n° 38 - Avril 1959 Scripta Manent Cet extrait d'une correspondance vieille de près d'un lustre, retrouvée au cours d'un de ces périodiques autodafés nécessités par l'encombrement des classeurs, n'apprendra rien à ceux qui ont lu Sédir, c'est-à-dire à nous tous, ici. Peut-être offre-t-il quelque utilité « extérieure » ? C'est là ma seule excuse à le produire. Les quelques considérations qui y font suite ne sont plus très neuves. Leur seul mérite, si mérite il y a, est d'être le fruit d'une longue et dure expérience. Sans autre préambule, voici : Biens chers Amis, Vous me demandez de passer une paire d'heures avec vous et, par occasion, de nouer connaissance avec Madame X....., « femme délicieuse, érudite, qui fait son Yoga depuis cinq ans et y a enfin trouvé la paix, et qui se dévoue à faire connaître ici les grands Maîtres orientaux qu'elle s'est choisis ». Tout de même, il ne faut pas oublier que si notre Grand Initiateur, ni aucun de Ses disciples authentiques d'hier ou d'aujourd'hui n'ont enseigné ou conseillé des méthodes artificielles de développement spirituel - ou supposé tel. Il ne faut pas oublier que, de quelque nom qu'on décore ces méthodes et quelques excuses que semble présenter leur but prestigieux, elles relèvent, sans exception, de la magie. Et la magie est pour nous, Occidentaux, science périmée depuis deux mille ans. A toutes ces savantes méthodes d'entraînement, si grisantes, si séductrices, si logiques en apparence, il manque quelques notions essentielles pour nous, et ce manque est, pour les Orientaux, l'excuse de leur emploi : la notion de chute et de péché, celle de Rédemption et de Rédempteur, sans oublier celle de Tentateur. Nul ne peut servir deux maîtres. Le prince secret des super-intellectuels et des super-mages, c'est Lucifer, qu'ils imitent de leur mieux, tout en pensant gravir ainsi le sentier de la Libération. Il est la source de cette froide et captivante lumière dont relèvent les adeptes de la culture du Moi ; il est le maître de cet astral où puisent, sans songer aux restitutions inéluctables, les assoiffés d'états ou de pouvoirs psychiques. Entre la chaude lumière de l'Amour dont le Christ est la source et cette clarté glaciale, il n'y a pas de commune mesure. La « délivrance », l'« extinction », la « réalisation », en mode oriental, sont une chose, le retour de l'Enfant prodigue à la Maison du Père en est une autre. Votre amie Madame X..... a choisi la première Voie. Soit ! Il ne nous appartient pas de l'en blâmer ; elle finira bien un jour par reconnaître l'arbre à ses fruits. Mais, si elle professe, comme je le crois, l'identité foncière de sa Voie et de la Voie chrétienne, elle confond les fruits de l'Arbre de Science avec ceux de l'Arbre de Vie et il ne convient pas d'encourager cette illusion. Vous savez que, malgré leurs détours, toutes voies finiront une fois par aboutir à l'Unique Voie. Ce n'est qu'une question de temps, donc nulle au regard de l'Eternité. Votre amie marche d'un coeur sincère vers la désillusion qui l'attend et non vers l'accomplissement qu'elle attend. Mais je me garderai bien demain, chers amis, d'engager une controverse avec elle, je vous l'ai déjà dit. Elle est à mi-chemin de ce qu'elle suppose être le But et qui n'est que son but. Puisse-t-elle, au contraire, l'atteindre pour en savourer l'amertume et la précarité. C'est à ce point, sans doute, que l'attend le Ciel. |