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OÙ, COMMENT, QUAND PRIER

     Quelles conditions la prière vraie doit-elle remplir ?

     Elle est l'élan du surnaturel en nous vers le surnaturel hors de nous ; du surnaturel, permettez-moi de souligner ce mot, de ce qui est au-dessus de la Nature, du Créé, du Temps, de l'Espace, des conditions, au-delà des rites, dans cette atmosphère lumineuse où passent seuls les grands souffles libres de l'Esprit et les formes resplendissantes des anges de la Vérité.

     On ne peut prier qu'au moyen des facultés dont on possède la conscience. Beaucoup donc prieront avec leurs nerfs, leur intellect, leurs cupidités passionnées, avec l'esprit de leur chair et de leurs os. Pour ceux-là les observances liturgiques sont excellentes, indispensables même ; et, en somme, lequel d'entre nous peut affirmer que sa prière est pure de toute vapeur de la chair et du sang ? Mais c'est la perfection qu'il faut vouloir ; c'est pourquoi je parle comme si nous étions capables d'un surhumain effort.

      Où peut-on prier ? Partout où il est possible de se recueillir. Selon le conseil du Christ, s'enfermer dans sa chambre, au matériel et au spirituel. Au matériel, parce qu'ainsi Dieu seul et Ses anges nous voient ; c'est une grande force que le bien accompli en secret ; il est pur. Nos amis, les membres de notre famille même, qui nous voient nous retirer dans notre chambre, peuvent croire que nous allons nous livrer au repos ; nous éviterons ainsi, par cette discrétion, la récompense fallacieuse de leur estime. Au sens spirituel, « s'enfermer dans sa chambre », c'est rentrer en soi, fermer les portes des sens et de la mémoire qui mettent le mental en communication avec le monde externe. Si vous voulez que votre chambre soit pure, faites-en le temple du vrai culte, je veux dire exercez le bien ; ne vous mettez pas en colère, n'y prononcez pas de paroles inutiles ou malignes.
 

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     Dans les églises on profite de l'orientation du milieu fluidique, de l'entraînement collectif, des artifices sensibles, comme la pénombre, la lumière féeriques vitraux, l'élan que nous versent les musiques, l'atmosphère souvent séculaire que les générations précédentes ont peuplée de soupirs et d'actions de grâces. Tout cela, c'est une grande force ; il n'est pas défendu d'en profiter.

     Si vous priez mieux à l'église, allez à l'église. Si la nature vous aide, priez dans le calme et la beauté de la campagne. Si votre refus d'aller à l'église scandalise quelqu'un, sacrifiez vos aises et faites comme tout le monde. Mais si cependant vous voulez avancer plus vite, choisissez pour parler à Dieu l'endroit qui vous oblige au maximum d'attention.

     Attacher de l'importance à une formule de prière, c'est une erreur ; le Père entend toutes les langues. Attacher une importance au lieu, à l'heure, à l'attitude, aux gestes de nos prières, c'est une erreur. Si l'humilité me prosterne sur le soi, c'est bien ; mais si je m'agenouille en pestant contre la dureté du dallage, mon agenouillement ne sert de rien. Sans doute, en certains lieux dynamisés par des foules, à certaines heures où passent des ondes favorables, la prière semble S'élever facilement ; mais ceci est une impression externe. Le Ciel est partout, indépendant des heures et des lieux, des formules et des rites. Ces choses-ci aident, sans doute ; mais prenons garde qu'elles ne finissent par nous cacher les réalités spirituelles. La prière est uniquement un entretien du cœur avec les Personnes divines ; et, pour nous faire entendre d'elles, il nous faut uniquement une conduite conforme à leur Loi. Rien d'autre.
 

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     Quand faut-il prier ? Je répondrai avec toute l'assemblée des mystiques : Toujours. À l'homme croyant tout est un motif de prière, c'est-à-dire de remerciement et de demande. Dès que vos yeux s'ouvrent, remerciez Dieu du repos qu'Il vous a ménagé ; si la nuit a été mauvaise, remerciez-Le encore plus pour avoir eu l'occasion d'une souffrance, C'est-à-dire d'une purification, et d'un repentir.

     Priez quand vos devoirs vous en laissent le loisir, car la plus vivante des prières est d'abord le bon exemple. Mais utilisez tous vos moments. Une seconde - je dis bien : une seconde - d'élan ou de recours vers le Ciel agit et sur notre univers invisible et sur l'organe physico-spirituel de la prière. Cet organe ne se construit pas d'un seul coup, mais cellule à cellule ; la physiologie de l'esprit ressemble à celle du corps ; dix mouvements faciles développent le muscle plus qu'un gros effort disproportionné.

     Nous devons prier le matin avant d'aborder le travail du jour ; dans la journée, chaque fois que l'occasion s'en présente.

     Soyons à l'affût de ces occasions. N'oublions pas que l'on peut prier pour tout : pour répondre à une lettre, pour faire une visite, pour conclure une affaire, pour une opération de finance, pour un pansement, pour pallier une maladresse, pour conduire une machine, pour un travail de laboratoire, pour une recherche de documents, pour obtenir à autrui la compréhension ou l'énergie, pour s'obtenir à soi-même la faculté dont on a besoin à la minute présente, etc... D'ailleurs, dès qu'on possède un peu de maîtrise de soi-même, quelques secondes suffisent pour appeler Jésus.

     Si fatigué que l'on soit le soir, après la journée de travail, il faudrait tout de même, avant de s'endormir, un rappel de deux ou trois minutes, fait du fond du cœur, dans cet état ténu de liaison avec Dieu que les mystiques appellent la pointe de l'esprit. Ces prières-là sont souvent exaucées.

     On préfère prier avec ferveur, avec enthousiasme, avec joie, c'est compréhensible, mais cela n'est pas indispensable. La pauvre petite demande, toute sèche, toute aride, toute nue, toute faible, l'Ami la recueille peut-être avec plus de dilection. D'ailleurs, c'est la qualité de la conduite pendant le jour qui fait surtout la qualité de la prière du soir.
 

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     Toutes les prières que vous aurez prononcées dans le silence nocturne et la solitude de votre chambre close, les objets autour de vous les auront entendues et s'en seront nourris. Il y a partout des yeux et des oreilles qui nous observent et nous écoutent. Les arbres, les fleurs au milieu desquels vous passez en priant, le pavé où vous marchez, la colline et le ruisseau que vous regardez, le chien qui suit, le passant que vous croisez, tous en reçoivent quelque chose. Vos ancêtres, dont les mânes se reposent au foyer, vos enfants futurs, dont les esprits descendent sur la chambre où ils vont naître, tous les témoins invisibles de votre existence, ceux qui vous vénèrent, les géants qui vous tourmentent parfois, les bons qui vous aident, les mauvais qui vous égarent, tous bénéficient de votre prière.

     Plus encore, cette prière elle-même, jaillissant du centre de la vie en nous, dirigée vers le Maître de la Vie, cette prière est un être vivant. Cette chambre, cette dalle, ce roc où quelqu'un prie aujourd'hui, conservent cette clarté dans leur mémoire, et leur mémoire est plus fidèle que la nôtre. Dans dix ans, dans dix siècles même, les hommes qui passeront par ce lieu pourront ressentir inopinément quelque émotion inexplicable et salutaire.

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