AVANT- PROPOS

     La prière est un acte immense, sur l'urgence et la vertu duquel tous les maîtres de la vie intérieure ont attiré l'attention de leurs disciples. Sédir a agi de même avec ses amis. Dans ses livres, dans ses lettres, dans ses entretiens, il leur a parlé constamment de la prière.

     Nous pensons aider nos amis à mieux comprendre, à mieux pratiquer la prière en glanant pour eux dans l'œuvre de notre Ami les réflexions, les exhortations qui composent le présent volume. (Émile Besson)

***********************

I

LA PRIERE

Si vous demeurez en moi et si mes paroles demeurent
en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l'obtiendrez.
(JEAN, XV, 7)


     La prière est l'entreprise la plus difficile qui puisse être proposée à l'homme. Cependant tout prie autour de nous : la pierre qui mûrit dans les ténèbres de la mine ne cherche-t-elle pas le jour ? La plante ne perce-t-elle pas le mur pour trouver la lumière ? Les bêtes s'arrêtent devant le soleil une fois au moins par jour ; l'océan se soulève régulièrement à la rencontre des effluves séléniques qui le revivifient ; tous, ils demandent à la Nature l'entretien de leurs forces. L'athée prie, puisqu'il travaille ; le démon prie, puisqu'il convoite ; le caillou, puisqu'il s'efforce vers le cristal. Les peuples désirent le bonheur, les planètes aussi en S'inclinant sur leurs pôles ; notre intelligence elle-même n'est si vaste que parce qu'elle a beaucoup demandé. Est-ce à dire que chacun de ces êtres demande comme il faut ? Non ; la création tout entière est imparfaite ; mais elle a le sentiment de cette impuissance, et le pressentiment d'une stase plus haute.

     Tout acte est une demande ; et tout être agit nécessairement, puisqu'il vit. Un résultat ne s'obtient pas à cause de notre volonté, mais parce qu'en travaillant à sa réalisation, nos énergies, les plus physiques mêmes, désirent et espèrent le succès.

     Parmi les créatures, c'est l'homme qui refuse le plus souvent de reconnaître cette loi ; et c'est pourtant surtout à lui qu'elle s'applique. J'espère vous montrer combien une telle conduite est déraisonnable.

     Comprise dans sa dignité réelle, la prière est un désir du Ciel et une conversation avec Dieu. Elle est une grâce et la source des grâces ; elle est une graine dans les terres de l'éternité, une œuvre plus précieuse que tous les chefs-d'œuvre, plus grande que le monde, plus puissante, pourrait-on dire, que Dieu Lui-même. Ne vous étonnez point, nous quittons ici. Les royaumes policés de la raison, nous sommes dans les forêts luxuriantes de l'Amour. Faites taire l'intelligence ; ouvrez les fenêtres du cœur ; contemplez les champs infinis des collines éternelles. Que ne puis-je vous les rendre visibles !

     Deux mouvements se produisent dans la prière. Le désir s'humilie, s'exalte et se réfugie dans la miséricorde divine, qui est le Christ ; la grâce lui répond, s'efforce et se laisse dévorer par lui. Ces deux sont la forme mystique de la foi ; et plus le désir s'enfonce dans l'abîme d'humilité, plus il attire la grâce ; plus notre cœur se nourrit, plus le Verbe se développe au fond de nous.

     La prière est l'élan de notre personnalité vers l'Absolu. Elle s'abandonne au Père, elle se jette dans Ses bras, elle converse avec Lui, mais sans paroles ; elle n'use pas l'intellect ; c'est le cœur qui a enfin touché son complémentaire total, qui s'étonne, défaille, meurt et renaît, dans une béatitude infiniment croissante.

*

     Toutefois, sans l'aide expresse de Jésus nous ne pouvons rien. Lui, le Verbe, à la création donne à tous la force vitale ; Il la leur donne de nouveau, par la rédemption. Celle-ci est universelle à la fois, et individuelle. Il attend en silence à la porte de notre cœur et, au premier élan, Il nous ouvre Ses bras, ne laissant apercevoir de la clarté qu'Il rayonne que juste ce que nos yeux malades peuvent supporter.

     Jésus Se tient en silence à la porte de notre cœur.

     Il attend que la passion, le pouvoir, la science aient enfin révélé leur saveur réelle de cendres amères. Il est là, Ses nobles paupières baissées pour que la profondeur de Son regard n'effraie pas le veilleur ; Il retient des paroles qui bouleverseraient ; Il cache Ses mains miséricordieuses, parce que leur contact allumerait trop tôt dans les veines du pécheur l'incendie dévorant de l'Amour.

     Or, Jésus nous veut tout entiers, depuis ce corps construit par les anges, jusqu'au cœur ou Il édifie Lui-même le temple qu'Il Se destine. Et surtout c'est la libre offrande qu'Il souhaite. Il pourrait tout prendre ; mais, par un jeu de Sa tendresse, Il n'aime que ce que nous Lui offrons.

     C'est pour que naisse en nous spontanément le geste de cette offrande que Jésus dispose devant nous les désillusions, les heurts, les épines, car nous ne voulons pas L'écouter. La lassitude et l'effroi nous apprennent la prière. Comme se jette à la rivière l'homme poursuivi par l'incendie de la forêt, affolés par le remords, nous plongerons dans les ondes flamboyantes et fraîches de l'Amour.

     Goûtons avec plénitude la saveur de la prière. Elle est autre chose qu'une pratique facultative et particulière. Elle est un acte universel.
 
 

*

     Dieu seul, dans Son aspect de Verbe, possède tous les détails du plan cosmique. La destinée du microbe et celle de la nébuleuse Lui sont également présentes. Rien en nous qui ne vienne de Lui ; le désir même qui nous prend d'aller vers Lui, c'est Lui qui nous l'inspire ; notre libre arbitre n'agit qu'au moment de notre décision. Ainsi le pouvoir de prier est une récompense.

     Or, peu de personnes savent prier. La cause apparente de cette ignorance, C'est l'éducation, les soucis pratiques, l'influence du milieu ; la cause réelle est plus ancienne et plus profonde. L'homme ne peut rien accomplir si son esprit ne contient la faculté correspondante à cet acte et si son corps ne possède l'organe correspondant à cette faculté. D'autre part, les facultés psychiques ne sont pas des abstractions ; ce sont des organismes réels, objectifs, des membres et des viscères de l'esprit. Dans le physique aussi bien que dans l'hyperphysique, tout commence par un petit germe que le travail, la souffrance développe lentement. De même qu'un adolescent qui ne s'exerce pas à la marche a les jambes faibles, de même celui qui ne prie pas atrophie l'organe physico-psychique de la prière. Si nous ne pouvons pas prier, c'est parce que nous avons passé des années, des siècles peut-être avant d'atterrir ici-bas, sans penser à Dieu, sans l'inquiétude du Ciel. Commençons donc tout de suite à réparer cette stupéfiante négligence ; pas demain, pas ce soir, tout de suite ; savons-nous si la Mort ne nous guette pas derrière cette porte ? Donnons tous nos soins à cette entreprise ; ramenons-lui tous nos mouvements, que toute circonstance nous devienne un prétexte à la poursuivre et à la parfaire.

     Je n'ai ni le désir, ni le goût de prier ; je n'en ressens pas le besoin, direz-vous. Alors commencez à suivre le Christ par vos actes ; essayez le plus simple des efforts ; tout à l'heure, vous causerez avec vos amis ; arrêtez la première médisance qui vous montera aux lèvres ; arrêtez-la à tout prix. Bientôt vous sentirez le souffle du démon de la perversité qui vous chuchotera : « Dis-le donc, qu'un tel est ridicule, puisque c'est vrai ; quelle importance cela a-t-il ? ». Et, si vous voulez à toute force vaincre le tentateur, il vous faudra appeler à l'aide. Et ce cri sera peut-être votre première prière.

     Bien souvent notre cœur de Lumière se débat en nous, crie et se plaint. Mais notre conscience reste sourde. Elle n'a pas construit ses oreilles spirituelles ; elle a bien éduqué des cellules cérébrales propres à recueillir la voix de beaucoup de créatures, de génies, de sages ou de dieux ; elle a négligé de recueillir la voix de l'Ami. Vous entrevoyez sans doute ici pourquoi nos premiers pas vers le Ciel sont les déchirements du remords et du repentir ; il faut que la charrue déchire le sol avant les semailles.

     La prière est un acte ineffable. Parce qu'elle avoue n'être rien, elle peut tout ; elle transfigure l'horrible, comble les abîmes et abat les montagnes. Comme une rosée rafraîchissante, elle allège, lave et délivre. Elle est le feu, l'enclume et le marteau. Elle est inconnue et rien ne se manifeste sans elle ; ignorante, elle nous apprend tout ; si simple que les savants les plus remplis de science ne la comprennent pas ; elle balbutie, et des cohortes d'anges se penchent pour l'entendre ; misérable petite vibration, les mains prestigieuses des ardents séraphins la recueillent avec un tremblement ; souffle exténué, elle fait renaître la vie. Larmes incolores transmuées en gemmes chatoyantes, racine de la joie, sapience de la sagesse, douceur de la force, perfection de la parole, accomplissement de la promesse, médecine universelle, telle est la prière ; telle est son incarnation toujours vivante, le Christ Jésus.

     La prière est l'arme qui combat la justice de Dieu, la lime doublement trempée qui ronge partout où elle se trouve la rouille de l'iniquité. Par elle la parole de l'homme, le signe magnifique de sa grandeur, remonte vers son principe, s'élance vers Dieu et atteint les sources de la Vie. Le verbe humain récupère sa force originelle, devient un acte, attire l'Acte divin et s'incorpore à ce Verbe, son créateur. La prière véritable est fille de l'Amour ; elle est le sel de la science vivante et la fait germer dans notre cœur, son terrain naturel. Impétueuse, ardente, persévérante, elle ne doit pas plus connaître l'interruption que l'éternité ne connaît la changeante durée ; le Ciel aime qu'on Le conquière « par la violence » et qu'on s'attache à Lui comme les racines de l'arbre s'attachent au sol nourricier.

     Les livres ne peuvent pas nous apprendre à prier, pas plus que les joies, et je ne sais pas s'il existe sur la terre une douzaine d'hommes qui sachent prier. Il y existe des thaumaturges, certes, et des saints ; on les voit prier, et leurs demandes obtiennent des réponses ; mais ces êtres étonnants sont, pour la plupart, comme des sentinelles passant un mot d'ordre, sans toujours le comprendre ; ils exécutent une consigne ; mais la prière, cet acte formidable, cette effroyable témérité, cet échange incompréhensible et obscur, a lieu au delà. Or, si ces hommes vénérables ne savent pas, nous, la tourbe, comment saurions-nous ? Et, pourtant, notre ignorance, notre bassesse, notre nullité, il faut qu'elles prient. Il le faut.
 
 

*

     Certaines personnes ne prient jamais, ou parce qu'elles n'y pensent pas, ou parce qu'elles ne croient pas, ou parce qu'elles n'admettent pas la prière. C'est une affaire d'éducation, ou de culture, ou de souplesse à réagir sous les heurts du Destin. Chez ces personnes, l'organe immatériel de la prière n'est pas encore développé, et leur être conscient ignore le recours aux Puissances invisibles. Lorsque l'appétit de l'esprit immortel se porte vers le divin, et cela arrive toujours à un moment donné de son évolution, naissent alors les pieux désirs ; or, tout désir se construit à lui-même son organe d'action et sa forme d'expression. C'est en vertu de ce fait que les artistes sacrés donnent un contour particulier aux têtes des saints personnages qu'ils représentent.

     Plus on diffère un effort, plus il devient difficile ; moins on prie, moins on peut prier. Il serait donc sage de commencer tout de suite, en dépit du peu de goût, de l'ennui, de l'insuccès ; les moindres circonstances doivent servir de prétextes à demander l'aide du Ciel. Jamais nous ne sommes importuns à Dieu, jamais nous ne ferons trop bien ce que le devoir nous commande.

     Pourquoi prier, songez-vous peut-être, puisque la Cause première agit avec justice, avec bonté, avec perfection ? La prière serait alors une puérilité, elle dénoterait l'aveuglement de notre cœur, ou un égoïsme tenace. Ce serait l'enfant têtu qui pleurniche après son jouet, l'orgueil qui s'estime assez important pour que l'univers se dérange à son gré, ou l'être qui ne conçoit pas que son désir puisse ne pas être satisfait !

     Que non pas. Si la perfection et l'idéal n'existaient pas, la Providence aurait-elle eu le cruel courage d'en semer les sentiments dans nos profondeurs ? Le chemin de l'homme est semblable à celui de tous les autres êtres ; qu'il suive en toute simplicité le sens spontané de la vie, palpitante en lui-même, et il ne sera pas possible qu'il erre.

     Si un orang-outang est sept fois plus fort qu'un homme, pourquoi n'y aurait-il pas des invisibles plus forts que les forces intérieures que l'on englobe sous le terme de volonté ? Quand un de ces colosses vous a pris par la nuque et vous secoue, comme vous faites d'un lapin, qu'est-ce qui vous reste, sinon de crier au secours ? C'est cela, la prière. Si, dans la forêt, vous êtes attaqués, et que vous vous soyez fait aimer de vos serviteurs, ils vous défendront. Par suite, il faut se faire aimer des serviteurs du Ciel, c'est-à-dire faire la volonté du Père ; c'est ainsi que notre prière sera exaucée.

     La prière est nécessaire. Non pas la prière opportuniste, ni la prière économique, en tranches toutes prêtes, ni la prière pusillanime, ni la prière égoïste. Ce qu'il faut, c'est une prière perpétuelle, qui embrasse les plus petits détails et les plus vastes objets ; une prière de tendresse débordante, et quand même impassible ; une prière nue, droite, sûre de Jésus, mais anéantie ; voilà ce qu'il faut. D'un cœur incandescent retombe la pluie fraîche du bon Dieu sur le sol desséché par l'enfer. Assurément Dieu connaît nos besoins avant que nous ne les Lui exposions ; toutefois, parce qu'Il nous aime, Il aime nous voir recourir à Lui.

     Devant notre Roi rien n'est puéril, rien n'est irrémédiable. Devant nous, donc, que tout apparaisse comme une semence d'éternité. Pour celui qui, à cette heure, assume l'office de la prière, ni veille, ni sommeil, ni repos, ni lecture, ni délassement, mais de la prière et de la peine. Qu'il force son moi jusqu'à le briser. Que son corps se soumette ou qu'il tombe. Et, si le corps tombe, l'esprit continuera, de l'autre côté, le travail...

     Tout désir est un appétit, une faim. Quand c'est Dieu que l'on désire, cela se nomme prière ; en réalité, tout désir, tout effort même est une prière. Or, pour avoir faim, il faut que nos forces soient épuisées.

     Le travail, quel qu'il soit, est donc le préparateur de la prière ; il est même, avec le bon exemple, la seule prière réelle et fructueuse pour l'immense majorité des hommes. Car, ne vous y trompez pas, ceux qu'on appelle les contemplatifs ne sont pas des exemples à suivre ; ils constituent des exceptions. Le Christ ne parle nulle part de quiétude, d'extase, de mariage spirituel ; tout cela, ce sont des enjolivements humains, dirais-je, si je ne craignais de vous scandaliser. Le devoir de l'homme est d'abord de vivre, d'agir, d'œuvrer ; s'il lui reste du temps, il peut se livrer à telle étude, à tel art qu'il lui plaît ; il en a la liberté ; il peut aussi continuer son devoir et le dépasser ; ce sera là le vrai mysticisme.
 
 

*

     La prière est le plus surhumain des efforts. À la porte de ce temple qui est notre cœur se pressent des êtres qui attendent avec angoisse que nous leur ouvrions les portes du sanctuaire où ils pourront prier ; il en est qui meurent de ce désir. Beaucoup ne perçoivent Dieu qu'à travers notre cœur, et ils se scandalisent et se découragent si notre prière est mal faite. Nous sommes responsables de ces souffrances que nous ne soupçonnons pas cependant ; nous en sommes encore plus responsables dès ce moment. Et quand nous nous rendons inconsciemment aux vœux de ces êtres, notre voix est pour eux une harmonie, une lumière et une rosée.

     Dans l'univers spirituel, tout est en cohésion intime, tout s'interpénètre et communique. Un effort moral facilite la bienfaisance et la prière ; un acte de bienfaisance nous aide à nous vaincre et à prier.

     La fatigue du bon ouvrier, les veilles du savant, les agonies de l'artiste sont des prières, des prières plus vivantes, plus saintes, plus belles et plus précieuses que des Pater dits machinalement.

     Imiter Jésus en semant le bien, subir le mal, donner à autrui son temps, ses forces, son intelligence, son amour ; subir le mal du passé et le mal qui s'approchera certainement de nous à cause de nos bonnes actions, est une autre sorte de prière, la prière de l'exemple.

     Quand on exerce la charité, du discernement est utile ; mais non pas quand on prie. Priez donc pour ceux qui le demandent, pour ceux qui ne savent pas que la prière existe, pour ceux qui ne veulent pas de la prière. Arrachez d'abord de votre prière tout ce qu'elle peut contenir de compassion personnaliste ; ayez de la pitié, mais de la pitié pour l'affligé, et non de la pitié pour ce en quoi sa douleur vous atteint personnellement. Dites-vous, quand la pitié reste muette en vous, dites-vous que tous les hommes sont fragiles et misérables, mais que vous, vous êtes le plus fragile et le plus misérable. Entrez-vous cela dans le cœur ; cherchez des motifs convaincants, employez à cette persuasion de vous-mêmes des heures s'il le faut ; car, sans cette compassion, votre prière ne quitterait pas le sol.
Et priez en tremblant ; car c'est une terrible chose que de se faire obéir de Dieu. Tremblez pour les faveurs obtenues ; taisez-vous sur les grâces descendues. Le cœur pur peut commander, et tout être lui obéit ; mais, si vous vous croyez purs, n'est-ce pas la preuve que vous ne l'êtes point ? Souvenez-vous qu'un thaumaturge qui opère au nom de Dieu égale zéro ; mais qu'un thaumaturge qui opère en son propre nom, même s'il désire le bien, ne peut atteindre que les quantités illusoires des grandeurs négatives.

     L'enfant de Dieu prie aussi pour ceux qui le persécutent. Il prie de trois façons. La plus facile, c'est de dire : « Père, je vous demande de pardonner à mes ennemis ». La seconde est : « Père, je vous remercie de m'avoir envoyé cette humiliation et je vous demande de ne pas punir mes ennemis ». La troisième prière est : « Père, je vous prie pour mes ennemis, qui sont mes bienfaiteurs, parce qu'ils me disent mieux que mes amis ce que je suis ; c'est pour cela que je vous demande de les bénir ».
 
 

*

     La souffrance enseigne la prière.
Qu'on apprenne d'abord à ne pas se plaindre. Gémir, c'est faiblir ; ne pas s'impatienter, ne pas s'affoler, ne pas quémander des consolations, ne pas raconter longuement ses peines. Si vous voulez grandir, si vous voulez que le fort remède opère, ne cherchez de secours chez aucune créature ; ne vous réfugiez qu'auprès du Médecin surnaturel ; s'Il tente de vous guérir, c'est parce qu'Il vous aime. Personne dans le monde ne vous aime comme Lui ; c'est en pleurant qu'Il vous regarde souffrir.

     Quand la douleur devient insupportable, enfermez-vous et, dans la solitude, pleurez, gémissez, priez, des heures, des jours s'il le faut ; mais ne paraissez devant les hommes, vos frères, qu'avec un visage calme. Un tel effort vous semble impossible ? Non, beaucoup l'ont soutenu déjà. Il vous semble inutile ? Non, aucun effort n'est inutile ; et celui-là, entre tous, parce qu'il s'ajuste parfaitement à la dignité de votre âme, au prix de vos larmes.

     En vérité, nos larmes n'appartiennent qu'à Dieu. Elles appartiennent au Père, parce qu'elles sont vivantes ; elles appartiennent au Verbe, parce qu'elles nous sauvent ; elles appartiennent à l'Esprit, parce qu'elles évoquent la paix ; elles appartiennent à la Vierge, parce qu'elles sont des sources d'humilité.

     Les larmes sont précieuses ; prenons garde d'en tarir la source divine en les versant pour des motifs indignes. Elles ne doivent se répandre que dans la crypte la plus secrète du cœur et dans la nuit du vouloir, parce que des étoiles en jaillissent et qu'elles versent l'espérance à des désespoirs insoupçonnés.

     La plus haute souffrance est la compassion, qui est la communion avec la souffrance d'autrui. Mais que nous sommes loin de la connaître ! On ne se plonge pas assez dans la souffrance humaine, on ne va pas assez aux malades, aux pauvres, aux torturés. Pas assez de foi ni de simplicité. Pas assez d'amour. On écoute de trop loin le gémissement de l'incurable ou le sanglot du désespéré. Il faut s'asseoir près de leur lit, leur prêter longuement l'oreille, pleurer avec eux et s'apercevoir qu'on n'a rien à leur dire ; il vous faut entendre les petits se plaindre : « Maman, j'ai faim » et voir votre porte-monnaie vide et subir le regard farouche de ces misérables auxquels vous êtes venus comme des sauveurs.

     Quand vous vous serez meurtris aux murs de ces géhennes, alors vous apprendrez la prière, alors votre cœur rebondira jusqu'à émouvoir les cieux et en fera descendre la réponse miraculeuse.

     Mettez-vous dans la nécessité d'avoir besoin de Dieu ; demandez-Lui du travail, demandez-Lui des épreuves ; fatiguez-vous à porter les charges d'autrui si les vôtres sont légères. Vous serez fourbus, exténués, vous tomberez dans la boue peut-être ; il n'importe : tout vaut mieux que de croupir dans la tiédeur. Ce n'est que lorsque ses jambes refusent de le porter que l'homme tombe à genoux ; l'épuisement seul fait nos bras se mettre en croix pour des implorations qui vainquent la justice.

     Alors nos prières nues et pauvres, mais vibrantes et immatérielles, atteindront leur objet et deviendront des réalités terrestres. Il est indispensable que nous devenions les semeurs des grâces divines.
 
 

*

     La prière et l'action sont également importantes ; mais il les faut accomplir toutes deux sans rigidité, avec aisance, avec joie. Par exemple, se priver d'un bon cigare pour plaire au Christ est mieux que s'en priver pour acquérir la vertu de tempérance ; faire l'aumône par devoir raisonné est moins bien que par compassion spontanée. Les vertus doivent jaillir de source. Tout effort du disciple sera de garder en Dieu son cœur, sa volonté, sa conscience pour chacun de ses actes, de ses sentiments, de ses pensées.

     Ne faites pas comme les sages. Sur la grève de l'Océan infini ils tâtent prudemment du pied. Jetez-vous à la mer ; ce sera le cri d'aide le plus perçant. Les faibles selon l'Esprit se raidissent pour évoquer leur force. Vous autres, vous êtes assez forts pour sonder votre faiblesse. Alternez l'action avec la prière. Quand vous agoniserez à force d'avoir agi, jetez-vous dans une autre agonie : celle de la prière.
 
 

*

     Ce sont les réactions qui sont le plus dur du travail de prier. Un soldat du Christ demande, par exemple, qu'un concussionnaire soit arrêté ; aussitôt, les génies de tous les rouages administratifs où atteint cette concussion, les esprits des complices, ceux de l'ennemi, de toutes ses formations correspondantes, de ses sciences, de ses usines, de ses centres intellectuels, tous les faux anges de la religion, tous les serviteurs de la Bête en un mot, tout cela réagit et essaie d'accabler le serviteur du Ciel. L'Armée de la Matière contre l'Armée de l'Esprit. Que le soldat du Christ, voyant tous ses efforts provisoirement vains, se décourage, que son calme s'altère, qu'il s'irrite, ou qu'il critique ; voilà, tout est à recommencer.

     Puisque notre travail spécial est justement la conduite de la vie intérieure la plus claire, permettez-moi de prendre un exemple qui vous soit familier : les illusions de la prière.

     On se trompe lorsque l'on croit notre prière nulle quand une certaine douceur ne l'accompagne pas. Au contraire, la prière aride et pénible va plus loin. Ne confondez pas l'ardeur de l'imagination, la sensitivité psychique avec cette offrande totale de notre moi, qui constitue seule la prière. Toute joie spirituelle est un don gratuit, immérité, auquel nous n'avons pas droit ; l'amour est au-delà de tout ceci ; l'amour vit de privations.

     Ainsi, quand l'ardeur sacrée de la prière vous ravit à ce monde, souvenez-vous que les éblouissements, les transports et les tonnerres, ce n'est pas le Ciel. Le Ciel, c'est un frémissement, une haleine, une touche imperceptible au fond de votre cœur. Et vous voilà émus, baignés dans une fraîcheur surnaturelle, remplis de certitude, débordants de bonté, prêts à tout subir et à tout entreprendre. Tel est le mode de la vie éternelle.
 

*****************************************************