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Les lois du sang

 

L'homme en pleine santé ne perd son sang par aucune voie ; il en est de même de la femme, exception faite de ses hémorragies mensuelles. Celle absence de toute hémorragie, chez l'homme bien portant, est attestée par l'observation universelle. Qui a jamais vu, par exemple, un homme vu pleine santé perdre du sang par la peau, à moins d'être blessé !

 

Non seulement l'homme physiologique ne perd pas de sang, mais il lui est impossible d'en perdre : ce qu'ont prouvé les belles expériences du professeur Bouchard sur les animaux. Il a lié les veines jugulaires du lapin, de manière à accumuler tout le sang dans la tête. Les oreilles de l'animal se sont congestionnées ; elles ont même rougi, mais il n'y a pas eu la moindre exsudation sanguine à la peau. Il a lié aussi l'aorte abdominale pour projeter tout le sang dans la région céphalique, et le sang n'est pas encore sorti. Bien plus, il a injecté un autre sang dans le torrent circulatoire pour augmenter sa pression sur les parois vasculaires, et ces parois ne se sont jamais rompues pour laisser échapper le liquide.

D'autre part, on a pu calculer mathématiquement la tension du sang, c'est-à-dire la force dépensée par le cœur pour pousser le sang dans les vaisseaux : elle a été évaluée à 19 centimètres au maximum. Or, le professeur Bouchard a démontré qu'il fallait une tension de 78 centimètres pour que les parois des capillaires de la peau se rompissent, donnant passage au sang. Au fond, l'éminent professeur n'a fait que confirmer expérimentalement une vérité universellement reconnue, comme quoi l'homme physiologique ne perd jamais de sang.

 

Et du coup, on est forcé de conclure que les stigmatisations divine et diabolique sont naturellement impossibles et constituent deux faits extranaturels. Seule est possible la stigmatisation humaine qui se fait à coups d'épingle, de canif ou autres instruments, mais ce n'est là qu'une fausse stigmatisation.

Par là même, l'imagination prétendue stigmatogène est déclarée impossible. Elle ne peut agir sur la masse sanguine que par le cœur : or, comme celui-ci est impuissant dans l'état normal à faire sortir le sang par la peau, l'imagination est condamnée à la même impuissance, puisque l'instrument lui fait défaut. Donc, la thèse de l'imagination stigmatogène est ruinée en principe.

 

Seul, l'homme malade ou blessé peut perdre du sang. En dehors du traumatisme, les hémorragies ont des lois et coutumes qu'il est urgent de connaître pour la discussion.

Au fond, la maladie est le grand facteur des hémorragies. Son pouvoir est énorme : hémorragies de la peau, hémorragies intestinales ; hémorragies à l'intérieur des tissus ; ces dernières, dites interstitielles, sont, de toutes, les plus fréquentes, constituant à elles seules presque toute l'anatomie pathologique. Autant sont fréquentes les hémorragies internes, autant sont rares les hémorragies spontanées par la peau. Je dis spontanées, par opposition aux hémorragies traumatiques qui, naturellement, sont d'une fréquence extrême. Pourtant, ces hémorragies cutanées devraient être les plus fréquentes, puisque la peau est le siège habituel d'une foule d'affections aiguës ou chroniques, où le sang apparaît visiblement à la surface en force et abondance, tout prêt à sortir et ne sortant jamais.

Les hémorragies de la peau sont si rares que la plupart des médecins passent leur vie entière sans en voir un seul cas. C'est que, dans le monde pathologique, il n'y a que deux ou trois maladies où on les voit se produire ; l'hémophilie, l'hématidrose et la déviation des menstrues, trois espèces morbides excessivement rares ; il est même des médecins qui mettent en doute les hémorragies supplémentaires chez la femme. Dans l'hémophilie, les hémorragies cutanées sont elles-mêmes très rares, dans la proportion d'un vingt-cinquième seulement, tandis qu'elles sont bien plus fréquentes par les autres voies. Nous sommes donc ici en présence de raretés pathologiques, que les médecins ne connaissent guère que de nom, et qui n'ont été observées que par quelques privilégiés. C'est ce qui explique comment saint Hilaire a pu dire que, la sueur de sang était contre nature, – Contra naturam est sudare sanguinem – comment Scaliger niait les sueurs de sang, parce qu'il n'en avait jamais vu.

Et comme l'imagination ne peut pas être mise en cause dans les trois maladies précitées, il s'ensuit que la création des stigmates par imagination est aussi impossible en pathologie qu'en physiologie. Conclusion : il n'y a pas d'imagination stigmatogène.