« Chaînes » à rompre
Nous entendons parler de ces « chaînes de prières » qui se reforment périodiquement et reproduisent la même formule caractéristique, à quelques variantes près. Un jour, vous recevez, dune écriture inconnue ou visiblement déguisée, le texte dune soi-disant « prière » où promesse et menace se balancent scrupuleusement. La promesse toujours dordre matériel, est subordonnée à lexpédition par vous du même texte à cinq, sept ou neuf personnes de votre connaissance, vis-à-vis desquelles vous garderez lanonymat. La menace vise le cas où vous ne vous exécuteriez pas, si bien que le tout constitue un véritable chantage à la malédiction. « Plains-moi, sinon je te maudis ! » disait déjà Baudelaire à certaine catégorie de lecteurs. Du moins, signait-il sa boutade ! Le factum dont nous parlons, lui, est anonyme. Qui la composé ? Qui la mis en circulation ? Qui la retransmis jusqu'à vous ? Mystère ! Par contre on nomet jamais de vous dire que cette merveilleuse prière a une non moins merveilleuse origine : Tantôt elle a été découverte par un missionnaire, tantôt cest un pèlerin qui la trouvée en Palestine, à moins que ce ne soit un croisé. Bref, la contradiction sur les détails concernant son origine supposée montre immédiatement ce quelle vaut ! Celui, ou ceux, qui lancèrent ce venimeux papier prirent pour base de sa diffusion deux mobiles des actions humaines dont le moins quon puisse dire est quils sont fort peu religieux : la crainte et lintérêt. Ajoutons-y la superstition et nous aurons vidé le fond du sac. Il faut croire, dailleurs, que ce calcul nétait pas si mauvais puisque cette diffusion sopère toujours si largement quil nest pas rare quune personne reçoive le même texte, de différentes écritures, à plusieurs reprises dans le même mois et, parfois, dans la même semaine. Il est bon de savoir que ce petit jeu nest pas absolument innocent et que des désordres psychiques, légers ou graves, peuvent en résulter. Personnellement, il me souvient davoir reçu dune personne amie, que de pénibles épreuves avaient mise dans un état inaccoutumé de surexcitation mentale, une lettre à laquelle, je ne compris dabord rien du tout. On mannonçait quon obéirait à ma suggestion, en me demandant pourquoi je proférais des menaces en cas de non exécution. Surpris, je rendis visite au scripteur qui, pour toute réponse, me rendit le papier anonyme, dune écriture vaguement semblable à la mienne et dont lenveloppe portait, par malheur, le timbre du bureau postal de mon quartier. Me disculper fut laffaire dun instant. Mais il fallut des semaines pour que lébranlement psychique occasionné par cette lettre malencontreuse soit à peu près dissipée. Je citerai un autre cas curieux. Dans les mêmes circonstances, une personne impressionnable qui ne voulait pas retransmettre la prière impie, mais hésitait à la détruire franchement eut, plusieurs nuits de suite, le rêve suivant : Elle voyait un torrent très violent qui entraînait des pierres et des troncs darbres. Tout à coup, elle se voyait avec terreur sous la chute deau, accrochée à une grosse roche qui lui semblait devoir être arrachée à son tour. Cet état dangoisse, qui persistait, à peine atténué, pendant le jour, dura jusquau moment où, sur le conseil dun ami, elle se décida à détruire le papier reçu. On voit par ces deux anecdotes que leffet produit peut être désastreux, lorsquun être en déficience physiologique ou psychique le supporte. Dans ces états déquilibre instable, moins rares quon ne le suppose dordinaire, alors quil faut peu de choses pour faire pencher définitivement la balance mentale du bon ou du mauvais côté, qui peut dire à lavance jusquoù iront les conséquences de cette « chaîne » épistolaire ? Au reçu dune telle missive, le mieux est de la détruire aussitôt reconnue et de rompre ladite « chaîne », au moins sur un point. Ses dangers, en effet, ne résident pas seulement dans la teneur dun texte essentiellement sacrilège, ni dans les répercussions que ce texte peut déclencher dans des cerveaux faibles, desservis par une imagination trop vive. Ce nest là quun aspect du problème. Voici ce quon peut dire de lautre. La réitération graphique, verbale et mentale, dun texte identique, dont les promesses autant que les menaces frappent limagination, crée forcément, dans latmosphère fluidique de la terre, un courant de forces convergentes. Cest, en plus grossier, le principe sur lequel est basée la répétition fastidieuse du même mantram ou de la même formule rituelle par le magiste. Il y a, comme disent les occultistes, création dun « Egrégore ». Mais au profit de qui ? Certainement pas, dans le cas présent, au profit de ceux qui reproduisent et donnent à reproduire à leurs connaissances la formule reçue, ils ne savent doù ! Ceux-là sont des naïfs, inconscients de luvre à laquelle ils collaborent bénévolement et à laquelle ils offrent, chacun, une certaine quantité de leurs forces nerveuses et mentales. Cest donc aux anonymes qui ont lancé - très consciemment eux - la formule en question et qui sont, pour ainsi parler, les « maîtres du mantram », les dominateurs de lEgrégore en formation, que profite ce torrent de forces, symboliquement aperçu dans le rêve relaté plus haut, et quils peuvent diriger vers le but quils sassignent. A la qualité des idées exprimées dans la trop fameuse « prière », on peut aisément juger de celle des buts poursuivis ! Et la conduite à tenir en pareille occurrence découle de cette simple constatation... |