Année 1971 n ° 4


Déterminisme Astral




          Les astrologues d'autrefois professaient unanimement que l'influence des astres était prédisposante mais non nécessitante. Au déterminisme astral s'opposait, selon eux, le double contrepoids de la Volonté humaine et de la Providence divine. Dans l'ordre pratique, la volonté humaine étant rarement assez sage et assez entraînée pour modifier profondément le destin et faisant, en outre, trop rarement appel à la Providence, il s'ensuivait que les déductions qu'ils tiraient des aspects célestes se trouvaient vérifiées de façon parfois stupéfiante.

    Leurs modernes continuateurs, eux, se partagent en deux camps, les uns s'en tenant à la doctrine traditionnelle rappelée plus haut, les autres affirmant l'absolu du déterminisme cosmique et niant expressément liberté et responsabilité humaines.

    Il est permis de leur opposer cette objection, à notre sens capitale, c'est que le " comment " et le " pourquoi " des correspondances et influences des astres est le chapitre le plus obscur de la science astrologique d'aujourd'hui. Si l'on peut établir assez aisément les corrélations valables entre tels ciels de naissance et tels individus nés sous ces ciels, le mécanisme qui régit ces rapports aussi bien que les principes dont ils découlent ne se laissent pas aussi aisément démontrer :
    " Le pourquoi des phénomènes nous échappe. Qui tente de remonter aux causes premières s'aperçoit vite que c'est plus glissant qu'un mât de cocagne. Il suffit de constater les rapports entre les astres et nous. " 
    " Influence astrale veut dire influence exprimée par les astres sans rien préjuger sur la nature et l'origine de cette influence. " (1)

    Les Anciens, pour qui l'astrologie était tout autre chose qu'une collection de recettes empiriques et d'aphorismes sans lien entre eux, ont toujours été obstinément muets sur les principes premiers de leur science. Et la même remarque pourrait aussi bien être faite en ce qui concerne l'alchimie, la théurgie, etc. Qu'on les blâme ou qu'on les loue, il est probable que ce n'est pas sans de solides raisons qu'ils en usèrent systématiquement ainsi. C'est donc sur les principes et les lois réelles de ce qu'on appelle un peu vaguement l'" influence astrale " que les modernes font preuve d'une pauvreté frisant l'indigence.
    Ce fait palpable devait nous incliner - sinon " nécessiter " - à la plus grande circonspection, ceux d'entre eux qui se portent garants du déterminisme intégral de forces dont les lois et l'origine leur échappent presque totalement.
    Selon un exemple avancé par l'un d'eux, le fait que l'astrologie permettrait de conjecturer le genre de mort d'un individu et même de préciser parfois, s'il s'agit d'une menace de mort violente, quel sera le genre d'assassin (faux ami, ennemi déclaré, serviteur et ainsi de suite), ce fait impliquerait une double et irrévocable fatalité : pour la victime qui doit rencontrer tel assassin et non tel autre, et pour l'assassin qui doit rencontrer telle victime déterminée. Le corollaire est, bien entendu, qu'ils ne sont responsables ni l'un ni l'autre, n'étant libres ni l'un ni l'autre.
    Cela peut mener loin... et n'est réfutable que si l'on se cantonne hermétiquement dans le seul domaine matériel. Et encore, la vérification par le fait d'une demi-douzaine de prédictions de cette sorte, ne saurait en prouver le caractère inéluctable. Il
suffit de réfléchir que les conditions de vérification sont excessivement limitées et que les échecs, par dessus le marché, sont généralement passés sous silence. Le pourcentage d'êtres humains connaissant avec certitude leur heure précise de naissance est assez modeste. Sur ce faible pourcentage, combien ont eu le goût ou la possibilité de faire ou de faire établir par un astrologue compétent leur thème de naissance ? La proportion est véritablement infime et ne saurait permettre aucune affirmation tranchante, appuyée sur le seul empirisme, surtout dans une matière aussi délicate.
 

    L'on se rappelle peut-être la réponse que fit Socrate à ses disciples, indignés de le voir invectivé par un physiognomoniste :
    Cet homme a raison, je porte bien sur mes traits les marques de tous les vices qu'il m'attribue et qui furent miens. Ce qu'il ne peut pas voir, puisque les traits ne changent guère, c'est que je m'en suis débarrassé.
    Or, l'influence qui se traduit par la morphologie et l'expression d'une physionomie ou par les lignes et les protubérances de la main est, ne l'oublions pas, identique en essence, sinon en mode, à celle qu'on peut relever dans un thème astrologique : " La nature travaille toujours sur un seul plan ", a écrit quelque part Sédir.
    On peut donc tenir pour assuré qu'un astrologue qui aurait érigé le thème natal de Socrate aurait commis la même erreur fondamentale que le physiognomoniste interprétant cet autre " thème " qu'est un visage. Voilà pour la volonté humaine.

  Pour la Providence, nous pourrions citer un cas particulièrement caractéristique, que des raisons de discrétion nous interdisent jusqu'à nouvel ordre de préciser autrement. Ce cas roule sur l'aphorisme, bien connu , de Ptolémée, dont la vérification est de fait, et qui s'énonce à peu près ainsi : La mort publique est indiquée, entre autres, par la conjonction d'un luminaire (Soleil ou Lune) avec Algol (l'étoile la plus maléfique du ciel), s'il est en aspect dissonant avec Mars et si ne l'affecte pas favorablement une planète bénéfique maîtresse de la VIIIème Maison. "
    La personne visée ici remplissait les conditions sus-énoncées. Et, de fait, elle échappa par miracle, on peut le dire, à une mort atroce où périt une partie de sa famille.

    L'on pourrait également invoquer un autre fait connu, tout aussi probant : l'horoscope du Maréchal Foch (2), ne répond pas, semble-t-il, à la glorieuse destinée et aux éminentes facultés du grand soldat. Les astrologues s'en sont tirés comme ils ont pu, mais il est permis de penser que les êtres investis d'une mission, limitée ou non, par la Providence échappent au déterminisme astral, au moins en ce qui a trait à ladite mission.
    Nous ne pensons pas, dans le même ordre d'idées, que la sainteté puisse être présagée d'après l'examen d'un horoscope. Le génie non plus, quoique les facultés que ce génie mettra en œuvre et l'orientation qu'il leur donnera puissent être décelées par le ciel de naissance. D'ailleurs, les " génies " véritables, ceux qui apportent à l'humanité quelque chose de vraiment neuf, de vraiment " extra-humain " sont probablement plus rares qu'on ne le pense communément, et c'est un grave abus des mots que d'appliquer ce qualificatif à des esprits que leur intelligence et leurs talents classent très au-dessus de la moyenne, sans plus.

  Quoi qu'il en soit, l'on doit donner raison aux vieux maîtres de l'astrologie qui réservaient toujours la part de volonté et celle de la Providence en formulant leurs jugements car, pour rare que soit leur intervention, elle est susceptible, lorsqu'elle se produit à temps, de changer un destin du tout au tout. Et cette remarque en appelle une autre. Il faut attribuer à la déplorable mentalité moderne, éprise de statistiques et de chiffres bruts, une thèse selon laquelle un horoscope ne serait juste que pour un tiers des prédictions, un autre tiers dépendant de la volonté humaine et le dernier tiers de la Providence. Ce raisonnement ne tient aucun compte du " qualificatif ". Il n'y a eu aucune commune mesure entre les trois facteurs envisagés. La Providence est ou n'est pas. Si elle est, elle peut ce qu'elle veut. Emanation de l'Absolu, elle ne doit pas être mise sur un pied de simple égalité avec le vouloir de l'homme ou les arrêts du Destin. En principe, abstraction faite des lacunes de notre science, un horoscope situe un être, en totalité, et non le tiers ou la moitié de cet être. Et, c'est le cas de beaucoup le plus fréquent, la majeure partie des déductions qu'on en tirent se révèlent parfaitement conformes à la réalité. Le " tiers pour tiers " est pure fantaisie, pure confusion, passage inconsidéré du langage des nombres à la fallacieuse " éloquence des chiffres ". Dans les cas où la volonté humaine intervient victorieusement dans ce destin, c'est qu'elle a fait appel, au moins implicitement, à la Providence, si bien que les deux facteurs différentiels n'en font qu'un dans la pratique. Et quand ce double facteur entre en jeu, il défie toute évaluation et pourcentage. La vieille règle d'arithmétique qui enseigne qu'on ne peut diviser des sacs de pommes de terre par des bottes de carottes est aussi une règle du simple bon sens !

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    Reprenons maintenant l'exemple de l'assassin et de l'assassiné, en tant qu'ils sont " prédestinés " par les configurations astrales à leur rôle mutuel. Nous en sommes arrivés à cette conclusion, qu'une telle prédestination n'était pas sans appel et qu'au-delà du domaine des forces étiquetées " astrales ", il est d'autres forces, - spirituelles, celles-là, - dont l'intervention n'est pas astrologiquement discernable.
    " La main d'un échéancier " écrivions-nous ici, voilà quelques années. Ce que nous disions de l'influence astrale dans sa traduction chirologique (3), nous pouvons l'étendre à cette même influence envisagée sous un aspect cosmologique.
    A certains égards, le thème natal d'un être est, lui aussi un échéancier.
    Mais n'est-il pas dit dans le Pater : " Remettez-nous nos dettes " ?
    Ce qui est évidemment la condamnation du déterminisme astral au sens absolu que lui prêtent certains. Entre leur opinion et l'affirmation si nette du Sauveur, il y a place pour un choix, mais il n'y en a pas pour une conciliation.
Et, justement, le cas de l'assassin et de l'assassiné peut se ramener au problème, plus général, de nos dettes envers les créatures. Lorsqu'un être vient en ce monde, il a derrière lui un passé ignoré, dont il doit liquider les dettes les plus criantes. Si l'assassin doit fatalement rencontrer " sa " victime et la victime " son " assassin, ce n'est pas en vertu d'une fatalité astrale, simple instrument, mais en vertu d'un arriéré mutuel qu'il s'agit de solder. La charte natale de ces deux êtres n'est pas pour autant qu'il y paraît à première vue le potentiomètre d'une influence inéluctable, réduisant celui qui naît sous elle - par hasard, sans doute ? - au triste état d'automate irresponsable, de " robot ". A ce compte, le baromètre devrait être tenu pour responsable des tempêtes qu'il annonce, et le thermomètre, des sautes de températures ! (4).

  Sur cet apparent déterminisme, pèsent les libres décisions et les libres initiatives antérieures. C'est du moins ce qu'il nous semble. Et si le mal mutuel enchaîne mystérieusement les deux créatures que l'expiation entraîne l'une vers l'autre à travers les détours de l'existence (5), il est cependant une libération !
    " Remettez-nous nos dettes ", dit la phrase du Pater déjà citée. Mais elle ajoute : " Comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ". C'est là le vrai chemin qui peut nous conduire hors du déterminisme astral, vers la liberté. S'ils le suivent, l'assassin et la victime, le débiteur et le créancier se rencontreront bien, conformément aux correspondances (6) astrales. Mais cette rencontre sera pour eux l'occasion bénie de rompre leur double chaîne et de triompher du Fatum.
    Et pour en triompher, notre volonté n'a qu'une ressource : s'appuyer sur la Providence, cette Providence dont relève, après tout le Destin, comme l'écrivait excellemment Olympiodore.
    Confondre en une seule ces deux puissances antithétiques, ne pas distinguer le principe de liberté de celui de nécessité, les impliquer tous deux dans le mécanisme astral, ce n'est pas seulement commettre une erreur désastreuse du point de vue de l'Esprit, c'est ouvrir la porte, toute grande, à l'amoralisme, au fatalisme, au nihilisme social et intellectuel.
    Et cet amoralisme qu'on nous présente comme la conséquence d'un fait arbitrairement généralisé, qu'il se nomme ou non " déterminisme astral ", découle bien plutôt des tendances latentes de ceux dont le raisonnement spécieux s'échafaude - artistement - en vue d'en faire la pierre faîtière de leur édifice.
    N'est-ce pas là œuvre luciférienne au premier chef ? Et n'est-il pas permis d'en signaler le caractère, si conforme, hélas ! au génie anarchique et matérialiste du siècle ?
    Et si l'on nous rétorque qu'une vérité, pour être antisociale, n'en demeure pas moins une vérité, nous répondrons qu'une pseudo-vérité, appuyée sur le seul domaine des apparences et, même dans ce domaine, incapable d'apporter sa preuve irréfutable n'est qu'une simple hypothèse ; que les conséquences qu'on peut tirer légitimement d'une hypothèse sont d'un autre ordre et d'une bien moindre portée que celles qu'on tire de faits indiscutables. Enfin, qu'une " vérité " contraire à la nature immuable des choses - ici, l'instinct social de l'humanité - apparaît bien sujette à caution.
    Tout cela n'est que prétextes et occasions pour perturber davantage les cerveaux et le monde. Tout cela n'est, comme l'écrit à peu près saint Jean, qu'une des mille formes de l'Antéchrist, un des mille épisodes de cette guerre, toujours plus intense, entre les Puissances du Ciel et celles de l'Enfer.
    Signe des temps - après tant d'autres...



                                                         Notes

(1)  Entre cent autres, identiques, nous nous bornons à transcrire ces deux opinionsd'astrologues connus ; la première est de Maurice Privat, la seconde de P. Choisnard.

(2)  Voir Ch. Herbais de Thun : Synthèse de l'interprétation astrologique, pp. 95-96 et revue " L'Astrosophie ", Vol. I, p.52

(3)  On connaît des exemples de modifications chirologiques importantes au cours de l'existence. Or la main est un petit zodiaque en parfaite concordance avec le thème de nativité ; les belles recherches d'Elie Alta (Signum, premier et second Cahiers) confirment ce fait, que la simple logique postulait.

(4)  Un thème chiffre, en somme, l'apport prénatal. C'est un " relevé de compte "
établi entre deux périodes d'actualisation ici-bas.
    La série des harmonies (et des dissonances) célestes d'une heure de nativité donnée, suggèrent cette idée, qui n'a pas la prétention de s'ériger en explication d'ensemble, que le natif ne peut franchir les barrières qui le séparent de l'existence physique que si un certain rapport de similitude existe entre son propre ciel intérieur et le ciel extérieur.
Comme le poisson ne peut vivre dans l'air, ni l'oiseau se mouvoir sous les eaux, l'âme " pérégrine " ne peut supporter de traverser une ambiance psychique incompatible avec sa nature propre. Dans cette hypothèse, les astres signifient non pas parce qu'ils nécessitent, mais parce qu'ils correspondent aux possibilités générales du né.

(5)  C'est cet enchaînement mutuel qui est figuré d'une manière particulièrementsaisissante sur la quinzième carte du tarot, le Diable.

(6) Peut-être le terme " correspondances " serait-il préférable à celui d'influence, de rayonnement, de forces, lorsqu'il s'agit de définir les relations entre l'homme et les astres. Il offre cet avantage de ne pas présumer la nature et le mode d'action réels des corps célestes et de ne pas donner aussi facilement prises à de fausses analogies, dites " scientifiques " entre leur action sur nous et celles des forces connues en physique. Querelle de vocabulaire ? Soit ! Mais un grand savant n'a-t-il pas dit qu'une science était avant tout un vocabulaire bien fait...