas des dogmes nouveaux, mais seulement la forme moderne d'une très ancienne doctrine que les patriarches antédiluviens ont connue et que, de nos jours, un très grand nombre ne professe plus que de bouche.
     Vous rappellerai-je que la religion se dresse à l'extrémité de toutes les avenues de l'esprit humain? que les hypothèses terminales du Savoir ressemblent singulièrement aux propositions de la théologie? que les plus impétueux envols de la sensibilité esthétique, du sentiment moral et de la volonté trouvent dans le seul Absolu l'aire de leur repos? et que, par conséquent, l'opinion que nous nous formons sur l'activité de cet Absolu et sur le mode de ses interventions dans les affaires du Relatif qualifie notre. vie psychique tout entière et, de là, modifie la vie sociale, la vie nationale, la vie internationale?      Vous tomberez donc d'accord avec moi qu'il est urgent de comprendre ces interventions avec le plus d'exactitude possible, puisque le devoir s'impose à chacun de conduire sa propre vie en concordance avec elles.

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     Il existe un Créateur, un Être suprême, principe et fin de tout, indépendant de Son œuvre, préexistant à elle, existant avec elle et en elle, subsistant après elle. Il aurait pu ne pas créer, créer une autre Nature, en créer plusieurs différentes, Il a pu en créer qui sont disparues, Il pourra en créer de nouvelles dans le futur. Tout Lui est possible. L'homme ne sait rien, ne peut rien que ce que Dieu juge utile qu'il sache, qu'il puisse ou qu'il soit.
     Voilà ce qu'il faut admettre d'abord pour approcher de cet Absolu. Si notre cerveau est rempli de concepts relatifs, si notre cœur brûle pour des idéals transitoires, si nos yeux s'attachent à la beauté formelle, si nos mains peinent pour des buts égoïstes, nous rencontrerons seulement des erreurs ou des fantômes. Ceci explique comment l'Evangile ne touche que les simples ou ceux qui ont vidé jusqu'à la lie la coupe de l'humaine sagesse; comment les chercheurs qui refusent de se faire des pauvres en esprit aboutissent à l'orgueil ou au scepticisme ou à l'indifférence.

     Nous sentons, en effet, nous savons de science infuse que nous n'avons pas le droit de nous isoler, de nous désintéresser, mais bien le devoir d'aider à vivre toutes les formes de la vie, et cela de toutes les forces de notre être. Cette mission d'altruisme n'est rien autre que l'image diminuée de l'œuvre divine; car, encore une fois, le Créateur était libre de ne pas créer; Il n'avait pas besoin de nous; s'Il nous a créés, c'est pour notre bénéfice et non pour le Sien. Portant ainsi dans notre constitution et dans notre activité l'image de Dieu, il parait évident que, sortis de Sa Demeure éternelle pour acquérir par l'expérience et le savoir et le pouvoir, nous rentrerons dans cette Demeure quand nous aurons suivi l'école jusqu'au bout.

     Mais, d'autre part, de même qu'aucun nombre, quelque énorme qu'en soit le multiplicateur, n'approche jamais le nombre infini, de même le Moi, si gigantesque qu'on l'imagine, ne pourra jamais s'introduire par sa propre force dans l'Absolu, puisque ses énergies sont, par nature, limitées.
     Ainsi le retour à notre patrie perdue n'est possible que par le secours de Celui-là seul qui nous a permis d'en sortir. Nous sommes tous des enfants prodigues; Dieu seul peut nous faire franchir l'abîme que notre égoïsme originel a creusé entre le Relatif et l'Absolu. Aucun dieu, aucun gouverneur de soleils ou de constellations n'est capable de cela, puisque ce sont, si formidables qu'on les imagine, des créatures finies. Dieu seul est notre véritable sauveur; seul Il est la Vie, seul la Vérité, seul la Voie. et si un être à forme humaine a pu dire : « je suis la Voie, la Vérité, la Vie», c'est que cet être - Jésus-Christ - est Dieu.
     Que pensent les hommes de cet être, dont tout le monde parle, qui S'offre à tout le monde, et qui reste le plus profondément inconnu et le plus incompréhensible à l'intelligence? Que dit-Il de Lui-même à ceux qui Le servent? Où les mène-t-Il, où dirige-t-Il les mondes, en apparence frappés de folie, et qui Lui obéissent sans s'en apercevoir ? Voilà les points sur lesquels il faut des certitudes pour que nos fatigues rendent le plus de fruits, pour que la paix s'établisse dans chaque cœur et entre tous les cœurs, dans chaque peuple et entre tous les peuples, dans chaque mode d'activité humaine et entre tous les modes.

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     Chaque école et chaque secte veulent accaparer le Sauveur. Les philosophes, les artistes, les occultistes, les magnétiseurs, les spirites, les mentalistes, les anarchistes Le réclament à l'envi. Or Il n'appartient à aucun, mais tout le monde, au contraire, dépend de Lui, bon gré, mal gré. Car voici la grande énigme et le grand secret, promontoire sur l'océan de la conscience universelle, qui divise les eaux de la mort d'avec les eaux de la vie: le Christ est-Il un mythe, un symbole, un homme, un dieu, ou Dieu Lui-même ? Si l'on pousse jusqu'au bout les méditations sur n'importe quel objet, la réponse sera différente selon qu'on aura rejeté ou accepté la divinité du Christ. Les solutions aux problèmes du laboratoire, de la politique, du gouvernement, de l'industrie, les constructions métaphysiques, esthétiques, morales, tout est fonction de cet axiome religieux, qu'aucun raisonnement ne peut prouver, parce que la raison a besoin de repères; qu'aucun témoignage ne peut certifier, parce que le miracle provient souvent de l'emploi des forces naturelles et que nous sommes incapables de discerner si une guérison est obtenue par les fluides, par les esprits, bons ou mauvais, par la volonté ou par la surnaturelle de Dieu agissant directement.

     Si un jeune homme ne porte pas dans son œil le sens de la couleur et celui de la forme, le travail le plus acharné ne fera pas de lui un peintre. De même il faut, pour découvrir Dieu, un sens spécial: le sens de l'éternel et de l'infini, le sens du divin. Nous avons l'habitude de prendre ces épithètes comme des hyperboles; il faut les employer dans leur exactitude entière. L'infini n'est pas, comme les mesures astronomiques, une de ces grandeurs si vastes qu'elles brouillent la netteté de nos conceptions, que nous devenons incapables de La concevoir; c'est une autre espèce de grandeur, une grandeur sans mesures, sans parties, sans étapes et sans limites. Or la pensée a besoin d'appuis et de compartiments; seul l'amour peut apercevoir Dieu, parce qu'il est, en son principe, libre et sans bornes. Jésus, en ne nous demandant que d'aimer et d'agir, déclare donc bien que c'est vers Dieu seul qu'Il nous entraîne; Il ne parle nulle part de science ni de philosophie; au contraire, Il déclare: « je Te bénis, ô Père, Seigneur du Ciel et de la terre, de ce que Tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que Tu les a révélées aux enfants! » à ceux qui, morts par le renoncement aux choses humaines et temporelles, viennent de renaître aux choses éternelles.
     Or chaque semence engendre un fruit selon son espèce. Seul donc l'Infini vivant, qui est Dieu, peut S'engendrer lui-même dans notre être. Ni la chair, c'est-à-dire le monde sensible, ni le sang, c'est-à-dire les forces naturelles de notre Moi, ne peuvent communiquer une telle connaissance, puisqu'elle leur est à jamais extérieure et étrangère. Seul le Père nous la dévoile.

     Si donc Jésus nous conduit à Dieu par le chemin le plus direct, il ne peut y avoir de mensonge dans Son enseignement; il ne peut y avoir quelques-unes de Ses paroles vraies et quelques autres fausses; tout de Lui, tout en Lui doit être vérité, réalité, permanence; enfin, le seul guide qui puisse nous mener vers le Royaume, c'est Celui qui en vient.
     Quel autre que Dieu, en effet, est capable de sauver ensemble et l'homme et la Nature ? Pour qu'une avalanche s'arrête, un obstacle extérieur à elle, indépendant d'elle est nécessaire. Pour que non seulement ce monde, mais encore les milliers d'astres et de soleils, non seulement cette humanité terrestre, mais encore les milliers d'humanités disparues et futures, disséminées probablement sur les innombrables sphères, s'arrêtent de rouler sur la pente du néant où les entraînent leur égoïsme, il faut un rempart dressé du dehors de cette Création tout entière périssante. Hors de la création, Dieu seul est. Le Sauveur véritable doit donc être Dieu; non inspiré par Dieu, car ses limites de créature borneraient l'action divine, mais Dieu même tout entier.
 

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     Jésus-Christ vient du Père; Jésus-Christ est le Sauveur; et le seul Sauveur réel doit être Dieu. Jésus-Christ donc est Dieu.
Si l'on tient à se construire une théogonie, on peut concevoir que la descente de l'Être vers le Non-être s'effectue selon trois modes parallèles. Le premier, c'est la Création; le second, c'est la Rédemption; et le troisième, la Régénération.
     Par le premier, une partie du Néant reçoit la vie, s'organise et existe. L'usage que les créatures font de leurs forces étant presque toujours, puis de plus en plus égoïste, les pousse vers la division et, si aucun frein ne les arrêtait sur cette pente, le Cosmos entier s'évanouirait en poussière chaotique.
     Comme j'ai voulu l'expliquer tout à l'heure, ce frein ne peut être que Dieu, agissant non plus comme Créateur mais comme Rédempteur. Or, de même que le mur construit pour retenir l'avalanche est fait de pierres semblables à celles que le cataclysme arrache à la montagne, ce Dieu Sauveur, pour agir sur le monde, devait revêtir Sa pure spiritualité d'un manteau de matière que les êtres charnels qu'Il secourt puissent percevoir et comprendre. Le Fils de Dieu sera donc aussi le Fils de l'Homme ; tel est Jésus-Christ.
     Dans l'univers en réduction qu'est l'être humain, la même course à l'abîme exerce ses ravages; et, comme nulle créature n'est supérieure en dignité spirituelle à la créature humaine, c'est encore de Dieu seul qu'elle doit attendre son salut. La naissance du Moi est une mort à notre vie céleste; notre naissance à la vie éternelle ne pourra être que la mort de ce Moi. Le ferment mystérieux qui réalise cette transformation, c'est le pain vivant descendu du Ciel, le corps et le sang du Verbe jésus, la souffrance et l'amour.

     Contemplons encore ce dernier mystère; peut-être nous donnera-t-il la clef des deux autres.
     On sait aujourd'hui que les états mentaux intenses: l'attention profonde, la colère, la peur déterminent dans notre corps de nombreuses réactions chimiques et modifient profondément la composition des humeurs. Imaginons les plus vastes analogies à ces phénomènes minuscules et nous concevrons qu'une individualité puissante planant dans les espaces subtils où se meuvent les dieux pourra se construire un corps terrestre qui serait l'expression charnelle de ses volontés matérielles.      Regardons maintenant notre Père qui nous aime et qui assiste aux folies de nos égarements. Il est ému de pitié. Il veut nous sauver; mais, s'Il nous sauve malgré nous, Il attente à notre liberté; l'ivrogne que l'on enferme ne guérit pas son vice. Notre Père va donc envoyer vers nous Sa compassion vivante qui revêtira le corps, l'âme et l'esprit humains, grâce auxquels Il pourra nous parler, nous émouvoir, nous entraîner par Son exemple vers la bonne route. Cette incarnation de la tendresse divine, c'est Jésus-Christ, être unique, « pain de Dieu descendu du Ciel et qui donne la vie au monde ».

     Chez l'un quelconque d'entre nous, la composition du sang, des muscles, des os, de la masse cérébrale varient selon le caractère moral, la spécialité mentale, la qualité spirituelle du sujet. Le sang et les nerfs de l'artiste diffèrent, bien que d'une façon infinitésimale, du sang et des nerfs d'un industriel. Les papilles digitales de l'aveugle suppléent à ses yeux morts; le pianiste développe dans ses mains une mémoire très complexe; les muscles du jongleur nous émerveillent par leur souplesse; l'homme d'affaires, l'inventeur, le politicien, l'artiste flairent la chance, saisissent l'intuition, prévoient l'imprévu, haussent la banalité jusqu'à la beauté. Chaque particule du corps supporte une énergie impondérable que l'exercice perfectionne. Toute cette organisation si compliquée que la science ne s'y reconnaît pas, tant elle est encore minuscule en face de l'immense Nature, elle devient, en Jésus-Christ, universelle et permanente. Chaque atome de Son corps terrestre supporte une énergie absolue qui resplendit dans Son corps de gloire; ces milliards inépuisables d'éblouissements servent tous à exaucer les vœux des créatures tâtonnantes vers la lumière; et ces fleuves sans fin de clartés croissantes surabondent infiniment les prières innombrables des multitudes créées.
     Depuis l'instant où la pitié divine - le Verbe - franchit le seuil de l'Éternité et entre dans la prison du Temps, Il commence de subir les attaques des êtres. Les siens ne Le reçoivent pas. Et ces milliards de blessures créent chacune un atome des corps au moyen desquels Lui, pur esprit, doit communiquer avec ces mêmes êtres égarés, les émouvoir, les convaincre et les ramener. Jésus-Christ, c'est la compassion même; chaque parcelle de Son corps est une souffrance cristallisée; chaque goutte de Son sang, c'est un sacrifice consommé.
 

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     Tout geste du Père est un Verbe; le Verbe, c'est l'ensemble de toutes les activités du Père. Ainsi le Fils et le Père ne font qu'un; mais, considérés d'en-bas, d'ici-bas, nous les voyons deux. Aussi, pour notre faiblesse, c'est le Fils qui est la Vie, c'est le Fils qui est la Vérité, c'est le Fils qui est la Voie, puisque seul Il nous mène au Père. Et enfin Il est le don, Il est la grâce, puisque c'est par Lui que tout nous descend du Père et que le plus précieux trésor du Créé ne paiera jamais la moindre parcelle de l'Incréé.
     En même temps Dieu et homme, Christ et Jésus, Il connaît toute la création dans tous ses détails; Il possède à la perfection tous les pouvoirs propres à l'homme, parce que, pour supporter l'ardeur incandescente de l'entité divine, il faut l'entité humaine la plus pure. Il nous connaît aussi tous et chacun, nous surveille et nous guide. Il nous aime humainement, comme le frère aîné aime ses frères encore aux langes; nos actes Lui donnent donc douleur ou joie suivant leur qualité mauvaise ou bonne; Il nous aime divinement, selon le mode infini. Ces douleurs et ces joies sont donc transposées à l'infini, par la nature divine du cœur qui les éprouve. De là vient que nous, hommes, n'avons jamais aucun autre mérite que celui de notre bonne volonté.

     Quand l'homme-Jésus ne peut plus rien à cause de notre mauvais vouloir, le Dieu-Christ intervient et puise aux inépuisables trésors du Père et tous les miracles se produisent. Se tenant à la frontière du Créé et de l'Incréé, à la fois dans et hors l'espace et le temps, Il est le pont sur l'abîme, depuis l'origine des choses jusqu'à leur consommation.
« Le Fils, dit-Il de Lui-même, fait tout ce que fait le Père » et Il ne peut rien faire d'autre de Sa propre volonté, sans quoi Il ne serait plus le Fils. Le Verbe est donc nécessairement unique. en rapports immédiats avec le Père d'une part, Il rassemble tous les éléments pour la gérance de la création, pour « l'exercice du jugement », comme s'exprime l'Évangile, et Il administre cet immense domaine, non pas selon un plan préétabli, mais selon les faits: « Comme Il entend, Il juge, et Son jugement est juste, parce. qu'Il ne cherche pas Sa volonté mais la volonté de Celui qui L'a envoyé. » Ainsi les logoï de second et de troisième ordre n'existent pas, sauf dans les imaginations de l'émanationisme; il n'y a qu'un Créateur et des créatures, celles-ci rangées d'après un ordre dont elles ignorent les raisons. Aucune d'entre elles n'est un verbe total; car, de deux choses l'une, ou telle créature obéirait complètement au Père et alors elle serait un Verbe, ou elle Lui obéirait par intermittences et alors, quelque infinitésimal que soit l'écart entre sa volonté et celle du Père, elle n'est plus un Verbe, une enfant de Dieu. Le Verbe, le Fils, Jésus-Christ reste unique à jamais.

     Le surnaturalisme constitue si bien le caractère spirituel du Sauveur qu'il affranchit de toute chaîne déterministe quiconque l'adopte : « Celui qui écoute ma parole et croit à Celui qui m'a envoyé possède la vie éternelle et ne comparait point en jugement. » Écouter veut dire réaliser les conseils de Jésus; croire veut dire une parfaite obéissance; ce double effort libère l'homme de l'emprise du Destin. Libre Lui-même, Jésus libère Ses amis; unique, Il les unifie; vivant, Il les fait vivre à toujours; confident de tous les desseins du Père, Il leur communique Son savoir; tout-puissant, Il leur partage Ses pouvoirs; serviteur enfin de tous les êtres, Il les invite aux joies inconcevables du sacrifice volontaire.
     « Ma nourriture, dit-Il, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé. » Or, absolument parlant, personne ne peut accomplir en toute perfection les desseins de personne; une telle réalisation exigerait la simultanéité de la conception, de l'enthousiasme animateur et de la force réalisatrice. Aucun être créé ne réalise cet ensemble, puisqu'il vit dans l'espace et dans le temps et que ses actes ne peuvent être que successifs. Dieu seul est capable d'accomplir les œuvres de Dieu. Un tel effort, une telle incessante transmutation des énergies libres de l'Amour heurtant contre les murs de la matière cette nuit imposée au Soleil éternel, ces déchirements de la Vie une, tout cela constitue un martyre inimaginable; le Père le subit dans la présence de Son Fils tout le long de la durée; chacune des larmes de Son amour devient une goutte de sang rédempteur; chacune des fatigues de Sa pitié devient une particule de ce corps sacré qui porte le fardeau du monde.
     Ainsi l'homme qui nourrirait son cœur de souffrances acceptées pour autrui, qui désaltérerait la soif de son Moi à la source de la compassion, s'incorporerait au Verbe et le Verbe résiderait en lui. « De même que Celui qui est seul vivant par Lui-même, le Père, a envoyé le Fils et que le Fils vit par le Père, celui qui se nourrit du Fils vivra par Lui. » Voilà par quelle secrète alchimie « celui qui mange la chair et le sang du Fils de l'Homme reçoit la vie éternelle ».
     Telles sont, hâtivement indiquées, les attitudes respectives du Christ Jésus, Fils de l'Homme et Fils de Dieu, et de nous les humains qui, pour la plupart, Le renions en fait, même quand nous Le confessons de bouche.
 

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     Examinons où ce Christ emmène l'humanité, comment Il l'entraîne, par quelles promesses, par quels indicibles accents, avec quelle invincible patience.
     La vérité vraie doit être totale; une vérité seulement mystique ou métaphysique ou politique ou scientifique n'est pas vraie. J'appliquerai cette remarque à la parole connue : « Le bon berger est celui qui donne sa vie pour ses brebis » et, par extension, aux divers conducteurs d'hommes que nous connaissons. Le philosophe que protègent contre les importuns les murs de sa bibliothèque, les hommes d'État qui, ne parlant que du bonheur du peuple, ne se refusent aucun luxe; ces tribuns qui font leur fortune en envoyant les autres aux barricades; ces réformateurs qui se tiennent bien à l'abri pendant que leurs dupes se battent pour la défense de leurs idées; tous ceux-là , ce sont les mauvais bergers, et leurs vérités ne peuvent être vraies avec plénitude.
    En conservant ce regard d'Absolu, il apparaît de nouveau ici que Dieu seul peut nous faire connaître Dieu; que Dieu seul peut nous faire recevoir Dieu. Si l'homme ne recherche qu'un avenir de transformations nécessitées, comme les panthéistes matérialistes nous l'enseignent; s'il recherche un avenir d'indépendance solitaire, selon la théorie des panthéistes spiritualistes, sans doute les types du surhomme, du mage on du sceptique peuvent lui paraître l'idéal. Mais s'il veut, dans son avenir ultra-terrestre, une transformation de son Moi, aujourd'hui limité, en un Moi libre et bienheureux, au lieu d'une simple extension des pouvoirs actuels de ce Moi, c'est le Christ qu'il devra suivre, parce que seul le Christ l'introduira dans l'Absolu; les autres révélateurs ne peuvent mener leurs fidèles que là où ils sort parvenus eux-mêmes, sur quelque sphère plus ou moins radieuse, mais bornée parce que créée. jésus est l'unique» porte du Royaume de Dieu.

     Je sais bien que le texte le plus clair peut être détourné de son sens évident, mais aucun fondateur de religion n'osa jamais prononcer des paroles comme celles-ci: «Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux. Qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père. » Et ailleurs: « je suis venu poux apporter non la paix, mais la guerre; je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, la fille et sa mère; qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi. » Ces terribles déclarations, qui font jeter les hauts cris aux pauvres intellectuels contemporains, à nos réformateurs utopistes, ne peuvent s'entendre que si celui qui les profère détient la maîtrise suprême, s'il nous apporte une manière surhumaine d'aimer et la certitude d'une paix surnaturelle.

     Et ces nombreuses âmes inquiètes qui attendent aujourd'hui un retour du Christ, puisqu'on les trompe sur le mode de ce retour et sur l'identité de celui qui en sera le héros, je ne puis les blâmer, puisque jamais la guerre n'a été tellement maîtresse de notre globe. Non seulement on s'entr'égorge partout, niais on s'assassine partout, par l'intrigue. la calomnie, les combinaisons d'affaires; on se suicide partout, au moyen de n'importe quelles drogues et de n'importe quels excès; partout la fausse science des philosophes hystériques, un esthétisme d'obsédés empoisonnent ce qui pouvait survivre d'harmonieux et de sain dans nos civilisations. Les trois visages de la guerre ne sont d'ailleurs que les masques de son visage véritable; il ne s'agit de rien d'autre que de la bataille invisible entre les serviteurs du Christ et les mercenaires de l'Antéchrist. Quiconque ne croit pas au Christ Fils unique du Père appartient à cette seconde armée, et aussi quiconque croit en Lui de bouche, sans vivre conformément à cette foi. Quiconque croit au Fils unique du Père et réalise Ses commandements appartient à la première armée. Et, dans cette bataille qui a commencé avec le monde et qui ne finira qu'avec lui, l'armée des ténèbres triomphe constamment; telle est la loi de la Lumière de se laisser ainsi écraser, jusqu'au jour suprême et imprévisible où elle remporte soudain, une victoire inattendue.

     Ainsi l'homme qui ose déclarer : « Le Ciel et la Terre passeront, mais mes paroles ne passeront point », puisque, contre toute vraisemblance et toute raison, Son œuvre subsiste encore, cet homme ne peut être qu'un Dieu, ou plus exactement doit être Dieu, car les dieux passent comme la terre et le firmament. L'homme qui répond à l'adjuration solennelle du pontife de sa religion: « Tu l'as dit, je suis le Fils de Dieu»; qui affirme : «Toutes choses m'ont été confiées par mon Père», Celui-là en qui nous voyons coïncider la plus haute altitude spirituelle et le champ d'action le plus bas, l'énergie toute-puissante et la plus douce tendresse, la liberté parfaite et l'esclavage volontaire le plus complet, Celui-là, le Christ, ne peut être que le visage visible du Père.
 

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     Vous avez reconnu, dès les premières paroles de cet aride exposé, les énigmes immémoriales pour lesquelles tous les sages ont offert leurs solutions. Personne ne semble les avoir résolues, sauf les très rares qui, ayant absorbé toute la science humaine, s'étant blasés sur toutes les joies humaines, ont accueilli du fond de leur mélancolique satiété la Lumière de l'Étoile éternelle. je ne suis que l'écho de cette élite mystérieuse où se groupent, le long des siècles, ceux que l'évangile nomme les pauvres en esprit; les solutions que je vous propose ne sont pas les miennes, mais les leurs: celles-là mêmes que Dieu nous offre, depuis que nous existons, dans la mesure toutefois où le Vrai suprême peut être reçu par des créatures. je ne vous demande pas de les accepter sans examen. Si déjà la Vérité vous a élus, elle vous fera sentir sa présence par un instinct indubitable; si vous en êtes encore à la période des recherches, que mes affirmations, quelque paradoxales qu'elles vous paraissent, ne vous rebutent pas de prime abord; dites-vous que tout est possible, que le vrai peut n'être pas vraisemblable, que la logique elle-même, dans quelque direction qu'elle s'exerce, part toujours d'un dogme indémontrable; et enfin, et surtout, qu'avant de condamner une théorie, il faut l'avoir expérimentée.

     Si vous ne pouvez pas me croire, refaites pour votre compte les expériences des serviteurs du Christ. Astreignez-vous pour quelque temps à vivre comme l'Évangile nous le demande; essayez de comprendre, de sentir, de vouloir comme si vous étiez des disciples; oubliez provisoirement les conclusions auxquelles vos recherches ont pu vous conduire; agissez enfin comme si vous saviez avec certitude que le Christ est bien l'unique Fils de Dieu, descendu dans la chair et ressuscité.
     Les juifs disaient, il y a deux mille ans, en parlant de jésus : « Comment cet homme connaît-il tout cela, lui qui n'a pas étudié ? » Et Jésus leur répondit : « Mon enseignement n'est pas de moi, mais de Celui qui m'a envoyé. Si quelqu'un veut faire la volonté de Celui-là, il saura si mon enseignement est de Dieu ou si je parle de mon chef. » Voilà l'expérience critérium de la connaissance. Expérimentez donc Jésus-Christ et vous saurez qui Il est.
     Des bibliothèques entières ont été écrites sur les choses religieuses; aucun de ces in-folios n'a fait de saints, tandis qu'une seule parole de Jésus, réalisée à fond, en a fait des milliers. je ne saurais trop redire que l'intelligence n'est qu'une introduction à l'amour. Dieu est vivant, Il vient vers l'homme par de la vie, et l'homme ne peut monter vers lui que par de la vie. Il ne s'agit pas de Le comprendre, mais de Lui obéir. Notre corps et notre esprit sont liés, ils ont besoin l'un de l'autre pour l'accomplissement de leur tâche. Il ne suffit pas de réfléchir, il faut aimer, il faut agir; et, pour suppléer à toutes les faiblesses de notre cœur et de notre cerveau et de nos bras, il faut prier.