XII

L'Amour Changeur

     Je ne sais rien, je ne puis rien, je ne suis rien que l'ombre d'un nom : Toi, tu connais, tu peux, et es tout ensemble. Mon coeur est petit et pervers, le Tien est grand et saint ; mauvaise est ma volonté, mais la Tienne est bonne. Si le manque de profits ne Te détourne pas de faire l'échange : Prends ma volonté, donne-moi la Tienne ; ce que je Te livre est à Toi, Toi, en me donnant ce qui déborde de Toi, tu ne perds rien, tandis que pour moi c'est un gain immense. Lorsque, tout entier, je me livre à Toi, Tu ne reçois rien ; par contre, lorsque Tu Te donnes à moi, Tu es et m'es le souverain Bien. Si nous faisons ce mutuel échange, mon coeur de Ton amour, Ton coeur de mon amour s'embraseront : le bénéfice que Tu me procureras sera la gloire d'une vie bienheureuse, celui que je Te procurerai ne sera qu'un iota de tes louanges.

XIII

Philomèle. L'Amour

     Les autres oiseaux gazouillent leur air. Toi seule, ô Philomèle, compose une mélodie mellisuave.
     Les passions autres rejettent les devoirs qui nous incombent : L'Amour qui dure jusqu'à la fin des siècles les vainc toutes.
 

XIV

L'Amour ailé. Le Navire

     Comme l'un est emporté par un courant rapide, et l'autre par un vol prompt, quel à propos dans la rencontre navis, avis (nef, oiseau) ! L'esprit brûle de désirs si vifs que l'aile de l'Amour l'enlève aux Cieux.

XV

Par le Feu, à la Lumière

     Aucune autre voie ne mène à la Lumière Poursuis ton chemin à travers le feu, où que te conduise l'Aimé : avec ce guide, tu seras en sûreté. Car le père de la Lumière est le feu : mais, quel que soit ce dont tu te dépouilleras dans le feu, tiens-le pour un gain inappréciable.

XVI

Union de l'âme avec Sophia

     L'Épouse régit les eaux célestes ; l'Époux exhale le feu interne, autant que brûle un légitime Amour. La conjonction du feu et des eaux crée par cette semence la lumière. De là, l'un est dit le mâle de la vierge, l'autre, la vierge du mâle.

XVII

Dans la Bonne et Mauvaise Réputation.
2 Cor. c. 6, v. 8.

     A quoi te sert la bonne réputation, si JÉSUS n'est pas ton hôte? Et s'il est ton hôte, en quoi te nuira la mauvaise renommée ? Que les orgueilleux m'accusent, me condamnent, me rejettent, me piétinent ; qu'ils affectent là mon propos des airs de supériorité, je n'en suis pas ému : pour moi, le Christ sera toujours, JÉSUS sera toujours la renommée, l'honneur, la louange, la gloire, la réputation.
 

XVIII

L'Éternité conçue, mais non comprise

     Ici, nombre, spéculation, mesure, raison déterminante font défaut à la fois : toi-même, tu défailles. Évalue et suppute : observe, imagine, recommence, le vertige t'annihilera ; l'univers t'écrasera. L'Aeon des Grecs, l'Olam des Hébreux s'évanouissent !
L'esprit fait de vains efforts pour soulever un si pesant fardeau ; S'il s'obstine quand même, s'il lutte, il s'égare ce n'est point éternel : assurément il lui faut cesser. Que quelqu'un encore cherche, espère, demande, souhaite anxieusement ; ce n'est point éternel : et il manque toujours le but.

     Pour toi, ô Boëce, c'est la possession de la vie éternelle, à la fois pleine, entière et parfaite : j'approuve ce jugement. L'éternel Esprit d'Harmonie, qui délie les éternels Abîmes, est seul à en posséder les clés. A l'esprit pacifié, dégagé de tout le transitoire, il se révèle dans les profondeurs à la clarté de l'Amour. Quiétude immense et sans fin ; un seul Bien les renfermant toujours tous : un seul Bien indivisible et constant. C'est la vraie liberté, la paix véritable, les seules félicités de la vie, sans nulle peine ni lutte à soutenir. Il est dit, ô Agneau, que la vertu de ton sang répandu pacifie tout, réconcilie tous. Qui la goûte avec toi les épreuves passées, jouit d'une paix inexprimable : En vérité, ce qu'il expérimente, il le comprend !

XIX

De nous, à Dieu

     Chasse les ténèbres, si tu veux être rempli de Lumière ; veux-tu ne pas être privé de Dieu ? Dépouille-toi de l'amour du Monde. Désespère de toi, du Monde, et de toutes choses créées : Ainsi, ton espoir demeurera bien fixé en Dieu seul.
 

XX

La Conscience parle

     Comme personne ne peut se fuir, ni me fuir ; je témoigne à chacun que je suis le tribunal, trône de l'éternelle Puissance.      Dénonciateur, j'énumère les fautes ; témoin, je les blâme, à la fois juge et bourreau. Le vengeur poursuit parfois d'un pied agile les coupables qui le fuient, mais moi j'aiguillonne tes entrailles et j'en compte les fibres une à une. Si tu pèches contre moi, je serai le boulet que tu traîneras. Le crime reçoit son châtiment en tous lieux. Suis-je dénonciateur : sois honteux ! Suis-je témoin : crains ! Suis-je juge : je te poursuis ! Sous mes coups : c'est la douleur Consulte-moi, reste à mon obédience, car je suis le plateau de la balance témoignant l'examen du juge éternel.
 

XXI

Dieu incompréhensible

     Si quelqu'un va vers la Lumière inaccessible sans le flambeau qui émet la Lumière, il marche à l'aveuglette. La Lumière infinie accablera l'aveugle. Sans le flambeau de la foi, autant d'idées différentes tu te formes, autant d'illusions tu te fais sur la Déité ; autant de concepts qui te sont propres, autant de représentations mentales fallacieuses ; tout autant de Dieux tu imagines, tout autant d'idoles tu adores. Il appartient à la Majesté seule de se connaître. A la foi, appartient de croire. Crois : tu vois !

XXII

Laconiquement

     Crains de pécher sciemment ; et prie le Pneuma sacré qui donne l'impulsion à ton sein : Renonce à tout et même à toi : C'est tout. L'Esprit manifeste à ton esprit haletant accomplira le reste et enseignera à ton coeur les sens mystiques.