VIII
Souvent je vous l'ai dit, nous ne savons pas remercier ; pis encore, nous ne pensons pas à remercier. Réparer cet oubli, c'est l'affaire de la volonté ; guérir cette ignorance, c'est l'affaire du sentiment. Je ne puis pas vouloir pour vous ; pour que vous vouliez, il faut que ce soit vous qui vouliez. Mais peut-être puis-je vous aider à éclaircir vos sentiments. L'homme est si naturellement ingrat que la reconnaissance ne lui sert qu'à couvrir d'un voile son incurable vanité. « Mon Dieu, je vous remercie de m'avoir exaucé », cela veut dire souvent : « Mon Dieu, j'ai été digne que vous m'accordiez une faveur... ce malade a été guéri en réponse à ma prière ; je sais que ce n'est ni moi, ni ma prière qui l'ont guéri ; mais je lui ai fait venir le médecin et je lui ai acheté le remède ». De là à se croire un être d'exception, que la distance est courte ! Or, le remerciement est le lieu spirituel de la gratitude ; c'est aussi l'état intérieur où aboutit l'effusion de la reconnaissance. Remercier, c'est dire deux fois merci, c'est crier grâce, dans l'extatique béatitude de l'Amour ; grâce pour tout ce que l'on sait avoir reçu, grâce pour tout ce que l'on ignore avoir reçu ; grâce pour tout ce qui en nous sait recevoir ; grâce pour tout ce qui en nous se redresse d'un misérable geste orgueilleux contre l'aumône divine. Le remerciement, c'est le cur épuisé, blessé, renversé dans la poussière, qui « se rend à merci » sous les flèches victorieuses de l'Amour, sous la grêle des bienfaits du Père. Mais, pour prononcer les paroles du véritable remerciement, faut-il encore que notre cur sente tout ce qu'il reçoit, même lorsqu'il lui semble ne rien recevoir ; faut-il enfin que notre cur sache qu'en plus du don sensible, palpable, visible, l'accompagnant par-dessus, par-dessous, par tous les côtés de la petite sphère de sa conscience, il reçoit toujours, partout, d'un flot surabondant et inépuisable. Voilà l'état où vous devez mettre d'abord vos âmes, vos esprits et même vos corps, avant de prononcer les paroles de l'action de grâces. Veuillez y prendre garde. Et voyez une fois de plus que la préparation à l'acte est plus difficile que l'acte, partant plus importante. *************************************************** |