Année 1972 n ° 2

« Chaînes » à rompre 



          Nous entendons parler de ces « chaînes de prières » qui se reforment périodiquement et reproduisent la même formule caractéristique, à quelques variantes près. 
    Un jour, vous recevez, d’une écriture inconnue ou visiblement déguisée, le texte d’une soi-disant « prière » où promesse et menace se balancent scrupuleusement. La promesse toujours d’ordre matériel, est subordonnée à l’expédition par vous du même texte à cinq, sept ou neuf personnes de votre connaissance, vis-à-vis desquelles vous garderez l’anonymat. La menace vise le cas où vous ne vous exécuteriez pas, si bien que le tout constitue un véritable chantage à la malédiction.
    « Plains-moi, sinon je te maudis ! » disait déjà Baudelaire à certaine catégorie de lecteurs. Du moins, signait-il sa boutade !
    Le factum dont nous parlons, lui, est anonyme.
    Qui l’a composé ? Qui l’a mis en circulation ? Qui l’a retransmis jusqu'à vous ? Mystère !
    Par contre on n’omet jamais de vous dire que cette merveilleuse prière a une non moins merveilleuse origine : Tantôt elle a été découverte par un missionnaire, tantôt c’est un pèlerin qui l’a trouvée en Palestine, à moins que ce ne soit un croisé. Bref, la contradiction sur les détails concernant son origine supposée montre immédiatement ce qu’elle vaut !

    Celui, ou ceux, qui lancèrent ce venimeux papier prirent pour base de sa diffusion deux mobiles des actions humaines dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont fort peu religieux : la crainte et l’intérêt. Ajoutons-y la superstition et nous aurons vidé le fond du sac.

    Il faut croire, d’ailleurs, que ce calcul n’était pas si mauvais puisque cette diffusion s’opère toujours si largement qu’il n’est pas rare qu’une personne reçoive le même texte, de différentes écritures, à plusieurs reprises dans le même mois et, parfois, dans la même semaine.
 
  Il est bon de savoir que ce petit jeu n’est pas absolument innocent et que des désordres psychiques, légers ou graves, peuvent en résulter.

    Personnellement, il me souvient d’avoir reçu d’une personne amie, que de pénibles épreuves avaient mise dans un état inaccoutumé de surexcitation mentale, une lettre à laquelle, je ne compris d’abord rien du tout. On m’annonçait qu’on obéirait à ma suggestion, en me demandant pourquoi je proférais des menaces en cas de non exécution.
    Surpris, je rendis visite au scripteur qui, pour toute réponse, me rendit le papier anonyme, d’une écriture vaguement semblable à la mienne et dont l’enveloppe portait, par malheur, le timbre du bureau postal de mon quartier.
    Me disculper fut l’affaire d’un instant. Mais il fallut des semaines pour que l’ébranlement psychique occasionné par cette lettre malencontreuse soit à peu près dissipée.
 
  Je citerai un autre cas curieux. Dans les mêmes circonstances, une personne impressionnable qui ne voulait pas retransmettre la prière impie, mais hésitait à la détruire franchement eut, plusieurs nuits de suite, le rêve suivant : Elle voyait un torrent très violent qui entraînait des pierres et des troncs d’arbres. Tout à coup, elle se voyait avec terreur sous la chute d’eau, accrochée à une grosse roche qui lui semblait devoir être arrachée à son tour. Cet état d’angoisse, qui persistait, à peine atténué, pendant le jour, dura jusqu’au moment où, sur le conseil d’un ami, elle se décida à détruire le papier reçu.

    On voit par ces deux anecdotes que l’effet produit peut être désastreux, lorsqu’un être en déficience physiologique ou psychique le supporte. Dans ces états d’équilibre instable, moins rares qu’on ne le suppose d’ordinaire, alors qu’il faut peu de choses pour faire pencher définitivement la balance mentale du bon ou du mauvais côté, qui peut dire à l’avance jusqu’où iront les conséquences de cette « chaîne » épistolaire ?

    Au reçu d’une telle missive, le mieux est de la détruire aussitôt reconnue et de rompre ladite « chaîne », au moins sur un point.
    Ses dangers, en effet, ne résident pas seulement dans la teneur d’un texte essentiellement sacrilège, ni dans les répercussions que ce texte peut déclencher dans des cerveaux faibles, desservis par une imagination trop vive.
    Ce n’est là qu’un aspect du problème.
    Voici ce qu’on peut dire de l’autre.
    La réitération graphique, verbale et mentale, d’un texte identique, dont les promesses autant que les menaces frappent l’imagination, crée forcément, dans l’atmosphère fluidique de la terre, un courant de forces convergentes. C’est, en plus grossier, le principe sur lequel est basée la répétition fastidieuse du même mantram ou de la même formule rituelle par le magiste. Il y a, comme disent les occultistes, création d’un « Egrégore ».
    Mais au profit de qui ?
    Certainement pas, dans le cas présent, au profit de ceux qui reproduisent et donnent à reproduire à leurs connaissances la formule reçue, ils ne savent d’où !
    Ceux-là sont des naïfs, inconscients de l’œuvre à laquelle ils collaborent bénévolement et à laquelle ils offrent, chacun, une certaine quantité de leurs forces nerveuses et mentales.
 
  C’est donc aux anonymes qui ont lancé - très consciemment eux - la formule en question et qui sont, pour ainsi parler, les « maîtres du mantram », les dominateurs de l’Egrégore en formation, que profite ce torrent de forces, symboliquement aperçu dans le rêve relaté plus haut, et qu’ils peuvent diriger vers le but qu’ils s’assignent.
 
  A la qualité des idées exprimées dans la trop fameuse « prière », on peut aisément juger de celle des buts poursuivis !
    Et la conduite à tenir en pareille occurrence découle de cette simple constatation...