Le problème du mal est un des plus délicats à résoudre, des plus difficiles à exposer, des plus dangereux à approfondir. Ceci explique le grand nombre de penseurs qui lont scruté et la diversité des opinions quils nous en ont offertes. En présenter une nouvelle serait assez présomptueux, aussi me bornerai-je à quelques généralités. A mon avis, le mal, conçu comme une entité métaphysique, na pas dexistence propre. Il ne peut exister en Dieu puisque, par définition, celui-ci est un, par conséquent toujours identique à lui-même. Dieu créant le mal ne le pourrait créer que dune façon absolue, définitive, excluant tout bien. Or, pas même sur notre terre, pourtant peu réjouissante, le mal ne possède ce caractère duniversalité, dindiscontinuité, qui est le sceau du divin. Cependant, le mal existe bien pour nous qui, tour à tour, le commettons et le subissons. Cest que nous sommes multiples alors que la Divinité est une. Or la multiplicité engendre, entre ses éléments constitutifs, une série de rapports, rapports quon peut toujours inverser. Ceci revient à dire que le mal nest quune possibilité et non une virtualité. Voici, par exemple, deux hommes. La distance qui les sépare nest pas nulle, puisquelle est mesurable. Cependant labstraction distance na pas dexistence propre, indépendante de ces deux hommes, en tant quexprimant leurs relations spatiales. Que ceux-ci se déplacent, elle se modifiera, elle nest quun rapport. Que les deux hommes échangent mutuellement leur place, voici ce rapport inversé, mais seulement par rapport à eux puisque la distance qui les sépare na pas varié. Ainsi, le mal, loin dêtre une fatalité inhérente à la nature des choses (1), nest au contraire quune inversion de lordre naturel, qui, née dans le domaine du relatif, ne peut affecter que les rapports des créatures entre elles, et, en tant quanomalie, na pas toujours existé et disparaîtra un jour. Le mal est une rupture dharmonie, une dissonance dans le concert universel. Celui qui le commet est donc comparable à un astre désorbité, à un soldat qui abandonne son poste. La douleur qui en résulte nest que lexpression de cette disharmonie. Si tout concept est vrai dans son plan, tout être est heureux tant quil occupe la place que le Créateur lui avait assignée dans le cosmos. Si lhomme expérimente la souffrance cest quil a déserté son poste, sil conserve, malgré tout, lespérance, cest quil le réintégrera quelque jour, jour quil peut hâter ou retarder selon sa bonne ou sa mauvaise volonté. Comme leau souterraine des puits artésiens jaillit soudain à travers la rude écorce terrestre pour sélancer au niveau de son réservoir, lâme humaine, emprisonnée sous la matière, tend sans cesse à se libérer de son emprise et sélèvera un jour, définitivement, vers ces régions spirituelles dont elle tire son origine et dont elle na la prescience que parce quelle en eût jadis la conscience. Car, la raison pour laquelle le bien, qui est harmonie, finira par triompher, cest que seul il possède une existence propre. Cest pourquoi les triades celtiques disent : « Trois choses saccroissent continuellement : le Feu ou la Lumière, lIntelligence ou la Vérité, lEsprit ou la Vie. Ces trois choses finiront par prévaloir et, alors, ABRED (le monde élémentaire) sera détruit ». Il faut ici se garder de confondre le principe éternel avec lorigine temporelle. Le binaire est la loi des mondes déchus, lunité est celle des mondes réintégrés. Le mal nétant quun bien perverti, la perversion cessera, le bien seul demeurera. Linfinie perfection de Dieu et le fait quil na pas créé le mal, ne sont un « épouvantail » métaphysique quen apparence, et quelle que soit la solution quon apporte au problème de lorigine temporelle du mal, on ne doit en aucune façon confondre cette origine relative avec le principe, actuellement inconnaissable, dont il semble être une émanation, principe que nous navons pas à discuter pour linstant.
(1) Cest à cette triste conception, à ce pessimisme fondamental, quaboutissent en bonne logique les thèses panthéistes, tant de lEurope que de lOrient. Il est bien évident que si tout est Dieu ou parcelle de Dieu, la divinité est la source même du mal, et, étant au même degré celle du bien, on peut hardiment prétendre quelle est amorale. On conçoit aisément que, de telles théories, on puisse déduire lamoralité et lirresponsabilité du « sous-multiple divin » que nous sommes. Les pontifes de ces doctrines dissolvantes, faux bergers dun troupeau en perdition, trouvent et trouveront toujours de nombreux et fervents disciples, parmi ceux que gène la morale et que nétouffent pas les scrupules. |