BIOGRAPHIE DE SÉDIR par Max CAMIS Sur les coteaux que baigne la Rance, l'antique cité de Du Guesclin garde encore, en ses épaisses murailles percées à ogives, de nombreux vestiges féodaux. C'est dans le lacis de ses ruelles médiévales, aux maisons à pignons, encorbellées et sculptées, proches du marché aux fortes et âcres odeurs de la poissonnerie, qu'en l'une des plus pauvres demeures de la rue de la Lainerie le jeune Yvon vit le jour. Suivant la formule administrative et « ainsi qu'il en résulte des registres de l'état civil » de ladite commune de Dinan, le bulletin de naissance nous annonce sèchement, comme faire se doit, que le nommé Yvon Le Loup, fils d'Hippolyte et de Séraphine Foeller, est né le 2 janvier 1871, à 3 heures de l'après-midi. Notre Ami, trop humble pour se raconter, n'a guère parlé de son enfance. Cependant quelques pages tardives laissent transparaître son impression première de l’Armorique et de son puissant passé ; il décrira, avec une émotion toute spéciale, les profondeurs de la forêt de Brocéliande où périt l'enchanteur Merlin. Le drame, le cadre avaient dû impressionner son âme d'enfant. Les éléments de cette période faisant défaut, nous ne chercherons pas à les combler par une littérature romancée. Broder sur l'existence besogneuse d'une femme que l'exode avait jetée, avec son petit, en une ville inconnue hier, d'un père qui, soldat de carrière, devait subir toutes les fatigues et les privations d'une fin de campagne si douloureuse à nos armes, serait trop facile. Cependant la plupart des historiens prétendent que, dans certaines vies de grands hommes, le rôle et l'influence d'une mère sont importants. Nous aurons donc à revenir sur ce thème ; mais, pour le moment, c'est le petit garçon que nous voulons évoquer ici. Alors que d'autres sont tout à l'exubérance des premiers pas et frémissent aux découvertes de la vie, lui, retenu dans son petit lit de fer, attend, déjà résigné, que l'épreuve se modifie. État combien pénible, consécutif à une tuberculose latente que les privations avaient accentuée. Le mal de Pott traîna d'autant plus que la situation sociale, les traitements encore imparfaits ne purent améliorer le cas et firent, au contraire, présager le pire. Pendant très longtemps, ses yeux furent même en danger ; une cécité presque complète nécessita des soins. C'est ainsi que, considérant le tableau de grosses lettres et de chiffres noirs en la boutique de l'opticien qui le soignait, le malheureux enfant, peu habitué à la station verticale, fit une chute malencontreuse lui occasionnant une première fracture de la jambe. Nous pouvons songer aux jours mornes et aux complications qu'entraîna la vie du petit allongé dans les nombreux et pauvres logements parisiens où il passa par la suite. Pour distraire son esprit réfléchi et déjà avide, les études commencèrent très tôt. Sur la planchette installée en travers du lit, les drames de l'encrier renversé alternèrent avec les efforts de calligraphie. On s'étonnait déjà, nous a dit Mme Le Loup, de la jolie écriture. Écriture qui devait devenir de plus en plus élégante et, par sa clarté, retenir l'attention de tous ceux qui la voyaient . Ces courbes harmonieuses s'inscrivant sur le vélin blanc surent exprimer tant de mots, tant de pensées inspirées ou consolatrices, reflets de la grande âme de notre Ami ! Les origines hessoises de sa mère lui permirent d'apprendre tout de suite la langue allemande, de la parler et même de l'écrire assez librement puisque, à l'âge de quinze ans, il avait entrepris de traduire les mémoires de Goethe. C'est peut-être bien en suivant ce texte et, plus tard, le roman de Wilhelm Meister, où l'auteur fait sous-entendre ses mystérieuses recherches et certaines curieuses rencontres, que le ferment des sciences occultes commença à se développer en son esprit. Après la guerre, réduit à une pension militaire insuffisante, M. Le Loup, n'ayant pas d'autre métier, s'était vu obligé de prendre une place de valet de chambre du côté du parc Monceau, et de caser les siens en différents logements des Batignolles. C'est, étant donné les principes religieux de sa mère, très probablement dans une école libre du quartier qu'il prit, dès que sa santé le permit, un premier contact avec le programme d'études, programme qui ne put jamais être très régulièrement suivi, du reste, car toutes les maladies de l'enfance et les accidents constants de sa malheureuse jambe le retenaient très fréquemment à la chambre. Les études s'en ressentirent d'autant plus que les natures réfléchies comme la sienne n'ont souvent, en des débuts aussi chaotiques, qu'une compréhension et une adaptation assez lentes. Le quartier se trouvait alors retiré du centre des affaires et du bruit ; petits rentiers, artistes et compositeurs, qui avaient eu leur valeur, vivaient là au calme. De temps en temps, l'omnibus Batignolles-Jardin des Plantes, traîne par ses grands chevaux blancs, passait lourdement sur les pavés ronds, puis le silence retombait sur les petits hôtels entourés d'arbres, et les maisons en construction. Le petit garçon, déjà grave, parcourait, tout en boitillant, ces rues provinciales, en rêvant. Sédir nous a souvent parlé du premier projet de sa jeunesse, de ce désir qu'il avait d'être berger, de mener dans la bruyère et le thym des moutons et des brebis, qu'un chien garderait. Dans une jolie nouvelle publiée en notre bulletin et intitulée « Le Petit Pâtre », on retrouve la nostalgie de cet enfant malade aux désirs d'espace et d'évasion. Mener son troupeau ! Ne l'a-t-il pas fait sur une plus vaste plaine, dans un décor sinon calme, tout au moins plus grandiose ? Rêves et angoisses du début sont souvent, pour les petits, une vision avant-courrière de l'avenir. Transpositions, mise au point, que le dur destin impose, et la vie s'écoule dans le regret d'un rêve irréalisable... Cependant, vus de l'éternité, rêves et réalités se sont rencontrés bien souvent sans que la leçon soit toujours comprise ! Entre le petit berger dénommé Yvon et Sédir inspiré, chef d'école, il n'y a guère de différence, puisque telle était la volonté de Dieu, et qu'il sut, lui, comprendre la modification de son rêve d'enfant. Maintenant, quoique la relation puisse gêner quelques principes, et si le recoupement des souvenirs tombe juste, en 1882, le ménage Le Loup dut être engagé par une dame seule qui demeurait vers le milieu de la rue du Rocher. Plus avantageuse, la place permit alors de faire donner des leçons de violon au jeune Yvon qui jouait, parait-il, assez bien. Une lacune à noter pour cet être extraordinairement doué en toutes choses, était un manque d'oreille assez marqué . Quant à sa formation religieuse, le changement de paroisse lui fit aborder le catéchisme en l'église Saint-Augustin encore toute rutilante de dorures et de fresques fraîchement marouflées ; quoique l'atmosphère d'un sanctuaire aussi neuf fût peu propice à l'épanouissement d'une âme pieuse, nous savons que le jeune catéchumène mit beaucoup de conviction et d'assiduité à ses leçons. * * * La première communion faite, la santé de l'écolier les stades de la pensée humaine, étudié toutes les se raffermissant, il fallut, au retour des vacances, songer à lui faire continuer les études en une institution sérieuse, d'autant plus qu'il y était poussé par tous ceux qui le suivaient. On songea, malgré de gros sacrifices d'argent, à l'école des Francs-Bourgeois, alors une des meilleures maisons d'éducation religieuse de Paris. La vénérable demeure construite pour le duc de Mayenne par Ducerceau, ayant tour à tour été le centre des conspirations au moment de la Ligue, pension Favard au xviiie siècle, avait été reprise en 1850 par les frères de la doctrine chrétienne. Située dans le Faubourg-Saint-Antoine où chaque pierre parle encore d'un passé de faste ou d'émeutes, elle ne dut pas être indifférente à l'esprit sensitif du jeune garçon qui allait entrer dans sa treizième année. L'enseignement que dirigeait le Père Argemir de Jésus était remarquable ; de plus, il y avait, parallèlement au programme, le très intelligent stimulant de groupes littéraires où le jeune Le Loup se distingua très rapidement. Mais, un jour d'hiver, sur la glace des caniveaux transformés en glissoire, notre ami, trop myope pour se rendre compte du danger, tomba sur sa malheureuse jambe et la cassa une seconde fois. Les mornes journées reprirent, cette fois dans la lecture des Pères l'Église ; Sédir nous a dit qu'il couvrait des cahiers de réflexions et de commentaires précoces vis-à-vis des dogmes sans que ses professeurs en aient connaissance. Vingt ans plus tard, et après avoir parcouru tous formes religieuses, pénétré tous les arcanes initiatiques, il devait, bouclant le cercle de la connaissance, revenir sur ce thème de la foi pour l'amplifier, l'éclairer de cette merveilleuse inspiration que les jeunes années semblaient déjà pressentir. Comme Pascal retrouvant les grands principes mathématiques, il sentit, lui aussi, dans les domaines métaphysiques, passer très tôt le souffle évangélique des grandes Certitudes. A côté du jardin secret de la pensée de Sédir, et parmi les consciencieuses études qu'il fit aux Francs-Bourgeois, le dessin fut certainement une branche qu'il affectionna, qu'il cultiva même après sa sortie de l'école. Grand observateur, il garda toujours une facilité de crayon, un coup de plume adroit pour copier une tête, faire l'ex libris d'un ami ou croquer quelques attitudes de ses chiens. A l'ancien rêve de sa première enfance de devenir berger était venue s'ajouter, bien secrètement, l'espérance de faire un jour de la peinture. Littérature, musique, dessin alternèrent en des projets enthousiastes et jeunes, laissant à l'homme fait une très riche gamme de moyens. Il fut toujours extraordinairement adroit de ses mains. Souvent il a raconté à ses proches qu'il aurait aimé être « bricoleur ». La description, si minutieuse, si vivante, de l'atelier d'Andréas, aux premiers chapitres d' «Initiations », évoque le cadre dans lequel il aurait aimé vivre. Mais, suivant une loi de contrainte bien connue, l'adolescent dut renoncer en bloc à tous ces beaux rêves et se voir enfermé, pour de longues années, dès après les vacances qui suivirent son examen de sortie. Après ses espérances timidement formulées, son père, vieux soldat imbu de discipline et encore astreint à un très dépendant service, ne discuta même pas. Son sens positif et pratique ne pouvait, sans critique aucune, comprendre l'affinement de ce fils silencieux, encore moins les hautes aspirations sous roche. De lourds sacrifices avaient bien, du reste, été consentis afin de lui faire obtenir quelque place d'employé dans une administration, et un vieil ami de la maison, ayant un poste à la Banque de France, avait déjà été pressenti. Dès l'examen du Certificat d'études supérieures que suivit bientôt le baccalauréat de l'Enseignement secondaire spécial , des démarches furent entreprises et la candidature posée au titre « d' agent auxiliaire ». Taux de début : cinq francs par jour, avec la possibilité de faire, de temps en temps, une heure supplémentaire, ce qui pouvait arriver à faire six francs ! Appointements relativement très beaux pour son âge et pour l'époque ! Alors que la jeunesse se montre, la plupart du temps, intransigeante, souvent rebelle aux directives, lui, déjà rodé par la souffrance et la réflexion, prit docilement le chemin de la Banque de France, où ilresta vingt ans. Vingt années dans le même service des « dépôts de titres », sans jamais chercher à intriguer en vue d'un avancement quelconque. Étant donné sa valeur et, il faut le dire, une nature hautement ambitieuse, le fait ne peut s'expliquer que par l'orientation d'une vie intérieure déjà profonde. Les souvenirs très rares qu'il nous a été possible de récolter auprès de camarades ou de chefs de la Banque vantent une cordialité et une bonne humeur toujours égales ; le rapport de l'un de ses derniers chefs (au dire de Sédir lui-même, non des plus cléments) disait à une demande de renseignements : « Agent rendant des services remarquables, expéditif et travailleur, en dépit d'une santé délicate et de la gêne que lui causait une jambe qu'il devait tenir allongée sous son bureau . » L'admission définitive d'Yvon Le Loup comme agent ne devait partir que du 28 octobre 1892 et après un concours longuement préparé. Son secteur d'affectation avait été aménagé en l'annexe Ventadour, proche de l'ancien hôtel de Toulouse. Celle-ci, construite au xviiie siècle pour les représentations de l'opéra italien, avait vu passer toutes les étoiles du chant ; la Patti y avait attiré le Paris élégant. De cela il ne demeurait, de neuf heures du matin jusqu'à six heures le soir, que le monotone labeur des chiffres, avec une heure un quart pour déjeuner. A midi, enlevant ses manches de lustrine, le jeune Le Loup s'en allait donc rejoindre la cour du Louvre, la Seine et les quais. Là, dégagé de toute contrainte, il furetait, sur les parapets du fleuve, en ces boîtes ouvertes à l'avidité des bibliophiles. Tout en mangeant un frugal repas, il lisait. A cette époque, la chasse pouvait encore être fructueuse et, pour quelques sous, le livre rare que la Providence avait bien voulu mettre sur votre passage devenait vôtre. Moments heureux pour le jeune étudiant que le besoin de connaître enfiévrait et qui trouvait réponse aux questions latentes. Hasards ? coïncidences ? Pour nous, qui connaissons l'importance que les petits faits de ce genre peuvent avoir sur les débuts d'une existence comme celle que nous essayons de retracer, nous y verrons la main de Dieu préparant Son serviteur. Peu liant de nature, n'ayant guère d'amis, Sédir nous a cependant raconté que les rares dimanches où Mme Le Loup lui permettait de sortir, et les soirs ou, pour une raison quelconque, il pouvait s'échapper, se passaient dans la chambre d'un camarade qui demeurait dans les environs de l’Institut. Là on lisait les ouvrages intransportables ou ceux que les parents auraient réprouvés, non certes à cause de leur insuffisante moralité, mais en raison de leur caractère hétérodoxe. Ces fugues n'étaient pas sans tourmenter la maman toujours inquiète de la santé du « cher petit » (comme elle l'appellera jusqu'à sa mort), d'autant plus que, jusqu'alors, la nature de ce fils avait été particulièrement calme. Le jeune homme devait alors écouter, tête basse, les remontrances, les mises en garde, les sous-entendus à l'endroit de ces « filles trop hardies » qui pervertissent la jeunesse et entraînent au mal ! Mais, dès qu'une possibilité surgissait, l'isolement reprenait dans la petite chambre froide, où son esprit critique, son intuition rare, allant jusqu'à la voyance, lui firent éviter bien des égarements propres aux premiers enthousiasmes. Pendant les deux premières années, limité par le temps et les moyens d'achat, il absorba un peu tout ce qu'il pouvait trouver. Avec la joie de découvrir, d'annoter, ce défrichement intellectuel demeurait cependant très difficile. Il lui fallait refaire seul ce que les autres font en études secondaires, cependant que le fondement classique de sa culture ne l'empêchait pas d'être attiré par certaines concordances encore imprécises qu'il pressentait dans le domaine du symbolisme et de l'occulte. C'est pourquoi quelques-uns des derniers romantiques l'attirèrent particulièrement. Villiers de l'Isle-Adam, Barbey d'Aurevilly, Flaubert, Balzac, dans certains de ses contes philosophiques, influencèrent ses premiers écrits : soucis de style, recherche du terme exact, qui le faisaient se reprendre sans scrupules lors de ses causeries. Il professera même que, toute faible qu'elle demeure, la pensée de l'homme peut, par le choix de mots appropriés, exprimer une part d'Absolu ; pour lui, cette recherche demeurera sa constante préoccupation lorsqu'il s'agira d'exprimer l'inspiration qu'il avait reçue. La série des romans sur « la Décadence latine », de Péladan, fut particulièrement marquante dans l'évolution de notre chercheur, car, en plus de l'originalité et de la documentation de ces études de moeurs, certains aspects du merveilleux l'incitèrent à écrire à l'auteur une lettre admirative qui, en même temps, sollicitait une entrevue. Rien ne nous est resté de cette rencontre ; mais nous savons que, portant de longs cheveux noirs bouclés, une barbe à l'assyrienne, drapé de violet, Péladan recevait assis dans un fauteuil surélevé ; se faisant appeler « Sar », rattaché aux Rose-Croix, il se disait chargé d'un rôle de réformateur social. Tout cet extérieur spectaculaire ne dut guère impressionner notre ami ; mais, au contact de ce curieux érudit, une mine s'ouvrait à lui. Cette rencontre marqua le début des travaux que Sédir allait entreprendre dans le domaine des sciences dites « maudites » ; il emportait enfin, avec quelques ouvrages d'Eliphas Lévi et de Fabre d'Olivet, l'adresse d'un foyer d'action. * * * C'est par une fin de journée de l'an 1890 que l'orientation du jeune Le Loup se précise. Non loin de la Banque de France, au 29, rue de Trévise, existait cette « Librairie du Merveilleux » dont l'arrière-boutique servait de salle de réunion et où, à raison de cinquante centimes par jour, il était possible de compulser les classiques de l'hermétisme ; mais une timidité maladive avec laquelle il aura à lutter une part de sa vie l'avait empêché d'y entrer. La recommandation de Péladan allait rompre ses craintes et lui permettre de faire la connaissance de Chamuel qui, de quelques années plus âgé, était très affable. Le premier entretien roula sur quelques auteurs et sur le programme d'action que Papus insufflait à son entourage. Celui que l'on nommait « le vulgarisateur des sciences occultes » venait alors de terminer son service militaire, et, tout en préparant son doctorat en médecine, trouvait moyen de sortir périodiquement une quantité impressionnante d'études que Chamuel, ami de quelques mois, éditait fidèlement. Pas mal d'entre elles avaient déjà été réimprimées et l'association de ces deux hommes était de plus en plus heureuse ; aussi fut-il entendu que l'on se rencontrerait de nouveau en présence de Papus. De nombreuses publications ont évoqué ce premier contact qui, étant donné l'opposition de ces deux natures en tous points différentes, dut être assez original. L'un, grand et dégingandé, ne sachant que faire de ses longs bras maigres, assez négligé quoique employé de banque, encore insoucieux de la toilette, presque imberbe et ne paraissant pas ses dix-neuf ans. Il partageait alors des mèches rétives, non en deux masses égales et bien lisses comme nous l'avons connu, mais par une vague séparation à gauche, hérissée d'épis rebelles. Sa peau, terreuse et grasse, était, comme souvent à cet âge, constellée de boutons qu'il écorchait par habitude. Son regard, rendu étrange par la divergence de deux énormes pupilles noires apparaissant ou s'estompant sous le cillement du myope, demeura toujours très particulier. Enfin, de cette physionomie nullement attirante, de cet ensemble, il faut le dire, pauvre, maladif et au premier abord peu engageant, il se dégageait quelque chose d'étrange et d'attachant qui retenait l'attention. Les quelques photos de l'époque marquent le contraste qu'il pouvait y avoir entre lui et le jeune docteur trapu et fort, à l'esprit jovial, ouvert, portant, de par ses origines espagnoles, beaucoup plus que ses vingt-cinq ans. Moustache et barbe sur une tête altière et crépue, type légèrement kalmouk, mise assez voyante, tout cela donnait une impression de force et de décision. Le premier parlait lentement, avec douceur ; la voix, un peu monocorde, était grave ; il souriait non sans gaucherie ; l'autre, au contraire, avait le verbe haut, bien timbré et, malgré un naturel profondément bon, la phrase était facilement autoritaire, souvent gouailleuse. Malgré l'opposition de leurs natures, Papus se prit de sympathie pour ce grand garçon timide et maladroit ; il sentit tout de suite la bonne volonté, s'étonna des connaissances et surtout d'un jugement déjà très personnel. Pour les services qu'il offrait, le jeune comptable, pris au mot, vint pendant plusieurs semaines près du square d’Anvers, mettre de l'ordre dans un amas de livres, de brochures et de documents, que les occupations et l'esprit bohème du futur médecin avaient négligés. Puis les rencontres se multiplièrent. Rapidement, Papus lui fit connaître Barlet, à l'érudition encyclopédique, Gaboriau, Jules Lermina, Paul Adam, Emile Gary de Lacroze, Victor-Emile Michelet, julien Lejay, Marc Haven, et d'autres, dont les situations étaient déjà assises, quelques-unes même en renom. Aucun ne prit grand intérêt au « saute-ruisseau traînant la jambe » ; cependant on s'occupa de lui, on l'emmena même un soir au 21 de la rue Pigalle, chez Stanislas de Guaita, que son oeuvre savante, châtiée, plaçait parmi les maîtres. Figure du reste très forte que ce grand Lorrain de petite taille, ami de Barrès, vivant solitaire au milieu d'évocations magiques, de rêves, et de la bibliothèque initiatique la plus complète qui existât. Dilettante quoique très simple, lettré de race, Guaïta, plus cérébral que réalisateur, avait cependant imaginé une fraternité rosicrucienne (une de plus !) composée de six membres inconnus que des moyens occultes pouvaient faire venir du monde des esprits, et de six autres frères qui se réunissaient chaque mois en son intérieur confortable et luxueux. Cette visite impressionna notre ami. De son côté le mage se prit de curiosité pour l'étudiant silencieux ; devinant peut-être une part de l'avenir, il lui ouvrit, chose rare, son sanctuaire, avec la possibilité d'y travailler. Cela était alors considérable pour celui qui, deux ans auparavant, furetait encore sur les quais. Comme ces prospecteurs de Californie cherchant leur « placer », Sédir se trouva là, subitement, devant tout ce qu'il pouvait désirer. Filon immédiatement exploité, du reste, car Papus, débordant d'activité, réclamait des papiers à son entourage pour la revue « L'Initiation » dont il avait la direction. Tous y collaboraient. Un mois après l'entrée de Sédir rue de Trévise, paraissait sur des « Expérien- ces d'occultisme pratique » le premier article signé Le Loup. Il avait été vite ! Aussitôt l'exigeant chef de la rédaction lui demanda de faire une causerie, chose plus difficile, étant donné le complexe déjà esquissé. Mais l'effort ayant toujours été pour Sédir sa raison de vivre, le premier pas seul comptant, il fit un soir, devant un petit auditoire, ses débuts. Ayant soigné son discours et, pour une fois, sa toilette, il lut, ânonna peut-on dire, un filandreux développement sur les « sciences divinatoires et la chiromancie ». Tous, y compris le conférencier, furent, paraît-il, heureux d'en avoir fini ! Et, par la suite, malgré l'admirable ténacité dont il ne se départit jamais, malgré, dans ce domaine de la parole, un entraînement presque quotidien, le don oratoire, il faut l'avouer, ne vint jamais ! Le docteur, suivant son système morphologique, l'avait classé dans les « volontaires mélancoliques ». Donc, se laissant influencer, non par les échecs, mais par sa puissance de travail et sa compréhension des problèmes les plus difficiles, il lui demanda de s'occuper du secrétariat, puis de devenir « martiniste ». Ce groupement d'hommes, reprenant les idées du rite cabalistique de Martinez de Pasqually, venait d'être rénové et formait le premier échelon initiatique de la fraternité rosicrucienne de Guaita. Celui-ci en avait jeté les bases et, comme Vénérable du Suprême Conseil, lut le discours à la réception de Sédir, laquelle, en grande pompe, eut lieu chez lui. La cérémonie se déroulait suivant le rituel des anciennes loges maçonniques. A la fin du xviiie siècle, le juif portugais avait créé celle dite d' « Hermanubis » et, comme notre récipiendaire ne faisait rien à demi, il voulut connaître l'oeuvre et la doctrine de Louis-Claude de Saint-Martin dont dépendait la fraternité où il venait d'entrer. C'est dans un de ses ouvrages (des moins connus) intitulé « Le Crocodile » que notre ami fut particulièrement frappé par un certain personnage symbolisant l'homme de foi et que l'auteur appelait « Sédir ». L'anagramme de « désir », concis en sa consonance quelque peu orientale, l'avait séduit, le graphisme, l'esprit surtout ; et, comme il était alors fréquent parmi ces jeunes auteurs de choisir un surnom, qu'Encausse était devenu Papus, Lalande, Marc Haven, pour trancher avec la vie besogneuse de l'employé ponctuel, le nouveau martiniste se décida pour ce nom. A partir de ce moment, tous ses articles paraissant dans les revues « L'Initiation », « Le Voile d'Isis » et autres seront signés « Sédir », ainsi que les livres que Chamuel allait lui éditer. Ces deux courtes syllabes, bien vite remarquées, incarneront, à toutes les périodes de son existence, le parfait désir d'obéir à Dieu, et, quoi que ses détracteurs puissent penser, l'oubli de ses intérêts, jusqu'au sacrifice complet de sa personne. * * * Cette période d'effervescence dans le renouveau des sciences occultes va n'être, pour Sédir, qu'un passage. Ces jeux miroitants de l'intelligence et du savoir n'empêchent pas son sens attentif à toujours choisit le plus difficile et à suivre un destin dont il ne pouvait alors pas encore comprendre l'orientation. Origine des plus simples, naissance pauvre, santé débile le laissant fragile pour longtemps, extérieur ingrat, éducation incomplète, emploi monotone qui pouvait l'enliser ; et, tout à coup, le voilà au milieu d'une pléiade d'hommes de science, de lettres et d'action, retrouvant certaines lois d'origine, lois que l'humanité perd et redécouvre alternativement. Il est évident que notre siècle positif peut sourire de ces organisations spirituelles, de ces consécrations, de ces grades initiatiques, sans valeurs immédiates ou officielles ; cependant, songeant à la relativité de toutes choses, n'est-il pas possible d'admettre que ces idéalistes, nullement révolutionnaires, mais désireux de se donner un cadre, arrivent, dans le domaine métaphysique, à créer des valeurs, à reprendre des symboles, souvent moins dangereux que bien des formules politiques ? Quoique répondant à une toute petite minorité, le besoin n'en était pas moins généralement répandu a cette époque ; l'exemple donné par ces quelques hommes entraîna le zèle désintéressé de toute une phalange sincère. Il fallut même songer à s'agrandir : les réunions, la correspondance, l'édition débordaient la boutique de la rue de Trévise ; Chamuel fut obligé de prendre un nouveau local au 70, faubourg Poissonnière. Là, Sédir est considéré comme faisant partie de la maison et, de plus en plus indispensable, son couvert est toujours mis, sa chambre toujours prête quand un coup de feu le retient trop tard. Il arrivait dès la sortie de la Banque pour expédier le courrier avec l'étranger, recevoir les abonnés de passage, les chercheurs venant aux renseignements. Ou bien, dans une poche, à côté de notes prises à tous moments sur des fiches volantes (suivant un système qu'il a toujours conservé), il y avait l'article à finir, la documentation à rechercher ; parfois, ce sont des épreuves à corriger pour l' « Almanach du Magiste toute une série d'études des ouvrages anciens. » dont il venait de commencer la publication en collaboration avec Papus, et son premier ouvrage sur « Les Tempéraments et la Culture psychique »qui allait sortir. On montait, pour dîner, à l'étage supérieur et, tout en fumant des pipes, tout en bavardant avec des amis que l'atmosphère attirait, le travail se continuait sur un coin de table. Quand une conférence ou un cours ne le retenait pas, il rentrait à pied au 4, avenue de l'Opéra, où demeuraient alors ses parents. Il avait, au sixième, une petite chambre garnie de livres (jamais nombreux) de dossiers chargés de documents ; au dessus d'une couche étroite s'éployait une large tenture rouge brodée de signes hébreux, astrologiques, qu'en son zèle de débutant il croyait indispensables à l'aurisation de ses courtes nuits. Ce sont là ces charmantes erreurs de la jeunesse dont, en quelque domaine que ce soit, personne n'est exempt. Mais cette période dans le quartier des grands boulevards ne pouvait durer. On commençait à parler des travaux souterrains du métropolitain et du percement du boulevard Haussmann. Chamuel, nullement spéculateur, ne voulait pas attendre une expropriation ; de plus, Papus et ses amis gardaient cette juste attirance pour la rive gauche où se sent l'âme de la France, de la vieille Europe. Le déménagement se fit donc vers plusieurs logements de la rue de Savoie : rez-de-chaussée au 4, appartement au 5. Nous sommes en 1895. Papus a passé brillamment sa thèse, puis s'est marié. Ouvrant une maison de santé à Auteuil, il est moins libre, quoique ayant à coeur sa « Faculté des Sciences hermétiques » où il donne deux cours par semaine, ainsi que des conférences aux Sociétés Savantes. Par contre Sédir, en pleine possession de ses moyens, assume la plus grosse tâche. Chaque soir ce sont leçons d'hébreu ou de sanscrit (langues qu'il connaissait parfaitement), dont il développe le génie ethnique et surtout le double sens du symbole et de la cabbale ; cours sur j'entraînement psychique des fakirs hindous, suivi des divers systèmes du yoga ; études sur les anciennes civilisations dans leurs aspects planétaires et sociaux ; sans parler de l'alchimie expérimentale, de l'astrologie, de la sociologie et de toutes les branches du symbolisme qu'il aimait particulièrement. Secondé par d'autres directeurs, il organise des cercles de recherches où chaque étudiant développe, selon ses aptitudes ou ses goûts, des possibilités d'hypnotisme, de magnétisme, même de spiritisme. Tout cet éveil idéaliste sincère axe sur ces deux jeunes chefs, s'étendait, gagnant l'étranger, pendant que, plus secrètement, la Loge martiniste augmentant nécessita la création d'une nouvelle, celle du Sphinx. Entraîné ainsi à seconder Papus qu'il aimait et auquel il devait beaucoup, Sédir, dominant très vite toute situation, ne pouvait s'illusionner sur ces activités. Au reste, ses articles, ses premiers ouvrages font déjà pressentir «l'impasse » où il devait se trouver en voulant concilier le domaine des sciences cachées et la mystique qui l'attirait très nettement. Une fois le premier enthousiasme passé, son sens aristocratique de l'Esprit lui faisait comprendre, pour quelque conviction que ce soit, l'importance de l'Elite. Cependant, aux heures de détente, et s'intéressant à toute manifestation de la vie, il allait, en compagnie d'amis, des caveaux des Halles aux tonitruantes réunions des anarchistes et des premiers socialistes. Son goût particulier pour la belle littérature lui faisait rechercher, au Quartier Latin, les brasseries où, déjà, les clans littéraires tenaient séance ; mieux encore, la misérable taverne aux alambics fumants où l'on savait, le mercredi, retrouver Verlaine entouré de ses admirateurs . La plupart du temps, le grand poète, morose et affalé derrière son absinthe blanchie au marc (qu'il dénommait pompeusement « sa dynamite »), était muet ; mais, certains soirs de lyrisme, il récitait à qui voulait l'entendre ses vers les plus beaux de « Sagesse ». Une fois par semaine, il y avait, pour les directeurs des Loges, réunion chez Guaita, nouvellement installé avenue Trudaine. Celui-ci offrait un thé de Chine spécialement préparé. Les heures passaient agréablement à discuter de systèmes, de points de vue chers à l'un des assistants ; de temps à autre, pour rompre les paradoxes, le docteur lançait une joyeuse boutade qui donnait au maître de céans, toujours courtois, l'occasion de redresser la discussion. Sédir, lui, ne perdant jamais de temps, feuilletait quelque grimoire, toujours à la recherche de l'ouvrage qui pouvait l'aider, non sans participer, du reste, par un mot bien placé, à la gaîté générale. Car ce don prodigieux de faire bien plusieurs choses à la fois lui était très particulier et étonna constamment son entourage. Poursuivre une question difficile, calculer les interminables additions qu'il emportait parfois de la Banque tout en répondant à une conversation, était chez lui chose habituelle. De plus, d'une lucidité et d'une intelligence remarquables, il arrivait à réaliser ce double mécanisme à un point extraordinaire ; par exemple, jouer plusieurs parties d'échecs en même temps, sans voir les pièces, lui était facile. Quant à ces soirées de jeunesse, qui n'en a conservé la mémoire heureuse ! chacun ayant de son existence le souvenir que donne l'attrait d'idées communes ; la nuit peut alors passer sans fatigue, l'un accompagnant et raccompagnant l'autre dans le calme des rues désertes, sur l'asphalte sonore, sous le ciel constellé d'étoiles, cela jusqu'à l'heure du bureau et de la clinique. C'est dans l'entresol d'un petit café de la rue de l'Ancienne-Comédie qu'avaient lieu les réunions de la nouvelle Loge. Là Sédir fut mis en contact plus étroit avec Barlet qui, par ses accointances anglaises, l'avait entraîné à faire partie de l' « Hermetic Brotherhood of Louxor ». Ensuite Marc Haven le fit entrer dans la « F. T. L. » dont il était un des fondateurs. Auparavant il s'était affilié à l'église gnostique, où, sous le nom de T. Paul, il avait été consacré du titre honorifique et sonore d'évêque de Concorezzo. Se plaisant à l'analogie, apparente, des doctrines, ce cerveau extraordinaire, nullement séduit par le mirage de l'Orient, semblait bien, au contraire, et de leçons anciennes, en retrouver le rythme ; puisant aux mille sources, éprouvant leur résistance et leurs limites, il voulut aller plus avant et forcer le passage... Pour cela, en haut du 5 de la rue de Savoie, un coin tranquille et ignoré avait été aménagé pour les évocations magiques ; Guaita y avait tracé le cercle protecteur, dit les formules d'usage. Mais de ces dangereuses expériences nous ne dirons rien qu'une réflexion de Sédir assurant que « c'est, ici-bas, ce qui se paye le plus cher ». Dans un domaine moins obscur, ses recherches alchimiques lui permirent de retrouver les bases de ce qui est appelé « le Grand Oeuvre ». Ces détails sur la vie secrète de notre Ami soulignent d'abord ce souci de vérité qui lui a toujours fait expérimenter toute chose avant que d'en parler ; de plus, ils montrent que Sédir, ayant atteint les plus hauts sommets de la connaissance et des pouvoirs, été assez sage pour s'en détacher dès qu'il en comprit le peu de valeur et le danger. * * * « Notre bon Sédir », comme l'appelaient déjà nombre de ses amis, allait son pas, pas de montagnard qui ne se presse ni ne s'arrête, sans jamais donner l'impression d'effort ; seul l'aspect de reprises d'anciennes conquêtes le particularisait. Il avançait avec calme vers un but – vers le But – en fait à pas de géant. D'après des notes qu'il a laissées, c'est par un certain dimanche de juillet 1897 qu'il semble en approcher. Quoique cette journée n'ait encore apporté aucun résultat immédiat, elle n'en doit pas moins être considérée comme celle qui, en chacune de nos vies, a joué un rôle et marqué tout le reste. Voici ce qu'il en écrivit : « J’étais chez Chamuel quand un pneumatique d'Encausse arrive, nous disant de venir tout de suite pour courir la chance de voir Andréas. « A Auteuil, les enfants nous disent qu'il est parti, mais qu'il prenait le train à 7 heures à la gare de Lyon. Persuadé qu'on nous servait une défaite, nous allons à la gare, et nous le trouvons avec sa famille et les Encausse. « Je vis un petit homme assez gros, le teint cuit, la moustache forte, vêtu proprement mais simplement. Sa femme et sa fille étaient habillées sans recherche. Il fumait une Scoufflaire, portait un sac noir pendu à l'épaule et une grosse canne commune. Il allait et venait sans hâte, causant comme un bon père de famille. Mme Encausse me présenta, disant que les dispositions que je montrais éveilleraient son intérêt. Il me tendit la main avec une grande cordialité, bien que son coup d'oeil m'eût signifié clairement : « Il n'est pas aussi extraordinaire qu'on veut bien le dire » ; et il répliqua tout haut à Mme Encausse : « Alors, vous voulez que l'on s'occupe de ce jeune homme. » Le train partait. Sédir put à peine dire quelques mots à ce personnage dont beaucoup parlaient déjà de manière surprenante, souvent contradictoire, et qui venait de se révéler à lui, suivant son expression, comme « un bon père de famille ». Les poésies orientales évoquent souvent le néophyte allant près de la source, devant les reflets du grand lac sacré, à la rencontre du Maître. Ici, c'est le quai d'une gare, la bousculade, le sifflet des trains. Comme si de rien n'était, Sédir devait, du reste, continuer son chemin, égal à lui-même et d'aspect stable, quoique le combat fût constant ; à certains de ses proches, il avoua être demeuré alors en fureur un mois entier sans pouvoir se calmer ! Pour ceux qui le connaissaient bien, certaines imperceptibles inflexions de voix, certains tics nerveux de la joue gauche pouvaient marquer les répressions de cette nature au fond autoritaire et violente ; mais, pour son entourage, il demeurait placide et gai, trouvant même, sans jamais porter de jugement, le mot qui fait rire. A la Banque, le monotone labeur, avec ses promiscuités, ses heurts, ses injustices constantes, avait été pour beaucoup dans ce rodage, tandis que, accomplissant scrupuleusement sa tâche, il arrivait, sans perdre une seconde, à maintenir dans le tiroir entrouvert le livre à compulser, sous les volumineuses paperasseries, le carnet de notes. Sachant s'isoler du bruit de la grande salle sonore et à étages, il poursuivait son oeuvre. Comme tout arrive à se savoir, on chuchotait sur les mystérieuses occupations de Le Loup ; prévenus par d'anonymes délations, les chefs augmentaient le travail ; cependant, jusqu'au bout, le pupitre dissimulera un texte et de minces bandes de papier taillées à la largeur des colonnes du registre se couvriront d'écrits attendus. Ainsi furent entreprises quelques traductions de l'anglais : Jeanne Leade, Prentice Mulford, William Law. Puis, ainsi que tout vénérable de loge qui se respecte et qui garde les traditions, Sédir voulut présenter une thèse sur le tchèque Jacob Boehme, grande figure du passé, le « chérissime maître », comme l'appelait L.-C. de Saint-Martin. Une petite plaquette sortait tout d'abord de chez Chamuel sur la vie du cordonnier philosophe, avec un portrait dessiné à la plume par Sédir. Puis il abordait la très importante traduction du De Signatura Rerum que Chacornac devait éditer sept ans plus tard. Transformer cet allemand du xvie siècle, d'autant plus lourd qu'il émanait d'un homme sans culture, transcrire ce système aux clefs cachées et subtiles, cela demandait, en plus d'une connaissance parfaite de la langue, une patience et une compréhension étonnantes. Mené au milieu de multiples activités, ce travail semble bien être avant-coureur du programme que Sédir devait se donner par la suite, alors qu'il écrira : « L'un des textes sacrés sur lesquels Jacob Boehme méditait le plus souvent était celui-ci : le Père qui est au Ciel donnera le Saint-Esprit à ceux qui le Lui demanderont. » Une autre brochure intitulée La Création, qui parut vers cette époque, accuse encore son dégagement vis-à-vis des doctrines du Vedânta brahmanique. Au reste, l'orientation vers un hermétisme chrétien avait été déjà esquissée par Wronski et surtout par le marquis Saint-Yves d'Alveydre. Les différentes « Missions » de ce dernier ralliaient nombre de partisans car, quoique vivant très retiré, l'auteur accueillait volontiers les chercheurs de qualité : Sédir fut du nombre. Seul en sa grande maison de Versailles, le courtois vieillard terminait (sous l'inspiration de sa femme, morte depuis quelque temps) ce qu'il pensait être une synthèse de toutes les sciences, l'arcane de l'Occident, le fameux « Archéomètre » que le monde des chercheurs attendait . Théorique plus que pratique, cet imposant système avait, sur bien d'autres, l'avantage de montrer que, plus qu'aucun des livres sacrés, l'Evangile, par la divine Présence du Christ, contient toute la Vérité, le Pater en étant la clef. Papus, en l'un de ses ouvrages, évoque le vieux marquis et fait un parallèle assez vivant entre les deux maîtres existant alors en France. Mais Sédir avait déjà fait son choix. Au point de vue social, l'activité de l'Ecole hermétique venait de subir une grave perturbation monétaire : l'effondrement d'un essai tenté aux Etats-Unis par un certain M. Bliss, qui avait fondé des loges et s'était engagé à aider le mouvement de Paris. Chamuel, ne pouvant financièrement plus suffire, dut se retirer pour un temps. Il fallut alors, malgré la création d'une troisième loge, vivre avec les moyens du bord. Toutes ces choses ne préoccupaient que très lointainement notre ami, tant il était persuadé que toute organisation est éphémère, que chaque système ésotérique comporte un aboutissement supérieur, que toute religion renferme un mysticisme la dépassant. Seule la doctrine des premiers Rose-Croix et l'oeuvre de quelques grands mystiques isolés l'attiraient encore. Pour reprendre contact avec celui qu'il avait vu comme « un bon père de famille », Sédir passa à Lyon les vacances d'août 1898 ; et, quoique nous ne sachions rien de ce jardin secret, il semble possible de le relier à certaines conversations que Sédir écrira plus tard dans Initiations . Le « docteur », incarnant l'homme de science dans le domaine occulte, l'initié qui se lance de bonne foi à l'assaut de la Vérité, pour ne rencontrer, de toutes parts, que l'inexorable barrière qui le rejette vers le « tumulte ordinaire », entend Andréas lui dire : « Oui, il y a un mur. » – «Mais ce mur est-il provisoire ? demande l'âme inquiète. Dois-je le franchir ou le démolir ? Est-ce moi qui l'ai bâti antérieurement ? Est-ce un adversaire ? Est-ce un ami ? » – « je ne puis vous dire, docteur ; il faut que vous voyiez vous-même; vous pouvez démolir ce mur, le tourner, ou sauter par-dessus, ou creuser dessous ; mais n'essayez rien encore ; attendez. » Et, quoique la période des tâtonnements fût passée, il attendra avec obéissance quelques années encore l'ordre d'agir, l'ordre de sa mission. Jusqu'à la période de la vie de Sédir où nous sommes parvenus, ses études, des travaux incessants, sa situation de plus en plus importante dans les milieux spiritualistes d'alors l'avaient éloigné de toute pensée matrimoniale. Connaissant les combats, mais aussi la puissance d'une vie chaste, il avait, quoique son rôle d'éducateur l'eût fait remarquer par de nombreuses admiratrices, gardé ses distances. Sans vouloir, par une sorte de parti pris idolâtrique, exalter l'homme que nous avons suivi de près, il nous est permis d'affirmer qu'en ce domaine la presque totalité des racontars ou des critiques, basés comme toujours sur des apparences, sont sans valeur. Malgré l'ascèse mystique de laquelle Sédir ne se départira jamais, c'est à Lyon qu'il parait avoir mis au point l'idée d'un foyer, dont il n'est guère possible de se libérer sans tomber dans le compromis. Le point de vue absolu dans le mariage étant bien le choix préétabli de deux êtres faisant équipe, faisant route ensemble devant Dieu, dans le but de s'entendre et de se modifier l'un l'autre quotidiennement. La première compagne de Sédir fut en tous points une épouse exemplaire et sa mort fut digne d'une sainte. Comme beaucoup d'ouvrières parisiennes, Alice Perret-Gentil , vivant de son aiguille, était obligée d'augmenter son maigre salaire par des travaux à domicile. C'est ainsi que, travaillant pour Mme Encausse, elle fit la connaissance de Sédir. Mais il y avait la question financière ! Annuellement, les appointements de l'employé ne dépassaient alors pas trois mille francs ; les ouvrages publiés ne rapportaient encore rien. Cependant, et sans se soucier de l'avenir, le mariage eut lieu le 13 juin 1899. Quelques amis, présents aux consécrations civiles et religieuses, prirent ensuite part à un repas très simple qui se donna à l'ancien café Voltaire. Papus et Chamuel étaient nécessairement là comme témoins, le journaliste Serge Basset, tué au début de la guerre 1914-1918, et quelques autres vieux occultistes animaient la fête. Obligé de quitter la mansarde de l'avenue de l'Opéra, le jeune ménage s'installa, grâce à la camaraderie d'un jeune artiste , au 3 de la rue d'Orchampt, tout en haut de la butte Montmartre. Peu de temps après, Mme Le Loup put trouver rue Girardon, cent mètres plus loin, un petit appartement où dix années s'écoulèrent relativement heureuses et calmes. Les reflets de ce changement de vie se retrouvent en quelques jolies pages d' « Initiations » ; plateaux de Vélizy, forêt de Compiègne évoquent ces douces frondaisons d'Ile-de-France où le jeune ménage, profitant de propriétés amies, allait passer le dimanche. Dès qu'arrivait l'été, eux-mêmes recevaient à Neuilly, en la villa assez vaste qu'un admirateur leur prêtait chaque année. Là, on se déguisait, on dansait, on jouait aux boules ou aux palets. Mais rencontres récréatives et bruyantes ne modifiaient en rien le programme spirituel qui se précisait de plus en plus. Cette vie de foyer permit même à Sédir de réaliser un service à la Banque, plus commode parce que sans coupure ; arrivant rue Ventadour à dix heures, il pouvait, étant donné sa facilité de travail, mener son temps de présence d'une seule traite et profiter de l'heure calme du déjeuner pour écrire ou, bien souvent, pour prendre en charge les erreurs d'un camarade maladroit. De son côté, Mme Le Loup, devoirs domestiques mis à part, ne restait pas inactive ; elle recopiait articles ou manuscrits, visitait des malades et allait parfois prendre des notes à la Bibliothèque Nationale, quoique pendant longtemps ce travail, fait par charité, fût réservé à un malheureux père de famille sans situation, ce qui n'arrangeait guère le budget déjà très maigre du jeune ménage. Quant à l'édition de nouveaux ouvrages, le retrait de Chamuel, dont nous avons parlé, la rendait limitée. En 1901, Ollendorff publia des « Eléments d'Hébreu » et « Les Lettres Magiques » ; puis, deux ans après, une bibliographie d'ouvrages sur les Rose-Croix et une préface au traité des «Révolutions des âmes », d'Isaac Loriah. Mais Sédir, faisant chez des amis la connaissance de Médéric Beaudelot, trouvera de nouveau un éditeur compréhensif et fidèle. Personnalité des plus attachantes du mouvement spiritualiste d'alors que ce Beaudelot. Fervent d'Allan Kardec et de Léon Denis, il publia au début un journal spirite qui, après la rencontre de notre ami, se transformera en la revue « Psyché » à laquelle Sédir collabora longtemps. Ce caractère vibrant incarnait le type du chevalier en quête d'idéal, toujours prêt à rendre service ; il recevait en un rez-de-chaussée exigu et noir de la rue du Bac dénommé librairie. A côté, une salle devint le centre des réunions de la nouvelle loge martiniste « le Sphinx ». Demeurant à Bourg-la Reine, à l'époque même où Léon Bloy et Péguy y habitaient, sa maison devint le rendez-vous des premiers amis. On y jouait au ballon ; c'est du reste ainsi que Sédir, butant contre la racine d'un arbre, provoqua une assez grave complication du côté de sa malheureuse jambe, suivie d'une tumeur blanche et de la perte d'une part de sa mobilité. L'Ecole hermétique, rue Séguier, continuait à donner ses cours. Trop respectueux de la personnalité et des concepts de chacun, Sédir ne se serait jamais avisé de critiquer sous prétexte qu'il avait modifié son point de vue ; mais, un beau soir de fin de trimestre, après qu'il eut donné un dernier cours sur la magie et l'astrologie, les assistants furent assez étonnés de voir que le programme des mois suivants ne comportait plus aucun sujet ésotérique, mais une série de conférences sur l'Evangile. A partir de ce jour, Sédir ne monta plus sur la petite estrade que dans le seul but de développer l'orientation nouvelle de sa pensée devant un public réduit, mais qui ne le quitta pas. Dès 9 heures, de sa voix monocorde et volontairement sans effet, il développait, pendant trois quarts d'heure, les thèmes de ce que l'on devait appeler, plus tard, « sa doctrine » et, pour terminer, il répondait à des questions préalablement inscrites et déposées sur la table. Cette vie qui commença, comme nous l'avons vu, dans la médiocrité et la souffrance, aurait bien pu, étant donné des richesses exceptionnelles, prendre comme tant d'autres une tournure triomphante. Les connaissances et l'autorité qu'elles donnaient à Sédir, sa rapidité de compréhension en tous domaines, la beauté et la clarté de son style ne pouvaient-elles lui ouvrir une carrière littéraire ou philosophique très particulière ? Mais, devant chaque nouvelle bifurcation que le destin nous offre, devant chaque sollicitation plus ou moins-heureuse, le choix de celui qui, abandonnant délibérément les valeurs spéculatives pour se vouer au seul Maître de l'Eternité, est de toujours prendre à dessein la place, la situation ou la position la plus ingrate ou la moins représentative. Voilà ce que des critiques inconscients et demeurant à la recherche des Maîtres de la Terre ou des interzones appelleront une « mystique déliquescente » ! * * * En deçà de ce que nous pouvons percevoir des êtres, de leur rôle profond, considérant seulement les réfractions humaines qu'un divin déterminisme marque d'aspects différents – et ceux-là mêmes étant encore influencés d'atmosphères secondes, de courants ethniques – nous en arrivons à une morphologie complexe et presque indécelable. La marche secrète de l'évolution comporte également, et suivant les individus, des itinéraires variés, exhaussant les uns, réduisant les autres sans, cependant, qu'il soit possible d'en juger aucun. Certains, empruntant les sentes abruptes, s'auréolent aux yeux de ceux de la plaine d'un rayonnement particulier ; leur position plafonnante nous semble alors inaccessible. Prenant très rapidement l'altitude que son regard d'aigle lui permettait, Sédir fut, nous l'avons déjà vu, de ceux-là, mais l'originalité de son cas es, bien qu'il le fit en modifiant complètement son personnage ; insensiblement, en effet, son comportement, sa parole, son être tout entier changèrent aux regards de ceux qui le voyaient vivre. Cependant, la présence d'une personnalité assez trouble, c'est le moins que l'on puisse en dire, sera dans cette seconde période de sa vie et jusqu'à la fin une charge douloureuse qu'il dut porter, charge qui, quoique pouvant socialement lui être reprochée, a, au contraire, participé comme il se doit, en cette voie du sacrifice où il s'était engagé, à lui faire acquérir toutes les qualités du chef spirituel qu'il a été. Mais il fallait être très proche de ce drame pour en comprendre l'héroïsme. A l'encontre de ceux que l'on dit initiés, que l'on nomme des Maîtres et qui, pour un temps, s'octroient sur leurs disciples une autorité excessive, un prestige éphémère, lui, au contraire, demeurera toujours profondément humble devant son rôle et effacé pour nos amitiés ; il cherchera plutôt réduire ses moyens, ses pouvoirs incontestables pour se mettre au niveau de ceux qui acceptaient sa direction ou qu'il rencontrait. En réalité, ses goûts ne changèrent jamais. Désirant la solitude, une cahute de pâtre dans la montagne, il transformera volontairement ses habitudes. ses tendances, dans le dessein de toucher le plus de monde possible. Attiré par le peuple dont il savait apprécier les richesses généreuses, aimant les enfants et les bêtes, il prit pied, par contrainte et tout de suite après la mort de sa femme, dans un monde bourgeois, parfois snob. Rompant avec sa timidité et, quoi qu'il lui en coûta, sans se soucier du lendemain, puisque, n'ayant plus de charge, il quitta la Banque de France et avenir assuré, abandonna Montmartre et vint demeurer pour commencer rue de Beaune, puis rue Cardinet, enfin rue de Seine. Sa porte, à toute heure resta ouverte à ceux qui désiraient le voir ; son intérieur, en une recherche esthétique mais simple, se fit accueillant à tous. Lui qui, par tendance, aimait la vie de bohème jusque dans son débraillé, qui n'avait pris intérêt à sa toilette que parce que sa femme s'en était préoccupée, apprit tout d'un coup à mettre un faux-col (et on les portait fort hauts alors), à choisir ses cravates, à soigner ses mains. Sa chevelure rebelle fut partagée d'une raie au milieu du front et soigneusement peignée. Pour répondre aux invitations mondaines, il eut un habit de soirée et des manteaux raglans pour masquer sa jambe traînante. L'ensemble de sa silhouette, auparavant maigre et gauche, maladive même, se transforma grâce à un entraînement progressif de culture physique où il excellait ; celle-ci devint une discipline aux heures de fièvre et de fatigue, à tel point qu'il disait sans exagération qu'il pouvait « faire ce qu'il voulait de son corps ». Il étoffa rapidement une ossature puissante, qu'il tenait du tempérament rhénan de sa mère. Son cou, plutôt fort, lui donnait une carrure imposante et un maintien aisé. Quoique très scrupuleux dans l'utilisation du temps, il se mit à visiter les expositions de peinture et se tint au courant de ce qui paraissait en librairie ; s'encombrant d'un compagnon à quatre pattes, il le soigna paternellement, ce qui, malgré l'affection que lui portaient ces bêtes, n'en devint pas moins une complication constante dans sa vie. S'étant, en cela, attaché particulièrement aux chiens de Brie, il eut toute une dynastie de chiennes de différentes grandeurs et aux progénitures gênantes, dont plusieurs portèrent le nom de Guérotte. Faisant parti du Club des Briards, il écrivit un livre sur l'élevage de ces animaux extraordinaires d'intelligence et de dévouement ; quelques pages très émouvantes sur l'exemple que peut nous donner le chien se relèvent encore dans son oeuvre. Toutes ces transformations déconcertèrent, et beaucoup des amis de la première heure ne comprirent pas toujours ce changement d'attitude et s'en affectèrent ; quelques jeunes néophytes arrivant avec leur excès de zèle, leur intransigeance pour les principes naturistes ou végétariens ne goûtèrent pas tout de suite l'homme et s'étonnèrent de trouver un mystique soigné, presque élégant, alors que le renoncement aux valeurs de la terre était la base de son oeuvre. Et pourtant, au long des siècles, n'y a-t-il pas quelques figures déconcertantes, dans le genre du fameux comte de Cagliostro ? Marqués d'une puissance exceptionnelle, ces hommes intriguent l'histoire sans que les biographes puissent, en général, voir là autre chose que des aventuriers ou des imposteurs, tant il est difficile de déceler le rôle que certains serviteurs du Ciel viennent jouer en se faisant « les amis des richesses injustes ». Jésus, il y a deux mille ans, n'avait-Il pas scandalisé les docteurs de la loi, les pharisiens et ses proches mêmes ? Comme tout se tient, la transformation extérieure de Sédir ne fit, au fond, que réfracter celle beaucoup plus importante de sa vie intérieure et de son rayonnement. Alors que, dès le début de sa mission, il avait affecté un anonymat dans l'enseignement qu'il donnait aux différents points de vue de l'Esprit, subitement et quoique sans s'imposer, il affirmera une doctrine et, tout en continuant à parler et à répondre aux questions, il professera une voie personnelle et précise, Ce changement d'attitude lui imposant une action plus constante lui permettra, circulant davantage, de rencontrer, dans les domaines les plus divers, des personnalités aux rôles influents, aussi et surtout de toucher de nombreuses âmes douloureuses. Les cadres seuls changèrent, car les fidèles qui l'avaient entendu développer les théories de l'occultisme chez Chamuel, dans un café de la place de l'Odéon, au rez-de-chaussée de la rue de Savoie, chez le « Père Chocolat », rue de la Harpe (où l'on dégustait alors, après la causerie), dans l’arrière-cour de la rue du Bac, proche de la librairie Beaudelot, à l'école hermétique dans deux vieux immeubles de la rue Séguier, ses fidèles, confiants en sa parole, le suivirent en les développements nouveaux qu'il donnait de l'Evangile, cela dans l'atelier de la rue Cardinet, où les causeries devinrent régulières, pendant la guerre de 1914-1918 aux Sociétés Savantes et, enfin, avec un public augmentant toujours, dans la grande salle de la Société pour l'Encouragement de l'Industrie nationale, devant Saint Germain-des-Prés. Et aussi en certaines villes de province et de l'étranger, où des amis lui préparaient des auditoires. De même les « Universités populaires » (celle-ci ayant alors une certaine vogue faite de curiosités disparates) l'invitèrent, une première fois en 1913, dans une salle du Faubourg Saint-Antoine, puis, en 1925, devant un public moins démocratique, dans une salle du boulevard Raspail, où siégeait l' « Université Mercereau ». Ce fut, du reste, la dernière fois que Sédir prit la parole en public. * * * Humainement, l'ambition de Sédir – car il n'en manquait pas – ne pouvait être du domaine de l'intelligence ou de la connaissance, encore moins du pouvoir. Ayant éprouvé toute la faiblesse de ces valeurs et malgré le respect qu'il avait à les considérer, il ne voulait s'y attarder, moins encore les exploiter ; seul le service d'un haut idéal l'avait attiré dès son jeune âge et celui-ci s'était précisé en la révélation du Christ comme seul but de la vie ; il s'était donc engagé. Ce Maître du reste, qui l'avait choisi, comme Il le fait pour chacun de Ses serviteurs, de toute éternité, lui donna cette fois encore confiance et directives précises ; directives qui, nous le savons, furent ponctuellement exécutées : « Tu écriras, lui avait-il été dit, et tu parleras jusqu'au jour où il n'y aura plus personne. » Et Sédir écrivit, parla partout où il lui fut donné de le faire, comprenant, après maintes recherches, que les Evangiles, émanant directement du « Livre de vie », sont la réfraction la plus exacte du passage du Verbe sur la terre. Transposables à l'infini, ces quatre petits livres, en leur lettre même, ont besoin, à la taille de chaque époque, d'un transcripteur, puisque théologies et doctrines y laissent leurs dents. Parlant à d'autres personnes à peu près dans le même temps, cette bouche autorisée avait dit encore que « l'on allait récrire les Evangiles », ce qui confirme bien le rôle que Sédir devait jouer en notre XXe siècle. Auparavant ses ouvrages, ses articles étaient demeurés dans le champ clos de l'hermétisme, mais ils avaient été assez nombreux et de qualité assez riche pour lui permettre de se faire un nom, de prendre une place prépondérante dans le milieu des chercheurs et, quoique son éveil à la mystique chrétienne ait été considéré par beaucoup comme une «désertion », il continua à être lu et écouté. Comme toute oeuvre, la sienne se décanta lentement, s'épura. Dans les premiers ouvrages, qui parurent entre 1907 et 1911 chez Beaudelot , cela grâce aux générosités spontanées d'auditeurs souvent pauvres, on trouve encore, à côté de l'inspiration nouvelle, quelques restes d'une phraséologie occultisante, quelques vestiges de symbolisme et certaines concordances orientales. Cela disparaît dans la refonte des deux volumes qui devinrent « L'Enfance du Christ » qui sortit à la veille de la guerre de 1914 et, plus tard, dans « Le Sermon sur la Montagne ». A cet effet le texte intégral des quatre Evangiles fut transcrit en tête des chapitres : « Cela les fera lire », avait-il dit en songeant aux lecteurs trop nombreux qui ne connaissaient pas ou ne lisaient plus les récits évangéliques. Tout de suite après parurent en douze petites brochures « Les Forces mystiques et la Conduite de la Vie », conférences faites rue Séguier puis reprises et données dans un cercle de Nice. Là encore des donateurs rendirent possible l'édition. Enfin, la rue de Seine devenant par le logement que Sédir y occupait le point de nos rencontres et de nos réunions, sortirent à cette adresse « Les sept Jardins mystiques » qui sont en peu de pages une description étonnante des étapes menant aux paysages éternels, à l'égal de celles de sainte Thérèse, de saint Jean de la Croix et d'autres habitués des cimes. « Initiations » est l'ouvrage qui, étant peut-être le plus apprécié, n'en subit pas moins les plus notables transformations. Écrit presque d'un seul jet en un jardinet de Bourg-la-Reine, à l'orée de l'illumination de notre auteur, il parut chez Beaudelot en 1908, en un tout petit format. Mais trop brûlante est cette plaquette, trop bouleversant ce sujet pour en rester là ; étant le carrefour et le programme de toute une vie, il lui fallait un développement, il lui fallait surtout une transposition sur les différents plans de l'évolution, en fait sur les nombreuses classes où passent et repassent les écoliers que nous sommes... Sédir, reprenant son sujet favori, lui donna donc un champ plus vaste ; la petite nouvelle se mua en un livre très puissant où l'irisation de la pensée humaine en ses concepts sociaux ou métaphysiques, en ses formes religieuses même rendaient discrètement au Christ et à Sa doctrine la place qui lui est due. Ce deuxième aspect d' « Initiations » parut en 1917 avec, comme sous-titre, « histoire pour les petits enfants » – oh ! combien ! – et comme dédicace : « A mes amis, pour les remercier de leur élan vers l'unique Pasteur dont l'amour rassemble nos dispersions et nous ramène à la maison du Père. » L'ouvrage rapidement épuisé, le thème fut repris, augmenté, et sortit à la fin de la première guerre sous son troisième état, définitif cette fois. Deux chapitres principaux étaient venus s'y ajouter : des faits, des anecdotes relatifs à la constante présence du Maître. Pourtant, il faut le dire, Sédir n'était pas content de cette troisième version et, admiration mise à part, cela peut se concevoir facilement, étant donné, d'une part, le sujet à traiter, et ce désir inné qu'il avait toujours eu de la perfection. Par contre, il s'illusionnait en pensant que le cinéma aurait pu rendre davantage cette atmosphère miraculeuse et simple à la fois ; il est heureux que les tritureurs de scénarios ne se soient pas présentés ! En cette époque fiévreuse de machinations et de complexités sociales, la grande originalité de cette oeuvre a bien été de ranimer une image vivante du Christ. Sédir a du reste été le premier à rendre le Christ présent aux petits, à ceux qui souffrent, le premier à nous Le mettre dans la rue, et, depuis, sous des toits différents, d'autres écrivains ont suivi. Quant au domaine des réalisations, Sédir avait déjà groupé des hommes de bonne volonté qu'il entraînait vers l'action profonde ; mais tout de suite après le premier conflit européen pendant lequel il avait préparé la reprise, s'ouvre la deuxième étape. Le chef d'école, le directeur d'âmes venait, avec toutes ses responsabilités, s'ajouter au conférencier et à l’écrivain. Très enthousiastes et pleins des illusions qu'entraîne un légitime désir d'action, nous poussâmes alors Sédir à entreprendre le lancement d'une revue, ce qui devait être un moyen de diffusion d'une part et surtout un lien avec les sympathisants de province et de l'étranger. Ayant été, depuis les débuts de son entrée chez Chamuel, dans le bain des difficultés inhérentes à la vie d'une revue périodique, notre ami, ne voyant que l'instrument de travail qu'il pouvait nous laisser, accepta, mais en assuma, pour ne pas changer ! la charge, ce qui lui coûta un gros travail pris sur son sommeil. Le premier numéro parut en février 1919. L'abonnement pour l'année était de cinq francs – heureux temps ! – et le bulletin était mensuel. « Il faut bien que se rencontrent quelques amateurs d'impossible », disait la présentation de notre programme. La consécration vint ensuite. Et le 16 juillet 1920 paraissait dans le journal Officiel l'annonce d'une « association chrétienne libre et charitable » dénommée « Les Amitiés Spirituelles », dont la doctrine et le but : servir le Christ comme « le seul Maître », n'avaient du reste rien de nouveau ; rien en tout cas venu du cerveau d'un homme ou de l'un de ces concepts éphémères, comme le XIXe siècle en vit surgir sous différents noms connus de l'histoire religieuse. Ce n'était en réalité que la continuation de ces petites phalanges qui, depuis saint jean, saint Paul, pour ne mentionner que les plus anciens apôtres, essaient de garder l'intégrité de la mystique évangélique des premiers temps, et oeuvrent pour une Jérusalem, céleste encore lointaine, pour un Royaume qui au-delà du temps groupe les amis véritables. Son fondateur, refusant les illusoires succès, savait que la marche est longue et qu'il ne faut pas confondre quantité et qualité, surtout prendre la lettre pour l'esprit. Sédir était en pleine forme ; pourtant il allait nous quitter... Et nous, inconscients, nous lui demandions encore et toujours ! Aux aspects déjà présentés de la mystique venaient s'ajouter « Quelques Amis de Dieu », « L'Energie ascétique », « L'Evangile et le Problème du Savoir », « Aimons notre Prochain » et, comme nous insistions pour avoir une sorte de bréviaire laïque, il écrivit ce magnifique raccourci « Méditations pour chaque Semaine » ; puis « L’Education de la Volonté ». Enfin, publié après sa mort « Le Sacrifice » vint mettre le point final à son oeuvre . * * * Un de nos amis les plus ardents au service du Christ venait de mourir à Varsovie au début de janvier 1926. Sédir, parlant de ce départ, avait écrit : « je vous demande de vouloir bien vous remémorer sans cesse l'exemple de Bielecki, cet ascète de la science et de la charité. Quand le Ciel nous prive d'un guide visible, ne négligeons pas de faire notre examen de conscience et de nous demander si nous avons bien mis à profit toutes les ressources et toutes les instructions que ce guide nous offrait. » Nous ne pensions pas que ces paroles, quelques semaines plus tard, renfermeraient le même impératif devoir pour notre compagnie tout entière. Les intimes avaient bien remarqué quelques relâchements dans la rude discipline de l'athlète ; obligé de laisser, en des circonstances pénibles, son logement de la rue de Seine, Sédir demeurait depuis le retour des vacances chez un ami habitant un petit hôtel à Passy, rue Henri-Heine. Au deuxième étage lui avaient été réservés une chambre et un bureau où il continuait son rude labeur. Dans cette tête organisée le travail ne s'arrêtait jamais ; son émouvant Appel pour la France, déjà fort en danger, venait d'être lancé ; trois conférences étaient annoncées pour février avec, comme sujet, « le Sacrifice antique, le Sacrifice de Jésus-Christ, le Sacrifice du Disciple ». Ce programme, qui ne put avoir lieu, se concrétisa par son propre sacrifice. Une grande fatigue se marquait en tout son être, quelques paroles de lassitude, une diminution dans ses occupations, physiquement un rhume qui traînait avec des maux de tête tenaces l'obligeaient à se presser fréquemment une grosse verrue qu'il avait sur le nez et de laquelle sortait alors du sang noir, tout dénotait un état congestif et une dépression anormale. Mais nous avions tellement l'habitude de le voir toujours allant, toujours affectueux et soucieux de nos difficultés qu'égoïstement nous n'attachions pas à ces détails l'importance qu'il aurait fallu et qui ne vint se classer dans notre esprit que par la suite. En ces mois de l'hiver 1925, nous étions surtout contents de l'avoir plus souvent, puisque, chaque fois que ses voyages le laissaient à Paris, il venait régulièrement à nos réunions du vendredi. Le 15 janvier 1926, sortant du local de la rue de Seine, nous fîmes encore à pied avec lui le chemin jusqu'à la place du Théâtre-Français, où nous allâmes, tout en devisant, prendre des bocks. Comme disait le Poverello parlant des rencontres qu'il avait avec ses petits frères, Sédir « se laissait plumer » tout en ayant plaisir à caresser sa chienne ou à lui donner à manger. Ce soir-là, des frissons l'obligèrent à prendre un taxi et à rentrer plus tôt que de coutume. Une semaine après, notre réunion fut attristée par l'absence du patron. Mais, le lundi matin 25, un de nos amis des plus familiers, pénétrant dans la chambre de Sédir, ressentit que quelque chose d'insolite s'y était passé. Aucun objet n'avait été dérangé, mais une ambiance de drame y régnait. Le seul témoin de cette nuit, Guérotte, la chienne de Sédir, se jeta apeurée au-devant du visiteur, puis alla se coucher auprès du lit de son maître ; plus tard, on dut l'éloigner de la maison. Sédir souffrait de violentes douleurs dans la tête, avec une forte fièvre. Un médecin, aussitôt appelé, parla de septicémie généralisée. La porte du malade fut consignée, sauf pour trois amis qui régulièrement vinrent auprès de lui. Quoique parlant à peine, abattu par une très haute température, il manifesta au début son plaisir de nous voir. La nouvelle de la maladie de Sédir s'étant répandue, la consternation régnait et, chacun voulant participer aux soins, les lettres, les conseils affluaient. Cependant, à toutes ces offres affectueuses, son sens de l'obéissance et l'exemple qu'il avait toujours donné de suivre la voie normale des événements lui faisaient décliner tout ce qui n'avait pas été prescrit par le docteur. Il savait très bien et avait écrit maintes fois que la Providence décide et dirige toutes choses au travers des apparences les plus banales. Le train de vie de l'ami chez qui Sédir demeurait avait permis d'organiser tout de suite un roulement d'infirmières et, quand la typhoïde se déclara, car la deuxième prise de sang décela nettement la source du mal, le bureau attenant à la chambre se transforma rapidement en une salle de bains. D'une manière générale, dans tout le groupe des Amitiés Spirituelles, l'optimisme régnait ; malgré la tristesse et les ardentes prières qui étaient faites jusque sous ses fenêtres et aux quatre coins de la France, on acceptait, on comprenait l'épreuve, mais cependant pas l'idée de la mort. A cinquante-cinq ans, en pleine force, Sédir ne pouvait pas partir encore ; il ne le fallait pas ; on avait encore trop besoin de lui ! Hélas ! de jour en jour le mal faisait son oeuvre le vendredi suivant, il était visible que le malade s'affaiblissait ; le coeur commençait à donner de sérieuses inquiétudes à la Faculté. Au début, alors que, sans en connaître la cause, on combattait la fièvre, l'aspect de Sédir était saisissant de désordre et d'agitation. Les yeux particulièrement impressionnaient, car si, en temps ordinaire, sa myopie les tenait presque mi-clos, alors, dans le délire, sans voir et largement ouverts à des images hallucinantes, ses énormes et sombres prunelles roulaient sans cesse dans des orbites creuses et bistrées ; la barbe avait poussé, les lèvres sèches et entrouvertes sur un teint plus mat encore donnaient à cette face un air de supplicié. Succédant à cette fébrilité, l'agitation était extrême ; puis venait une période de prostration avec le retour d'une lucidité qu'il fallait ménager. Le dimanche, les bains, les antithermiques n'ayant pu réduire la marche de la température, le coeur lâchant devait être soutenu. Le Ciel semblait rester sourd à nos demandes ; toute espérance paraissait vaine. Le lundi et le mardi passèrent, mais les poumons se prenaient aussi, l'oppression allait grandissant ; le mercredi, la force de résistance était épuisée, l'heure allait sonner ! Le matin avait donné quelques inquiétudes et le téléphone marchait sans cesse ; les hôtes et deux amis épiloguaient dans le salon, quand, vers 4 heures de l'après-midi, l'infirmière nous engagea à monter ; la fin approchait. La chambre, au second étage, était plus silencieuse que jamais ; il planait là une impression de présence, celle de la grande Messagère venant accomplir sa tâche. A moitié tirés, les rideaux laissaient passer un jour gris ; le malade, couché au milieu de la chambre, surélevé par des oreillers, dominait encore la situation. Nos quatre ombres craintives d'émotion s'étaient glissées dans la pièce ; Sédir, nous devinant plus qu'il ne nous voyait, eut un geste du bras gauche, côté de la fenêtre, comme pour nous attirer à lui. L'amie qui le recevait vint en larmes s'écrouler au pied du lit, alors que la longue main diaphane s'était mise à lui caresser affectueusement la tête ; puis, l'attirant doucement, il l'embrassa sur le front et son mari, qui la soutenait, tendit également le sien. Pas un mot ne fut prononcé, l'agonisant ne le pouvant, non plus que la gorge serrée des assistants. Seule la grande main parlait dans le silence. En un nouveau geste, elle invita les deux autres amis à venir eux aussi recevoir le baiser de paix... le dernier. L'image du Christ, qui était accrochée dans l'alcôve vide, lui fut présentée et, dans un long regard adorant, celui de toute sa vie, s'arrêta l'ultime effort... La tête, qui s'était soulevée, retomba, le souffle se ralentissant dura encore pour s'arrêter définitivement ici-bas à 18 h 45. Ce soir-là, trois amis veillèrent celui dont ils avaient reçu tant de joies profondes. Le lit avait été remis dans l'alcôve. Rasé, la toilette faite, Sédir avait presque repris son aspect normal. Cependant que la mort avait comme buriné ses traits ; à la ligne très pure du front suivait celle d'un nez plus busqué qu'il n'était de son vivant. La bouche, pascalienne par son pli d'abandon presque douloureux, neutralisait un masque inattendu et fort, celui du corsaire dont une origine lointaine peut-être lui avait laissé quelques traces, reflet probable d'un des aspects du caractère rude et fier avec lequel il avait dû batailler toute son existence. Quant aux sentiments de ceux qui le veillaient, alors qu'en plus de la douleur le désarroi du chef parti pouvait les justifier auprès du grand corps silencieux, succédait au contraire en eux une impression paisible, presque heureuse ; l'angoisse des jours mornes de la maladie, la gêne de la présence invisible du Génie de la mort venant accomplir l'ordre à la lettre cachetée que nous portons tous en venant au monde, laissaient place à la certitude que tout cela n'était qu'apparences. Le cher guide que le Ciel avait mis sur notre route demeurait. Cette impression se répéta encore les trois nuits de veille où d'autres amis vinrent se relayer auprès des deux flammes vacillantes et du bouquet de violettes de Parme qui étaient à côté de lui. Souvenirs heureux, conversations animées ecourtèrent les nuits qu'une présence ailée surombrait. Suivit un enterrement et un service religieux à l'église N.-D. de la Miséricorde, tout cela trop fastueux au goût de beaucoup, mais qui était la manifestation d'une maison fortunée, qui voulait en Sédir voir bien plus qu'un membre de sa propre famille. Le petit cimetière Saint-Vincent, à quelques pas de la rue Girardon, se rouvrit pour lui et, proche de la tombe d'Alice Le Loup, de frêles planches de peuplier descendirent dans la terre ce qui restait de notre guide. On s'étonna tout d'abord de ne rien trouver dans ses papiers, aucune trace d'ordre ou de directives spéciales, aucun choix d'une tête de file pour le remplacer – qui aurait pu le remplacer du reste ? –, aucune lettre aux directeurs qu'il avait choisis. Rien que le simple effacement du serviteur qui, une fois son oeuvre accomplie, remet, comme son Maître l'avait fait sur la croix, tout entre les mains du Père. Mais, pour nous, son oeuvre n'était-elle pas là, toute chargée d'un programme « pour de nombreuses existences », nous avait-il dit lui-même ? Il n'y avait donc qu'à continuer, seuls maintenant, mais pourtant avec, par et pour le Christ. Max Camis |