Limportance de ce court épisode des Evangiles ressort du fait quil est relaté, presque dans les mêmes termes, par trois des Evangiles (voy. Math. XXII, 15-22 ; Marc XII, 13-17 ;Luc XX, 20-26). Voulant perdre Jésus, les Pharisiens envoyèrent vers lui des émissaires chargés de le pousser à prononcer des paroles imprudentes contre le gouvernement romain. Ceux-ci lui posèrent donc cette question : « Est-il permis de payer limpôt à César, ou non ? Payerons-nous ou ne payerons-nous pas ? » On peut trouver là, comme toujours, plusieurs enseignements, dont lun des moindres est une méthode générale de défense dont tout chrétien peut aisément faire son profit. Celui qui dit aux siens : Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; ... soyez simples comme des colombes, mais prudents comme des serpents ; Celui-là sait bien quels pièges leur seront tendus et ses propres réponses, en des cas analogues, sont justement des modèles de prudence et de simplicité qui déconcertent la ruse et la subtilité des hypocrites et des envieux. Les circonstances dans lesquelles se déroula le bref dialogue que nous venons de résumer sont également remarquables. Elles tiraient leur gravité de la situation spéciale des Israélites, tributaires dun Etat étranger, et toujours prêts à la révolte. Les mêmes qui voulaient un Messie qui soit un roi temporel, exterminateur des Romains, voulaient dans le même temps perdre Jésus, qui se refusait à ce rôle terre-à-terre, en le faisant habituellement passer pour un émeutier. Double bénéfice : on se débarrassait de ce Messie encombrant, qui répondait si peu à lidée matérielle quon sen faisait, et, de plus, on nétait pas compromis. Cétait affaire entre « le bras séculier » et limprudent bavard... Pharisiens hypocrites et pouvoir séculier soupçonneux sont de tous les temps et de tous les pays. Les noms changent, le fait demeure. Ici encore, lEvangile garde sa précieuse et saisissante actualité. Maintenant, ce qui est en question, cest le grave problème des rapports du Spirituel et du Temporel. Ceux qui ont parlé du « ferment révolutionnaire » de lEvangile ont été assez embarrassé par lépisode du denier à César. Cest quen effet, la « révolution » que nous propose Jésus est intérieure ; celle de nos modernes révolutionnaires, chrétiens ou non, est extérieure. Ils veulent, eux aussi, comme les Juifs, un Messie ou un Messianisme matériel et dordre temporel. Leur Paradis est sur cette Terre et leur trésor, cest ce monde. A ces égarés, Jésus répond à peu près : sachez faire la distinction de Dieu et de César, du Spirituel et du Temporel. Rendez à chacun ce que vous lui devez légitimement, cest à dire ce qui vient de lui ! Cest de César, cest de Mammon que viennent les biens temporels ; cest de la Terre que vient notre corps ; si donc ils nous les réclament, ils ne font, strictement, que se rembourser dun prêt. Si le sol natal (qui, avec les éléments du corps, nous fournit chaque jour les produits qui lui permettent de subsister), nous réclame ce corps, nous devons lui restituer son prêt. Si la fortune se retire de nous, noublions pas quelle nétait pas réellement à nous et que la partie de nous mêmes quelle comblait nétait pas celle qui vient de Dieu. Et ainsi de suite pour chaque application particulière. Lon dit communément : mon champ, ma maison, mon intelligence, mes enfants, mes idées, et le reste... Mais tout ceci nest que deniers prêtés et quon nous reprendra. Nous le savons, mais nous nous comportons en pratique comme si nous lignorions. Méditons donc lépisode du denier de César ; il nous enseignera à résoudre sainement, avec simplicité, en les posant bien daplomb, les problèmes souvent délicats, parfois déchirants, que pose la dualité du spirituel et du temporel, reflet exacte de notre propre dualité. Une fois de plus, nous verrons que la contradiction extérieure est rigoureusement proportionnelle à celle qui nous divise intérieurement. |