n ° 47 - Juillet 1961

D'une idole et de ses prêtres 
(La science)


    Idolâtrie et fétichisme sont des instincts profondément enracinés dans le coeur humain ; leurs objets seuls varient avec les siècles et les civilisations. Le sentiment religieux, le sens du divin, lorsqu'ils sont détournés de leur fin suprême, prennent de catastrophiques revanches, témoins ces fausses divinités qui ont pris la place du vrai Dieu dans la cervelle de tant de « libres penseurs » : Evolution, Progrès, Technique, Egalité, Liberté et le reste !.  Pour la masse, moins intellectualisée, le culte quasi hystérique de la star, du champion sportif ou du chansonnier à la mode a remplacé - je n'ose dire « avantageusement » - celui de Jupiter ou d'Aphrodite. Sur le plan collectif, l'homme ne pouvant guère se dispenser d'aimer et de haïr, une large partie de la planète a reporté sur le Moloch « Etat » les forces vives d'adoration ou d'exécration qu'elle n'appliquait plus à leurs objectifs spirituels et le fanatisme a seulement changé de point d'application, malgré les prêchi-prêcha prônant l'union des peuples et la tolérance mutuelle. Il est, je pense, d'observation courantes que les idéologies sociales et politiques, ainsi que leurs figures de proue, comptent leurs fidèles par millions.

    Et voici qu'une autre idole, aux prêtres toujours plus nombreux, entend déjà, sinon supplanter, du moins se subordonner les autres. Je veux parler de la Science !
 
  Justement, dans une revue de vulgarisation scientifique à large audience, passait, voici quelques mois, un Editorial caractéristique. Sous ce titre-programme, « La Science au Pouvoir », l'auteur disait notamment : « La science tend de plus en plus à devenir le facteur décisif dans tous les domaines de la vie collective »...«Pour la première fois, les pays parlent de « mobiliser les cerveaux » - les cerveaux scientifiques. L'alliance des nations veut se solidifier autour d'un « pool de savants »... La science est devenu la grande force culturelle et civilisatrice de notre siècle. Elle est la trame sur laquelle l'Histoire va se tisser »...«Dans le monde qui se prépare, quiconque n'aura pas une profonde culture scientifique sera incapable de tirer la morale des situations nouvelles. La science forme l'homme et elle formera la conscience des chefs ».
 
  Nous voici prévenus ! Savants « in abstracto » et - surtout - techniciens (encore une nouvelle « Internationale ») ont résolu de faire le bonheur de l'humanité. Celle-ci commence à faire et fera de plus en plus les frais de cette nouvelle expérience, - de plus en plus fera figure de cobaye, étant entendu que son sort est ce qui importe le moins à l'esprit « faustien » de nos intrépides expérimentateurs.

    Entendons-nous. La « Science » est une abstraction, tandis que le « Pouvoir » est une réalité concrète. On ne peut pas davantage la porter au pouvoir qu'on y peut porter la Vertu, l'Art ou les rhumatismes ! La formule « Science au Pouvoir » signifie plus précisément la dictature des Techniciens, au cri, déjà poussé par maints devanciers, de : « A nous toutes les places et tout de suite ! »
    Cette nouvelle conspiration mondiale (après quelques autres de même farine : financières, idéologiques, planistes, racistes, etc.) mérite qu'on lui prête quelque attention. Le « pool des cerveaux » va tendre à supplanter le « pool des ceintures dorées » - dont il est, en somme, l'enfant ingrat, et il ne m'appartient pas de rechercher lequel des deux l'emportera, ni lequel est le plus catastrophique à divers égards. Naturellement qui dit technocratie pour les ayant droit, entend technolâtrie pour les autres. Une publicité savamment ordonnée ne propage déjà que trop, dans les multitudes non techniciennes, l'idée que le salut et la félicité du genre humain sont liés au progrès de la science et à sa prépondérance sur les autres activités de l'homme.

    C'est ici le lieu de se remémorer l'avertissement du Dr Alexis Carrel : « L'atrophie des activités fondamentales de l'esprit, telles que le sens moral, le sens du beau et surtout le sens du sacré fait de l'homme moderne un être spirituellement aveugle ».
    Evidemment, Carrel, quoique aussi « homme de science » que l'un quelconque des gentlemen du « pool des cerveaux », était un croyant. Mais, à ses antipodes, écoutons, à propos des prétentions savantasses, le son de cloche donné par Charles Fort qui, dans « Le Livre des Damnés », a fait, court et lié, le procès de pas mal de pseudo-vérités, dites « scientifiques » :  « La science est plus qu'une recherche, c'est une pseudo-construction...»
Toutes les sciences commencent par des tentatives de définition mais rien n'a jamais été défini, parce qu'il n'y a rien à définir. Darwin a écrit « L'Origine des Espèces », sans être jamais à même de définir ce qu'était une espèce ».

 
  Qui dit « science » se forge l'idée d'études objectives, menées avec une froide impartialité. Mas c'est là une conception théorique Ce qui est réel, humain, ce sont les savants créateurs et les techniciens réalisateurs, avec leurs partis pris, leurs passions ou leurs marottes. Pour le public, ce qu'ils affirment ou nient est justement « la science » ; en fait, il ne s'agit que de leurs hypothèses ou de leurs connaissances du moment,, dont on ne devraient point ignorer qu'elles se succèdent, se contredisent, s'affrontent âprement et se dévalorisent à un rythme de plus en plus accéléré.

Naturellement, tout savant, petit ou grand, sait cela ; mais la plupart s'empressent de l'oublier lorsqu'ils s'adressent aux « profanes ».
Et les ouvrages de vulgarisation et ceux d'enseignement officiel, qui forgent la mentalité générale, fourmillent d'affirmations tranchantes et de doctrines périmées. Et ce ne sont pas les plus « libres penseurs » qui sont les moins dogmatiques. J'en donnerai plus loin deux ou trois échantillons par quoi l'on verra jusqu'à quel point je suis fondé en droit de tenir de tels procédés pour des abus de confiance caractérisés. L'écolier, l'étudiant, le simple curieux, le lettré même, sont rarement en mesure de contrôler en détails ; ils font confiance aux spécialistes et ne retiennent que les conclusions.

    Il faut bien savoir que les grandes thèses à faux-nez scientifique modernes ont été élaborées sous l'empire de passions partisanes et de préoccupations politiques et sociales dont il serait trop long de retracer ici le cheminement souterrain depuis, disons, la Renaissance. Ainsi naquit le dogme de l'Evolution. Lamarck l'ébaucha au XVIIIe siècle, gagné par les idéologies qui commençaient à subvertir l'Europe chrétienne.
Le « Transformisme » fut, au départ, non le résultat d'une enquête scientifique, mais l'intrusion dans le domaine des sciences d'une « mystique » révolutionnaire et athée, mystique qu'on essaya ensuite de justifier, en rejetant dans l'ombre les « damnés », terme énergique par lequel Charles Fort désigne les faits dont on refuse « scientifiquement » de tenir compte parce qu'ils contredisent la théorie ou les préférences. 

    N'est-ce pas d'ailleurs un transformisme notoire, Yves Delage, qui a dit crûment : « Je suis absolument convaincu qu'on est - ou qu'on est pas - transformiste, non pour des raisons tirées de l'Histoire Naturelle, mais en raison de ses opinions philosophiques ».
    Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, je relève qu'en 1938 (Tome V de l'Encyclopédie Française) l'ancien directeur du Muséum, Paul Lemoine, concluait ainsi : « La théorie de l'Evolution est impossible... Elle est une sorte de dogme auquel ses prêtres ne croient plus, mais qu'ils maintiennent pour leur peuple. Cela, il faut avoir le courage de le dire ».

    N'empêche que chacun a pu voir, au Palais de la Découverte, le fameux « Cône de la Vie », partant de l'être monocellulaire pour aboutir à l'ensemble des êtres vivants. Que de visiteurs non avertis durent prendre cette imposture pour argent comptant !
    Ainsi donc, une théorie condamnée par les faits et à laquelle ses pontifes ne croient plus fait encore l'objet d'un enseignement doublé d'une suggestion officielle, avec la complicité de savants qui mentent en pleine conscience et sérénité, couverts du prestige de « la Science », qui n'a rien à faire en cette galère !

    Pourquoi ?  C'est qu'ici la genèse truquée des formes vivantes n'est qu'un hors-d'oeuvre. Le plat de résistance, c'est l'homme. L'homme et sa dignité. L'homme et sa destinée. L'homme et ses fins naturelles et surnaturelles !
    Je ne sais si, conformément à cette métaphysique barbouillée de science, nos descendants seront ou non « un peu moins singes que nous ». Je souhaite seulement qu'ils soient un peu moins naïfs.

    Certes, dans toute hypothèse, dans toute « interprétation » de l'expérience brute, il est difficile d'éliminer  l'équation personnelle et les apriorismes philosophiques, de la meilleure foi du monde. Mais, dans les sciences qui touchent à l'Homme, ces éléments extrinsèques et paralogiques jouent un peu trop souvent le rôle capital.

    En veut-on un autre exemple ?

    Les fossiles de la Denise, d'authenticité indiscutable comme celui de Castenedolo et celui de Swanscombe, sont les plus anciens documents de la paléontologie humaine, bien antérieurs aux Néandertaliens de type si nettement bestial. Ils ont donc le tort inexpiable d'être, eux, des types déjà homo sapiens, ce qui condamne les théories des évolutionnistes. Qu'à cela ne tienne ! On les passe sous silence, et tout est dit. Encore des « damnés »!

    D'ailleurs l'anthropologiste Sergi nous le dit sans fard : « Parce que ces pièces ont une forme trop moderne, ne s'accordant pas avec ce qu'exigerait le transformisme ; d'où le refus d'en tenir compte ».
    Mais on monte en épingle la « forgerie » du Pithécanthrope, véritable tour de faussaire ; et le grand public ignorera longtemps encore la honteuse comédie « scientifique » dont il a été victime, malgré les protestations d'Albert de Lapparent, entre autres. Je n'aurais que l'embarras du choix si je voulais souligner des comportements aussi fantaisistes, pour ne pas dire plus, dans d'autres domaines du savoir.
    Sans doute me reprochera-t-on de négliger la vaste proportion de savants probes et scrupuleux. Je répondrai que les savants probes et scrupuleux, - ceux qui disent avec Claude Bernard : « La science apprend à ignorer », - ne sont presque jamais ceux qui ont l'oreille des « officiels », l'appui des subventions, le prestige des honneurs publics, le privilège de collaborer aux livres destinés à l'Enseignement, ni le tonnerre de Brest des trompettes de la Renommée. Sinon parfois après leur décès, quand ils ont cessé d'être dangereux pour les dogmes bien en cour !

    Si des arrière-pensées philosophico-passionnelles conditionnent l'orientation de la science du jour, il est jusqu'ici assez rare que ses champions descendent réellement dans l'arène où s'entrechoquent, partis, clans et consortiums, si l'on veut bien faire abstraction de quelques adhésions spectaculaires et platoniques.

    La position est autre pour ceux qui aspirent à la Technocratie (et font même davantage qu'y aspirer, à ce qu'il me semble). Ce sont des « jeunes » ingénieurs et techniciens, mettant au point les découvertes des intellectuels purs ou les transformant dans les usines en produits industriels et commerciaux. Dans un monde où la technique est reine, il est normal qu'ils se sentent un peu princes consorts !... Que les plus audacieux d'entre eux, les plus imprégnés de « volonté de puissance » et les plus dépourvus de garde-fous religieux ou de scrupules sentimentaux, élaborent ce « pool des cerveaux », ce « brain trust » où ils entendent bien conserver la prépondérance, n'a rien d'étonnant. « La Science au Pouvoir », c'est une organisation purement externe des enfers, purgatoires et bagnes terrestres, qui est le but caressé par tous les messianismes matérialistes, totalitaires et coercitifs, caricature ou image inversée du Royaume de Dieu. Là où est la matière, là est la contrainte. Là où est l'Esprit, là seulement est la Liberté. Pas de milieu ! Malheureusement, les masses fluctuantes qui entendent gagner le Ciel sans renoncer pour si peu à la terre, ont horreur du choix. Et je lis dans Sédir : « durs bergers avec des lances pour houlettes »...

 
  Tout comme les utopistes de la Sociale, les technocrates nous promettent le bonheur sur terre. Un bonheur fait par eux, planifié, codifié et obligatoire. La Science et l'Etat ne feront plus qu'un ! La nation et l'usine également ! L'homme et le robot électronique vivront sur le pied de la plus fraternelle égalité, à défaut de liberté. Quant à la conscience « morale », elle sera localisée dans le monopolitaire « pool des cerveaux ». Si « la science » l'exige, on pourra refaire, à l'échelle mondiale, les sataniques expériences que fit le IIIe Reich sur son bétail de camps de concentration.

    J'exagère ? J'anticipe sur un futur qui n'appartient à personne ?  Mais le présent m'en est un sûr garant ! Et je conseillerais vivement à ceux qui savent lire et réfléchir de feuilleter le livre objectif, et terrifiant par les perspectives qu'il dévoile, de Robert Jungk « Le Futur a déjà commencé ». Je n'en extrairai qu'un passage, d'une haute clairvoyance : « Cet appétit de puissance (il s'agit de l'Amérique) n'est dirigé contre aucune nation... il ne s'attaque à aucune forme de gouvernement, mais à l'ordre établi de la création, considéré jusqu'ici comme immuable. Les nuages, le vent, les végétaux, l'animal et l'immense espace sidéral devront se soumettre... Il s'agit de conquérir le trône de Dieu, de se substituer à Lui, de renouveler ses créations, de créer et d'organiser un nouveau cosmos de la main de l'homme obéissant aux lois édictées par la raison et la prévoyance humaines, sous le signe de l'Efficience maxima... Là où auparavant la foi régnait et la conscience guidait, l'utilité et le rendement sont maintenant des critères... La démission de l'individu est la condition sine qua non de la participation à l'effort de domination des forces universelles... Le pionnier moderne n'a de raison d'être qu'en tant que rouage... sous l'étroite dépendance financière, organisatrice et personnelle des directeurs du plan de recherche collectif ».
    Programme qui se passe de commentaires et qui n'est pas du « futur », comme le démontre l'auteur que je viens de citer, tout au long d'un livre hallucinant. Le « pool des cerveaux », des « cerveaux scientifiques », nous en promet de belles !... De plus en plus, l'homme sera assimilé en tant qu'individu aux robots de la cybernétique, et sa seule supériorité sur ces derniers sera d'être envisagé comme « producteur » ou « consommateur ».

    Il est permis de se demander quelle peut être la contrepartie d'une aussi  écrasante sujétion ? Un certain bien-être, disons même « mieux-être » matériel à quoi restera toujours étranger le bonheur vrai dont la clef est dans le coeur humain et non dans les engrenages d'une machine ! Mais ce fameux « bien-être », combien pourront en jouir, lorsqu'il leur faudra vivre, comme déjà en partie, les yeux fixés sur la pendule, pris dans les lacets de réglementations et dans la nécessité d'une efficience qui sera une question de vie ou de mort ?
    Et ne sera-t-il pas payé, bien au delà, par les catastrophes que déchaînera fatalement une science subversive, dressée contre les lois divines et naturelles ? Nous en avons un avant-goût avec les expériences nucléaires ; les déchets atomiques enfouis n'attendent que la plus infime secousse sismique pour surgir de la boîte de Pandore où ils sont enfermés. Et je ne parle que pour mémoire des conséquences proches ou lointaines de l'accroissement de poussières radioactives au-dessus de nos têtes !

    Et, malheureusement, les foules inconséquentes applaudissent et applaudiront aux perspectives insensées mais séduisantes que leur font et leur feront miroiter nos Prométhéides ! A moins qu'à mi-chemin du but une découverte un peu trop « faustienne » ne transforme subitement notre planète en une demi-douzaine de lunes qui iront bonnement graviter autour de notre actuel satellite. A moins encore que quelque Déluge providentiel ne décharge un peu brutalement l'humanité du fardeau de science qui risque de l'écraser.

    Quoi qu'il soit plus agréable de tourner un commutateur électrique que de moucher une chandelle, de prendre l'ascenseur que de gravir un escalier, d'écouter la messe à la Radio plutôt que de prendre le chemin de l'église, et ainsi de suite, la question se pose, pour un chrétien, de savoir si le « commode », l'«agréable », le « confortable » sont bien le but de notre passage ici-bas.

    Pour un incroyant, la question se pose de savoir si le jeu vaut la chandelle et si le développement des moyens de destruction, l'entassement dans les usines, l'encasernement dans les cités de plus en plus tentaculaires, ne risquent pas de faire regretter le bon vieux temps de l'« inconfort » où nos pères pouvaient méditer, prier et penser, comme Rabelais, que science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

    Les augures scientifiques nous promettent pour demain une ère bénie où les hommes s'installeront confortablement dans les entrailles de la terre et dans les abysses océanes, où des téléviseurs perfectionnés leur rappelleront qu'en surface il y a encore un soleil, de la verdure et un ciel bleu. On peut se demander où l'âme, la foi, le sens du sacré et celui de l'honneur trouveront à se nicher dans de semblables termitières ?

    Mais l'homme propose et Dieu seul dispose. Depuis les temps semi-légendaires, semi-historiques d'Irshou, cent « messianismes » de tout poil ont cru modeler la planète à leur convenance. Mais le glaive de l'Archange a toujours fini par foudroyer la Bête - même « savante ».